Deux milliards d'années avant l'homme, la nature a inventé les réacteurs nucléaires. En 1972, un technicien du Commissariat à l'énergie atomique découvre par hasard en analysant un morceau d'uranium extrait de la mine d'Oklo, dans le sud-est du Gabon, qu'un nombre important de neutrons a disparu, preuve qu'il y a eu fission. Les investigations menées sur place mettent au jour un phénomène géologique unique dans l'histoire de la Terre seize réacteurs nucléaires naturels fossiles. Oklo doit son existence à une forte concentration en uranium, équivalente à celle que l'on trouve dans les centrales nucléaire d'EDF, conjuguée à la présence d'eau qui a permis d'attiser la réaction. Lorsque l'intensité des fissions augmentait, la température s'élevait, faisant s'évaporer l'eau, ce qui étouffait l'emballement. Puis la température baissait, la densité de l'eau augmentait de nouveau, et ainsi de suite, durant plus de 100 000 ans, peut-être 800 000 ans les fissions nucléaires en chaîne se sont ainsi auto-entretenues...
"L'isotope 235 a une décroissance
radioactive plus rapide que le 238 (sa demi-vie est de 0,7 au
lieu de 4,5 milliards d'années), de sorte que la teneur
de l'uranium naturel en noyaux fissiles (235) était plus
élevée aux âges géologiques très
anciens. Il était donc possible que se forme un réacteur
naturel. C'est bien ce qui est arrivé à Oklo,
au Gabon, il y a quelque 2 milliards d'années: le hasard
géologique a réuni une forte densité d'uranium
riche en isotope 235 avec ce qu'il fallait d'eau pour servir de
ralentisseur. D'où une réaction en chaîne
spontanée, qui a intéressé quelque 800 tonnes
d'uranium [...]. C'est la teneur anormalement faible en uranium
235 du minerai reçu du Gabon par le CEA qui a fait découvrir
cet étrange pot aux roses: un réacteur fossile !
(Cf. Roger Naudet, Revue générale nucléaire,
n° 1, février-mars 1975, pp. 45 à 50.)
Il n'est donc pas tout à fait exact de dire que le plutonium
est un corps entièrement artificiel, qui n'existe pas dans
la nature. Le réacteur spontané d'Oklo a bel et
bien produit du plutonium (comme un vulgaire LWR), mais qui a
fini, à la longue, par disparaître du seul fait de
sa radioactivité: la demi-vie du plutonium, étant
de 24 000 ans, il n'en reste au bout de 2 milliards d'années
qu'un millionième de milliardième de milliardième.
Le CEA et l'EDF tirent argument de la remarquable stabilité
des résidus d'Oklo (le plutonium ne s'est pas dispersé,
ses « descendants » sont restés intégralement
en place) pour rassurer les contestataires quant aux risques du stockage à très
long terme. L'argument ne pèse pas lourd: l'unique
cas d'Oklo ne constitue pas un échantillon statistique
à soi seul, et rien ne permet d'affirmer que le plutonium
ne se disperserait pas dans des conditions géologiques
moins stables (infiltrations d'eau, mouvements techtoniques...)."
Extrait du livre "La babel nucléaire" de Louis Puiseux, Editions Galilée, 1977.