Les pieds dans le plat
Bulletin d'information de la section syndicale FORCE OUVRIERE de l'UTO n°23,
septembre 1996, semaine 37, numéro spécial

Les résultats du nouveau management dans le nucléaire

PREAMBULE

Le PSU 1993-95 étant arrivé à échéance, les Chefs d'Unités ont reçu la mission de présenter un projet pour la période 1996-98. Ce travail a, comme il se doit, débuté par une phase de diagnostic. Mais, pas question de véritable remise à plat (car cela mettrait en évidence les vrais résultats). La Direction a donc organisé, à sa façon, la consultation du personnel EDF de l'UTO ainsi que celle de représentants des sites. Il n'a pas été prévu de recueillir l'avis des prestataires (même des permanents (*)), ni celui des " partenaires sociaux " ! Explicitant sa conception du dialogue social, la Direction de l'UTO a indiqué que les représentants du personnel pouvaient donner leur point de vue comme n'importe quel agent, en s'intégrant dans un groupe de réflexion. Que la Direction le veuille ou non, les Organismes Statutaires auront à se prononcer sur le PSU.

Une analyse des informations émanant de l'UTO, des Services Centraux, des centrales et des sous-traitants a été faite, en essayant de dégager l'impact du management sur les travailleurs et sur les performances de l'entreprise. Elle n'est pas exhaustive et ne constitue qu'une contribution à de futures synthèses syndicales, aux niveaux PARC, DEPT, Fédération... Nous en publions le résumé dans ce numéro spécial et le soumettons ainsi à la critique générale (tout comme n'importe quel agent, la Direction peut nous faire part de ses remarques). Nous nous engageons même à publier dans un prochain bulletin, tous compléments ou contradictions argumentés, qui nous parviendraient.

 

LE TAYLORISME "NOUVEAU" EST ARRIVE

Alors que l'on annonce à grand renfort de discours et de plans stratégiques, la libération des initiatives, la décentralisation des responsabilités, le raccourcissement des lignes hiérarchiques, nous assistons en réalité au développement d'une nouvelle forme de taylorisme. Celle-ci ne concerne plus exclusivement les métiers manuels dont le nombre a d'ailleurs régressé avec le développement des nouvelles technologies. Elle s'applique par l'intermédiaire de la réforme du management à l'encadrement et à l'ensemble de l'entreprise.

Conformément à l'un des principes de Taylor: la tête pense, la base exécute, l'organisation est pensée en haut lieu et à huis clos et elle est imposée aux agents.
Le discour autoritaire étant démodé, pour arriver à ses fins, la Direction recourt à des officines de consultants (à quelles obédiences appartiennent-elles ? quelles sont les règles d'appel d'offre ? que contient le cahier des charges ? combien d'argent leur donne la Direction ?).
D'autre part à quoi servent les groupes de travail ?
Il en existe en effet une multitude, mais ils sont noyautés de façon à éviter que des agents trop consciencieux s'intéressent aux domaines interdits (justifications de certaines commandes, réductions d'effectifs, mobilité, insuffisance de moyens...). Leur raison d'être est " d'accompagner le changement ", de travailler psychologiquement les esprits, et de tuer dans l'oeuf les bonnes questions.

La concertation pluridisciplinaire n'existe que dans les discours ! Beaucoup de compétences internes sont volontairement laissées de coté, pour ne pas risquer de remise en cause des plans élaborés par les élites pensantes.

La fragmentation, autre principe cher à Taylor, est lui aussi recherché par les nouvelles organisations.

En voici quelques exemples:
Il n'est pas question pour le nouveau management de reconnaître une quelconque interactivité entre Sûreté et Sécurité. Ces deux domaines sont en conséquence traités complètement séparément.
Il en est pratiquement de même pour la Radioprotection et la Sécurité. Demain l'EPN ira-t-il plus loin ? En effet il est fortement question de séparer les accidents du travail, des accidents au travail. Il n'est pas interdit de penser qu'à la culture taylorienne puisse s'ajouter un penchant pour le trafic d'indicateurs.
A propos de l'organisation de l'ingénierie pour l'exploitation au sein du parc nucléaire (IPE), la définition donnée par la Direction elle-même (note MCP-GRP/CB-indice 1-10 novembre 1992), se passe de commentaire: "ce potentiel est constitué par les moyens centraux du parc couplés aux ingénieries de site qui s'appuient sur l'ingénierie Direction de l'équipement dédiée à l'IPE et sur des bureaux d'ingénierie extérieurs".

La logique de normalisation est non seulement toujours présente mais s'étend même aux entreprises extérieures à qui l'on impose : homologation de leurs systèmes d'assurance qualité, carnet d'accès de leurs agents (à ne pas confondre avec la fiche d'accès), certification de la qualification, de la formation...
Le discours laissait supposer une réduction du nombre des prescriptions et l'amélioration de leur ergonomie à commencer par leur justification (certains textes sont inapplicables, d'autres sans fondement devraient être supprimés, d'autres manquent cruellement). Au lieu de cela on assiste à l'indifférence des managers qui poursuivent leur logique procédurière. Tout problème nouveau est l'occasion de faire rédiger une prescription supplémentaire. Par exemple la sortie d'un nouveau décret engendre des textes de réglementation interne (traités par des agents qui ne sont pas juristes), souvent moins clairs, partiels, parfois volontairement arrangés de façon à minimiser l'impact sur l'entreprise, et à faire porter le chapeau au lampiste.

 

LE NOUVEAU MANAGEMENT ENTRAINE LES AGENTS A NE PLUS REFLECHIR

Tout comme l'ouvrier dont les libertés étaient réduites par la parcellisation des tâches, l'encadrement est soumis au carcan de l'organisation normative. La compétence et l'esprit de métier n'ont plus cours : c'est l'organisation qui désormais définit les actions à accomplir.
La note " Mission Relations avec les prestataires " du 01- 10-93, validée par le comité de direction de l'EPN, en fournit un exemple:" L'acceptation, qualification, évaluation, des prestataires : c'est l'organisation qui permet de sélectionner le panel de prestataires avec qui nous souhaitons travailler et de mesurer l'adéquation de leurs réalisations à nos exigences. "

Ce sont les réformes de l'organisation qui vont parait-il tout régler. Tout nouveau dysfonctionnement est le prétexte de créer de nouvelles structures, d'où le télescopage des innombrables réformes.
Pour casser toute résistance au changement et parvenir à ses fins (sous-traitance, privatisation rampante ... ),
la Direction superpose à ces réformes des contraintes de mobilité très poussées, que certains résument par " n'importe qui, n'importe où et pas longtemps ". L'inhibition de la " mémoire " qui en résulte, facilite la fuite des savoir-faire et nous rend encore plus dépendant des constructeurs, fournisseurs et sous-traitants.

Le frein à l'initiative va encore plus loin dans le nucléaire. En effet, la Direction n'est pas favorable aux débats d'idées (y compris dans les Organismes Statutaires) et à l'innovation en général. L'EPN et EDF prennent des libertés par rapport à la réglementation sur les innovations de salariés. Bien que le nombre de brevets déposés annuellement s'accroisse, il reste ridicule par rapport à d'autres entreprises. Les agents EDF sont-ils donc sans imagination, ou d'autres prennent il les brevets à la place d'EDF ? Dans un tel contexte, le discours des Directions sur la protection du patrimoine peut-il être vraiment pris au sérieux ?

 

M3E, UN OUTIL DE MANAGEMENT QUI VA SCLEROSER L'ENTREPRISE

M3E, " méthode d'entreprise d'évaluation des emplois ", n'est que la pâle copie d'une méthode née, aux Etats Unis, à l'époque de TAYLOR. Cette méthode réduit la conception de l'entreprise à une juxtaposition d'emplois. Le travail en équipe n'est considéré que sous l'angle relationnel. La pluridisciplinarité et la créativité ne sont pas valorisées. M3E s'inscrit dans une logique de résultats à court terme.
Comment la Direction Générale dEDF a-t-elle pu imposer une telle méthode d'évaluation des emplois qui va pour longtemps anesthésier l'initiative ? Pourquoi n'a-t-elle pas engagé une réflexion préalable sur " le travail aujourd'hui " (contrairement à une idée répandue, c'est loin d'être quelque chose d'évident), sur les rapports des agents avec leur travail et sur les évolutions souhaitables ?

Cette décision relève-t-elle des erreurs de management ou participe-t-elle à une stratégie d'affaiblissement de l'entreprise ?
Moderniser le Service Public est une nécessité permanente. En ne faisant rien, on allait peut-être dans le mur. Mais avec M3E on est encore plus sûr d'y aller !

 

LES AGENTS SOUFFRENT DES EFFETS DES HUMANISANTS DU NOUVEAU MANAGEMENT

Le taylorisme ne se préoccupait pas de ses conséquences sur l'épanouissement et la santé des ouvriers.
Le nouveau management fait de même en considérant la ressource humaine comme une ressource qu'on gère comme les autres : masse salariale minimum, effectif minimum, création d'exclus en tout genre, mobilité forcée... destockage de pièces de rechange, réduction de programmes de base... )
Seule la rentabilité économique est visée ; d'aspects humains il n'est pas question ! Par exemple les agents en absence de longue durée, sont purement et simplement ignorés par leur hiérarchie (ils ne sont plus utiles et n'existent plus que sur le papier).
Par ailleurs, décréter la responsabilité de chaque agent, sans lui accorder les moyens d'assumer sa mission, est particulièrement déstabilisant et démagogique.
Le mal vivre, les déprimes, les suicides (agents et sous-traitants) laissent indifférente la Direction qui refuse que ces sujets soient étudiés, malgré les risques potentiels pour les agents et pour la Sûreté. Dernier refus en date : au CMP du 4 juillet la Direction de l'UTO a refusé la création d'une commission "social" pour essayer d'identifier et de prévenir les phénomènes anxiogènes à l'origine des symptômes croissants observés par le médecin du travail. Cette attitude est à rapprocher du limogeage des médecins épidémiologistes (voir Le Monde du 01-08-96 et Libération du 03-09-96). La Direction " casse le thermomètre " pour retarder la mise en évidence des méfaits du management sur la santé des travailleurs.
Le Pouvoir actuel est manipulateur et inhumain. Il déstructure les individus et les rapports entre les individus. Cela le rend illégitime.

 

L'AFFAIBLISSEMENT DES VALEURS DE SOLIDARITE ET DE COOPERATION

Copiant Taylor qui payait les ouvriers au rendement, la Direction a commencé à payer certains dirigeants au mérite et veut étendre ce principe à l'ensemble des cadres.
N'est-ce pas encore un facteur supplémentaire de déstabilisation du corps social ?
En effet la notion de résultat mériterait d'être précisée, ainsi que la méthodologie de l'évaluation, la compétence du "juge", et l'assurance qualité.
La rémunération individuelle liée au résultat comporte d'autres inconvénients. N'est-elle pas la négation du travail d'équipe? Si l'on sait qu'on peut gagner plus que son collègue, va-t-on l'associer à une démarche de progrès, ou plutôt essayer de se garder la meilleure part du gâteau? La Direction veut-elle vraiment la transversalité ? Et le chef qui juge le résultat, n'y a-t-il pas contribué, même quand il est médiocre ?
Quelle est donc cette méthode merveilleuse, préconisée par la Direction, qui permet d'analyser tous ces aspects, et de rendre à César ce qui est à César ? Si elle existe, les agents ne demandent qu'à la connaître.
Ce principe de rémunération pousse à encore plus d'individualisme, d'égoïsme, et de non-qualité. D'ailleurs la Direction n'est-elle pas prise d'un doute, lorsqu'elle indique à propos de l'intéressement des équipes d'arrêt de tranche : "on cherchera à valoriser la performance de l'équipe de travail et non la performance individuelle".
Nous n'analyserons pas en détail les conséquences de cette variante. Nous nous contenterons d'indiquer que l'équilibre social est fondé actuellement sur le partage d'une valeur commune : le Service Public. L'adoption d'une forme de rémunération par équipe, conduira chaque groupe à privilégier ses propres intérêts au détriment de ceux de l'entreprise (la guerre des clans?). ce phénomène existe déjà par la " guerre " que se livrent certains sous-traitants (coalition d'entreprises extérieures contre " le mouton noir ", mauvaise volonté et/ou entraves diverses sur les chantiers imbriqués...), et par l'existence de groupes de pression puissants.

Nous osons la question suivante: " et si l'on cherchait à valoriser les performances de l'entreprise?"

Remarquons également que la rémunération en question est immédiate et non à terme. Il est donc évident qu'elle favorise les résultats à court terme au détriment de progrès à plus longue échéance.
On peut faire confiance à certains mercenaires sans scrupule pour exploiter ce nouveau filon, sans se soucier des conséquences ultérieures.
Il est vrai que sur le moment une prime peut créer une certaine motivation "artificielle". Mais il bien est connu qu'on s'habitue à la récompense, qui devient normale, et qui au bout d'un certain temps ne fait plus d'effet!
Mais au fait, n'y a-t-il vraiment que l'argent qui motive les hommes et les femmes du Service Public? Dans un Service Public qui préconise la péréquation des tarifs, n'est-il pas légitime de maintenir une " péréquation " des salaires ?
N'est-il pas souhaitable de stimuler la vraie motivation, celle qui se déclenche par les valeurs d'exemple, de confiance et d'estime ?
On n'en est malheureusement pas là dans le nucléaire !
La réforme du management consiste à " singer le privé ", mais le privé archaïque. En effet les entreprises performantes ont, quant à elles, repéré que certaines méthodes de "l'oncle Sam" sont dépassées ou perverses.
Cependant, les croyances ont la vie dure, dans la technostructure qui est intimement persuadée que les défaillances humaines existent, mais pas à son niveau 1

 

L'OBSTRUCTION A LA REMONTEE DE L'INFORMATION NEGATIVE

La hiérarchie considère comme négative, toute information concernant les contraintes que rencontrent les agents dans l'accomplissement de leurs métiers (impossibilité de respecter les procédures, comportements fautifs des managers) ainsi que celles qui sont relatives aux contre-performances de l'entreprise.
L'obstruction à ce type d'information est-elle répandue? Quelles en sont les conséquences? Qui est responsable?
Voici quelques questions que chacun est en droit de se poser à la production nucléaire, Direction qui prône : l'INSAG 4, la transparence, la qualité, le retour d'expérience, les bonnes pratiques...

 

LE SYSTEME DE RECONNAISSANCE, ENCORE LUI

Observons d'abord que ce qui est primé (rémunération, promotion), c'est d'atteindre les résultats fixés par la Direction, résultats qui se résument le plus souvent au seul profit financier. En règle générale, la Direction ne prend en considération que la réussite des buts finaux, peu importe si les prescriptions ont été ou non respectées (puisqu'elle ne se donne pas les moyens de vérifier).
En revanche respecter les contraintes est difficile et pourtant pratiquement jamais récompensé.
Il se peut que les enfreindre soit sanctionné (et encore ce n'est pas sûr), mais en tout état de cause cela ne peut arriver que si l'on se fait prendre. Et l'on ne se fait pas prendre facilement dans un système complexe qui fait volontairement peu de contrôles !
Etant donné les dogmes actuels du management, respecter scrupuleusement les prescriptions revient à contrarier des intérêts personnels et c'est donc mal vu par une partie de la hiérarchie. Alerter ses supérieurs sur ces questions, est le plus souvent considéré comme une provocation. Cela se termine en général par la mise au placard; une façon comme une autre pour la hiérarchie, de faire des exemples pour faire comprendre à l'ensemble du personnel ce qu'elle souhaite vraiment.

 

LE MAUVAIS EXEMPLE LA DEMORALISATION DES RELATIONS DU TRAVAIL

Pour se déterminer, les agents observent aussi l'attitude de leurs supérieurs.
La Direction favorise-t-elle la remontée des informations négatives, en répondant tardivement et de travers ou parfois pas du tout à des courriers syndicaux qui dénoncent très précisément l'inobservation de la Réglementation?
Où est la politique de transparence lorsque l'Etat Major du nucléaire refuse de faire la lumière sur les implications du dossier sous-traitance (le sujet est trop vaste pour être développé ici; il fera l'objet d'un autre numéro spécial) ?
Où sont le dialogue social et la morale lorsque des Chefs d'Unité multiplient les entraves au fonctionnement des Organismes Statutaires pour
que les représentants du personnel ne puissent mettre en évidence des carences managériales voire des escroqueries ?

Auparavant le travail comportait des règles de vie, des usages, un équilibre entré les droits et les devoirs. Depuis quelques années, grâce à leurs dogmes, croyances, soif du profit, désintérêt du Service Public, certains managers ont réussi à promouvoir de nouvelles règles du jeu comme par exemple celle du "pas vue, pas pris ".
Comme de plus il y a peu de véritables sanctions dans les sphères du pouvoir (placards dorés), ce principe a toute chance d'y faire école.
Est-ce favoriser la communication que de nous rebattre les oreilles avec la politique des bonnes pratiques? Dans le même temps, la Direction ne communique pas sur les mauvaises pratiques, d'ailleurs le terme n'a même pas d'existence dans le nucléaire (on est les meilleurs !).
Lorsque l'Autorité de Sûreté, demande des comptes sur un point particulier mais que sa question en soulève d'autres, est-ce une démarche de progrès que de donner des consignes de s'en tenir strictement à la question posée?

Des Chefs d'unités qui refoulent des propositions d'amélioration sans explication et parfois même sans réponse du tout, influencent-ils favorablement la remontée des informations?
Il y a parfois des explications, autres que culturelles, à cette attitude. Certains hiérarchiques peuvent être incompétents (ils ont été nommés là par piston), ou bien être coincés entre les objectifs qui leur sont imposés et un manque de moyens. Dans ces situations, ils choisissent de se réfugier dans la non communication.
Un des " résultats " de ce nouveau management c'est que l'information et particulièrement lorsqu'elle est négative et détenue par un petit nombre de personnes, est désormais souvent étouffée à la source. En effet à quoi cela sert-il de transmettre des informations qui, l'expérience l'a montré, vont être arrêtées par l'un des échelons de la hiérarchie.
Personne n'a plus confiance !
Nombreux sont les agents désenchantés, résignés, n'ayant désormais pour soucis que de faire bonne figure et de sauvegarder leur situation personnelle. Ils espèrent que le premier gros pépin nucléaire n'arrivera pas dans leur proche environnement (de plus en plus d'agents disent croire au gros pépin).

 

QUELLES CONSEQUENCES POUR LA SURETE ?

L'écoute de la Direction est faible ou même nulle lorsque l'on met le management en cause. La Direction va même jusqu'à faire des pressions pour que certains délégués ne fassent pas partie de certaines délégations et pour que d'autres agents n'accèdent pas à un mandat de représentant du personnel. Elle réfute l'idée que son action puisse conduire au désengagement des hommes et par voie de conséquence à la dégradation de la Sûreté.

Jusqu'ici la présentation annuelle du niveau de la Sûreté des centrales nucléaires françaises, repose principalement sur l'évolution du nombre d'incidents significatifs classés. Jusqu'à cette année, à en croire les Autorités, le nombre d'incidents n'augmentait pas. Il faut toutefois signaler qu'en fin d'année s'effectue (avec l'accord de l'Autorité de Sûreté) le déclassement de certains incidents (qui paraît-il, n'engagent pas vraiment la Sûreté). Cette pratique a-t-elle contribué "inconsciemment" à maintenir jusqu'ici, cet indicateur stable ? Ce qui va être intéressant, c'est de voir ce qui va se passer cette année, car on observe depuis janvier, une recrudescence des incidents d'environ 50%). Qu'en dit, l'Autorité de Sûreté? A-t-elle bien rempli sa mission de contrôleur ? (cf récente déclaration de Jacques CHIRAC à propos de l'insuffisance du contrôle des banques). Le nucléaire est-il bien maîtrisé ?
Il était malhonnête de prétendre que, les incidents significatifs n'augmentant pas, la Sûreté s'améliorait. Mais il serait stupide de crier à la catastrophe parce qu'ils ont brutalement augmenté. Cependant, pourquoi les Autorités de Sûreté n'évaluent-elles le niveau de Sûreté qu'avec l'indicateur consenti par EDF ?
Le régime oligarchique institué par les Grands Commis de l'Etat n'est-il pas incompatible avec la rigueur nécessaire au contrôle d'une industrie aussi dangereuse que le nucléaire ?
Nous continuons à défendre l'idée qu'il est nécessaire d'améliorer l'appréciation du niveau de la Sûreté grâce à des indicateurs complémentaires, notamment concernant les facteurs humains et le social qui sont déterminants en matière de Sûreté.

Pour faire un parallèle avec la sécurité du travail, bon nombre de préventeurs reconnus sur le plan national et international ont confirmé que le seul taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt, n'est pas représentatif de l'état de sécurité d'une Unité. L'expérience a plusieurs fois montré que des Unités ayant un taux de fréquence faible, étaient le lieu d'accidents mortels.
Nous réaffirmons que le nombre d'incidents significatifs observés depuis le démarrage du parc nucléaire, ne permet pas de conclure à une faible probabilité d'accident nucléaire. Les différents responsables s'en gardent bien également, préférant parier de " l'année passée, marquée d'une pierre blanche pour la Sûreté " et de " la Sûreté à l'est ", plutôt que faire un pronostic sur l'évolution du niveau de la Sûreté des centrales françaises (d'ailleurs si on distribue des pastilles d'iode, n'est-ce pas parce qu'il existe, quelque part, des responsables prudents). La situation est sérieuse car on est entré à EDF et à l'EPN en particulier, dans une crise sociale sans précédent depuis la création de l'entreprise. A la forte crise de confiance s'ajoutent la démoralisation des relations du travail, la défiabilisation de la maintenance liée à la précarisation des exécutants (sous-traitance) et à la limitation du contrôle interne, l'augmentation du nombre d'actes de malveillance et des comportements anormaux, la stagnation des indicateurs de performances et en même temps, la provocation faite par la Direction qui corsète toujours plus le droit de grève et parle de dialogue social sans en faire.

 

LE DEVELOPPEMENT D'UNE JUSTICE A DEUX VITESSES

Le compte rendu du comité de direction du parc nucléaire du 20 mai 1996, souligne : " Les événements de décembre 1995 ont été accompagnés dans certaines Unités d'EDF, outre de violences, de pressions diverses, morales et physiques, sur des agents voire sur leurs familles... De telles actions, exacerbées lors de ce conflit, se produisent, ici ou là au quotidien..."
Nous ne pouvons qu'être d'accord avec la Direction du parc pour condamner de tels actes, mais nous lui suggérons de s'interroger sur le comportement de certains managers qui s'apparente à ceux qu'elle décrit. Il faut dans ce domaine comme dans les autres une égalité de traitement. Malheureusement nous ne connaissons que des exemples de lampistes sanctionnés (et parfois à tort). Récemment la Direction a contraint à la démission, une secrétaire de Direction. Malgré le discours officiel sur le renouveau du dialogue social, elle n'en a pas informé les Organisations syndicales. Pourquoi ? En revanche, elle a fait une large publicité autour de cette affaire dans les rangs de l'encadrement. Que craignait la Direction à respecter les procédures disciplinaires ?
Quelles sanctions a-t-elle pris envers les cadres qui ont permis que des entreprises d'obédience sectaire opèrent dans le domaine de la formation du personnel et du conseil de Direction ? Quelles sanctions a-t-elle pris envers les Chefs qui multiplient les entraves au fonctionnement des institutions représentatives du personnel ?
La Direction du parc invite à " rompre la loi du silence ", mais l'expérience prouve, jusqu'à présent, que seul les lampistes sont sanctionnés. La Direction demande aux managers d'être " garant de la liberté du travail et du respect des personnes ". C'est oublier un peu facilement qu'en toute impunité, un certain nombre d'entre eux, ne respectent pas la Réglementation et ne manquent jamais une occasion de faire état de leur mépris pour les hommes et leurs institutions représentatives.

Tant que subsisteront ces carences éthiques, nous vous inciterons à ne pas vous précipiter " dans la gueule du loup ". Si vous détenez des informations sur des sujets sensibles, et que vous voulez défendre les intérêts de l'entreprise et de la Nation (c'est souhaitable), il y a d'autres moyens comme par exemple de vous adresser directement et discrètement à la justice ou de passer (même anonymement) par certains délégués du personnel. Il y en a qui ont été précisément sacqués, parce qu'ils avaient dénoncé des carences hiérarchiques. Alors pas la peine qu'il vous arrive, la même chose. De plus, ce que ne vous dit pas la Direction, c'est qu'il existe des menaces encore plus graves.
D'autre part même les permanents syndicaux, qui sont pourtant, à longueur de temps, au contact de la hiérarchie, éprouvent des difficultés pour trouver des interlocuteurs. Dans l'interne, il existe certainement de nombreux managers intègres avec qui il devrait être théoriquement possible de coopérer. Mais beaucoup n'ont pas, aux yeux du personnel, fait leurs preuves (l'incorruptibilité n'exclut pas la naïveté et/ou l'incompétence). Il faut également détecter ceux qui voudront bien se mouiller, et jusqu'au bout, quelle que soit l'importance " des affaires " (ne pas faire de vague constitue toujours la façon la plus sûre d'avoir une promotion). Quant à l'externe, et sans engager le débat sur le terrain politique, la presse a largement mis en évidence que le Pouvoir peut freiner voire annihiler le cours de la justice.
Dans une entreprise où les Chefs n'ont pas la confiance du personnel, il n'est Pas facile de communiquer. Les magouilleurs de tout poil ont donc encore de beaux jours devant eux !
Au lieu de construire une entreprise de partenaires, basée sur l'égalité de traitement et sur le respect réciproque, le management est entrain de construire une communauté d'opprimés et de victimes, fondée sur la frustration. La Direction ne jure que par le partenariat, mais dans l'interne, on est entrain de passer, lentement mais sûrement, de la relation client/ fournisseur, à la relation maître /esclave.

 

QUEL MANAGEMENT DEMAIN A L'EPN ?

Les conséquences observées dans les différents domaines examinés plus haut, permettent d'esquisser un diagnostic global. L'hypothèse d'une incompétence générale des élites dirigeantes du nucléaire est peu crédible (on peut même penser que le niveau intellectuel est meilleur que dans d'autres secteurs de l'entreprise). Il faut donc admettre que les choix managériaux du PSU écouté, avaient des objectifs en rapport avec les résultats observés, résultats parfois reconnus par des hauts dirigeants (voir l'interview de Pierre LE GORREC dans LE MONDE du 21 juin 1996).

Parmi les hypothèses qui sont avancées par les agents qui y ont réfléchi, nous avons retenu les objectifs suivants :
- limiter les performances de l'entreprise publique,
- préparer sa privatisation,
- satisfaire l'appétit de certaines entreprises extérieures,
- poursuivre des objectifs cachés.

S'ils s'avéraient, ces objectifs seraient condamnables du point de vue de l'intérêt général. Mais quoi qu'il en soit, les pratiques observées font craindre pour la Sûreté nucléaire.

Oeuvre individuelle et collective des hommes, la Sûreté n'est pas un état stable. Elle n'est jamais acquise définitivement, et son maintien est particulièrement dépendant de la solidarité entre les hommes et du " bien être " de chacun d'eux.

Les dirigeants qui continueraient à négliger ces valeurs fondamentales, prendraient la lourde responsabilité, d'accroître la probabilité d'accidents nucléaires graves.
Trop de Hauts responsables prétendent après les catastrophes qu'ils n'étaient pas au courant (responsables mais pas coupables !). Pourtant ils sont précisément payés pour savoir ce qui se passe dans les Services placés sous leur responsabilité, pour en tenir compte et pour en rendre compte.

Faudra-t-il un pépin nucléaire pour corriger le tir, ou allons-nous tous ensemble, rechercher des interlocuteurs qui comprennent que le nucléaire requiert un management de qualité, notamment plus humain.
Il nous semble urgent:
- de promouvoir des chefs, sincèrement motivés par le Service Public, jouissant d'une bonne réputation, respectant le personnel et ses représentants, capables de négocier et de contrôler la hiérarchie intermédiaire,
- d'affecter des effectifs, en quantité et en qualité, à l'exercice de contrôles internes approfondis et dans les autres domaines vitaux pour l'entreprise.

Au discours hypocrite sur "la place des hommes et des femmes dans l'entreprise, il convient de substituer une véritable prise en compte des problèmes humains et des sciences sociales. Messieurs les dirigeants, gardez vos formules snobs sur la ramification du tissu socio-économique et sur le renouveau du dialogue social, pour les conversations des salons parisiens, et commencez par engager des actions concrètes pour enrayer l'exclusion et la démoralisation - internes dont vous êtes responsables. Ce n'est qu'à ces conditions qu'un dialogue constructif pourra enfin débuter et que l'entreprise publique pourra remplir correctement sa mission.

Pour joindre le secrétaire de la section:
Gérard TARALL
EDF-UTO 6, Av. Montaigne 93192 Noisy le grand CEDEX
Tél 49 32 75 98 - Fax 49 32 73 62

(*) ces agents d'entreprises qui travaillent avec les agents EDF sont bons pour le travail, mais n'ont pas droit à la parole !