FONTENAY-AUX-ROSES,
4 déc - Le programme d'assainissement
des installations du site du Commissariat à l'énergie
atomique (CEA) à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) se
poursuit normalement pour parvenir au démantèlement
complet de toutes les installations nucléaires à
l'horizon 2010, ont déclaré à la presse mardi
les responsables du CEA sur place.
"Cette année, une centaine de personnes travaillent
directement à l'assainissement du site et à la gestion
des déchets qui en découle, pour un budget annuel
de 15 millions d'euros", a expliqué Denis Marty, directeur
du CEA/Fontenay, site historique et berceau du nucléaire
français, appelé à terme à accueillir
d'autres activités.
L'année 2001 a vu la "poursuite d'actions d'assainissement et d'analyses radiologiques de points internes du site", créé en 1946 au fort de Châtillon et qui a accueilli deux générations d'installations nucléaires avant leur mise à l'arrêt progressive à partir de 1982.
Les zones ayant fait l'objet d'actions spécifiques en 2001 sont les casemates sous le péristyle de l'ancien fort, l'aire de dépotage (transfert de liquides), le chantier des douves ouest et l'"annexe" du centre.
L'INB 57, Installation nucléaire de base construite entre 1958 et 1962, était un laboratoire de chimie du plutonium qui servait aux recherches sur le traitement des combustibles usés et le traitement des déchets radioactifs. Il est le chantier le plus important pour le CEA/Fontenay. L'installation est en phase de cessation définitive d'exploitation: plus de 90% de la radioactivité alpha a été éliminée de l'installation, plus de 4.500 flacons représentant 6 tonnes de produits chimiques non contaminés ont été évacués. Le démantèlement est prévu en 2004.
Assainissement du laboratoire RM2 à Fontenay-aux-Roses.
Pour sa part, l'INB 34 (station de traitement des effluents liquides et des déchets solides), constituée de plusieurs bâtiments, a fait l'objet en 2001 d'une campagne de reconditionnement des déchets entreposés afin de déterminer les filières d'évacuation. Le démantèlement aura lieu en 2009-2010.
Le CEA de Fontenay, qui a été le pionnier dans le domaine de la recherche nucléaire, est la seule installation en cours de "déconstruction" en France, en dehors de la centrale nucléaire de Brennilis (Finistère), qui a fonctionné de 1967 à 1985.
Le Parisien, 29/10/01:
LES BÂTIMENTS de l'ancienne usine du
CEA (Commissariat à l'énergie atomique), situés
sur des terrains appartenant à la Société
nationale des poudres et explosifs, à Itteville, vivent
leurs derniers jours. A partir du 5 novembre, une grande opération
de démolition les fera peu à peu disparaître.
D'ici à dix-huit mois, l'usine, qui a fabriqué pendant
vingt-cinq ans de l'uranium et du thorium destinés à
alimenter les premiers réacteurs nucléaires français,
ne sera plus qu'un souvenir. Trente ans après la fin de
leur exploitation, la vingtaine de bâtiments du CEA n'ont
pas bougé. Avec ses vitres brisées et ses façades
délabrées, cette « usine fantôme »
a été décontaminée une première
fois en 1971, lors de l'arrêt
de son activité. Mais certaines parties continuaient à
présenter une très faible radioactivité.
Ce qui a nécessité la réalisation d'une étude
d'impact sur l'environnement préalable aux travaux de démolition.
« Cette étude doit être validée par
l'Office de protection des rayonnements ionisants (Opri), explique
Yves Bourlat, chargé de mission au CEA de Saclay. La Direction
régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement
(Drire) donnera ensuite son avis et le préfet répondra.
» Les gravats faiblement radioactifs ont déjà
été enlevés des bâtiments et enfermés
dans des conteneurs spéciaux. Ils sont stockés sur
place à l'intérieur d'un terrain clôturé
mais ne présentent aucune dangerosité selon Yves
Bourlat. « Nous effectuons des contrôles réguliers.
Les niveaux d'irradiation ambiante ne sont pas plus élevés
que les niveaux naturels. »
Une opération sous haute surveillance
Une fois toutes les autorisations obtenues, le chantier de démolition
proprement dit pourra commencer : 7 000 m 3 de déchets
seront évacués vers la décharge des Carrières
de l'Essonne et du Loing (CEL) à Vert-le-Grand. Pour s'assurer
qu'aucun débris
radioactif ne quittera le site d'Itteville, les camions passeront
sous un portique de détection très sensible. Après
contrôle du chargement, un bon de sortie sera délivré
aux chauffeurs. A la moindre trace de radioactivité, une
alarme se déclenchera et le camion sera dirigé vers
une zone de tri.
Parallèlement, le CEA réalisera des contrôles
par sondages sur le site. Président de la commission locale
d'information et maire d'Itteville, Michel Fayolle (PS) se réjouit
du début des travaux. « C'est une bonne chose pour
la propreté du site, affirme-t-il. Huit camions au maximum
circuleront par jour. »
Reste le problème du nettoyage du sous-sol. « Nous
nous y attaquerons, promet Yves Bourlat. Mais pas avant quelques
années. Car, pour l'instant, il n'existe aucun site de
stockage de déchets faiblement radioactifs en France. »
Un endroit a priori géré par le CEA laissé sans surveillance pendant une quinzaine d'années, situé sur la commune de Saint-Aubin. C'est le déversoir du centre de Saclay : on y a stocké des fûts contenant des produits radioactifs en provenance du CEN Saclay, CEN Fontenay, du Bouchet et autres lieux. On y a stocké des boues venant de ses mêmes endroits. Il y a carence évidente de l'administration (surveillance radioactive des sites ou installations classées). Il y a de surcroît déclaration "mensongère" de la part de l'organisme en charge du sites, à savoir le CEA.
Ce site a été abandonné avec juste une petite barrière.
A. Un peu d'histoire
a) Avril 1972 à Saclay
En avril 1972, Alexandre
Grottendieck, mathématicien, et quelques-uns de ses amis
du groupe Survivre et Vivre sont invités par la section
CFDT du Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay à participer
à une réunion sur le thème : "Allons-nous
continuer la Recherche scientifique ?". Le groupe Survivre
et Vivre était préoccupé par la responsabilité
morale et sociale que devait impliquer l'activité scientifique.
Près de 300 personnes participèrent à cette réunion. Grottendieck aborda le sujet d'une façon tout à fait inattendue de l'auditoire. Il révéla la présence à Saclay de fûts de déchets radioactifs fissurés en exhibant des photos prises sur le site. Il signala que ces fûts aux fissurations apparentes ne semblaient pas avoir ému les chercheurs, les ingénieurs du Centre dont les qualités professionnelles n'étaient pas à mettre en doute. Cette accusation provoqua dans l'audience des réactions violentes.
Le centre d'études nucléaires de Saclay.
Dans le n°14 (octobre-novembre 1972) de la revue Survivre et Vivre, voici comment les intervenants expliquaient le problème soulevé :
1) Des scientifiques voient s'élever à deux pas de chez eux un tas de fûts fissurés et ne s'en préoccupent pas : "chacun son boulot, nous, on manipule nos électrons, aux autres de s'occuper des conséquences. Et faites pas trop de vagues autour des conséquences, on tient à notre beafteck". Critique de la science, de la division du travail ; le scientifique comme prototype du plouc diplômé, partialisé, borné.
2) Le peuple fait confiance à ses princes : "Si c'était dangereux, "ils" nous le diraient bien ou "ils" ne le feraient pas". Critique du système de la délégation de pouvoir (entre les mains des élus et des spécialistes)
"Réglons nos affaires
nous-mêmes !".
3) Que les fûts soient fissurés ou pas, à
Saclay ou à La Hague, reste le problème essentiel
: l'augmentation infinie des déchets (dont on sait qu'il
n'y a pas de solution technique pour s'en débarrasser)
est indéfendable. Une décision engageant le pays
pour plusieurs siècles se prend entre techniciens, pendant
que le bon peuple est amusé avec Aranda, Giscard et les
célèbres grandes coquettes Mitterrand-Marchais.
Dans les semaines qui suivent, il y eut quelques réunions d'information et des distributions de tracts aux sorties du métro, sur les marchés, dans les boîtes à lettres. La réaction de la population locale fut extrêmement faible, celle des élus fut nulle. La presse fit écho avec une grande discrétion.
b) Le conditionnement des déchets dans les blocs de
béton
L'utilisation du mot "fût" n'est pas correcte. Ce mot désigne généralement un récipient à paroi mince. Les "fûts" de Saclay sont en réalité des blocs de béton (pesant environ 5 tonnes) dans lesquels sont confinés des déchets radioactifs.
Les premiers blocs furent réalisés à Saclay en 1960 et la phase industrielle pour leur production en série débuta en 1962 à raison de 2 000 à 3 000 par an jusqu'en 1968. Après cette date, la production diminua, entre 1 000 et 500 blocs par an. En 1972, le stock de ces blocs s'élevait à environ 18 000. Rien ne semblait avoir été prévu pour les transporter à La Hague et ils furent entreposés sur le site de Saclay. Environ 500 d'entre eux durent être stockés sur une aire de l'Orme des Merisiers dépendant du CEA. C'est cette aire qu'on appelle actuellement "la décharge de Saint-Aubin" et que les responsables du CEA préfèrent nommer pudiquement "la déposante de Saint-Aubin".
Quand les fissures furent signalées, une recherche systématique des blocs fêlés fut entreprise. 193 purent être identifiés et le nombre de blocs endommagés fut estimé à 250 par la direction de Saclay (243 est le nombre final).
Apparemment, les blocs stockés sans protection supportèrent mal les variations de température. On peut se demander si la décision de lancer une production industrielle a été précédée d'une étude sérieuse de la fiabilité du confinement. Le CEA colmata les blocs fêlés et commença à les évacuer sur La Hague mais cela prit plusieurs années. Le coût du transport en 1972 était de 3 000 francs par bloc.
Quelques problèmes importants ne furent pas évoqués :
1. Le colmatage des fêlures pouvait-il garantir un confinement correct pendant des centaines d'années ?
2. Pouvait-on garantir que les blocs non fissurés ne se dégraderaient pas au cours du stockage ?
3. Pouvait-on garantir la fiabilité du confinement pour des blocs dépourvus de fissures apparentes ? Porosité et microfissures dans le béton pourraient réduire notablement l'efficacité du confinement.
L'évacuation des blocs à La Hague permettait d'éluder le problème de l'efficacité de ce mode de confinement pour un stockage prolongé de déchets radioactifs.
Dans une brochure de février 1975 intitulée "La sécurité du travail au Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay", éditée par le Groupe Information Travail de Saclay, nous avons relevé ceci : "Rappelons l'affaire des fûts fissurés contenant des déchets radioactifs et qui laissaient s'écouler des liquides radioactifs sur l'aire de stockage. La presse en a parlé mais aucun journaliste n'a eu la curiosité de poursuivre l'enquête pour savoir ce qu'ils étaient devenus... Les fûts ont discrètement disparu de Saclay. Mais si des journalistes avaient suivi les convois, ils auraient peut-être assisté au dérapage d'un des camions qui renversa sa cargaison dans un champ, et à l'arrivée des engins qui enlevèrent la terre contaminée. Peut-être auraient-ils pu savoir où cette terre a été jetée".
c) Les fûts" font à nouveau scandale en 1978
En 1978, l'évacuation des blocs n'était pas
encore terminée et les fûts firent à nouveau
scandale.
La direction de Saclay avait évacué en priorité vers La Hague dès 1972 les blocs de l'aire de Saint-Aubin et les blocs identifiés comme fissurés stockés sur le site de Saclay. En principe, il ne restait donc sur le site de Saclay que des blocs considérés comme "corrects".
En avril 1978, une tache de contamination provenant des blocs encore présents sur le site, fut découverte... par hasard ! Des laboratoires destinés à effectuer des mesures de faible radioactivité devaient être construits sur une zone libérée de l'aire de stockage. Le bruit de fond radioactif était beaucoup trop important et incompatible avec les expériences prévues. Des délégués du personnel alertés menèrent une enquête : la contamination provenait de boues entraînées par les eaux qui ruisselèrent sur l'aire de stockage. La contamination mesurée était considérable, il s'agissait de césium 137 : 0,1 Curie par mètre cube dans l'eau de la boue, 2 Curies par mètre cube de la terre située en dessous. A cette époque, on n'utilisait pas le Becquerel comme unité de radioactivité. En Bq cela aurait donné : 3,7 millions de Bq par litre d'eau et 37 millions de Bq par kg de terre ! Les camions ayant roulé sur cette boue avaient dispersé la contamination sur les routes du centre, le personnel avait pu y patauger en toute tranquillité. Cette affaire fit scandale sur le site et les syndicalistes (CFDT et CGT) interpellèrent durement la direction du Centre : "Les responsables de cette situation sont ceux qui ont décidé un stockage sur terrain nu sans protection contre les intempéries : les anciens administrateurs généraux et directeurs qui ont duré moins longtemps que la radioactivité" (extrait. d'un tract du 24.4.1978 de la CGT-STCENS). La direction du Centre n'inspirait pas confiance : "Nous demandons que toutes les analyses des radionucléides dans les échantillons prélevés sur cette aire de stockage et sur ses abords soient effectuées en double par deux laboratoires différents" (extrait d'un texte des délégués CFDT en Comité Hygiène et Sécurité au cahier de mise en demeure de l'administration, le 3.4.1978). La tache de contamination fut nettoyée, la terre enlevée et évacuée. Au fait, ne l'aurait-on pas évacuée sur l'aire de Saint-Aubin ? Les transports vers La Hague coûtaient chers et Saint-Aubin si près et si tranquille ! C'est juste une hypothèse. Nous n'avons trouvé aucun texte mentionnant la destination de ces déchets.
Une dernière nouvelle : les bâtiments qui furent construits sur l'aire de stockage ont été récemment démolis. On y a trouvé du césium !
d) Les enseignements de ces événements
Que nous apprennent ces fûts qui firent scandale
1. Des fûts qui n'étaient pas fissurés en
1972 ont relâché des radionucléides après
cette date qui ont été détectés par
hasard en 1978.
2. La surveillance de la contamination du site de Saclay ne semble pas avoir été des plus sérieuses. Il est donc naturel que la surveillance hors du site, à Saint-Aubin, l'ait été encore moins.
3. La confiance absolue dans la fiabilité du confinement justifiait de ne rien vérifier.
4. La Hague a hérité de blocs qui peuvent relâcher des radioéléments en quantité importante.
5. Il serait normal d'effectuer une vérification minutieuse de l'état actuel de ces blocs et de s'interroger sur l'état dans lequel ils seront dans quelques centaines d'années.
6. Comment nos descendants pourront-ils appréhender la situation alors que la Direction du CEA paraît incapable de reconstituer ce qui s'est passé sur la décharge de Saint-Aubin depuis 20 ans.
B. La contamination
de la décharge de Saint-Aubin
a) Les premières mesures
Au mois de septembre
90, deux journalistes du Parisien font rebondir cette affaire
en révélant que la terre de cette décharge
était contaminée. Certains points chauds détectés
avec un radiamètre conduisaient à des débits
de dose 20 fois supérieures au débit de dose hors
des clôtures. L'analyse gammamétrique d'un échantillon
de terre prélevé en surface, effectuée par
le laboratoire de la CRIIRAD, révélait un cocktail
de radioéléments : pour 1 kg de terre Cs 137 (7
960 Bq), Ba 133 (90 Bq), Co 60 (3 175 Bq), Eu 152 (1 720 Bq),
Eu 154 (150 Bq), Eu 155 (635 Bq), Am 141 (530 Bq), U 235 (70 Bq).
Remarques :
1. il s'agit d'un prélèvement en surface. Ces mesures
sous-estiment donc la contamination originelle car il y a eu diffusion
en profondeur dans le sol et lessivage par les eaux de ruissellement.
2. le césium 134 est absent, il s'agit donc de déchets de fission âgés de plus de 20 ans. La présomption est donc très forte pour que le césium provienne des fûts.
3. les Europium sont peu courants dans les déchets nucléaires habituels.
4. L'américium 241 est un émetteur alpha. La présence de ce radioélément laissait penser qu'il devait y avoir du plutonium (qui ne pouvait être détecté par une simple gammamétrie).
5. Si l'on suppose que la contamination de la terre a été faite il y a plus de 10 ans, il est nécessaire pour connaître la contamination initiale de tenir compte de la durée de vie des radioéléments. Nous avons retenu trois cas pour la date des rejets : 1970, 1975, 1980.
Les résultats sont résumés
dans le tableau suivant en Bq/kg de terre.
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Les modèles du CEA à propos de la migration des produits radioactifs dans le sol permettent d'estimer que cette migration dans le sol d'un dépôt de surface conduit en 10 ans à une diminution de l'activité surfacique de 30 % bien évidemment indépendamment de la décroissance radioactive des éléments. Il est donc nécessaire de multiplier les résultats précédents par un facteur voisin de 3. Ainsi la contamination de la terre en surface (Bq/kg) suivant la date du dépôt est égale à :
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On voit qu'il s'agit là d'une contamination assez sévère. (La réglementation considère qu'un déchet contaminé à 74 000 Bq/kg doit faire l'objet d'une évacuation contrôlée.)
b) Le plutonium
A la fin du mois d'octobre, les journalistes du Parisien
publiaient les résultats d'analyses effectuées
dans un laboratoire de l'Université de Brème en
Allemagne. La terre prélevée dans la décharge
de Saint-Aubin contenait du plutonium (2 250 Bq/kg) et la composition
isotopique ne laissait aucun doute sur l'origine militaire du
plutonium. S'il s'agit d'un dépôt, fait depuis plus
de 10 ans, la contamination surfacique d'origine est environ 3
fois plus élevée soit environ 6 600 Bq/kg.
Le CEA ne pouvait plus cacher l'existence du plutonium. Mais son origine demeurait mystérieuse. Provenait-il de ces fameux fûts ou avait-il une autre origine ?
Il est difficile, avec les informations rendues publiques, d'écrire le scénario du film des événements qui se sont déroulés dans la décharge. Il est vraisemblable que plusieurs affaires se superposent (1) perte de confinement des blocs, (2) décharge de boues au plutonium, (3) utilisation de cette décharge pour se débarrasser de la terre contaminée provenant soit de Saclay soit des accidents de transport de déchets radioactifs, (4) l'origine des europiums demeure mystérieuse, (5) on ne peut pas exclure le fait que des laboratoires mineurs sachant que cette décharge n'était guère surveillée et contrôlée, aient pu profiter de cette aubaine pour se débarrasser clandestinement de certains de leurs déchets, ce qui leur évitait des démarches administratives ennuyeuses.
c) Les réactions officielles
I. Le SCPRI :
Le 24 septembre, le Parisien publiait les niveaux de contamination
dans la décharge. Le 25, le Professeur P. Pellerin réagissait
par un communiqué de type standard : aucun problème,
braves gens, dormez tranquilles. Cependant son communiqué
comportait certains renseignements intéressants :
1. aucune indication sur la contamination du site avant 1972
2. l'état des lieux en 1974 après l'évacuation des derniers blocs a été effectué par le CEA.
Nous savons que des laboratoires de Fontenay-aux-Roses où s'effectuaient des recherches sur le plutonium et sur les problèmes posés par le retraitement du combustible irradié pour son extraction ont été "nettoyés" au milieu des années 60. Les déchets et les matériaux de ces laboratoires ont été évacués, à Saclay. Des syndicalistes délégués au CHS sont intervenus pour protester contre les conditions de travail des ouvriers portugais que le centre utilisait pour compacter et manipuler ces matériaux contaminés. Ces déchets ont-ils été stockés dans les blocs de béton fabriqués à Saclay ? L'ANDRA, l'organisme chargé du stockage des déchets, interrogée par les journalistes, confirmait la présence d'émetteurs alpha dans les fûts, la quantité totale indiquée était de 250 Curies ce qui correspond à une moyenne de 500 millions de Bq par fût et bien sûr beaucoup plus si le plutonium n'a été confiné que dans quelques blocs. Ce mode de confinement pour les émetteurs alpha est-il conforme aux conceptions actuellement admises pour la gestion des déchets à longue vie ?
Si l'activité de "nettoyage" des matériaux contaminés au plutonium a continué à Saclay après 1972, les déchets qui résultaient de ce "nettoyage" (des boues) peuvent avoir été directement déversés dans la décharge de Saint-Aubin.
3. de 1972 à 1980, le SCPRI n'a contrôlé que les eaux de ruissellement provenant de la dalle support des blocs et recueillies dans un puisard.
4. en 1972, l'eau du puisard contenait 4 000 Bq/l de tritium. Cette contamination diminuait au cours des années après l'enlèvement des blocs. On peut en déduire :
- le lessivage des fûts
entraînait du tritium,
- le tritium n'a pu disparaître du puisard qu'en pénétrant
plus profondément dans la terre jusqu'à atteindre
la nappe phréatique.
5. de 1972 à 1980, aucun détail sur la composition des radioéléments recueillis dans le puisard.
6. aucun contrôle de la radioactivité alpha n'est mentionné pour la période antérieure au 18 janvier 1990. Au fait, pourquoi avoir effectué en 1990 une recherche des émetteurs alpha alors qu'avant cette date le SCPRI supposait qu'il n'y en avait pas ? aucun prélèvement de terre n'a été analysé.
7. en février 1974, le CEA fournissait au SCPRI le niveau de contamination de la terre : 3 000 Bq/kg en césium (sans indication de la nature de l'isotope !). Comme on connaît l'habitude du SCPRI de ne publier que des moyennes, cette valeur est tout à fait compatible avec l'existence de points chauds tels qu'ils apparaissent actuellement.
8. pour 1974, le débit de dose mesuré sur la décharge par le CEA est égal à 3,5 fois le débit de dose à l'extérieur. Comme il est vraisemblable qu'il s'agit là encore d'une moyenne, cette valeur est compatible avec des points chauds produisant des débits de dose 20 fois supérieurs à l'ambiance à l'extérieur du site.
9. signalons enfin que le Professeur Pellerin affirme que le césium n'est pas un émetteur bêta. S'il exclut le césium 137 des émetteurs bêta, il est assez facile de comprendre pourquoi il indique des niveaux si bas pour les émetteurs bêta !
L'intervention de Monsieur le Professeur Pellerin a été tellement ridicule et stupide qu'il semble bien que les autorités sanitaires l'aient fourré dans un placard et décidé de ne plus l'en sortir avant sa mise à la retraite !
II. Le ministre de la Santé n'est pas intervenu dans cette affaire. On a laissé le soin au CEA (le pollueur) de convaincre la population qu'il n'y avait aucun danger pour la santé. Encore une fois, la preuve est faite que le ministre de la santé est totalement indifférent aux problèmes sanitaires qui peuvent résulter de l'industrie nucléaire. Rappelons qu'en 1986 quand l'opinion publique était inquiète de l'effet des retombées radioactives de Tchernobyl, c'est M. Madelin, le ministre de l'Industrie, qui est seul intervenu pour rassurer la population.
A quoi sert le ministre de la Santé ?
Si le SCPRI a mal géré cette affaire, c'est la responsabilité
du ministre de la Santé qui est engagée en priorité
et non pas celle d'un fonctionnaire qu'aucun ministre n'a jugé
bon de sanctionner ou de rappeler à l'ordre malgré
son comportement des plus laxistes concernant la radioprotection
de la population. Il ne faut pas oublier la responsabilité
des différents chefs du gouvernement qui ont toléré
de tels ministres de la Santé !
III. Le CEA : On a eu droit au début du scandale
à des déclarations assez étonnantes : pour
le Haut-Commissaire, Monsieur Teillac (un scientifique !), il
s'agissait de bottes dans ces fûts. En somme, il y avait
eu près de 20 000 mètres cubes de bottes !
Le chef du centre de Saclay organise avec la mairie de Saint-Aubin une journée grilles ouvertes sur la décharge pour les élus et la population. Ainsi, pour Monsieur Delpeyroux, qui a été un scientifique, si on ne voit rien sur un terrain, c'est la preuve qu'il n'y a pas de radioactivité. Pour lui, la radioactivité, cela doit se voir.
On est toujours sidéré devant les déclarations des hauts responsables, déclarations qui atteignent souvent un niveau remarquable d'incompétence.
Monsieur Delpeyroux a été sanctionné. Si, comme l'affirme un journal parisien "son honnêteté n'est contestée par personne", on peut mettre en doute sa compétence, ce qui finalement est peut-être beaucoup plus grave.
L'administrateur général, Philippe Rouvillois, a senti siffler le vent des boulets et a décidé de lâcher du lest pour sauver ce qui était sauvable à Saclay (remarquez, si la haute hiérarchie a un problème, on peut espérer que les compétences apparaîtront enfin). Bien sûr, il a tout de même affirmé que les populations ne risquaient rien, à quel titre d'ailleurs ? A-t-il vraiment dans ses fonctions la responsabilité de la protection des populations ?
A cette occasion, on a encore pu constater que la transparence laissait à désirer. C'est le journal Libération qui a publié des extraits d'un rapport destiné spécialement au ministre de l'Industrie. Ce rapport donnait la liste des sites contaminés dépendant du CEA. La direction du CEA a donc finalement dû admettre la présence de plutonium à Saint-Aubin.
Des sanctions contre certains responsables sont annoncées. La direction du centre affirme ne pas avoir été tenue au courant de ces décharges clandestines de plutonium. Cela semble bien curieux. A ce propos, nous avons trouvé tout à fait par hasard (!) dans la Revue Générale Nucléaire de mai-juin 1976, une information concernant le chef du centre de Saclay de cette époque : "Monsieur Emmanuel Grison, Directeur du Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay, Président du Comité de Rédaction de la Revue Générale Nucléaire, a été promu au grade de Commandeur dans l'Ordre National du Mérite. La SFEN (Société Française de l'Energie Nucléaire) est heureuse de lui adresser à cette occasion ses très sincères salutations". Ce numéro de la RGN est spécialement consacré aux problèmes du plutonium dans l'industrie nucléaire. "Comme c'est étrange et quelle coïncidence ! ". Monsieur Grison a été un des hauts responsables du plutonium à Fontenay-aux-Roses avant d'être nommé chef de la Division de Métallurgie dont une des activités importantes concernait les combustibles nucléaires. Il fut enfin nommé chef du Centre de Saclay. Comment croire qu'un chef de centre dont toute la carrière antérieure fut consacrée au plutonium, ne se soit pas intéressé aux déchets des services où il a travaillé ?
Un autre haut responsable du
CEA, Robert Lallement, inspecteur général du CEA,
a montré lui aussi dans ses déclarations publiques
une incompétence notoire en matière de radioprotection.
D'après le Parisien du 24 octobre 1990, il aurait
déclaré : "Attention les normes de 20 becquerels
par an concernent des travailleurs dans des laboratoires fréquentés
en permanence. Je ne crois pas que ce soit le cas à Saint-Aubin".
On a rarement accu mulé autant d'erreurs en si peu de lignes
:
(1) les 20 Bq par an sont la Limite Annuelle d'Incorporation pour
la population et non pas pour les travailleurs qui, eux, ont "droit"
à 10 fois plus,
(2) comme il s'agit d'une incorporation totale sur l'année,
cela n'a rien à voir avec un temps de séjour dans
un endroit donné. M. l'Inspecteur général
semble confondre une limite d'incorporation annuelle et une concentration
maximale admissible dans l'air. Monsieur Robert Lallement a travaillé
dans le passé à Fontenay-aux-Roses comme physicien
responsable d'un laboratoire consacré aux propriétés
du plutonium. Il a dû être un des producteurs de déchets
qui ont fini à Saint-Aubin ! Comment, avec les conceptions
qu'il nous révèle aussi naîvement, a-t-il
fait travailler les techniciens de son laboratoire ? Serait-il
indécent de demander une étude de mortalité
sur ce personnel (et bien sûr sur l'ensemble du personnel
de Fontenay-aux-Roses qui a été utilisé
dans les divers laboratoires plutonium) ? Ne serait-il pas
normal qu'un "Inspecteur Général" du CEA
s'intéresse à ce genre de question ?
Les responsables du CEA ne pouvaient plus cacher l'existence de
cette contamination par du plutonium, mais pour eux il ne s'agissait
que de "traces". Certains allèrent même
jusqu'à parler de "traces de traces". En somme,
nous ne verrions maintenant que des "traces" de ces
"traces" déchargées clandestinement il
y a quelques années. Nous verrons plus loin comment ces
soit disant traces se placent par rapport aux normes.
c) Les enseignements de Saint-Aubin
Avant d'aborder le problème du danger que la décharge
peut faire courir à la population, on doit tirer quelques
enseignements d'ordre général.
I. La culture de la sûreté
Les problèmes qui sont soulevés actuellement
quant à la sûreté de l'industrie nucléaire
sont de vieux problèmes dont on n'a pas du tout tenu compte
ni au démarrage de cette industrie ni lorsqu'il fut décidé
de la développer d'une façon massive :
(1) attitude quasi magique vis-à-vis du rayonnement, se
traduisant par une confiance aveugle et irrationnelle, non fondée
expérimentalement en l'inocuité du rayonnement,
(2) légèreté coupable de la hiérarchie
technique et administrative vis-à-vis de la sûreté,
(3) absence totale de contrôle de la part des pouvoirs publics,
sur l'activité des scientifiques, des techniciens, des
administratifs de l'industrie nucléaire. Ceux-ci bénéficièrent
de tout temps d'une liberté d'action totale.
Les révélations qui émaillèrent cette
histoire de "fûts fissurés" proviennent
d'une succession de hasards. Qu'apprendrait-on si tous les événements
de l'histoire de l'industrie nucléaire étaient totalement
dévoilés ? Le bilan de cette industrie est encore
à faire.
Le CEA a été le moteur pour la promotion de l'industrie nucléaire et le Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay était son plus beau fleuron. Nous voyons comment les responsables à tous niveaux ont envisagé notre sûreté. Si le personnel scientifique et technique avait eu le sens de ses responsabilités sociales, la situation aurait pu peut-être se rééquilibrer. C'était le sens profond de l'intervention de Grottendieck et de ses amis de "Survivre et Vivre" en avril 1972. La situation s'est encore aggravée par suite de l'indifférence de la population vis-à-vis des problèmes concernant sa santé et celle de sa descendance, jointe à l'indifférence des élus.
Ceci relève du passé
pourrait-on dire. Maintenant, on commence à prendre mieux
conscience du danger. Mais la gravité de ces dangers a
terriblement augmenté. Il suffit, pour s'en rendre compte,
de se référer à quelqu'un qu'on ne peut pas
taxer d'alarmiste professionnel, d'exhibitionniste catastrophiste,
l'Inspecteur Général de la Sûreté à
EDF (antérieurement au CEA), M. Pierre Tanguy. Dans son
rapport annuel d'activité pour 1989, il déclare
tout net que l'année 1989 a été "une
année chaude" pour EDF (en clair cela veut dire que
la population française "a eu chaud"), que le
personnel administratif et technique à tous les niveaux
hiérarchiques manque de "culture de la sûreté".
Les révélations depuis un an concernant les malfaçons,
les mauvaises conceptions, l'insuffisance des contrôles,
etc., à EDF en sont la preuve.
II. Les déchets de
l'industrie nucléaire
Le problème
du stockage des déchets se pose d'une façon aiguë
(alors que le nucléaire en tant qu'industrie n'a guère
que 20 ans d'âge). Une agence spécialisée
est chargée de la gestion de ces déchets. Le CEA
lui sert de caution et de garantie quant au sérieux de
ses conceptions. On voit clairement avec l'exemple de Saint-Aubin
et bien sûr avec celui de la décharge d'Itteville de l'usine du Bouchet, comment le CEA a envisagé
la gestion des déchets : on décharge en douce, pas
vu pas pris, travail à la va vite sans s'assurer de la
fiabilité de ses procédés de confinement.
Cela est un présage particulièrement inquiétant
pour les futurs sites de stockage définitif des déchets.
Un réexamen complet de l'activité du CEA en ce qui
concerne les déchets radioactifs doit être effectué
avant la prise de quelconque décisions irréversibles.
Les populations qui vivent près des sites retenus pour
le stockage définitif ont de réelles raisons objectives
d'être inquiètes.
a) La décharge de Saint-Aubin est-elle dangereuse ?
C'est la question qui est posée le plus fréquemment.
On exige bien sûr une réponse précise : oui
ou non. Cette façon de procéder escamote les problèmes
réels.
1. La procédure de décharge était-elle légale ou non ? Cette question met à jour le vide juridique dans lequel on se trouve à ce sujet, vide d'ailleurs qui favorise et encourage les pratiques incriminées. On ne peut se référer qu'à des textes généraux qui ne définissent pas explicitement d'une façon claire les limites dérivées directement applicables concrètement.
La réglementation adoptée par le NRPB (National Radiological Protection Board) fixe les limites de contamination de la terre à 900 Bq/kg pour le césium 137 et 1 000 Bq/kg pour le plutonium, celles-ci conduisant à une dose engagée de 0,1 rem par an (1 mSv). Quand la contamination dépasse 25 % de ces valeurs, soit 225 Bq/kg pour le Cs 137 et 250 Bq/kg pour le plutonium 239, le NRPB doit engager une enquête (NRPB GS8, august 1987).
On voit que si le NRPB avait eu à contrôler la décharge de Saint-Aubin, il aurait déclenché une enquête.
2. Il y a dans la terre de la décharge de Saint-Aubin des émetteurs alpha (plutonium et américium) qui ont été rejetés par le Centre de Saclay. D'après les arrêtés d'autorisation du rejet des effluents radioactifs des centrales électronucléaires, tout rejet d'émetteurs alpha dans l'environnement est interdit. Ce n'est certainement pas sans raison que cette contrainte a été imposée. Pourquoi ce qui ferait scandale près d'un réacteur nucléaire, devrait-il être considéré comme tout à fait normal auprès d'un centre du CEA ?
3. Dans tout ce qui a été dit à propos de la contamination de la décharge de Saint-Aubin, on a omis d'expliciter les principes qui devraient être à la base des systèmes de radioprotections tels qu'ils sont présentés dans les recommandations de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique), c'est-à-dire en particulier par certains de ses membres : le Dr. Jammet, conseiller technique auprès de la direction du CEA (M. Rouvillois lui a-t-il demandé d'expliquer les conceptions de la CIPR en matière de radioprotection ?) et aussi le Professeur P. Pellerin que le ministre de la Santé pourrait extraire temporairement du placard où il l'a enfermé afin de lui faire expliciter les conceptions de la Commission Internationale dont il fait partie et commenter les textes dont il est un des signataires !
Nous résumons succinctement ici quelques-uns des principes essentiels :
1. Toute pratique conduisant à une irradiation doit être justifiée.
2 . Toute pratique conduisant à une irradiation (ou à une contamination) doit apporter aux individus ou à la société dans son ensemble un bénéfice qui compense les détriments que subiront les personnes irradiées.
3. Les limites de dose (et par conséquent les limites dérivées concernant les contaminations) doivent être considérées comme des limites d'inacceptabilité qu'il ne faut jamais atteindre. Cette notion d'inacceptabilité est développée dans toutes les publications de la CIPR concernant les normes.
4. Les limites de dose ne doivent pas servir pour déterminer les niveaux de protection de pratiques particulières. Ceux-ci doivent être déterminés à partir du deuxième principe dans le cadre d'une analyse coût/bénéfice".
5. Il est erroné d'utiliser les limites de dose comme une frontière entre le non dangereux et le dangereux. Toute irradiation comporte un risque pour la santé.
A partir de ces principes, nous pouvons poser quelques questions préalables :
1. Le CEA peut-il justifier ses pratiques clandestines à Saint-Aubin ? Le SCPRI peut-il justifier l'absence de contrôle efficace sur le terrain de la décharge ?
2. Quel bénéfice a retiré la population (en particulier les enfants curieux qui ont pu jouer sur la décharge) de cette pratique du CEA, qui compenserait le détriment causé par la radioactivité. Les intérêts du CEA coïncident-ils par principe et sans examen possible avec les intérêts de la population locale ou ceux de la société ?
3. Avant de répondre à la question est-ce dangereux ?, il faut apporter une précision à la question : à partir de combien de morts, de combien de retards mentaux sévères, de combien de retards mentaux légers (ce sont les principaux détriments reconnus actuellement par la CIPR), dans une population donnée, jugez-vous la situation dangereuse ?
Enfin, rappelons un dernier point qui n'est guère mentionné. La législation française actuelle fixe la dose maximale admissible pour la population à 0,5 rem/an. Depuis 1985, la CIPR a fixé cette limite à 0,1 rem/an et depuis 1987 la Commission conçoit cette valeur comme une limite d'inacceptabilité qu'il ne faut jamais atteindre.
Qu'attendent Messieurs Jammet et Pellerin pour faire modifier la réglementation française pour la rendre conforme aux conceptions qu'ils recommandent d'adopter en tant que membre de la CIPR ?
b) Le plutonium
Les Directives de 1984 du Conseil des Communautés Européennes
ont fixé les limites annuelles d'incorporation (LAI), pour
les individus du public à 20 Bq/an pour le plutonium inhalé
et à 20 000 Bq/an pour le plutonium ingéré.
La réglementation française est conforme à
cette directive. Depuis 1986, la CIPR (dans sa publication 48)
a révisé à la baisse la LAI par ingestion
et l'a fixée à 2 000 Bq/an. La radiotoxicité
du plutonium, par ingestion, est ainsi déclarée
10 fois plus importante que ce qui était antérieurement
admis. Dans les nouveaux modèles dosimétriques,
le plutonium ingéré est considéré
comme beaucoup mieux absorbé par le Tractus Gastro-Intestinal
que ce qu'on admettait il y a quelques années. La fraction
du plutonium absorbé passe de 1 pour 10 000 à 1
pour 1 000. Pour les nourrissons, la fixation est plus importante
et il est recommandé de prendre pour la fraction du plutonium
absorbé 1 pour 100. La CIPR admet que 80 % du plutonium
qui atteint le flux sanguin se fixent sur le foie et les os. La
souillure d'une blessure par de la terre contaminée par
du plutonium sera assez grave car le plutonium peut être
transféré directement dans le sang. C'est ce qu'il
faudrait envisager dans le cas où des enfants jouant sur
la décharge s'y blesseraient.
Rappelons que pour la réglementation anglaise, la norme concernant le plutonium pour un sol bien mélangé et supposé contaminé d'une façon homogène sur 30 cm de profondeur est de 1 000 Bq/kg.
Tous les problèmes concernant le métabolisme du plutonium sont loin d'être complètement résolus. Ainsi on ignore toujours comment se fait le mécanisme des dépôts osseux. L'estimation de la radiotoxicité du plutonium a constamment été, dans le passé, révisée à la hausse. Des études sont actuellement en cours pour déterminer l'influence de la forme chimique sous laquelle se présente le plutonium sur le facteur d'absorption. Ainsi, nous pouvons lire dans le rapport annuel d'activité pour 1989 de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN-CEA) au chapitre Exposition interne-modélisation" (page 16) le passage suivant consacré à l'Absorption gastro-intestinale des actinides" : Des résultats provenant d'expérimentations limitées ont attiré l'attention des experts de la Commission Internationale de Protection Radiologique sur le transfert digestif relativement élevé du plutonium à l'état de Valence 5 ou 6, qui est l'état où se trouve cet élément dans l'environnement (par exemple dans les grands lacs américains) et dans les eaux de boisson traitées au chlore en particulier. Une exposition chronique d'animaux à cette contamination a confirmé que le transfert était plus élevé qu'avec les autres formes mais le coefficient de 10-3 actuellement proposé pour les besoins de la protection couvre ce phénomène. Cependant, une rétention importante au niveau des dents a été observée, représentant jusqu'à 95 % de la charge corporelle totale. Le risque que pourrait apporter ce dépôt au niveau de la cavité buccale reste à préciser" (souligné par nous).
Certains spécialistes en radioprotection ont critiqué depuis très longtemps les modèles utilisés par la CIPR pour estimer la radiotoxicité du plutonium. Ainsi, Karl Z. Morgan (qui fut le président d'une des commissions de la CIPR) a publié dans l'American Industrial Hygiene Association Journal" d'août 1975 une revue critique sur la modélisation du métabolisme du plutonium : "Suggestions pour la réduction de la contamination admissible par le plutonium et autres éléments transuraniens". Il concluait le sommaire de son article par : certaines études récentes suggèrent que la charge maximum admissible pour le corps, fondée sur les os comme organe critique, devrait être réduite au moins d'un facteur 200".
Le problème de la radiotoxicité du plutonium est loin d'être définitivement réglé et personne ne peut affirmer actuellement que le plutonium ne sera pas dans quelques années, considéré comme beaucoup plus dangereux que ce qui est admis aujourd'hui. Il y aurait lieu d'être extrêmement prudent pour des pratiques qui engagent l'avenir de la santé des populations.
Il ne faudrait pas que le plutonium à Saint-Aubin escamote les problèmes posés par les autres radionucléides (le césium en particulier).
ANNEXE
A propos des normes et du plutonium
De nombreuses erreurs ont été répercutées
dans la presse, au sujet des normes recommandées par la
Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) en
ce qui concerne le plutonium. Celles-ci sont complexes et en pleine
évolution. Nous nous bornerons à l'essentiel.
Les normes pour le public indiquées par la presse découlent de celles recommandées par la CIPR dans sa publication n°30 en 1978 et qui concernent les travailleurs. Celles du public sont 10 fois plus basses : les Limites Annuelles d'incorporation (LAI) sont pour Pu 239 :
LAI par ingestion, 20 000 Bq
(à l'exclusion des oxydes et hydroxydes)
LAI par inhalation, 20 Bq (à l'exclusion de Pu 02).
Ce sont ces LAI qui ont été adoptées par les Communautés Européennes en 1984 (J.O. L265, 5 octobre 1984) et qui sont légales en France.
Depuis 1978, il y a eu de nombreuses
modifications :
1) Les périodes de rétention dans le squelette et
le foie qui étaient respectivement de 100 ans et 40 ans
ont été diminuées de moitié (rappelons
que la dose organe la plus élevée est celle atteinte
par la surface des os, tant par ingestion que par inhalation).
2) La fraction absorbée par le Tractus Gastro-Intestinal f1 est passée de 10-4 à 10-3, ce qui multiplie par 10 le risque par ingestion. Pour les nourrissons avant sevrage, il serait de 10-2 (le risque est multiplié par 100 pour la première année).
Dans sa publication n°48 adoptée en avril 1986, il résulte que la LAI par inhalation est inchangée, 20 Bq, car le transfert du plutonium dans le flux sanguin via le tractus gastro-intestinal est faible par rapport à celui via les poumons.
La LAI par ingestion est de 2 000 Bq au lieu de 20 000 Bq quand la nature du composé n'est pas connue ou dans le cas de mélanges.
3) Depuis 1985, la CIPR recommande
une limite principale annuelle d'équivalent de dose efficace
de 1 mSv (0,1 rem) et non plus de 5 mSv (0,5 rem). Ceci n'avait
pas encore été pris en compte dans les recommandations
de la CIPR 48 d'avril 1986 qui devraient être modifiées
en conséquence.
De nombreuses inconnues subsistent ; entre autres il est indiqué
que "pour des raisons qui ne sont pas comprises, la partition
du plutonium entre le foie et le squelette varie selon les individus"...
Dans le cas des enfants et des nourrissons "la proportion
est probablement différente de celle des adultes par suite
des différences dans le métabolisme".
Le passage d'une limite de
0,5 rem/an à 0,1 rem/an devrait réduire les LAI
d'un facteur 5. Comme en même temps on procède à
des changements dans le modèle représentatif du
métabolisme du plutonium, le facteur de réduction est plus
faible.
II. Et le césium ?
A Saint-Aubin, il n'y a pas que le plutonium. Les quantités
de césium 137 mesurées aujourd'hui sont considérables.
Ici, le risque provient essentiellement de l'irradiation externe.
En faisant l'hypothèse que le césium se situe dans les trois premiers centimètres du sol et avec une densité de terre de 1,5, il correspond une activité surfacique de 320 000 Bq/M2 (environ 9 Ci/km2, du même ordre de grandeur que celle trouvée aujourd'hui dans les zones sous contrôle périodique de Biélorussie et d'Ukraine !).
320 000 Bq/M2 correspond une irradiation externe de 0,45 rem avec les modèles utilisés par le NRPB. Une urbanisation sur ce sol ? Le modèle de l'UNSCEAR pour "l'homme standard" considère qu'il passe 20 % de son temps dehors et que les maisons assurent un écrantage de 20 %, conduit à une dose annuelle de 0,162 rem ! près de 2 fois la limite d'inacceptabilité recommandée par le CIPR. Dans le cas du Cs 137, on doit aussi tenir compte de la contamination interne par les aliments. Il serait peut-être utile d'avertir les amateurs de champignons, nombreux à l'Orme des Merisiers...
La Gazette Nucléaire n°105/106, janvier 1991.