Une partie du coeur de St Laurent des Eaux
va être remplacée par un nouveau combustible appelé
MOX (mixed oxides), mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium.
La justification qui est donnée de cette modification est
que "l'état actuel du développement des réacteurs
à neutrons rapides rend disponible un certain stock de
plutonium issu du retraitement". Ce serait donc la conjoncture
actuelle concernant l'avenir des surgénérateurs
qui justifierait l'utilisation de MOX. Cependant cette modification,
était déjà envisagée avant 1977 car
elle est évoquée dans les décrets d'autorisation
de création des tranches BI et B2 de St Laurent des Eaux
ainsi que pour Tricastin, Gravelines, Blayais et Dampierre. Bien
sûr il est possible qu'EDF savait déjà à
cette époque que les surgénérateurs allaient
vers une impasse.
Ces décrets d'autorisation de création prévoyaient
"Le stockage sur le site et l'introduction dans un réacteur
de combustible initialement enrichi en oxyde de plutonium ne pourront
intervenir qu'après autorisation particulière du
ministre de l'industrie, du commerce et de l'artisanat délivré
après avis du ministre de la santé et de la sécurité
sociale. "
Cette clause permettait d'effectuer une modification importante
de l'installation et des risques sans qu'il soit nécessaire
de procéder à une enquête publique. La
légalité de cette procédure est douteuse
car le dossier soumis à enquête locale lors de la
demande de déclaration d'utilité publique (en 1972
pour St Laurent des Eaux) ne pouvait comporter d'indication concernant
ce combustible : les études sur le comportement des réacteurs
avec ce type de combustible n'étaient guère avancées.
Normalement une modification des conditions de fonctionnement
et des risques ne devrait être autorisée qu'après
une enquête publique. Mais le petit paragraphe des décrets
d'autorisation de création détourne l'esprit de
la loi.
Le Groupe de travail sur la gestion des combustibles irradiés,
du Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire
(Commission Castaing) a évoqué le problème
du recyclage du plutonium dans les réacteurs à eau
pressurisée. Dans l'annexe 19 du rapport de cette Commission
(1981-1982) il est dit :
"La mise en oeuvre du recyclage du plutonium dans les réacteurs
à eau suppose néanmoins que l'on sache répondre
à différentes questions :
- combien de fois et dans quelles conditions le plutonium peut-il
être recyclé dans les réacteurs ?
- quelles sont les conséquences sur le fonctionnement du
réacteur de l'utilisation du plutonium comme combustible
?
- quelles servitudes apparaissent avec l'introduction du plutonium
recyclé dans les chaînes de fabrication du combustible
? "
On voit bien qu'il ne s'agit pas du remplacement banal d'un combustible
par un autre équivalent.
Le fonctionnement du coeur avec ce combustible est notablement
différent surtout si l'on dépasse 50 % de la totalité
du coeur. C'est le cas de St Laurent des Eaux car si cette année
on remplace 1/3 du coeur, l'opération sera renouvelée
les années suivantes. Il s'agit donc bien d'une modification
majeure.
Le Bulletin sur la Sûreté des Installations Nucléaires
du Ministère de l'Industrie (SN) de mai-juin 1986, donne
quelques indications sur le comportement de ce type de combustible
:
"Les caractéristiques neutroniques des assemblages
au plutonium contenant de l'oxyde mixte d'uranium et de plutonium
se distinguent de celles des assemblages à base d'oxyde
d'uranium principalement sur trois points :
- l'absorption neutronique beaucoup plus élevée,
due à la présence d'isotopes neutroniques, nécessite,
pour une même quantité d'énergie produite,
un flux de neutrons plus important, ce qui a conduit à
la définition d'un assemblage hétérogène
dans lequel la concentration en plutonium est croissante du bord
vers le centre ; ceci évite les problèmes d'interface
avec des assemblages voisins à l'uranium, qui se traduiraient
par des pics de puissance localement élevés ;
- les coefficients de température négatifs plus
élevés en valeur absolue (Doppler, modérateur)
induisent une moins bonne efficacité des absorbants neutroniques
(grappes de contrôle, bore, xénon);
- la proportion de neutrons retardés plus faible a une
incidence sur la cinétique de réaction du coeur,
en particulier dans certaines séquences accidentelles conduisant
à une insertion de réactivité dans le coeur
(rupture de tuyauterie de vapeur, éjection d'une grappe
de commande...). "
Le coeur sera modifié progressivement par étapes
au cours des rechargements futurs. EDF nous rassure. Dans le Bulletin
SN il est dit :
"Pour chacune des configurations prévues, Electricité
de France a examiné les conséquences de la présence
de ces assemblages sur le comportement du coeur, tant en fonctionnement
normal qu'en situation accidentelle, de manière à
vérifier que les critères de sûreté
sont toujours respectés. "
Ces modifications successives posent un problème qui n'a
pas été mentionné. Le rapport définitif
de sûreté pour les réacteurs à uranium
faiblement enrichi ne peut évidemment pas couvrir le fonctionnement
(en essai et en exploitation) de ce nouveau type de réacteur.
Y a-t-il des rapports provisoires de sûreté pour
les diverses étapes ? Le Bulletin SN mentionne la fourniture
par EDF d'un "dossier de faisabilité" et non
pas d'un véritable rapport de sûreté. Si ces
rapports existent, ont-ils été soumis pour examen
aux diverses instances administratives prévues ? Nous ne
pouvons accepter qu'une simple "autorisation particulière
du ministre de l'industrie" remplace toute la procédure
qui doit régir les problèmes de sûreté
nucléaire. Malgré les enseignements de Three Mile
Island et de Tchernobyl on s'oriente en France vers une banalisation
de l'industrie nucléaire, ce qui est particulièrement
inquiétant.
Certains aspects de l'utilisation du plutonium dans un PWR nous
paraissent devoir être soulignés :
1) Il n'est pas possible d'utiliser un combustible de composition
uniforme car cela conduirait à des discontinuités
au raccordement avec l'ancien combustible. Le taux de plutonium
varie de 2,4 % à 4 %. Cette contrainte est loin d'être
anodine car elle pose le problème de la gestion "humaine"
des divers assemblages de combustible tous différents.
Contrôle à la fabrication, repérage exact
de la composition tout le long de la chaîne de fabrication
du combustible, mise en place correcte des assemblages suivant
leur composition, retraitement d'assemblages tous différents
pour le combustible usé (criticité variable). Le
Bulletin SN signale à ce sujet :
"L'organisation de la qualité de la fabrication des
assemblages doit être telle que la probabilité d'inversion
de crayons de teneur en plutonium différente soit suffisamment
faible".
Ainsi la sûreté dépendrait d'une gestion particulièrement
attentive des divers assemblages (différents les uns des
autres) tout au long de la chaîne, de la fabrication du
combustible au retraitement en passant par le réacteur.
Tous les systèmes de sûreté essaient d'éviter
de faire dépendre la sécurité de la gestion
humaine. Parler de "probabilité" dans ce cas
comme le fait SN n'a strictement aucun sens.
Comment être assuré qu'au chargement aucune erreur
géométrique ne sera faite ? Quelle sera la stratégie
d'EDF pour s'en assurer ?
Des erreurs de positionnement de certains éléments
pourraient conduire à une configuration non dangereuse
en opération normale, mais en cas d'accident les opérateurs
devraient réagir sur un système dont ils ignoreraient
la configuration exacte et dont le comportement n'aurait pas été
envisagé et étudié. Ceci pourrait compliquer
considérablement la gestion des incidents.
Au moment où la tendance en matière de sûreté
est à réduire le plus possible la composante humaine
imprévisible, on utilise un combustible où cette
composante humaine devient prépondérante.
2) Le combustible à base de plutonium est plus fortement
radioactif que le combustible à base d'uranium enrichi.
La présence d'Américium 241 provenant de la désintégration
du plutonium 241 (période 13 ans) présent dans le
plutonium de retraitement, aggrave encore la situation.
Ainsi tout au long de son élaboration ce combustible sera
plus dangereux. En particulier le chargement du combustible se
fera dans des conditions d'irradiation plus dures pour le personnel.
Il serait normal, dans un but de radioprotection, que le chargement
soit accéléré, ce qui complique les contrôles
et multiplie les risques d'une mauvaise gestion (Voir le paragraphe
précédent).
3) La gestion du plutonium est beaucoup plus contraignante que
celle de l'uranium faiblement enrichi. Les risques de criticité
(expression qui signifie explosion nucléaire) sont beaucoup
plus grands. Le transport du combustible neuf est donc beaucoup
plus dangereux. Evoquons en passant la menace de vols terroristes,
surtout si ce genre de combustible avait tendance à se
généraliser comme cela semble être le cas.
4) Le fonctionnement du réacteur avec ce type de combustible
est délicat. Le Bulletin SN donne quelques indications
à ce sujet mais il n'est pas possible, car cela n'est pas
évoqué, de se rendre compte de la gravité
des situations accidentelles possibles.
L'accident de Tchernobyl a montré l'importance qu'il fallait
attacher à la stabilité des réacteurs. Les
experts français après l'accident russe ont beaucoup
insisté sur la stabilité absolue des PWR (ce qui
est loin d'être évident d'ailleurs) comme garantie
d'une bonne sécurité. Mais avec MOX cet argument
disparaît car le réacteur peut développer
certaines instabilités contre lesquelles les systèmes
de protection sont "moins efficaces".
5) Les rejets d'effluents radioactifs de la centrale ainsi modifiée
pourraient être notablement différents. En effet
en cas de rupture de gaines (on considère la situation
comme "normale" lorsqu'on n'a pas dépassé
un taux de rupture de gaines réglementairement fixé
!), la quantité des émetteurs alpha (les plutonium
et leurs produits de filiation) susceptibles de contaminer le
circuit primaire sera notamment plus importante. Cela implique
évidemment des conditions d'exploitation plus dures pour
le personnel de la centrale.
6) Le plutonium est un des éléments les plus radiotoxiques.
Toute augmentation des quantités de plutonium manipulés
accroît les dangers (transport, manutention, etc.. ).
A titre indicatif, nous donnons ici les limites annuelles d'incorporation
(LAI) maximales admissibles d'après les Directives Européennes
de 1980 et 1984 (les valeurs sont en Becquerels).
Radioéléments |
|
|
|
|
LAI par inhalation |
|
|
|
|
LAI par ingestion |
|
|
|
|
Karl Morgan qui a longtemps présidé
la Commission internationale de Protection Radiologique d'où
sont issues ces LAI a indiqué dans divers articles dès
1975 que le danger du plutonium serait sous-estimé d'un
facteur pouvant atteindre 200.
Gazette Nucléaire n°80/81, juillet 1987.