Si la toxicité chimique de luranium
est bien reconnue, sa radiotoxicité a toujours été
minimisée, voire niée, afin de permettre le développement
de lindustrie nucléaire civile et militaire.
Les mineurs duranium, les travailleurs sur uranium, le stockage
de 199 000 tonnes doxyde duranium appauvri
en Limousin, vous connaissez ?
Syndrome des Balkans : dans tous les pays européens ayant envoyé des militaires dans lex-Yougoslavie des soldats sont malades. Il y a ceux de retour de Bosnie qui sont morts, entre autres causes, de leucémies et maintenant cest ceux revenus du Kosovo qui sont atteints. Les officiels ont nié : ce nest pas dû aux armes utilisées à base duranium appauvri. Puis Le Monde des 7-8 janvier 2001 titre " Les Nations Unies confirment la contamination de sites bombardés par lOTAN au Kosovo ". Ce qui veut dire que des soldats ont bel et bien pu être contaminés là-bas et que les Kosovars exilés sont retournés vivre dans un pays contaminé
Quel métal formidable luranium, dur, de densité 19, bien plus élevée que celle du plomb et qui fond à 1130 degrés. Ce sont les obus à uranium appauvri, capables de transpercer le blindage des chars serbes qui sont responsables de cette contamination. La température atteinte lors de limpact de la flèche en uranium sur le char est si élevée quelle fait fondre et même vaporiser luranium avec pour résultat, en plus des débris, un nuage de poussières radioactives doxydes duranium. Il a été tiré près de 50 000 obus par les forces américaine et britannique. La France, elle aussi, est équipée de telles munitions, elle fabrique des flèches en uranium appauvri dans des usines spécialisées et des essais de tirs ont été effectués, 2000 à Gramat (Lot) et 1400 à Bourges (Cher). Mais, une chance, comme pour nos avions qui étaient incapables de voler de nuit lors de la guerre du Golfe ou comme pour le superbe porte-avion Charles de Gaulle qui ne porte que des avatars de conception, nos militaires ont peut-être été incapables de les utiliser ? (Il nempêche que contrairement à Gramat où les tirs ont lieu en enceinte confinée, les 1400 tirs dessais de Bourges ont eu lieu en plein air, et il serait bon de regarder un peu ce qui se passe aux alentours).
Une première constatation simpose : volte-face, tous les gouvernements occidentaux (ou presque) impliqués dans lOTAN sindignent de lutilisation de cette arme toxique par les américains. Les militaires de ces pays sont-ils incompétents au point dignorer quune telle arme était opérationnelle ? Étaient-ils incompétents (et aveugles) au point de ne pas voir quun char " traité " par un obus à uranium navait pas la même allure quun char détruit dune façon plus traditionnelle ? Largument dincompétence est peut-être recevable mais le silence et lindifférence sont plus plausibles et les récriminations actuelles de tous ces officiels est pure hypocrisie. A louest rien de nouveau
De plus, ce nest que maintenant quon sapercevrait que luranium appauvri est à la fois un toxique chimique et un toxique radioactif ? Insistons sur le fait que le mot appauvri nappauvrit pas grand chose par rapport à la toxicité chimique et à la radiotoxicité. Que luranium soit naturel, quil soit enrichi ou appauvri (en uranium 235, le seul qui soit fissile), ce qui compte essentiellement par sa présence majoritaire cest luranium 238 quil soit sous la forme métal ou sous la forme doxydes ou de tout autre composé chimique. Et cet uranium, on sait depuis longtemps quen plus dêtre un toxique chimique qui attaque les reins et nécrose les artères cest aussi un radiotoxique cancérigène.
On devrait les connaître en France ses propriétés cancérigènes, puisquon a eu le " privilège " dexploiter des mines duranium (le Limousin, la Vendée, lHérault, Le Forez). Les études épidémiologiques sur les mineurs duranium faites dans de nombreux pays montrent nettement que les mineurs duranium meurent beaucoup de cancers (et aussi de leucémie). Désormais notre soi-disant " indépendance énergétique " due au nucléaire vient des mines africaines (du Niger etc) et canadiennes (dans le Saskatchewan), propriétés de notre COGEMA. Ce sont les autochtones de ces pays qui meurent aujourdhui pour notre " indépendance énergétique " dans lindifférence des experts, des médias, des ONG
Il est vrai quon ne peut pas comparer les mineurs duranium et les soldats dans les Balkans. Les conditions dirradiation sont très différentes, avec une situation dexposition chronique dun côté et une exposition qui a pu être aiguë de lautre. Les mineurs extrayant le minerai jour après jour (en Limousin les filons renferment en moyenne 1,7 gramme duranium par kilo de minerai), exposés à toutes les poussières du minerai, les poussières radioactives avec tous les descendants séculaires de luranium naturel, dont le gaz radon. Les soldats envoyés sur le terrain peu après limpact de lobus sur la cible, exposés à lirradiation de poussières à uranium, constituées essentiellement doxydes duranium appauvri, quils ont pu inhaler et ingérer.
Mais contrairement à ce qui sest dit dans les médias, ces poussières némettent pas quune radioactivité alpha, ce qui serait le cas sil sagissait doxydes du seul isotope 238 de luranium. Sil est vrai quune particule alpha est arrêtée dans lair après un parcours de 3 cm elle devient redoutable quand elle est émise par une poussière inhalée dans les poumons car elle irradie très fort les tissus pulmonaires autour delle en leur cédant toute son énergie. Ce nest pas le seul effet car on na pas que de loxyde duranium avec de luranium 238 pur. En effet, lorsquon élabore le lingot de métal uranium 238 pur, il ne reste pur que peu de temps. Assez rapidement luranium 238 va être en quasi équilibre radioactif avec ses descendants à vie courte, le thorium 234 et le protactinium 234. Lactivité initiale est pratiquement multipliée par un facteur 3 par laddition de ces deux descendants à vie courte qui sont des émetteurs bêta-gamma. On doit aussi rajouter lactivité du thorium 231, lui aussi émetteur bêta-gamma, qui provient de la désintégration de luranium 235 toujours présent en faible quantité dans les uraniums appauvris. Cest à cause de ces rayonnements bêta-gamma quon peut, en promenant un détecteur sur un terrain, voir sil est ou non contaminé quand les poussières sont déposées sur le sol.
Ainsi on peut inhaler ces poussières renfermant un cocktail de plusieurs radionucléides, qui se fixent dans les poumons puis passent progressivement dans le sang et le tractus gastro-intestinal mais irradiant le foie, se fixant dans les ganglions lymphatiques, sur les surfaces osseuses et irradiant la moelle osseuse pouvant être à lorigine de leucémies et de cancers radioinduits sur les autres organes.
Il ny a donc aucune raison davancer lhypothèse que les leucémies observées ne soient pas radioinduites. Si ces leucémies sont radioinduites par les obus à uranium appauvri, il faut sattendre à ce que dans les 10 ou 20 années à venir on observe une augmentation non négligeable de tumeurs cancéreuses solides en bien plus grand nombre que les leucémies.
Lélimination par le poumon des poussières avant passage dans le sang est régie par leur " période de rétention " dans le poumon qui est fonction de leur nature chimique et de leur solubilité [1]. De quels oxydes duranium sagit-il, quelle est la taille des poussières et leur solubilité ? Nous navons pas vu dinformations à ce sujet, quil sagisse des journaux peu sensibles à ces problèmes ou de rapports scientifiques émanant de nos responsables en radioprotection, civils ou militaires. Il sagit vraisemblablement des composés les plus insolubles, (sesquioxyde duranium, dioxyde duranium) ceux pour lesquels la Limite Annuelle dIncorporation par inhalation est la plus faible : pour un adulte elle est de 125 becquerels. Pour un enfant la valeur est encore plus basse, la radiotoxicité est bien plus grande pour les enfants que pour les adultes. Il serait nécessaire de délimiter rapidement au Kosovo, les zones contaminées pour interdire leur accès à la population. Il faudrait aussi assurer leur suivi médical.
Les autorités officielles ont toujours sous-estimé leffet nocif et cancérigène de luranium et de ses composés. Soulignons que les mines duranium françaises ont démarré en 1949. Ce nest que dans les années 80 quune étude épidémiologique sur les mineurs duranium a été lancée (très tardivement par rapport à ce qui sest fait dans dautres pays). Les premières publications conjointes COGEMA/CEA montraient nettement un excès de mortalité par cancers (poumon et larynx, os etc.), par leucémies, excès qui augmentait rapidement avec la durée du suivi [2]. Voilà qui a dû inquiéter la COGEMA et lInstitut de Protection et de sûreté nucléaire (IPSN) du CEA. Assez curieusement le nom dun des auteurs de létude a disparu des publications ultérieures et les nouveaux " responsables " ont arrêté le bilan de mortalité au 31 décembre 1985, même pour les articles parus en 1993 [3]. Personne na bronché, aucun syndicaliste des mines, aucun médecin, aucun journaliste. Que les mineurs duranium meurent de cancers radioinduits ce nest pas un sujet " porteur ", par contre cela pourrait porter atteinte au prestige du nucléaire civil, qui ne tue personne nous répète-t-on..
Au CEA on sait bien que les travailleurs de lusine du Bouchet située non loin de Saclay, là où les murs des laboratoires étaient devenus jaune-orange comme le fameux yellow cake dont on extrait luranium métal, nétaient pas en très bonne forme physique et quil y a eu des difficultés pour les recaser dans dautres établissements quand lusine a fermé en 1971. Il y a même eu une grève au CEA contre leurs licenciements ! Certains semblent lavoir oublié. Quant aux travailleurs de Saclay du Service de Technologie, là où sélaborait et sétudiait luranium métal, une étude sur un groupe assez homogène de 121 travailleurs commanditée par la CFDT a montré que la mortalité par cancer était anormalement élevée et les résultats ont été exposés au Comité Hygiène et Sécurité [4]. On a dailleurs pu voir de près comment les épidémiologistes de lIPSN, eux, ont réussi à ne rien trouver danormal en utilisant un biais archi simple et grossier : gonfler la cohorte par des agents nayant pas travaillé dans les mêmes conditions, ni pendant la même durée. Ceci rendait la cohorte totalement inhomogène et incohérente ce qui est contraire à un des principes fondamentaux des études épidémiologiques. Le résultat était évident : en diluant ainsi le groupe à risque, tout redevenait normal.
Si luranium appauvri des obus devient dangereux lors de limpact sur le blindage des chars parce quil se transforme en oxyde duranium appauvri pourquoi autoriser la COGEMA à stocker 199 900 tonnes doxyde duranium appauvri à Bessines dans le Limousin ! Cet oxyde devait dabord être stocké à Miramas. Un rapport officiel de lenquête publique de Miramas montrait que si un avion se crashait sur le site avec inflammation du kérosène, avec un vent dune vitesse donnée etc. les particules doxydes dispersaient une radioactivité telle que le limite annuelle dincorporation était atteinte très rapidement même loin du site [5].
A cette occasion nous avons découvert que la COGEMA ne tenait pas à ce que ce site de stockage de Bessines soit catalogué comme INB (Installation nucléaire de base). Cela aurait compliqué les démarches administratives (obligation de fournir des études de sûreté) et surtout cela aurait risqué de porter atteinte à la Région (quil sagisse du tourisme, ou de lexportation dans le monde entier dembryons de vaches limousines, spécialité dune installation située non loin du site). Ainsi pour que son projet soit plus présentable la COGEMA a convaincu les ministères de lindustrie et de lenvironnement de demander au Conseil dÉtat la façon dont il fallait interpréter certaines phrases dun décret que des experts de ces mêmes ministères avaient rédigé quelque temps auparavant ! Le Conseil dÉtat était formel : pour calculer lactivité " officielle " du projet COGEMA il ne fallait tenir compte que des " têtes de série ", ne pas tenir compte des descendants à vie courte, (les émetteurs bêta-gamma décrits précédemment) alors quils sont inévitablement présents dans un stock duranium appauvri, ce qui revenait à réduire le nombre de milliers de térabecquerels du stockage prévu en divisant lactivité totale par un facteur voisin de 3. Le préfet et ses conseillers ont eu les mains libres et pourtant, pour la première fois en France, la commission denquête publique avait émis un avis défavorable au projet. Le Préfet, grand ponte en la matière a passé outre et tout sest passé en douceur.
Avec cette immixtion du Conseil dÉtat on a une grande première : sur un sujet scientifique parfaitement connu, sans divergences entre experts, ce sont les conseillers dÉtat qui ont " interprété " et modulé à la convenance de COGEMA les lois de la physique en définissant un nouvel uranium administratif, totalement virtuel ce qui a donné complète satisfaction à la COGEMA et aux élus de la Région et au Préfet sans tenir compte ni de la réalité scientifique du problème ni de lopinion des citoyens.
Ce nest pas tout. Quand on examine de près les problèmes posés par la radiotoxicité de luranium et la législation correspondante on trouve une réglementation tout à fait irrationnelle. La radiotoxicité de luranium, quil soit naturel, enrichi ou appauvri, est volontairement minimisée par les responsables officiels. Ceci a permis de ne pas pénaliser la COGEMA, les mines duranium et les diverses installations liées au traitement du minerai tant quelles étaient en activité gràce à une gestion douce, et désormais, après leur fermeture, déviter les problèmes que pourrait soulever limpossibilité de gérer dune façon satisfaisante pour les populations les sites contaminés quelle a laissés derrière elle [6]. (Il serait nécessaire de condamner les zones contaminées par lexploitation minière en Limousin).
Il est normal que les médias sintéressent au sort des troupes qui ont opéré en Bosnie et au Kosovo. Ce qui nous stupéfie cest le réveil subit et général des médias mettant en cause la toxicité de luranium parce que des soldats meurent. Cest un sujet devenu " accrocheur " alors que les médias ne se préoccupent pas du sort des populations civiles. Ni des mineurs duranium qui meurent en silence et dans lindifférence générale, ni de ceux qui, en Afrique et au Canada nous fournissent notre uranium " indépendant " comme si on avait reconquis nos colonies, ni en général des maladies professionnelles des travailleurs quil est si difficile de faire accepter par la sécurité sociale, pas seulement de ceux qui travaillent dans le nucléaire, mais de tous ceux qui se trouvent en contact avec des radiations par exposition externe ou interne (services hospitaliers, ouvriers de chantiers où sont effectuées des gammagraphies, etc.).
Bannissons les munitions à base doxyde duranium appauvri partout et commençons par celles fabriquées en France car cest de notre responsabilité. Mais ne laissons pas Cogéma mettre en place son stockage de 199 900 tonnes doxyde duranium appauvri, elle qui a montré son " savoir faire " déplorable en Limousin.
Bella et Roger Belbéoch, 12 janvier 2001.
[1] Roger Belbéoch, Comparaison de la radiotoxicité de luranium, du plutonium et du thorium, Gazette Nucléaire 129/130, décembre 1993.
[2] Roger Belbéoch, Les risques de cancer chez les mineurs d'uranium français. Analyse des dernières publications des experts du CEA, Colloque Uranium, Limoges 6 novembre 1993 Gazette Nucléaire 129/130, décembre 1993
[3] M. Tirmarche, A. Raphalen, F. Allin, J. Chameaud, P. Bredon Mortality of a cohort of French Uranium Miners exposed to relatively low radon concentrations Br. J. Cancer (1993), 67, p.1090-1097
[4] F. Papezyk et R. Belbéoch, Étude du facteur de risque cancérigène sur un groupe de travailleurs du Centre détudes nucléaires de Saclay ayant travaillé sur uranium. Complément au rapport de mars 1986, exposé devant le CHS de Saclay le 19 mars 1992.
[5] Roger Belbéoch, Commentaires sur le dossier Cogema pour lenquête publique du projet dentreposage à Bessines de sesquioxyde duranium appauvri, Gazette Nucléaire 141/142 (avril 1995). Gazette Nucléaire 129/130 (décembre 1993)
[6] Thierry Lamireau, Uranium en Limousin, film ayant obtenu le Prix du Ministère de lEnvironnement, Festival euro-régional du film denvironnement, Roubaix, mars 1995. Nominé au 11ème festival international du film scientifique, Palaiseau, 1995.