Dans une
lettre datée du 15 mars 2000 Jérôme GOELLNER,
Adjoint au Directeur de la Sûreté des Installations
Nucléaires, adresse une série de demandes au Directeur
de la Division Production Nucléaire ELECTRICITE DE FRANCE
afin que soit pris en compte le risque d'inondation sur les centrales
nucléaires en exploitation...
Après l'incident très grave survenu à
la centrale du Blayais lors de la tempête du mois dernier
(27 décembre 1999) où l'inondation du site a dégradé des systèmes indispensables
pour assurer la sûreté, l'Institut de Protection
et de Sûreté Nucléaire, dans un rapport [1]
publié le 17 janvier 2000, indique que la protection des
sites des centrales nucléaires à l'égard
des risques d'inondation d'origine externe est assurée
notamment par les deux critères suivants en application
de la Règle Fondamentale de Sûreté, (RFS I.2.e,
12 avril 1984) sur la " prise en compte du risque d'inondation
externe " :
"-1 le calage de la plate-forme supportant les bâtiments
abritant les matériels importants pour la sûreté
à un niveau au moins égal au niveau des plus hautes
eaux, avec une marge de sécurité (le niveau correspondant
est appelé cote majorée de sécurité
CMS).
-2 l'obturation des voies possibles d'accès de l'eau dans
les locaux abritant les matériels participant au maintien
de l'installation dans un état sûr, situées
au-dessous du calage de la plate-forme. "
Seuls les sites de Chooz, Civaux et Cattenom respectent ces
deux critères !
Pour les réacteurs construits avant le 12 avril 1984, ce
qui était le cas des réacteurs de la centrale du
Blayais, des mesures devaient être prises après coup
pour que l'installation respecte le deuxième point. Manifestement
cela n'a pas été fait ou tout au moins pas efficacement
c'est le moins qu'on puisse dire. Mais de toute façon cela
n'aurait pas suffi car les calculs ont sous-estimé la cote
majorée de séité (CMS) et la plate-forme
a été construite trop bas dès le départ.
Mais il n'y a pas que Le Blayais :15 autres sites autres nécessitent
des mises à jour vis-à-vis du risque inondation
:
-" La plate-forme de l'îlot nucléaire est
calée au-dessus de la CMS mais le respect du second critère
mérite des vérifications plus approfondies pour
les sites de Bugey, Cruas, Flamanville, Golfech, Nogent, Paluel,
Penly et Saint-Alban
-" La plate-forme de l'îlot nucléaire est calée
au-dessous de la cote majorée de sécurité
(CMS)
pour les sites de Belleville, Chinon, Dampierre, Gravelines, Le
Blayais et Saint-Laurent ; il conviendra pour ces sites de réexaminer
l'ensemble des dispositions spécifiques mises en place
;
-" les sites de Fessenheim et Tricastin sont implantés
à proximité d'un canal dont la ligne d'eau est supérieure
à la cote de leur plate-forme. Pour ces sites également
il conviendra de réexaminer les dispositions particulières
mises en oeuvre. "
Belleville.
Admirons le fait que nos géniaux
concepteurs du nucléaire aient placé des réacteurs
en dessous de la ligne d'eau d'un canal, que les plates-formes
de réacteurs puissent avoir été construites
en dessous de la CMS, et qu'il soit nécessaire de vérifier
même des installations récentes. Bien sûr cela
a diminué les coûts de construction et l'exemple
du Blayais montre que c'est au détriment de la sécurité.
Gravelines
(voir la
photo du chantier en 1978).
Si l'on ajoute que les systèmes antisismiques sont souvent
dégradés et qu'EDF traîne les pieds pour les
remettre en état en reportant les travaux toujours à
plus tard notamment aux visites décennales, on a de quoi
s'inquiéter !
Penly.
La fameuse " digue " de la centrale du Blayais
Toutes les photos du site sur lesquelles
on voit les transformateurs haute tension ont, en fait, été
prises non en front de Gironde mais à l'opposé,
côté entrée du site. Peu de photos montrent
réellement la " digue " en front de Gironde.
A l'origine, terrain marécageux. La plate-forme de la centrale
a été érigée à 4,5 mètres
d'altitude. La construction des 4 réacteurs du Blayais
a démarré en 1976 (réacteur 1) et 1977 (réacteurs
2,3,4). Ils ont été couplés au réseau
à la mi-1981et 1982 pour les deux premiers
et 1983 pour les réacteurs 3 et 4. Ce n'est qu'après
la parution en 1984 de la Règle Fondamentale de
Sûreté sur la " prise en compte du risque d'inondation
externe " que le site a été ceinturé
par une digue.
Mais, en fait, est-ce vraiment ce qu'on a coutume d'appeler une
digue ? Citons l'IPSN : " La digue est constitué
par un ouvrage en terre [souligné par
nous] protégé côté Gironde par un
enrochement de blocs de pierre. "
Ici on a donc un ouvrage qui n'est pas étanche à
l'eau et est inévitablement sujet à l'érosion
lors de fortes marées et coups de vent. Le journal Sud-ouest
a présenté une photo de la réparation de
la partie haute de la digue effectuée ces jours derniers
côté Gironde et qui montre ce qu'est un " enrochement
" : c'est un amoncellement de blocs de pierreContinuons la
citation :
" En front de Gironde, sa hauteur est de 5,2 mNGF ; sur
les côtés latéraux sa hauteur est de 4,75
mNGF " [2].
Le schéma ci-contre montre la digue censée protéger
l'installation nucléaire.
En clair, cela a rehaussé la plate-forme
de 70 centimètres seulement côté Gironde et
de 25 cm sur les côtés. On a vu le résultat
lors de la tempête du 27 décembre dernier où
des vagues sont passées par dessus cette " digue ",
inondant le site. D'après EDF, 90000 m3 d'eau (90 millions
de litres !) ont dû être pompés (et rejetés
dans la Gironde). La masse d'eau infiltrée dans les galeries
souterraines indiquées sur le schéma a conduit à
la perte de matériels et circuits indispensables à
la sûreté (perte totale des pompes d'injection de
sécurité et d'aspersion de l'enceinte et perte partielle
des pompes d'eau brute secourue). C'est un incident très
grave qui aurait pu dégénérer en accident
par défaut de refroidissement du coeur.
Bella Belbéoch, 4 férier 2000.
[1] www.ipsn.fr Rapport sur l'inondation du site du Blayais
survenue le 27 décembre 1999, IPSN, 17 janvier 2000.
[2] NGF = nivellement général de la France. L'altitude
zéro est définie par le plan d'eau à Marseille.
Les altitudes sont données par rapport à ce plan
pris pour référence. On a alors une altitude exprimée
en mètres NGF.