Des analyses préliminaires de l'exploitant
Con Ed et de l'autorité de sûreté américaine
NRC indiquent que la rupture du tube de générateur
de vapeur qui s'est produite le 15 février dernier aurait
pour origine une fissuration de 6,2 à 7,5 cm dans la partie
cintrée du tube en U et serait due à de la corrosion sous contrainte de l'alliage inconel
600. La fissuration a été trouvée par
des examens vidéo effectués à l'intérieur
des tubes avec des caméras à flexibles. D'autres
examens sont en cours à l'extérieur des tubes. L'exploitant
revérifie les données de l'inspection effectuée
en 1997 pour voir s'il y avait des indications de fissuration
à cette époque.
Des représentants officiels des comtés de la banlieue
nord de New-York se sont entretenus avec des membres de la NRC.
S'ils estiment que les échanges d'informations ont été
excellents, ils n'ont, par contre, obtenu aucune garantie quant
à la sûreté des réacteurs d'Indian
Point et, ajoute une déléguée du Comté
de Westchester : " je ne peux pas dire qu'ils [les
membres de la NRC] se sentent à l'aise concernant la
sûreté à long terme de la centrale ".
La Con Ed espère pouvoir effectuer le rechargement du combustible
du réacteur au mois d'avril.
(D'après Nuclear News Flashes, 3 mars 2000. Las
Vegas Sun 29 février 2000)
USA, État
de New-York : fuite radioactive à la centrale dIndian
Point par rupture dun tube de générateur de
vapeur du réacteur lndian Point-2. Ou comment des signes
précurseurs négligés conduisent à
un incident sérieux.
Résumé
La fuite radioactive sur un générateur de vapeur du réacteur Indian Point-2 le mardi 15 février à 19h20 a entraîné le déclenchement dune " Alerte " de niveau 2 qui semble correspondre au plan durgence interne (PUI) de niveau 2 comme celui que nous venons de connaître à la centrale du Blayais fin décembre. Des inspecteurs de lautorité de sûreté NRC (Nuclear Regulatory Commission, équivalente à la direction de la sûreté des installations nucléaires DSIN) ont été dépêchés sur le site et des experts en sûreté nucléaire ont contrôlé les opérations depuis Philadelphie avec un centre opérationel de la NRC établi à Rockville. Les autorités gouvernementales tant locales que de lÉtat de New-York ont été prévenues.
Le réacteur a été arrêté manuellement à 19h29 puis le générateur de vapeur défaillant a été isolé. Lalerte a été maintenue jusquà mercredi 16 à 18h50, le réacteur ayant été mis en état darrêt à froid après baisse de la pression et de la température de leau du circuit primaire.
Les autorités responsables -la NRC, lexploitant et les autorités de lÉtat de New York- affirment quil ny a eu aucun risque pour les employés et la population car " laugmentation de radioactivité détectée au voisinage du site est négligeable ". Cependant, daprès une dépêche de lAssociated Press, en dépit des assurances de lexploitant " certains habitants ont toutefois exprimé des sentiments de peur et de colère pour navoir pas été avertis. Quelque 250.000 personnes vivent dans un rayon dune quinzaine de kilomètres et 15,5 millions dans un rayon de 80 km "
La centrale dIndian Point est située sur la rivière Hudson à Buchanan dans lÉtat de New York, à une soixantaine de km au nord de New-York City, à moins de 40 km des limites de lagglomération. Elle comprend 2 réacteurs en fonctionnement, Indian Point 2 et 3.
La fuite radioactive est due à la rupture dun tube de lun des 4 générateurs de vapeur du réacteur Indian Point 2. Cest un réacteur PWR Westinghouse (comme nos réacteurs) dune puissance nette de 994 Mwe et lexploitant est la Compagnie Consolidated Edison. Il a été couplé au réseau en juin 1973 et a donc plus de 26 ans. Daprès le département de lénergie des Etats-Unis (DOE) la licence dexploitation du réacteur 2 est valable jusquen 2013.
Rappels
Rappelons que les générateurs de vapeur (GV) sont les échangeurs de chaleur à tubes verticaux, entre leau du circuit primaire et du circuit secondaire. Très schématiquement, leau du primaire circule sous pression et haute température dans les tubes du générateur de vapeur et cède sa chaleur à leau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur allant alimenter la turbine productrice délectricité.
Chaque GV est un bazar énorme de plus de 300 tonnes, dune vingtaine de mètres de haut comportant un peu plus de 3300 tubes en U (mais ce U est à lenvers, avec la partie cintrée en haut). Les tubes, de diamètre extérieur 2,22 cm avec une paroi mince de 1,27 millimètre dépaisseur, sont en Inconel 600, un alliage très sensible aux phénomènes de fatigue vibratoire et de corrosion. Ces tubes peuvent donc se fissurer et une fissure importante peut entraîner la rupture brutale du tube. Un corps " migrant " peut aussi user un tube et provoquer sa rupture comme cela a été le cas à Tihange (Belgique) en juillet 1996. Une fraction des tubes est donc fissurée et ces tubes défectueux " fuient " : on mesure le débit de fuite pour quil ne devienne pas trop important (il y a un critère de débit de fuite dit " acceptable "). On bouche les tubes défectueux qui risqueraient de se rompre. Il faut donc contrôler lintégrité des tubes (méthodes par courants de Foucault, inspection télévisuelle entre autres) mais cela représente environ plus de 50 km à contrôler !
Pourquoi craint-on la rupture de ces tubes ?
Les tubes de GV constituent les 2ème et 3ème barrières de la " défense en profondeur ". La rupture dun tube met en effet en communication le circuit primaire, radioactif, avec le circuit secondaire avec rejets radioactifs dans lenvironnement. La probabilité de rupture dun tube de GV sest avérée avec le nombre dincidents de ce type répertoriés dans le monde au cours du temps (le " retour dexpérience ") 100 fois plus élevée que les prévisions initiales.
Sur nos réacteurs de type Westinghouse, comme celui dIndian Point, lors dune rupture complète dun tube GV il faut impérativement que la conduite pour ramener le réacteur dans un état " sûr " soit manuelle. En effet, dans le cas contraire, daprès Jacques Libmann, (Approche et analyse de la sûreté des réacteurs à eau sous pression, INSTN, 1987) si les opérateurs laissent linstallation se comporter sous la seule influence des automatismes et que la situation se prolonge sans intervention humaine " on finirait alors par dénoyer les éléments combustibles provoquant la rupture des gaines et le transfert direct des produits de fission volatils vers lenvironnement, situation véritablement catastrophique [souligné par moi]". Lauteur ajoute aussitôt pour nous rassurer que cette situation est heureusement invraisemblable, des procédures détaillées ont été étudiées et mises au point et que dans ces conditions les rejets peuvent être limités à des valeurs acceptables. En somme, il faut vraiment compter sur la compétence des opérateurs et leur rapidité dexécution et lauteur ne définit pas ce quil entend par " valeurs acceptables " des rejets. Acceptables par qui ? Par lexploitant ? On na pas demandé à la population ce quelle jugeait " acceptable ".
Signe précurseur de la rupture : le débit de fuite augmente mais reste dans les normes ; aucune action correctrice nest effectuée.
Daprès Nuclear News Flashes du 18 février, les informations fournies par lautorité de sûreté américaine NRC indiquent que le volume des fuites pour lensemble des 4 générateurs de vapeur était de 3,78 litre par jour (1 gallon par jour) en octobre 1999. Le 6 février dernier le GV qui sera plus tard responsable de lincident a soudain un taux de fuite 1,5 fois plus élevé que lensemble des 4 GV auparavant, puis 3 fois plus élevé (environ _ litre par heure). Cependant le critère " acceptable " de fuite est respecté puisquil est de 17 litres par heure par GV donc rien nest fait. Le 15 février, rupture du tube. Daprès les premières estimations la fuite aurait atteint de 75 à 100 gallons par minute soit de lordre de 20 000 litres par heure.
Deux jours après lincident les experts de la NRC sont toujours incapables de dire quel volume deau radioactive a fui du primaire vers le secondaire, il est question de 20 000 litres. A notre connaissance il ny a pas eu, hors du site, de mesures de radioactivité par des associations indépendantes.
Le réacteur est en arrêt à froid pour une durée indéterminée afin dêtre inspecté et réparé.
Quelques remarques
Cet incident montre que le respect des critères de fuite acceptables nest pas une garantie de non survenue dun incident (qui peut tourner en accident grave si les opérateurs réagissent mal ou pour une autre raison). Dailleurs on sait bien que dans le cas damorçage dune fissure circonférencielle la rupture peut survenir sans quil y ait eu aucun signe préalable de fuite.
On devrait donc, en toute logique, tenir compte de tous les incidents quels quils soient, même sils apparaissent comme mineurs au niveau de leurs conséquences immédiates. Cette approche de limportance des incidents " précurseurs " nest jamais prise en compte dans les évaluations officielles de sûreté alors quelles apparaissent comme fondamentales dans toutes les catastrophes industrielles qui surviennent dans notre société, quelles soient chimiques, nucléaires ou autres.
Un autre point où les conséquences radiologiques dans lenvironnement peuvent être très graves : le cas où plusieurs tubes de GV seraient rompus. Par exemple par fouettage sur les tubes voisins dun tube rompu ou par rupture simultanée de plusieurs tubes résultant dune dépressurisation brutale du circuit secondaire. Ceci pourrait se produire par une brèche sur la ligne de vapeur principale du secondaire. Un exemple : si au lieu de la fissuration qui sest produite à Fessenheim sur un tronçon (le " tronçon protégé ") de la ligne de vapeur principale du circuit secondaire on avait eu une rupture " guillotine " de la tuyauterie. Cette éventualité a conduit au remplacement des " tronçons protégés " de tous les réacteurs 900 MW du parc (Gazette Nucléaire 113/114 mars 1992 ; Libération 6-7 février 1993 ; lire dès 1983: DSIN, défauts de soudures...).
A ce propos il ne faudrait pas oublier que les lignes de vapeur principales de nos réacteurs plus récents présentent aussi nombre de défauts métallurgiques qui sont dailleurs souvent dorigine, présents dès la mise en route. Il y a bien longtemps quon na plus entendu parler des défauts de Saint-Alban etc. On aimerait être sûr quil y a bien un suivi métallurgique de ces parties sensibles. Rien nayant été publié à ce sujet nous pouvons douter que ce genre dévénements soient pris en considération par les autorités de sûreté.
Ceci revient aussi à insister sur le fait que les incidents qui ne donnent pas lieu à classification dans léchelle INES peuvent avoir des conséquences importantes dans les séquences incidentelles et accidentelles ultérieures. Il faut se souvenir que l'échelle INES est une échelle de communication et pas une échelle de sûreté.
Lincident dIndian Point nous rappelle fort à propos que " les études probabilistes pour une sûreté au meilleur coût " effectuées actuellement par les chercheurs dEDF aboutissent à augmenter la taille des défauts jugés critiques pour les tubes de GV. Espérons que le programme de bouchage des tubes ne sera pas conditionné par une optimisation de ce genre fondée sur des critères strictement économiques ! (Gazette Nucléaire 165/166, avril 1998, p.29)
Pour terminer ajoutons que, concernant Indian Point2, lexamen de lefficacité de ce réacteur (rapport entre lénergie électrique réellement fournie et lénergie qui aurait dû être fournie si le réacteur avait fonctionné normalement à sa puissance nominale) montre que les problèmes dIndian Point 2 datent de plusieurs années. Nous donnons ici les efficacités de ce réacteur depuis 1989
1989 : 52,10%
1990 : 60,47%
1991 : 45,12%
1992 : 91,09%
1993 : 68,89%
1994 : (nous navons pas les donnée)
1995 : 56,99%
1996 : 90,53%
1997 : 37,29%
1998 : 29,17%
1999 : aucune donnée disponible actuellement
Ces données sont extraites dElectronuc mémento publié en France par le Commissariat à lEnergie Atomique. Elles révèlent les dysfonctionnements rencontrés par ce réacteur au point de faire chuter son efficacité à moins de 30%. Ce réacteur Westinghouse nest pas un succès économique ! Il est vraisemblable de penser que ce sera le prochain réacteur à être arrêté définitivement. Daprès la NRC la dégradation des tubes de GV a contribué à la décision darrêt définitif du réacteur Trojan dans lOrégon. Dans les 5 prochaines années 11 centrales américaines vont procéder au changement des générateurs de vapeur. Cependant " dautres exploitants peuvent choisir la fermeture des réacteurs au cas ou la réparation ou le changement des composants [défectueux] savèrent prohibitifs du point de vue économique ".
Le réacteur Indian Point-3 de 965 Mwe a été couplé au réseau en 1976 et lexploitant est NYPA, la New-York Power Authorities (compagnie délectricité de lÉtat de New-York). Daprès le réseau antinucléaire " Citizens Awareness Network " des défauts de conception existent pour les deux tranches 2 et 3 et lingénieur de sécurité et chef de projet Robert D. Pollard a démissionné de son poste en 1976 en les citant. Pour lui, les réacteurs dIndian Point étaient " en attente daccident ", " an accident waiting to happen ". (Il a été ensuite le président de lUnion of Concerned Scientists. Mais lUCS, comme nombre dassociations américaines se préoccupent actuellement des changements climatiques et très peu du maintien en fonctionnement des réacteurs vieillissants).
Quant à Indian Point-1, réacteur PWR Babcock et Wilcox de 225 Mwe, couplé au réseau en 1962 il a été mis en arrêt définitif en 1974 pour défauts sur le circuit de refroidissement du cur. Le cur a été déchargé depuis 1976 et le combustible usé stocké en piscine sur le site en attente dun site de stockage définitif. Le projet de démantèlement soumis aux autorités de sûreté date de 1980 mais les opérations de démantèlement nont pas commencé.
Bella Belbéoch, 20 février 2000.