Au moment du bombardement atomique, elle
avait 13 ans. Elle était dans un lycée de fille,
en 2ème année et se trouvait à l'école
pour le rassemblement du matin, à 1,3 Km de l'hypocentre.
Je voudrais commencer par vous raconter
la vie pendant la guerre.
Vers 1943-1944, la guerre est devenue de plus en plus terrible.
Nous étions affamés car il n'y avait presque plus
de nourriture. A cette époque on ne pouvait plus acheter
de riz sans tickets de rationnement. Comme nous manquions de riz,
l'aliment principal, nous avons commencé à mélanger
de la patate douce, de la farine, du blé et du soja. Les
rations alimentaires arrivaient souvent avec du retard, et nous
avions tout le temps faim. En 1944, on ne pouvait ni trouver ni
goûter des sucreries comme les bonbons.
Les attaques aériennes s'intensifiaient et les grandes
villes comme Tokyo, Osaka, Kobe étaient devenues des cibles.
Hiroshima était une ville de garnison importante, plusieurs
régiments y stationnaient mais elle n'avait pas encore
été attaquée avant le 6 août 1945.
Malgré cela, l'évacuation des écoliers vers
la campagne avait commencé en prévision d'attaques
aériennes éventuelles. Les enfants étant
au CM1 ou dans une classe supérieure ont du quitter leurs
parents pour être évacués collectivement à
la campagne. Comme nous manquions d'alimentation, notamment de
légumes, les cours d'école étaient devenues
des jardins potagers. On fabriquait aussi des abris en prévision
d' attaques aériennes. C'était une époque
difficile à vivre.
Je suis entrée au lycée en avril 1944, je ne me
souviens pas d'avoir assister à la cérémonie
de rentrée traditionnelle au Japon. Il n'y avait pratiquement
pas de cours. Chaque jour, nous faisions des exercices de lutte
contre les incendies et des exercices d'évacuation dès
que nous entendions les sirènes. Après avoir fait
une heure de cours dans la matinée, nous cultivions le
jardin. Les élèves de première et seconde
année avaient été mobilisés pour réaliser
des zones coupe-feu en démolissant des maisons pour empêcher
les incendies de se propager en cas d' attaque aérienne.
Comme les élèves plus âgées devaient
travailler dans les usines d'armement, elles ne venaient plus
au lycée. Sans tickets de rationnent pour les vêtements,
nous ne pouvions pas en acheter. Alors, nous fabriquions des Monpé,
une sorte de pantalons, en coupant les Kimonos de nos mères.
A cette époque, il était interdit de porter autre
chose que des pantalons.
Le 6 Août 1945 était un jour de travail à
la destruction des maisons pour notre classe. Ce matin là,
il y a eu une alerte aérienne, mais elle a été
levée peu de temps après. Nous sommes retournées
au lycée.
A cette époque, les personnes n'étant pas malades
ne pouvaient pas prendre le train ou le bus pour aller à
l'école, par mesure d'économie. Ma maison se trouvait
à Yokobori chô, un quartier situé à
1 Km de l'hypocentre. Mon école, elle, se trouvait à
environ 1.4 Km de l'hypocentre, dans le quartier Minami takeya
chô. J'allais à pied de Yokobori chô à
Minami takeya chô. Je suis arrivée à l'école
vers 8 heures, et j'ai attendu l'heure du rassemblement dans le
bâtiment. A 8 heures 10, dès que la cloche a sonné
pour le rassemblement, toutes les filles ont couru dans la cour.
Juste au moment où j'arrivais devant l'estrade, je fus
éblouie par une très forte lumière, comme
je n'en avais jamais vu avant. C'était comme un flash orangeâtre,
je me suis demandée si ce n'était pas le soleil
qui nous tombait dessus. Quand j'ai repris connaissance, j'étais
sous un bâtiment écroulé. J'ai réussi
à sortir de sous les décombres. Tout était
sombre, je ne voyais rien dans la fumée et la poussière.
Ce jour là, il y avait 330 élèves et 10 professeurs
à l'école, mais quand je suis sortie, je n'ai vu
personne. Pendant un instant j'ai hésité, je ne
savais pas trop où m'enfuir, mais j'ai finalement décidé
de quitter l'école. Quand je suis arrivée dans la
rue, je m'attendais à voir de nombreuses maisons alignées,
comme d'habitude, mais toutes étaient écroulées.
On ne voyait plus la rue pour marcher. Dans la ville, des flammes
s'élevaient partout. A côté de l'école,
il y avait une petite montagne qui s'appelait « hijiyama ».
Comme il me semblait impossible de rentrer chez moi, je me suis
sauvée vers cette montagne « hijiyama ».
J'ai encore cherché des amies. Comme je n'en ai vu aucune,
je suis partie toute seule.
En traversant les décombres, j'entendais des voix appeler,
répétant « aidez-moiaidez-moi »
ou des bébés en pleurs, des plaintes. Je me suis
fait attraper le pied par un homme dont le haut du corps sortait
des décombres. Il était coincé au niveau
de la hanche. Il me disait : « aidez-moi, aidez-moi,
faites moi sortir ! » sans vouloir me lâcher.
Mais comme il semblait impossible de le sortir de là avec
ma force d'enfant, je me suis sauvée en repoussant sa main.
Même maintenant, la voix de cette personne ne quitte pas
mes oreilles. Je pense toujours à ce qui a pu lui arriver.
J'arrivai enfin au pont « tsurumibashi »,
proche de la montagne « hijiyama ». L'atmosphère
était plus claire, on pouvait bien voir ce qui se passait.
Les cheveux en partie brûlés et la peau décollée,
on ne pouvait plus savoir si les gens étaient des hommes
ou des femmes. Il y en avait dont la tête avait rougi, ou
noirci et gonflé comme un potiron. De nombreux blessés
se rassemblaient.
A coté du pont, les maisons toutes détruites avaient
laissé place à un grand vide. C'est là que
les gens venaient se réfugier. Je me demandais si tout
ce que je voyais était réel. J'avais l'impression
de vivre un cauchemar.
Jusque là, je ne me rendais pas compte dans quel état
j'étais. En regardant les autres, je me suis demandée
comment j'étais, j'ai passé mes mains sur ma tête.
Elle était rêche, pleine de petits morceaux de verre
plantés dans la peau. Mon visage était couvert de
sang. J'ai posé par hasard ma main sur ma nuque. La peau
s'est décollée d'un coup. J'ai regardé mes
mains. La peau était tombée de mes épaules
jusqu'au bout des doigts.
A mes pieds, la peau était retournée comme des chaussettes
repliées. Ma chemise et mon pantalon avaient brûlé,
étaient en lambeau et me collaient au corps. On peut dire
que le seul endroit qui restait en bon état, c'est au niveau
du ventre, parce qu'il y avait les sous-vêtements, le bas
de ma chemise et le haut de mon pantalon. Quand j'ai vu dans quel
état j'étais, j'ai perdu toute force et je me suis
assise par terre. Je restais assise un petit moment, mais les
flammes s'approchaient à toute vitesse en faisant tomber
des étincelles sur moi. Je me disais qu'en restant assise
là, je périrais par le feu. Je n'arrivais pas à
me relever. Beaucoup de gens sautaient dans la rivière,
mais je n'en avais pas le courage. Je me suis efforcée
de me relever et j'ai commencé à traverser le pont.
Des personnes tenant leur peau décollée à
hauteur de leur poitrine, ressemblaient à des fantômes.
Elles traversaient le pont l'une derrière l'autre. Au moment
où je commençais à marcher derrière
elles, j'ai regardé par hasard la rivière. Beaucoup
de personnes entassées, étaient en train de couler.
Elles étaient déjà mortes. D'autres s'efforçaient
de nager pour rejoindre l'autre rive.
J'ai enfin pu parvenir à la montagne « hijiyama ».
Sur cette montagne, les gens avaient creusé des abris pour
se protéger en cas d'attaques aériennes. Ces abris
étaient comme des tunnels profonds, mais il y avait déjà
trop de monde. J'ai vu des personnes dont le visage n'avait plus
de peau et d'autres complètement nues. J'avais vraiment
l'impression d'être en enfer. A partir de ce moment là,
je me suis sentie très mal, j'avais des nausées,
des frissons et je n'arrêtais pas de trembler. J'ai encore
cherché des amies, mais je n'en ai trouvé aucune.
J'ai vu une personne qui essayait de remettre en place son il
sorti de son orbite, une autre qui avait une jambe presque détachée
et un mort dont les vicaires étaient sortis. J'ai vu toutes
sortes de corps atrocement mutilés.
Je me suis demandée ce qui s'était passé.
Au début, j'ai cru que des bombes incendiaires étaient
tombées sur l'école, mais comme il y avait tellement
de personnes gravement blessées, je me suis dis qu'il s'était
passé quelque chose de beaucoup plus terrible.
Enfin, des camions militaires sont arrivés pour emmener
les blessés vers plusieurs établissements de secours.
Ainsi je suis arrivée à la ville de Futyucho dans
le canton de Aki après avoir passé deux montagnes.
Je me suis retrouvée dans une salle d'école primaire
en pleine montagne. La salle était déjà remplie
de blessés. Dans cet endroit j'ai rencontré pour
la première fois six amies et un professeur. Les visages
de mes amies étaient tellement boursouflés qu'elles
ne pouvaient rien voir. Elles avaient du être atteintes
par la forte chaleur de l'explosion en plein visage. Leur corps
était si déformé que je n'aurais pas pu les
reconnaître sans entendre leur voix. Notre professeur est
sorti pour aller chercher d'autres élèves, mais
il n'est jamais revenu.
Allongées sur des nattes étalées à
l'intérieur de la salle, nous n'avons pas reçu de
soins immédiatement. Je n'arrivais plus à soulever
ma tête ni à faire bouger mon corps. Une de mes amies
qui était allongée à côté de
moi, n'arrêtait pas de délirer depuis mon arrivée.
Quand elle s'est calmée, je l'ai regardée. Elle
était morte. L'angoisse me prit en pensant que je serais
certainement la prochaine à mourir.
Le
7 août, au poste de quarantaine militaire de Ninoshima,
à environ 4 kilomètres au large de Hiroshima. Beaucoup
de ceux atteints de profondes brûlures dues à la
chaleur de l'explosion, restent étendus ainsi sans bouger,
respirant à peine, jusqu'à ce que la vie s'en aille.
(Photo Masayoshi Onuka)
Ceux qui pouvaient marcher recevaient des soins dans un lieu séparé
où l'on donnait des traitements de fortune. Mais comme
nous n'étions pas capables de marcher, il fallut attendre
jusqu'au soir. Il faisait déjà nuit quand quelqu'un
est venu nous soigner. Comme il n'y avait pas de médicaments,
on mettait de l'huile dans une bassine et on en versait sur nos
blessures avec une cuillère en bois. Ce fût le seul
soin reçu ce jour là.
A l'aube, d'autres amies sont mortes l'une après l'autre.
Les cadavres posés sur de la paille ont été
tirés vers l'extérieur et amassés au milieu
de la cour. Ils formaient une sorte de montagne. Ces cadavres
étaient incinérés après avoir été
arrosés d'huile.
J'étais morte d'inquiétude. Chaque fois que je voyais
une de mes amies mourir, je ne pouvais pas m'arrêter de
pleurer. Je me sentais tellement seule et angoissée que
je ne pouvais pas exprimer ma tristesse autrement.
Au bout de quelques jours, une mauvaise odeur commença
à se faire sentir dans la salle.
Un mélange d'odeurs de pus, de sang, de toutes sortes de
saletés, de cadavres brûlés. Cette odeur attirait
beaucoup de mouches. Sans qu'on ne sache à quel moment,
elles commencèrent à pondre des ufs. Ces ufs devinrent
des asticots qui grouillaient sur les brûlures et les blessures.
La douleur des brûlures et celle des asticots étaient
si fortes qu'elles sont indescriptibles. Du plus, je n'avais pas
la force d'enlever ces vers. Tous mes amies sont mortes, me laissant
seule. Je ne savais plus quoi faire pour calmer mes inquiétudes.
J'attendais impatiemment l'arrivée de quelqu'un de ma famille,
mais je ne voyais personne venir me chercher. Je ne sais plus
combien de temps a passé.
Un jour, quelqu'un de ce quartier est venu s'occuper de moi pour
enlever les asticots qui étaient sur mes plaies, avec des
baguettes. Cette personne m'a fait boire aussi un vin sucré
en disant que cela me donnerait des forces. Elle a couvert mon
corps presque nu avec un kimono léger d'été.
Comme elle m'a proposé de contacter les gens que je souhaitais,
je lui ai demandé de trouver des gens de mon quartier Yokoboricho.
Alors, elle m'apprit que toute la ville d'Hiroshima avait brûlé
et qu'elle ne pouvait pas y aller. En l'écoutant, pour
la première fois, j'ai compris que Hiroshima avait disparu.
En même temps, j'ai pensé à ma famille en
souhaitant que mes parents et mes frères aient pu réussir
à se sauver.
Le lendemain, la même personne est venue me demander si
je n'avais pas de la famille à la campagne. Je savais que
ma grande mère s'était réfugiée à
Tomomura, mais il y a tellement de distance entre Fuchyu et ce
village que je ne pouvais pas penser qu'il était possible
de prendre contact avec elle. A ma grande surprise, cette personne
a réussi. Quelques jours après, mon oncle est venu
me chercher. D'après ses informations, mon oncle croyait
que mes blessures n'étaient pas très, importantes.
Il est arrivé à bicyclette. Mais comme je ne pouvais
pas monter, il a posé un volet d'une fenêtre de l'école
sur le guidon et le porte bagages de derrière. On m'a posée
sur ce volet bien attachée pour rentrer au village. Dans
ce village, aucun médecin, car tous étaient partis
à Hiroshima pour les secours. Quand je suis arrivée,
mon oncle n'avait plus de médicaments parce que de nombreux
réfugiés déjà là étaient
blessés eux aussi. Je ne trouvais même ni gaze ni
pansements. On disait alors que le jus de concombre est efficace
pour soigner les brûlures. Donc, ma grande mère râpait
chaque jour des concombres pour obtenir du jus qu'elle mettait
sur mes plaies. Pour remplacer la gaze et les pansements, elle
a déchiré des draps.
Malgré cette aide, j'ai commencé à ressentir
plusieurs symptômes comme la diarrhée, même
sans manger, la nausée, la fièvre, et aussi des
frissons, etc. A l'époque, personne ne savait encore que
ce sont des réactions typiques des gens irradiés.
Je pense que je suis arrivée chez mon oncle le 14 août
1945, car j'ai entendu la déclaration de l'Empereur qui
annonçait la capitulation le lendemain 15 août. Je
me souviens avoir entendu à la radio que la bombe lancée
sur Hiroshima s'appelait »bombe atomique »
et qu'elle pouvait causer des troubles de toutes sortes par la
radiation.
Je me demandais si je reverrais mes parents et mes frères.
Un jour, j'ai posé la question à ma garde mère.
Elle m'a montré une boîte où il y avait des
os de ma mère et d'un de mes frères de trois ans.
J'avais un autre frère de cinq ans celui-là, mais
comme il jouait à l'extérieur au moment de l'explosion,
il a disparu. Mon père a été irradié
à Kannoncho, deux kilomères à ouest d'hypocentre.
Il n'a pas été blessé, mais il a été
mouillé par la pluie noire qui est tombée juste
après l'explosion. Il parait que mon père m'a cherchée
partout, visitant chaque lieu où il y avait des blessés.
Septembre débutait déjà quand il est venu
au village. Il a commencé à manifester plusieurs
symptômes et à peine arrivé il fut cloué
au lit. Quant à moi, mes cheveux ont commencé à
tomber en quantité importante. Mes ongles brûlés,
devenus tout noirs sont tombés un à un. Les plaies
des brûlures se sont améliorées, par contre
la chair gonflée et la peau brûlée formaient
des chéloïdes. Ma main droite ne pouvait pas tenir
des baguettes. Mon père semblait se rétablir petit
à petit, mais moi, je restais étendue.
Mon père a décidé de construire une baraque
à l'intérieur de la ville d'Hiroshima, parce qu'il
était gênant de compter toujours sur mon oncle. C'était
loin d'être une vraie maison. Il s'agissait plutôt
d'une cabane pour s'abriter de la pluie et du froid, construite
en rassemblant des morceaux de tôles brûlées
pour faire un toit et des murs. Je suis retournée à
Hiroshima en novembre. Même à ce moment là,
je n'arrivais pas à me lever. Mon père m'a transportée
allongée dans une charrette. En chemin, un vaste champ
brûlé
à perte de vue a frappé mon attention. Vraiment
il n'y avait plus rien qu'une terre brûlée. Devant
moi, j'ai même pu apercevoir au loin les petites îles
de la mer intérieure, comme si elles flottaient. Je ne
savais pas quoi dire en regardant Hiroshima si transformée.
J'étais inquiète de vivre dans cette ville si différente
de celle que je connaissais avant.
Nous manquions toujours de nourriture à Hiroshima. Par
moment, nous nous contentions de manger des patates douces chaque
jour. La distribution du riz arrivait souvent avec du retard.
On ne portait que des vêtement donnés. Je gardais
un peu d'espoir de mieux vivre après la guerre, mais la
vie est devenue bien pire. Je suis retournée à l'école
en automne 1946. Etant donné que j'avais perdu beaucoup
de mes cheveux, je portais un chapeau. Comme il n'y avait plus
de chaussures, j'ai mis des »Guetas » (sorte
de sandales à semelles de bois) pour aller à l'école.
Dès la première rencontre avec des amies de l'école,
j'ai vu beaucoup de visages méconnaissables. les unes avaient
le visage couvert de gros chéloïdes, d'autres avaient
la bouche déformée, d'autres avaient les droits
des deux mains comme soudés par la chaleur. Personne ne
ressemblait à ce qu'il était avant.
Nous parlions sans cesse de cela, nous demandant comment vivre
avec des corps aussi abîmés et combien de temps nous
allions vivre. Mois après mois, nous avons constaté
l'apparition de maladies nouvelles en grand nombre, surtout des
maladies comme la leucémie et les cancers. Plusieurs de
mes amies sont mortes de la leucémie, une à une,
sans terminer leurs études.
Dans ces circonstances, je n'ai pas eu la force de vivre et de
penser à mon avenir. A cette époque, une commission
de recherches sur les effets des bombes atomiques a été
créée. Une sorte de laboratoire de recherche fondé
par les USA. On l'appelait ABCC. On m'a fait faire toutes sortes
d'examens, des prises de sang, des photos de mes chéloïdes,
l'observation de la repousse de mes cheveux etc. Ce n'était
pas du tout pour me donner des soins, mais pour faire des recherches
sur les effets des radiations. Sans moyens pour payer les médecins,
nous n'avons eu aucun soin. Nous n'avions pas d'autres solutions
qu'à attendre que les brûlures et les plaie cicatrisent.
J'ai passé mon temps à courir pour vivre. Après
l'école, je ramassais des morceaux de fer pour les échanger
contre du riz. Mon père n'avait plus de travail parce que
sa société avait disparu. De plus, il a recommencé
à avoir des maladies. Il a fini par mourir en 1950. J'ai
pu terminer mes études au lycée, mais étant
seule avec ma grande mère sans fortune, je ne savais comment
vivre. J'ai pensé très souvent au suicide, pourtant
je ne pouvais pas abandonner ma grande mère. Chaque jour
je cherchais du travail.
Je portais des vêtements longs, même en plein été,
pour cacher mes brûlures. En évitant le regard des
autres, je n'arrêtais pas de demander du travail. Et enfin,
j'ai été embauchée par un pâtissier.
Mais, je n'ai travaillé que six mois. Un jour soudain,
j'ai vomi du sang. On m'a transportée à l'hôpital.
D'après les examens, on m'a trouvé un ulcère
à l'estomac. Je menais une vie très stressante physiquement
et psychologiquement. Deux tiers de mon estomac ont été
enlevés et j'ai eu beaucoup de transfusions de sang. Suite
à cette opération, peut être à cause
de la mauvaise qualité du sang transfusé, j'ai eu
la jaunisse, une hépatite. J'ai senti véritablement
la mort arriver cette fois, et je me suis dit que serais ainsi
libérée de la peine que me causait cette vie si
difficile. Mais grâce aux soins d'un médecin et de
ma grande mère, je fus sauvée.
Ma vie ne s'était pas améliorée pour autant.
J'ai continué à chercher du travail. Le monde m'a
semblé devenir plus tranquille qu'avant, par contre ma
famille restait toujours pauvre. En 1954, ma grande mère,
âgée, est morte elle aussi. J'ai ressenti à
nouveau une solitude profonde. La guerre est vraiment atroce et
terrible. Les destructions provoquées par les armes nucléaires
sont terribles au moment du bombardement, mais pas seulement.
Les conséquence de ces armes se poursuivent bien au-delà
de la guerre. Elles empoisonnent aussi l'avenir.
J'ai attendu 50 ans pour pouvoir raconter mes expériences
vécues. J'hésite même encore à raconter
tout cela aux gens. Le 6 août 1945, j'ai perdu ma famille
, beaucoup d'amis et ma maison. Même plus de 50 ans après,
il y a encore beaucoup de personnes qui souffrent de la maladie
des bombes atomiques. Et malgré cela, même aujourd'hui,
on fait encore des guerres pour les richesses ou les religions.
Mais, moi, par-dessus tout, je souhaite qu'il n'y ait plus jamais
d'Hibakusha et que personne n'utilise jamais les armes nucléaires.
Après avoir réfléchi longuement, j'ai commencé
à penser qu'il n'est pas judicieux de rester silencieux.
C'est difficile d'avoir le courage de parler de tout cela devant
les gens mais quand je parle devant vous, je me sens soulagée
petit à petit du fardeau que je portais jusqu'à
maintenant sur mes épaules. Je n'ai pas de petits enfants
mais quand je rencontre des jeunes comme vous, cela me fait plaisir
comme si je voyais mes propres petits enfants. Vous me donnez
beaucoup de courage. On m'a fait vivre jusqu'à aujourd'hui.
Je n'ai plus beaucoup de force mais en tant que survivante d'Hiroshima
je veux faire comprendre l'importance de la paix et du respect
de la vie. Je souhaite que vous reteniez bien ce que je vous ai
dit et que vous vous intéressiez aux questions de la paix.
Je souhaite que vous visitiez un jour Hiroshima. Si vous pouvez
garder en mémoire et transmettre le message d'Hiroshima
et Nagasaki aux générations futures, parler d'autres
guerres aussi, comme celle d'Irak, je pense que j'aurai accompli
ma mission de survivant d'Hiroshima.