L'éthique scientifique et le problème des faibles doses

Les attaques auxquelles sont soumis les chercheurs indépendants vont du simple boycott au dénigrement systématique. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer une petite phrase de Carl Johnson (études sur les cancers dans la région de Denver sous le vent de Rocky Flats): "... ne sont cités dans les rapports officiels que les rapports FINANCÉS par les organismes officiels." La réalité quotidienne est pire. Tous ceux dont les études vont dans le sens d'une réduction des normes sont considérés comme des "opposants". Ils sont systématiquement dénigrés et quasiment sur une "liste noire". Cela a commencé par une "rumeur" concernant E. Sternglass. Ses études sur les effets sur la santé des retombées dues aux tests de bombes étaient bien dérangeantes. On pouvait en déduire que des centrales nucléaires en fonctionnement normal (et encore plus en cas d'incidents et accidents) auraient des effets néfastes sur la santé, en particulier produiraient une augmentation de la mortalité foetale et de la mortalité infantile. Après l'accident de Three Mile Island il a indiqué qu'il y aurait une augmentation de la mortalité infantile et des effets sur la thyroïde des nouveau-nés. Ce qui est curieux c'est que sa mauvaise presse a continué alors qu'une augmentation de la mortalité infantile a effectivement été observée dans les comtés ayant subi les retombées ainsi que des cas d'hypothyroïdie. Rappelons que cette affaire a coûté la place de Directeur de la Santé de Pennsylvanie au Dr Mac Leod qui avait confirmé l'exactitude des données de mortalité indiquées par E. Sternglass et tant critiquées après TMI. Sa mauvaise presse a même fini par atteindre les milieux anti-nucléaires qui n'osent plus citer Sternglass ! Les attaques contre J.W. Gofman sont insidieuses ; pourtant il a été Directeur de la "Biomedical Research Division" de Livermore. Gageons que les attaques ne vont sûrement pas cesser après son estimation d'environ 1 million de cancers supplémentaires en Europe causés par Tchernobyl. Quant à T.F. Mancuso qui a collecté pendant plus de 10 ans toutes les données concernant les travailleurs de l'usine nucléaire de Hanford (USA) il a été privé de son poste après la publication dans "Health Physics" en 1977 des résultats de l'étude qui conduisaient à un risque de 10 fois supérieur à celui admis par la CIPR et ses données ont été confisquées.

Hanford (Etat de Washington) l'unité ci-contre fonctionnera à plein rendement à partir de décembre 1944, c'est ici que fut fabriqué le plutonium utilisé dans l'essai d'Alamogordo et dans la bombe de Nagasaki. Le site couvre 1450 km2. Voir la vidéo (Youtube, basse définition).

Rosalie Bertell a été victime d'un mystérieux accident de voiture aux USA et des coups de feu ont été tirés contre sa résidence. Cette statisticienne a participé à l'étude dite "des Trois Etats" (avec I. Bross) sur la relation entre cancer et irradiation médicale. Elle a focalisé son attention sur un point généralement négligé, la morbidité (et non la mortalité). Elle étudie les effets des rejets "normaux" des centrales sur la santé des enfants au voisinage des centrales et rassemble toutes les données actuellement disponibles concernant les effets des rayonnements ionisants. Face à la censure mondiale des autorités officielles elle crée au Canada "The International Institute of Concern for Public Health".

Les critiques acerbes ou le silence n'épargnent ni Karl Morgan ancien président de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) ex-Directeur de la revue "Health Physics", ni Alice Stewart connue mondialement pour ses travaux sur la relation entre les cancers des enfants et les examens radiologiques obstétricaux des femmes enceintes (étude dite d'Oxford). Elle est co-auteur de l'étude sur les travailleurs de Hanford avec Mancuso et le statisticien G. Kneale. (Elle a également critiqué l'établissement de normes internationales à partir des survivants japonais qui ne constituent pas une population "normale". L'étude serait fortement biaisée). L'establishment s'est rapidement aperçu que les critiques formulées contre l'étude de Hanford lui donnait de la publicité. Depuis c'est donc la tactique du silence : au mieux on ne cite que le 1er article de 1977, jamais les suivants, en particulier les réponses aux critiques, les analyses statistiques par une méthode de régression, l'étude incluant l'influence des postes de travail. Comme ils sont systématiquement ignorés par les officiels français nous donnons la liste complète des articles relatifs aux travailleurs de Hanford.

A. Stewart et son équipe étudient actuellement l'influence du rayonnement naturel sur les cancers des enfants qui serait responsable de plus de 60 % des cancers des enfants.

La somme de 1,4 millions de dollars qui vient d'être attribuée à A. Stewart par le "TMI Public Health Fund" pour étudier la cohorte des travailleurs nucléaires américains dépendant de DOE (Department of Energy) pour améliorer la connaissance du risque cancérigène lié aux faibles doses de rayonnement prouve au moins 2 choses :
- Le risque aux faibles doses n'est pas aussi bien établi que nos officiels voudraient nous le laisser croire.

- Les méthodes statistiques utilisées par G. Kneale ont été jugées suffisamment sérieuses pour qu'on lui confie cette étude.

La Gazette Nucléaire n°75, janvier 1987.


 

Que Choisir spécial Tchernobyl, avril 1987:

Des études périlleuses

- L'étude de Mancuso, Stewart et Kneale n'est pas la seule, à mettre en évidence la sous-estimation officielle du risque cancérigène des rayonnements ionisants. Le docteur Alice Stewart s'était précédemment fait connaître par ses travaux concernant l'effet sur les foetus des faibles doses de rayons X administrés aux femmes enceintes. Portant sur tous les enfants anglais nés entre 1953 et 1965, elle prouve que: « Pour un million d'enfants exposés juste avant la naissance à un rem de rayonnements ionisants, on enregistre 300 à 800 morts supplémentaires avant l'âge de 10 ans dues à des cancers radio induits ». Malgré de nombreuses tentatives pour discréditer cette enquête, émanant notamment des radiobiologistes et des obstétriciens qui affirmaient que le bénéfice des radios l'emporte de loin sur les risques, elle conduisit cependant l'Angleterre - puis beaucoup plus tard la France - à supprimer les examens radiologiques systématiques pour les femmes enceintes.

- La statisticienne Rosalie Bertell a également travaillé avec I. Bross à une étude, financée par le ministère de la Santé des USA, sur la relation entre cancer et irradiation médicale. Elle a aussi étudié les effets des rejets « normaux » des centrales sur la santé des enfants vivant dans le voisinage.
Ayant cherché à sensibiliser l'opinion américaine par de nombreuses conférences, Rosalie Bertell a été l'objet de plusieurs tentatives « musclées » d'intimidation : en 1979, elle a été victime d'un mystérieux accident de voiture et des coups de feu ont été tirés contre sa résidence.

- En 1978, Najarian et Colton ont publié les résultats d'une enquête portant sur la mortalité des travailleurs du chantier naval de Portsmouth, où les sous-marins nucléaires sont réparés et réapprovisionnés en combustible: entre 1959 et 1977, le taux de décès dus aux cancers et leucémies y est 2 à 6 fois plus élevé que les estimations de la CIPR.

- Le professeur E. Sternglass, du département de radiologie de l'Université de médecine de Pittsburg (USA), est devenu une des bêtes noires des « nucléocrates » à la suite de la publication d'études sur les effets des retombées des essais nucléaires américains. On pouvait en effet en déduire que, même en fonctionnement normal, les centrales nucléaires peuvent produire des effets néfastes sur la santé et, en particulier, une augmentation de la mortalité foetale et infantile.
[lire "Existe-t-il un rapport entre radioactivité et capacités scolaires?"]
Après l'accident de Three Mile Island en mars 1979, Sternglass prédit une augmentation de la mortalité infantile et des malformations congénitales, le rejet d'iode radioactif dans l'atmosphère ayant eu lieu avant que le gouverneur de Pennsylvanie n'ordonne l'évacuation des femmes enceintes et des enfants en bas âge. Ses prédictions ne furent pas prises au sérieux. Moins d'un an après, Sternglass présentait dans une conférence internationale les résultats d'une enquête statistique de mortalité: alors que durant les mois d'été la mortalité infantile diminue normalement (de 14,1 à 12,5 morts pour mille naissances en juillet 79 pour l'ensemble des USA), il avait observé en Pennsylvanie une augmentation très nette de mortalité: de 10,4 à 18,5 pour mille !
L'augmentation était encore plus importante à proximité du site de TMI, notamment dans les régions qui étaient sous le vent au moment de l'accident; les morts supplémentaires étaient essentiellement dues à des déficiences respiratoires chez des enfants nés avec des retards de développement. L'apparition du pic de mortalité en juillet correspondait à la contamination des foetus au cours du cinquième mois de leur développement, c'est-à-dire au moment où leur thyroïde commençait à fonctionner. Tout fut fait pour étouffer et décrédibiliser l'étude de Sternglass.
Cette affaire coûta notamment sa place de directeur de la Santé de Pennsylvanie au Dr Mac Leod qui avait eu l'audace de confirmer l'exactitude des données de mortalité indiquées par Sternglass !

- Enfin, et c'est essentiel, plusieurs études récentes montrent l'existence d'un nombre anormalement élevé de leucémies chez les enfants vivant autour des installations nucléaires de Sellafield et de Dounreay en Angleterre. Le NRPB (National Radiological Protection Board), équivalent anglais de notre SCPRI, est très embarrassé. Car cette augmentation de leucémies ne peut recevoir que deux explications: soit les rejets d'effluents radioactifs ont largement dépassé les autorisations légales, soit les facteurs de risque de développement de cancers retenus jusqu'ici par les autorités sont très largement sous-estimés !