Conclusion en manière d'introduction
Vu la part d'ombre recouvrant le projet,
la décision d'implantation, prochaine, semble devoir être
prise bien trop hâtivement.
Comme il a déjà été expliqué
depuis longtemps dans le rapport d'une mission d'information à
la demande du Ministère de l'Industrie et de l'Aménagement
du Territoire d'une part et du Ministère de la Recherche
et de la Technologie d'autre part (Guillaume, Pellat et Rouvillois, 1989 - Le rapport
qui dérange) «Il apparaît de plus
en plus que la contrainte principale dans ce domaine est la capacité
de la population locale à accepter le principe du site
de stockage, beaucoup plus que les avantages techniques, relatifs
des différents types de sous-sol. Dans ces conditions,
il semble indispensable que le choix du site soit fait rapidement
par les pouvoirs publics pour éviter toute cristallisation
de l'opinion publique» avec, pour le choix du projet
« ... le souci d'éviter un phénomène
de rejet relayé au niveau national ... ».
La nécessité de publier les remarques de géologues
indépendants sur des sujets aussi brûlants sera donc
d'autant plus nécessaire, qu'au détour d'un récent
décret en date du 21 mars 1996, le Journal Officiel a annoncé,
sans aucun exposé des motifs, la suppression du Collège
de la prévention des risques technologiques (Salomon, 1996).
Les travaux souterrains seront entrepris sur la base d'études
géologiques menées par l'ANDRA et ayant abouti à
des conclusions beaucoup trop optimistes. Comme nous allons le
montrer, cet organisme, au fil des rapports d'activité,
a souvent manifesté une tendance au non-dit, voire occasionnellement
à l'omission de faits gênants (suppression de failles,
par exemple celles d'Echenay proche du site), à la surestimation
si ce n'est à l'ignorance des limites d'efficacité
des méthodes employées, tant en ce qui concerne
la cartographie géologique (souvent impuissante à
déceler les failles en surface, vu l'insuffisance des affleurements
dans nos régions), l'interprétation de la sismique,
le traitement des données hydrogéologiques (absence
d'aquifères admise après deux sondages seulement,
et surestimation de l'épaisseur de la couche-hôte).
Fait stupéfiant, le sondage réalisé à
l'emplacement du site lui-même (EST 103) a été
arrêté avant même d'avoir atteint les calcaires
sous-jacents, sans qu'aucune explication n'en ait été
donnée, de sorte qu'on ne peut connaître, à
l'endroit où cela eut été le plus utile,
ni l'épaisseur exacte de la couche-hôte, ni sa perméabilité.
Les recherches géologiques préliminaires à
partir de la surface sont donc encore très insuffisantes
pour confirmer le bon choix du site et son positionnement exact.
D'autre part l'importance des travaux envisagés est telle,
qu'elle semble supputer le succès des recherches comme
acquis d'avance, ce qui ne sera pas forcément le cas.
Des difficultés sont prévisibles dans la tenue
des terrains, spécialement lorsqu'il s'agit d'un encaissant
à composante argileuse, sujet au fluage, sensible à
la chaleur dégagée par les colis, notable pendant
quelques siècles. Pourtant L'ANDRA prévoit un soutènement
classique. Il nous paraît donc probable que, dès
le début du stockage, l'enfouissement sera tenu pour irréversible,
le principal bénéfice de l'opération étant
de ne plus voir les déchets en surface et surtout de supprimer
les frais d'entretien des travaux.
Cependant, eu égard aux garanties de sûreté
exigées par un stockage à long terme d'un produit
aussi dangereux et sur d'aussi longues durées, précisons
bien qu'il n'est pas dans la nature de quelque étude géologique
que ce soit, d'apporter des certitudes d'étanchéité.
Les «incertitudes résiduelles» si bien évoquées
par la Commission Nationale d'Évaluation (juin 1996, rapport
d'évaluation n° 2, p. 47) resteront pour nous une expression
euphémique signifiant qu'on ne saura jamais tout, sinon
presque rien, du moins jamais assez. C'est bien la raison pour
laquelle, en reprenant les propos de Cl. Allègre (1990),
l'enfouissement de déchets radioactifs, de manière
générale, n'est pas la solution satisfaisante :
géologiquement parlant le sous-sol est le plus mauvais
endroit pour stocker des déchets à long terme, en
raison de l'activité corrosive de l'eau tiède, omniprésente,
qui finit par tout altérer. Cet
auteur recommande de laisser les déchets à la surface
et dans un endroit sec, en attendant les résultats des
études d'«incinération», avis partagé
par CI. Guillemin (1993).
De la pyrite (sulfure de fer) est présente dans les argiles
callovo-oxfordiennes, et lors du creusement des galeries du laboratoire,
l'oxydation de ces minéraux en milieu humide, va provoquer
la formation d'acide sulfurique qui accélérera fortement
la corrosion des colis radioactifs dans des solutions acides même
diluées. Ce problème n'a pas été évoqué
par L'ANDRA dans ses rapports de 1995 et 1996.
Pour le moins, il eut été préférable
d'étudier tout d'abord un site «argiles» en
subsurface, facilement accessible et de dimensions modestes (du
même type que les laboratoires d'études méthodologiques
déjà en fonctionnement en Belgique et en Suisse),
plutôt qu'un laboratoire profond très onéreux.
Cela permettrait d'attendre les résultats des voies 1 et
3 évoquées par l'article 4 de la loi du 30 décembre
1991, à savoir:
(Voie 1) l'étude des possibilités de séparation
et de transmutation des éléments radioactifs et
:
(Voie 3) l'étude des procédés de conditionnement
et d'entreposage de longue durée en surface, voies desquelles
on peut encore attendre des progrès, puisqu'aussi bien,
comme le rappelle le comité de scientifiques lorrains (p.
5) «aucune des trois voies... n'est privilégiée
par rapport aux autres dans la mesure où elles sont effectuées
simultanément et seront dotées de moyens financiers
nécessaires». Il faut donc laisser les déchets
en subsurface en conformité avec les règles de sûreté
(risques de guerre, d'attentats...). Les erreurs ou malfaçons,
déjà décelables à court terme, seront
réparables tandis que les fuites émanant d'enfouissement
en profondeur seront incontrôlables.
Le risque de ces enfouissements, sans très sérieuses
garanties, ne prend pas en considération les droits des
générations futures évoqués par l'Art.
1 de la loi du 30 déc. 1991. Avons-nous le droit de prendre
ce risque avant même d'avoir épuisé la recherche
sur toutes les autres solutions possibles ? Les décideurs
devront garder à l'esprit que toute contamination, depuis
le site d'enfouissement prévu en Meuse sous la surface,
impossible à endiguer, n'engagera pas seulement l'avenir
du département de la Meuse mais aussi celui du bassin Marne-Seine
tout entier, jusqu'à Paris. Le problème des enfouissements
dépasse le cadre départemental et sera bel et bien,
et partout, un problème national.
Introduction
L'implantation du laboratoire de stockage
souterrain en Meuse est envisagée dans la couche argileuse
callovo-oxfordienne entre 400 et 600 mètres de profondeur.
Cette couche de 130 ± 10 m d'épaisseur est encadrée
par des assises calcaires au mur attribuables au Bajocien (250
m), au toit à l'Oxfordien supérieur à moyen
(300 m). Au-dessus de ce dernier figurent de bas en haut : les
marries du Kimméridgien (100 m), puis les calcaires du
Barrois, (Jurassique terminal) de ± 25 m d'épaisseur
sur le secteur de recherche. Les calcaires du Barrois sont fortement
karstifiés dans tout le Sud du département de la
Meuse, comme le rappelle un récent ouvrage de J.P. Beaudoin
(1990). La rivière Orge disparaît non loin du site
du projet de laboratoire souterrain et ses eaux entrent dans la
composition des résurgences de Ruptaux-Nonnains et de Fains-les-Sources,
à une vingtaine de kilomètres à l'Ouest dans
des affluents de la Marne.
Le maître d'oeuvre, ou Agence nationale pour la gestion
des déchets radioactifs (ANDRA), dans son compte rendu
des travaux de reconnaissances géologiques des trois sites
français retenus, daté du 9 avril 1996, auquel nous
avons emprunté les chiffres d'épaisseur de terrains
mentionnés en introduction, insiste sur la «géologie
particulièrement simple» du site de la Meuse qui
apparaîtrait comme extrêmement favorable. Nous ne
partageons pas son bel optimisme même dans le cas du site
le plus favorable. Ce qui frappe toujours dans les rapports de
l'ANDRA, c'est l'importance du non-dit, c'est-à-dire de
détails pourtant essentiels, sur lesquels on n'insiste
pas trop, comme si tout au long des recherches, il s'agissait
surtout d'éloigner le mauvais sort en faisant, avec la
meilleure bonne volonté, tout ce qu'il était possible
de faire. Il est clair que les personnes non averties, même
parmi celles qui souhaitaient voir aboutir le projet à
tout prix, risquent d'être rassurées à trop
bon compte si l'on minimise l'importance de ces détails.
On verra plus
loin que L'ANDRA doit remettre ses conclusions sur les travaux
en laboratoire souterrain en 2006. Pourquoi cette date si rapprochée
? EDF voit ses centrales nucléaires vieillir plus vite
que prévu. Aussi pour pouvoir lancer un nouveau programme
de centrales justement vers cette époque, il faut pouvoir
annoncer que le problème des déchets (dangereux
et à vie très longue) est résolu par l'enfouissement
de ceux-ci dans les entrailles de la terre, et que les populations
n'ont pas à s'inquiéter de ce danger toujours minimisé
par les autorités. Il se pose la question de savoir si
l'on nous a impartialement informés sur le degré
de validité géologique du choix des sites. il semble bien qu'en fait, le choix
se soit fait sur le caractère désertique de la région
de Bure-Saudron. On choisit des sites, moins sur des critères
géologiques que sur les données démographiques,
ce qui tend à réduire localement le nombre des protestataires.
La population est bien trop peu informée pour donner son
avis, élus compris. Les rapports et bandes dessinées
ne lui offrent qu'un discours officiel biaisé, dans lequel
la communication (en d'autres temps on disait propagande) prend
le pas sur l'information.
Le lecteur trouvera dans la suite de ce texte les appréciations
et commentaires de trois spécialistes des Sciences de la
Terre, sur la réversibilité d'un enfouissement,
sur la fracturation des terrains, l'hydrogéologie et l'épaisseur
de la couche-hôte (ici, les argiles). Nos conclusions font
apparaître les «péchés» par omission
de L'ANDRA.
RÉVERSIBILITÉ
Que signifie réversibilité
? C'est la possibilité de récupérer les colis
hautement radioactifs entreposés dans un endroit sec et
répondant aux règles de sécurité,
en vue de les retraiter suivant les voies 1 et 3 de la loi du
30 décembre 1991. Il a été proposé
une réversibilité à deux niveaux. Le premier
correspondant à des colis stockés dans une galerie
ouverte, le second à des galeries remblayées en
cas de besoin (Rapport de mission de l'Institut lorrain de Géosciences,
p. 10 - 12). Le second niveau s'apparente à un stockage
définitif sur lequel il n'existe aucune garantie à
long et très long terme (100 000 ans et plus). Certes,
les propriétés géomécaniques de la
couche-hôte ont été étudiées
(ANDRA, 1996): «la réalisation des galeries... pourra
se faire avec un soutènement classique posé au fur
et à mesure de leur creusement», en se basant sur
les carottes des deux sondages à disposition et le fluage
des argiles, qui est «l'une des propriétés
intervenant dans les études de réversibilité»,
a fait l'objet de mesures (p. 38). Cependant, «aux profondeurs
importantes envisagées pour le stockage», rappelons-le
(Rousset 1990), et «même si l'on a affaire à
des argiles ou marnes fortement consolidées, on sait que
leur résistance mécanique est parmi les plus faibles
de l'ensemble des roches. Il faudra notamment : prévoir
de construire des galeries de petites dimensions et de géométrie
simple ; imaginer éventuellement une procédure de
refermeture et d'abandon du site progressive, de façon
à minimiser la durée de l'ouverture des galeries
; poser des soutènements souples spécialement adaptés
aux propriétés de comportement différé
du matériau». Ces recommandations ne vont déjà
pas dans le sens d'une réversibilité, mais plutôt
dans celui d'une promptitude techniquement motivée et «politiquement
correcte».
Par conséquent, malgré les propos rassurants de
l'ANDRA et les pensées raisonnables du comité de
scientifiques lorrains, les travaux miniers ont des chances de
ne pas tenir, déjà sur un terme assez court, surtout
à cette profondeur, dans l'optique d'une réversibilité
et cette crainte est légitime vu l'énormité
du coût de l'entreprise. Ces roches sont à effet
différé et plus encore s'il s'y ajoute l'influence
encore mal connue d'une action thermique prolongée (colis
chauds) pendant des dizaines d'années. Bientôt les
travaux ne resteront accessibles qu'en y affectant des crédits
sans cesse croissants, probablement plus importants que pour l'entretien
d'un stockage en surface et sans garantie de succès.
Comme on l'a déjà fait remarquer (Sené, 1995,
p. 7), «les remblais, le contenu des colis, la tenue des
galeries ne réclament pas des kilomètres pour être
testés. En effet, les diverses expériences menées
en Allemagne, aux États-Unis et en Belgique donnent des
indications qui montrent que la réversibilité est
un concept séduisant mais impossible à mettre en
oeuvre avec des produits radioactifs». Il faut signaler
que l'ONDRAF, équivalent belge de l'ANDRA en France, a
commencé les études en laboratoire souterrain en
1974 et que les experts belges pensent ne pas pouvoir être
en mesure de prendre une décision avant 2030 ou 2040 (Visite
de ILCI Haute-Marne au laboratoire de Mol en décembre 1996).
Rappelons que l'ANDRA en est en 1997, là où la Belgique
en était en 1974, et doit donner ses conclusions en 2006.
Sans commentaires.
Dans l'éventualité d'un abandon des travaux qui
consacrera l'irréversibilité du stockage, rappelons
les propos de Christian Bataille dans son rapport provisoire du
18 mars 1996 concernant l'application de la loi du 30 décembre
1991 : «Prendre parti pour l'irréversibilité
du stockage serait en quelque sorte nier le progrès technique
qui permettrait un jour de se débarrasser définitivement
de la radioactivité contenue dans les déchets».
Cependant le dernier document émanant de la Direction
de la Communication de l'EDF (1996), ne précise pas le
pourcentage des provisions prévues à long terme
qui seraient de 100 milliards de francs fin 1994, pour mettre
en oeuvre les solutions effectivement affectées au programme
ACTINEX concernant la transmutation.
L'aboutissement de ce programme serait pourtant le seul remède
efficace contre cette «constipation» dans la filière
nucléaire, c'est-à-dire l'impossibilité d'éliminer
les déchets de catégorie B et C, les plus dangereux
sur le long terme, que l'on cherche à enfouir au lieu de
s'en débarrasser définitivement.
FRACTURATION
En ce qui concerne la fracturation,
élément essentiel de la perméabilité
des roches, donc du facteur de fuite : l'importance de la fracturation
aux alentours du site projeté est minimisée, même
au vu des connaissances acquises. Bien que les fossés de
Gondrecourt et de la Marne aient été représentés
sur la carte géologique de l'est du Bassin parisien (fig.
El), ce dernier fossé a été oublié
sur la coupe géologique E-W de l'est de la France (fig.
E2) - voir fig. 2 - ainsi
qu'un certain nombre de failles régionales plus à
l'Est. Dans le texte (page 35), il est dit que ces deux fossés
ou accidents «n'ont pas eu de mouvements pendant la période
de sédimentation du Callovo-Oxfordien», qu'«ils
ne créent donc pas de perturbations qui pourraient remettre
en cause la continuité de ce niveau d'argilites».
Cependant il n'est même pas certain que ces failles n'avaient
pas déjà fonctionné pendant le dépôt
des argilites, puisque dans le Bassin de Paris on connaît
l'existence de failles synsédimentaires à différentes
époques par rejet vertical et/ou tangentiel de failles
du socle sous-jacent. Ce serait le cas au Malm, où «le
sillon du Luxembourg, continue son fonctionnement pendant le Callovien
et l'Oxfordien (Argiles de la Woëvre» (Leroux, 1980,
p. 660).
Les deux failles parallèles d'Echenay, dirigées
NE-SW perpendiculaires aux trois failles SE-NW qui joignent les
deux fossés de la Marne et de Gondrecourt, ne figurent
pas dans le rapport de l'ANDRA (Résultats des travaux réalisés
en 1994) du 6 février 1995. Pourtant l'un d'entre nous
(Mourot, 30 mai 1995) les a redécouvertes au cours d'une
visite au siège de l'ANDRA, sur les documents pétroliers
retraités par la Compagnie Générale de Géophysique
(fig. 3). Or l'ANDRA,
dans une réponse à la note de A. Mourot distribuée
par l'Instance locale de concertation et d'information (ILCI)
le 21 juillet 1995, a affirmé qu'elle n'avait procédé
aux forages que «seulement après examens de ces données...
après retraitement de cette géophysique» :
elle n'a donc tenu aucun compte de ces deux failles dont elle
devait connaître l'existence et qui auraient pu être
oubliées sans nos remarques. Elles ne figurent d'ailleurs
toujours pas dans le bilan des travaux de l'ANDRA du 9 avril 1996,
bien qu'elles ne soient qu'à trois kilomètres à
I'W du site projeté de laboratoire (EST 103).
Mais il y a beaucoup plus. La carte géologique de France
au 1/1 000 000 montre que le site meusien est localisé
au centre d'un champ de fractures NNE -
SSW bien repéré dans les formations compétentes
du Jurassique moyen en Bourgogne et en Lorraine (fig 1). Ce champ est bien plus difficile à
mettre en évidence dans des formations incompétentes,
telles que les argilites callovo-oxfordiennes, qui n'affleurent
que difficilement, mais rien ne permet d'affirmer que ces dernières
n'en sont pas affectées. Le fait que de telles fractures
ne soient pas représentées sur la carte, qui ne
prend en compte que les évidences, ne saurait nier la probabilité
de leur existence.
L'ANDRA a tendance, toujours avec optimisme, à ignorer
les limites d'efficacité de la méthode sismique
dans la détection des failles, et de deux façons.
Tout d'abord, ses rapports géologiques n'évoquent
jamais la possibilité de failles indécelables par
cette méthode, en particulier les failles coulissantes
(dites aussi décrochements) ou failles subverticales à
rejet horizontal. Dans ce type de failles, en effet, les blocs
déplacés restent au même niveau, donc indécelables
en sismique. La carte topographique au 1/100 000 montre un déplacement
horizontal possible du fossé de Gondrecourt à la
hauteur de Lézéville (fig.
4) atteignant quelques centaines de mètres (faille
sénestre). Il pourrait ne s'agir que de l'érosion
décalée d'une butte-témoin, mais la possibilité
de failles de cisaillement de cette sorte dans la région
mériterait plus ample étude.
Ensuite, d'après les géologues de l'ANDRA, la profondeur
des «réflecteurs» (couches géologiques
ayant réfléchi l'onde sismique vers la surface)
est donnée à 10 mètres près. Cette
valeur, pour une formation située à 400 mètres
de profondeur, fait que la précision relative (10/400)
est de 2,5 %. Une précision de cet ordre n'existe pas en
géophysique. Il est probable qu'il y ait eu dans les rapports
de l'ANDRA une erreur de transcription: 10 m au lieu de 10 %,
valeur vraisemblable. La précision absolue dépend
donc de la profondeur considérée. Les rejets de
faible amplitude seront mal vus, mais sur les coupes temps de
la Compagnie Générale de Géophysique on peut
apercevoir des effets de diffraction sur des plans de failles
à rejet probablement assez faibles. L'ANDRA au cours de
plusieurs conférences précise que ces failles étaient
placées perpendiculairement aux profils, car ils ne connaissent
pas leurs directions. Ce qui en soit est correct. Mais pourquoi
alors ces éléments de failles ne figurent-ils pas
sur ses plans ?
L'ANDRA a également tendance à ignorer les limites
d'efficacité des sondages. Dans un sondage carotté,
la profondeur d'une formation géologique est connue à
quelques centimètres près, disons que l'on a une
précision centimétrique. Bien que les sondages puissent
servir à caler les résultats des profils sismiques,
il est difficile d'utiliser ceux-ci pour déceler à
400 m de profondeur des failles de rejet faible mais néanmoins
significatif sur le plan hydrogéologique. Cette question,
nous l'avons posée (Mourot, 1996). Il nous a été
répondu que le sondage de Cirfontaines-en-Ornois confirmait
l'absence de failles dans ce secteur. Or un sondage vertical ne
peut ni confirmer ni infirmer l'absence de failles verticales
car, même à quelques dizaines de mètres, il
restera parallèle à la faille et ne la rencontrera
jamais. De surcroît, le nombre de sondages sur la zone d'étude
est notoirement insuffisant puisque, sur les sept sondages réalisés,
deux seulement traversent la série d'argiles calloviennes
(MSE 101 et HTM 102), alors qu'un troisième
a atteint les argiles mais ne les a pas complètement recoupées
(EST 103) On se demande d'ailleurs bien pourquoi ce dernier sondage
implanté sur le site même du laboratoire, n'a pas
recoupé les argiles calloviennes : c'eut été
le meilleur moyen de connaître l'épaisseur exacte
des argiles, ainsi que leur perméabilité, là
où on en avait le plus besoin ; nous aimerions savoir les
raisons de l'arrêt de ce sondage. Avec si peu d'informations,
il est difficile de tirer des conclusions sur la fracturation
des terrains.
HYDROGÉOLOGIE
Concernant l'hydrogéologie des
formations adjacentes au Callovo-Oxfordien, le rapport de l'ANDRA
du 9 avril 1996 distillait déjà le même optimisme:
dans les calcaires encadrant la formation argileuse retenue pour
le stockage, «il n'a été détecté
aucune venue d'eau notable sur fracture pouvant avoir une productivité
importante sous fort gradient de charge. Les résultats
sont en accord avec les fortes recristallisations qui colmatent
les pores et fissures des calcaires, et avec la rareté
des fentes et diaclases, résultat du contexte peu tectonisé
de la région» (p. 40 et sq., mots mis en italiques
par nous). Autrement dit, on explique la faiblesse de la tectonisation
régionale pour laisser entendre que les trois seuls sondages
à disposition sur le site étudié n'ont aucune
raison de livrer des carottes notablement diaclasées, pas
plus d'ailleurs que d'autres sondages éventuels : ce n'est
plus seulement un constat scientifique, mais une pétition
de principe permettant d'amener aux conclusions souhaitées
en pliant la réalité aux besoins de l'heure. En
terme de communication, cela constituerait tout au plus une «erreur
de style»; en terme philosophique, un syllogisme dont on
aurait inversé la conclusion et les prémisses ;
mais en langage paysan, cela s'appelle plus simplement «mettre
la charrue devant les boeufs».
En revenant plus concrètement à l'hydrogéologie,
rappelons la nouvelle Règle Fondamentale de Sûreté
(R.F.S. n° III.2.f) édictée par la Direction
de la Sûreté des Installations Nucléaires
(D.S.I.N.), et applicable aux sites d'enfouissement de ce type:
«Après remplissage des ouvrages, les vides créés
lors de la réalisation du stockage devront être comblés
pour rétablir autant que possible l'étanchéité
du milieu et éviter que les ouvrages ne constituent des
drains préférentiels pour les eaux souterraines
... » (§ 4.3) ;
«L'implantation du stockage... devra se situer... à
une distance suffisante des aquifères environnants»
(§ 4.5).
Cette règle fondamentale ne précise pas la signification
des deux termes «autant que possible» et «distance
suffisante», laissant ainsi une marge de manoeuvre assez
large au maître d'oeuvre.
Dans un premier rapport du 6 février 1995, l'ANDRA précise:
«Aucun aquifère n'a été rencontré
dans les deux forages ni au-dessus ni au-dessous de la couche
callovo-oxfordienne». Elle confirme, dans les conclusions
de son rapport du 9 avril 1996 (p. 44), «la très
faible perméabilité du Callovo-Oxfordien et l'absence
de formation réellement aquifère de part et d'autre
de cet horizon argileux, éléments favorables du
point de vue hydrogéologique», ce qui reviendrait
donc à admettre la présence de formation un peu
aquifère... plus conformément à ce qu'écrivent
Bodelle et Margat (1980, p. 29) dans le bassin de Paris (entité
dont fait partie notre région) dans lequel il y a de l'eau
«à tous les étages».
La couche callovo-oxfordienne est ceinturée de calcaires.
Dans ce cas, comme l'écrivent Hilly et Haguenauer (1979,
p. 28), «il s'agit d'aquifères carbonatés
avec prépondérance d'une perméabilité
de fissures dite "en grand", acquise essentiellement
par fracturation et dissolution». La notion d'aquifère
est une notion régionale et, dans le cas particulier des
calcaires, l'eau se trouve le plus souvent dans des fractures
et/ou des fissures, c'est-à-dire que sa distribution est
discontinue.
En fait d'aquifère, l'ANDRA s'est donc bornée à
signaler qu'elle n'en a pas rencontré de part et d'autre
de la couche argileuse callovo-oxfordienne dans ses deux sondages,
ce qui pourrait laisser entendre qu'il n'existe pas d'aquifères
dans la région Haute-Marne-Sud Meuse. Nous rappellerons
donc les principales données concernant les aquifères
qui encadrent cette couche visée pour stocker les déchets
chauds.
L'aquifère du dessus se situe dans le niveau calcaro-marneux
Oxfordien moyen et supérieur. Dans la Meuse, ce niveau
présente des cavités karstiques dans la carrière
de Void ; en Haute-Marne, il donne la résurgence célèbre
du «Cul du Cerf» et celles de Marault, Montot, Viéville.
A Provenchères-sur-Marne, un forage s'est avéré
stérile alors qu'il existe une source dans le même
niveau à proximité (Stchépinsky, 1963). Cet
aquifère fournit en eau potable des villages lorrains,
vosgiens et haut-marnais (par exemple le captage de la vallée
d'Orquevaux, en partie alimenté par la résurgence
du «Cul du Cerf»). C'est donc un aquifère potentiel
même si tous les forages ne sont pas productifs.
Dans son rapport de 1994 l'ANDRA donne une perméabilité
de l'Oxfordien calcaire de l'ordre de 3.10*12 m/s ce qui correspond
à une vitesse de passage d'environ 1 cm par siècle.
Dans le rapport de 1996 p. 41 la perméabilité passe
pour la même formation à 3. 10*-9 cm/s ou 10 m. par
siècle, soit mille fois plus. Quelle explication peut-on
avoir de cette brusque accélération ?
Cela est vrai sur une grande échelle. Dans l'Yonne, à
la période sèche de 1959, l'Oxfordien moyen et supérieur
produisit toujours 43 500 m3/jour (Mégnien, 1964, p. 263).
Cet auteur mentionne que des colorations à la fluorescéine
ont montré que l'aquifère argovo- rauracien était
parfois en communication avec celui du Dogger dont nous allons
parier.
L'aquifère du dessous est le Dogger. On peut citer Bodelle
et Margat (1980, p. 68 et 99) : «aquifère libre du
Dogger, Lorraine, Côte de Moselle, alimentation moyenne
annuelle : 500 à 700 millions de m3 par an ; réserve
approximative : 50 milliards de m3 ; prélèvement
annuel : 240 millions de m3».
Vers Neufchâteau, là où ce niveau affleure
en amont de Morley-Cirfontaines, «il existe de nombreux
indices de circulation karstique: diaclases élargies, conduits
horizontaux et verticaux, encroûtements calciques ou aragonitiques
souvent très développés» (Hilly et
Haguenauer, 1979, p. 61). La rivière Meuse disparaît
d'ailleurs à la période sèche sur 5 km au
sud de Neufchâteau.
Aux environs de Chaumont (Haute-Marne), la rivière Suize
perd jusqu'à 40 % de son eau par infiltration lorsqu'elle
traverse les couches du Dogger (Bull. SSNAHM, fasc. 5, 1989 ;
Est Républicain du 1.11.1988). A noter que, en plus de
la fracturation, il existe des bancs très épais
d'oolithe qui peut être poreuse dans le Dogger.
Ce même Dogger qui plonge vers l'Ouest se transforme en
réservoir d'eau chaude dite de «basse énergie»
(50 à 90° C) exploitée à l'est de Paris
(Melun-Meaux) entre 1500 et 2000 mètres de profondeur.
Cette nappe chauffe 200 000 équivalents logements. La ville
de Melun, forte de son expérience de 20 ans a réalisé,
sans subventions, un nouveau forage en 1989 pour continuer l'exploitation
de cette énergie (Géochronique, août 1989).
Rien ne prouve que des jonctions entre aquifère Oxfordien
et aquifère du Dogger, analogues à celles connues
dans l'Yonne, évoquées ci-dessus, ne puissent exister
également en Meuse, au moins par endroits, le long des
nombreuses et longues failles qui s'y trouvent. Une eau contaminée
serait susceptible de menacer dans des zones adjacentes aux failles
tous les aquifères présents aux différents
niveaux et parfois même les sources (voir Schéma
- fig. 5 - des axes principaux
des circulations karstiques dans le bassin meusien de la Saulx
in Leroux, 1978).
La zone la plus menacée suit un arc de cercle passant par
Fains-les-Sources, Bar-le-Duc, Combles, Trémont, Haironville,
Est de Saint- Dizier, Cousances-les-Forges, Narcy, Fontaines-
sur-Marne, Joinville. Sans oublier Sermaize-les-Bains aussi sur
l'une de ces failles plus à l'Ouest, connue pour ses sources
d'origine profonde supposée et, bien sûr, les failles
plus proches du site de laboratoire. De toute manière,
deux sondages ne suffisent pas pour conclure, comme le fait l'ANDRA
(1996, p. 43), que «la différence de charge constatée
entre Dogger et Oxfordien calcaire indique l'absence de connexion
entre ces niveaux carbonatés de part et d'autre du Callovo-Oxfordien
et qu'aucune faille ne joue le rôle de drain vertical dans
le domaine sélectionné».
Une étude hydrogéologique du site d'enfouissement
de la Meuse, au vu de ces données, ne peut donc permettre
de conclure qu'il n'y a pas d'aquifères au-dessus et en
dessous de la couche-hôte. Cette couche se situe entre deux
aquifères bien connus. Les forages ne sont pas forcément
productifs, du moins pour l'aquifère du dessus.
Mais rien ne permet d'affirmer que l'eau n'envahira pas un troisième
forage par exemple. Les Suédois le savent, qui avaient
sondé à l'endroit de leur futur stockage de déchets
radioactifs de basse et moyenne activité à Forsmark.
Leur site paraissait sûr, or aujourd'hui 900 m3 d'eau suintent
chaque jour dans la salle de stockage (Reid, 1990, p. 72 et communication
personnelle du Professeur Guillaumont à A. Godinot lors
d'une séance de l'ILCI à Joinville, le 26 janvier
1995).
ÉPAISSEUR DE LA COUCHE-HÔTE
Une évaluation aussi exacte
que possible de l'épaisseur de la couche-hôte est,
elle aussi, d'importance primordiale pour respecter la Règle
fondamentale de sûreté (Implantation à une
distance suffisante des aquifères environnants). On peut
donc se demander pourquoi l'ANDRA estime cette épaisseur
à 130 mètres (rapport du 9 avril 1996), donnée
encore confirmée en novembre 1996 (B. Mouroux, Chef du
Service géologique de l'ANDRA). En fait, la couche argileuse
en elle-même n'est épaisse que de 92 m et de 110-
120 m environ respectivement à Cirfontaines et Morley,
comme le montrent les colonnes stratigraphiques (analyse du sondage
HTM 102)
Sur le site meusien, seulement quelques décamètres
sépareraient les déchets, hautement radioactifs
ceux-là (contrairement à ceux de Forsmark en Suède),
de ces aquifères. Il serait imprudent de ne pas tenir compte
de l'expérience (et des déboires) en matières
de stockage de substances radioactives, de pays étrangers
qui, par ailleurs, ont déjà abandonné la
filière nucléaire faute de savoir en traiter les
déchets.
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