Le K129, un sous-marin diesel lanceur d'engins a sombré le 8 mars 1968 dans le Pacifique. Il a coulé à grande profondeur, 5000 mètres, mais ce qui fait son intérêt, c'est qu'il n'a pas été renfloué par les Soviétiques...
"Le K129, commandé par le capitaine de vaisseau Vladimir Kobzar, desservi par plus de 100 hommes et armé de trois missiles balistiques avait appareillé le 24 février 1968 pour patrouiller dans le Pacifique. Il a disparu subitement, entraînant une réaction de « black out » immédiat des autorités soviétiques. La presse, comme toujours, était frappée de mutisme. Il était même interdit aux officiers de la flotte du pacifique de débattre du sujet.
Parallèlement, l'état major déployait
une opération de recherche d'une envergure et d'un secret
sans précédent, avec la participation de dizaines
de bâtiments de guerre, de navire marchands, de chalutiers,
d'avions et d'hélicoptères. L'opération a
duré trois mois, de mars à mai 1968 sans résultat.
Le sous-marin semblait volatilisé. Les chercheurs n'ont
pas trouvé la moindre trace de naufrage. La commission
d'enquête a conclu à la disparition du K129.
Les familles des sous-mariniers ont été informées
de leur mort et une stèle a été inauguré
dans la base navale, point final.
Pas pour tout le monde. L'explosion provoquée par la destruction
de la coque du sous-marin en profondeur avait été
perçue par les systèmes d'observation acoustique
de l'US Navy. Ils avaient enregistré le naufrage du K129
au large de l'île de Guam. Un satellite espion américain
l'avait même photographié. Les commandements de l'US
Navy et de la CIA possédaient des renseignements précis
sur le lieu de la catastrophe : 40°00' de latitude Nord
et 180°00' de longitude Est.
Parmi les causes possibles du naufrage du K129, sa collision avec un sous-marin de filature américain n'est pas à rejeter. Il pourrait s'agir du Sword Fish (du même type que le Skate) qui, trois jours après la disparition du navire soviétique est arrivé à la base de Yokosuka (Japon) avec une déformation à la baignoire (partie supérieure du roof). Si cette hypothèse est la bonne, les Américains ne pouvaient évidemment pas ignorer les coordonnées du naufrage. Le caractère probable de cette version a été confirmé en 1982 quand un sous-marin américain est entré en collision avec un SMLE soviétique dans la mer de Barents. Les deux citernes de ballast principal et l'hélice droite du submersible russe ont été détruites alors que le navire américain n'avait pour tout dégât que des éraflures sur le chapeau du kiosque.
[Le mystère entourant le sous-marin coulé a suscité nombre de livres sur les différents aspects de l'affaire du K129 et sur le projet Jennifer. Les efforts complexes de la CIA pour garder les détails secrets ont augmenté l'intérêt pour l'histoire, même si beaucoup de choses ont déjà été écrites par des auteurs, des journalistes et des historiens reposant, au moins en partie, sur la version donnée par la CIA. Le projet Jennifer a été tellement enveloppé de secret, de désinformation, de propagande officielle et de mensonges absolus que, même aujourd'hui, des années après le naufrage du K129, des douzaines de versions largement différentes de l'histoire persistent, une des plus "intéressantes" (car basée sur les archives soviétiques brièvement accessibles sous Eltsine avant de se refermer) est fournie par: "K-129 : Une bombe atomique sur Pearl Harbor ?" de Kenneth Sewell et Clint Richmond. Selon cette version: "Ce que les archives révèlent, c'est qu'en réalité le navire a coulé en essayant de lancer un de ses terribles missiles nucléaires sur la base navale US de Pearl Harbor. De plus, lorsque les Américains ont remonté les restes du K-129 à la surface, il ont constaté que le bâtiment soviétique était déguisé en sous-marin chinois... les auteurs affirment que l'opération était préméditée (par les "durs" du KGB), et non le fait d'un commandant dévoyé, et que le but de l'opération était de déclencher une guerre entre les USA et la Chine."(La Chine était devenue l'ennemie prioritaire pour une des fractions stalinienne du pouvoir soviétique à l'époque de Brejnev.) Voir aussi le documentaire de Jane Armstrong "Les sous-marins nucléaires, fantômes des mers" Youtube, 52 mn, basse définition (il y a une confusion sur K-159 au lieu de K-129).
En juin 1968, après s'être assurés
que les services de sauvetage soviétiques avaient abandonné
les recherches, l'US Navy et la CIA ont entrepris une opération
secrète de recherche et de renflouement du K129 qui reçut
un nom de code « Opération Clémentine ».
L'intérêt de ce sauvetage sautait aux yeux. C'était
une occasion unique de récupérer un SMLE soviétique
complet, des missiles balistiques, et d'avoir accès aux
différents codes de liaison.
Le sous-marin fut repéré par un navire laboratoire
à une profondeur de 5000 mètres sur un sol pierreux.
Au grand étonnement des Américains, le submersible
ne semblait pas avoir beaucoup souffert de l'explosion, de la
chute à grande profondeur et du choc en touchant le sol.
Les premières photographies donnaient l'impression que,
d'un moment à un autre, les propulseurs pouvaient se remettre
en marche, les gouvernails bouger et le sous-marin avancer.
La construction d'un énorme engin doté de pinces
hydrauliques pour saisir le sous-marin, d'un bateau base pour
le renflouement et la formation du personnel nécessaire
ont pris plus de six ans. Pendant quelques années, trois
personnes seulement connaissaient le but de ces préparatifs :
le président Nixon, William Colby, directeur de la CIA,
et le milliardaire Howard Hughes, qui finançait les travaux.
Le coût de l'« Opération Clémentine »
a dépassé 500 millions de dollars.
Le renflouement, à l'aide du navire de recherche Misard,
du bateau d'assistance Glomar Explorer et d'une péniche
a commencé en mai 1974 pour se terminer en août.
Selon certains témoignages, la coque du sous-marin se serait
cassée en arrivant à la surface et la poupe aurait
replongé. D'après d'autres informations, le submersible,
brisé en trois morceaux, aurait été récupéré.
Les informations concernant l'enterrement de l'équipage
sont tout aussi contradictoires. Au moment de la catastrophe,
la majorité des marins se trouvait dans les deux compartiments
avant. Ils regardaient un film ou tenaient une réunion.
Selon les affirmations d'un participant au renflouement, « ils
paraissaient tous noyés depuis peu ». Certains
disent que les corps des deux tiers de l'équipage auraient
été retrouvés, d'autres ne parlent que de
huit sous-mariniers. Selon une source, les morts auraient été
immergés dans l'océan après une messe funèbre
en russe et en anglais, des salves de deuil et l'hymne soviétique.
D'après d'autres, les cadavres ont été ramenés
sur le territoire américain où ils ont reçu
une sépulture.
Quoi qu'il en soit, le sous-marin soviétique a bel et bien
été renfloué par les Américains. Alors
que le monde entier parlait de cette opération grandiose
par son ampleur et par sa complexité technique, la presse
soviétique n'en a pas soufflé mot. Cette réaction
purement brejnévienne est scandaleuse non seulement parce
que le pays donnait l'impression de renier des citoyens qu'il
avait envoyés protéger sa sécurité,
mais aussi parce qu'une
simple information des autorités soviétiques dans
le bulletin international Avis de navigateur avec indication
de coordonnées même approximatives du navire échoué
aurait empêché qu'un autre pays s'arroge le droit
de le renflouer. En l'absence de cette notification, quiconque
peut s'approprier les biens qu'il trouve en mer.
Ce naufrage n'ayant jamais été reconnu officiellement,
la mort des sous-mariniers (59 hommes, dont 10 officiers) n'a
jamais été enregistrée officiellement en
URSS. Cette mission de patrouille avait été organisée
dans une hâte extrême. Certains officiers avaient
été rappelés de congé, d'autres avaient
été affectés sur le K129 in extremis. Résultat :
la liste du personnel n'a pas été légalisée
et les familles des morts n'ont jamais pu recevoir la moindre
pension.
George Kissiker, sous-marinier américain du Tresher, avait dit à sa femme peu avant la sortie en mer qui devait être fatale à son sous-marin : « Je crains, chérie, que cette mission ne soit pour moi la dernière. J'ai l'impression que dans une semaine tu seras une veuve riche. » Aucun sous-marinier soviétique n'a jamais pu dire la même chose, car la pension payée aux familles des morts en service commandé est ridicule.
Après le naufrage du K129, les inspections se sont succédé à un rythme effréné et, comme d'habitude, l'enquête n'a donné aucun résultat, chacun s'employant à faire retomber la responsabilité sur les autres. Cela s'avérait d'autant plus facile, pour le K129, que le commandant du submersible était mort.
Une fois de plus, il était clair que
les raisons de ce naufrage étaient imputables à
tout le système. Mais la reconnaissance d'un tel fait était
inconcevable. Aussi, pour dissimuler aux yeux du monde la faillite
du pays, les autorités soviétiques ont appelé
à la rescousse leur sempiternel bouc émissaire :
« les manigances impérialistes ».
Le ministère des Affaires étrangères de l'URSS
a adressé une note au Département d'État
américain l'accusant d'avoir enfreint le droit international
de la mer (le renflouement d'un navire étranger) et d'avoir
profané la fosse commune des marins morts. Comme nous venons
de le voir, aucune de ces assertions n'était fondée."
Extrait de "La
dramatique histoire des sous-marins nucléaires soviétiques",
Lev Giltsov - Nicolaï Mormoul - Leonid Ossipenko, 1992.
Lire:
- "Le sous-marin repêché par - 5 000 m", (en PDF), Science et Vie n°920, mai 1994.
- "Comment voler un sous-marin par 5 000 m de fond", (en PDF), Science et Vie n°693, juin 1975.