Méthode des auteurs, crédibilité
Enquête menée de façon objective et très vaste, débordant le sujet, basée sur des documents originaux souvent secrets ou très confidentiels et sur des témoignages de responsables livrés en général avec leurs noms (sauf, en particulier, pour des témoins dont les auteurs craignaient de mettre la vie en danger). En cas de doute, vérification contradictoire par recoupements à deux, voire trois sources indépendantes, décrite en détail. Le travail très documenté, contenant plusieurs révélations importantes, a commencé fin 1979 et a été clos en août 1981. Il y a très peu d'erreurs techniques et il n'y a pas de doute que l'ouvrage fera autorité, tout en étant fortement contesté par ceux qu'il met en cause.
Plan du résumé
Nous ne suivrons pas le plan assez complexe
de l'ouvrage. Nous évoquerons dans l'ordre les cas, marginaux
dans le livre, de l'Inde et d'Israël, puis les cas du Pakistan
et de l'Irak, terminant avec les perspectives actuelles en matière
de prolifération qui y sont décrites.
Le résumé proprement dit sera suivi de quelques
commentaires de synthèse.
Note : les remarques entre crochets sont de l'auteur de
ce résumé (Roger Belbéoch).
INDE ET CONSÉQUENCES
L'explosion de 15 kilotonnes d'une bombe au
plutonium le 18 mai 1974 en Inde (p. 129) ouvre « l'ère
de la prolifération ». L'Inde présente cette
bombe comme un « explosif nucléaire pacifique »
(p. 132), fiction commode faisant référence à
des projets de grands travaux par explosions nucléaires
envisagés dans les années 1960 et restés
sans suite. L'architecte du programme indien est le Dr Bhabha,
grand physicien éduqué à Cambridge, qui a
su l'imposer fin 1964 au successeur de Nehru (p. 132) après
la première explosion chinoise. La base du programme était
le réacteur de recherche CIRUS de 40 mégawatts
à uranium naturel et eau lourde, fourni par le Canada,
imprudemment sans contrôles (p. 130), et une petite usine
de retraitement fournie par les Américains (p. 131). Dès
1951 la France a signé un accord de coopération.
M. Francis Perrin : « La France aussi porte une responsabilité
par un enseignement relatif à l'extraction du plutonium
du combustible irradié » (p. 131). Les Canadiens
ont été très rassurants, en particulier vis-à-vis
du Pakistan, jusqu'au jour de l'explosion (p. 133). Les auteurs
soulignent leur responsabilité. Cependant, les préparatifs
étaient un secret de polichinelle (p. 133) rien n'a été
fait pour les freiner.
Les Américains ont accepté la fiction de l'explosion
pacifique (p. 134) et il n'y eut aucune conséquence pour
l'Inde [dont le délégué est membre du conseil
de l'Agence de Vienne (AIEA) à ce jour] si ce n'est une
rupture de fournitures par le Canada, trop tard.
Il apparaît que les Indiens n'ont pas, depuis, développé
un arsenal nucléaire (p. 134). Mais ils ont une capacité
nucléaire et un gros stock de matériaux explosifs,
provenant de CIRUS et d'autres réacteurs (CANDU) (p. 134).
S'il n'y a pas eu rétorsion [malgré l'entrée
en vigueur du traité de non prolifération (TNP)
en 1970, que l'Inde n'a, il est vrai, pas signé], cette
explosion a totalement changé la situation. Elle a :
- prouvé que même des nations pauvres du Tiers Monde
pouvaient accéder à la bombe atomique (p. 137),
- déclenché la course aux armes atomiques en Asie
(tout le livre),
- provoqué une prise de conscience des dangers de la prolifération
(p. 137).
Les auteurs évoquent à ce propos le « mythe
» du « plutonium civil », qui, contenant
trop de Pu240, serait impropre à une explosion nucléaire
: les
Américains ont prouvé expérimentalement le
contraire (p. 139). Ils relatent comment le rapport Wohlstetter,
en soulignant « qu'il n'y a pas deux atomes, l'un pacifique,
l'autre militaire mais un seul »... « en
particulier dans le cas des usines de retraitement » (p.
141) et que « le passage prévu aux surgénérateurs
présente des dangers sans précédents de prolifération
» (p. 144), a changé radicalement la politique
américaine vis-à-vis de la prolifération.
Ce rapport soulignait également les dangers que présentent
les règles de l'AIEA et du TNP qui « n'interdisent
ni les usines de retraitement, ni celles d'enrichissement, ni
les stocks de plutonium, etc. », mais les mettent seulement
« sous le contrôle ». Ces contrôles peuvent
être dénoncés alors que « le temps
critique pour faire des explosifs diminue d'année
en année » (p. 143). Le résultat est la «
prolifération rampante », à l'abri
du TNP (p. 144), car l'AIEA n'a pour rôle
qu'une « détection à temps », devenue
sans vraie signification.
Ce réveil de la politique américaine (Ford) aux
dangers de la prolifération a abouti à la constitution
du Club de Londres (p. 150) et à la volonté
américaine d'imposer des conditions beaucoup plus strictes
que celles de l'AIEA en matière d'exportation nucléaire.
Les tensions qui s'en sont suivies, en particulier avec la France
au sujet de la Corée du Sud, de Taïwan et du Pakistan,
sont alors décrites :
- tentative française de vente nucléaire en Corée
stoppée par une pression directe des Américains
sur la Corée (p. 152),
- tentative française d'exportation d'une usine de retraitement
à Taïwan.
A ce propos les auteurs livrent (pp. 152-153) un document secret
daté du 5.2.1973 dû à M. Bertrand Goldschmidt,
un projet d'usine de retraitement de 100 tonnes par an à
construire par SGN (Saint Gobain Techniques Nouvelles), indiquant
que SGN a déjà fourni à Taïwan
un petit ensemble de retraitement : « Nous pensons que ce
serait une honte pour notre industrie de ne pas recevoir les fruits
de l'action déjà promise au moment de la fourniture
d'un laboratoire de retraitement ». SGN s'entend avec son
concurrent allemand, mais les Américains stoppent le marché
par un veto assorti de menaces à l'égard de Taïwan.
Cette action américaine est efficace et, selon les auteurs,
Taiwan ne constitue pas actuellement un risque immédiat
de prolifération.
Carter poursuit la politique de Ford (p. 153), mais essuie des
échecs (Brésil, p. 157). L'affrontement avec la
France au sujet du Pakistan conduira à un désistement
français (voir « Pakistan »).
Les auteurs discutent longuement où
en est le programme israélien, selon divers rapports (pp.
105 110). Tout le monde croit qu'Israël a de quoi faire environ
une bombe par an, et qu'il a la bombe. Ils évoquent la
politique « d'ambiguïté délibérée
» d'Israël à ce sujet (p. 106). Ils évoquent
aussi la distinction entre « option nucléaire »
(ou « capacité nucléaire ») et «
arme nucléaire » (disponible) (p. 325). Ils concluent
que cette distinction devrait être rejetée par les
exportateurs (p. 326) car elle ne peut conduire qu'à la
prolifération rampante. En revanche ils pensent
qu'il vaut mieux qu'Israël comme l'Inde maintiennent leur
« ambiguïté délibérée »,
car l'étalage d'un arsenal conduirait à une course
aux armements nucléaires encore plus débridée
(p. 301).
Ils évoquent le rôle de la France dans le programme
nucléaire israélien (pp. 110 119). Décision
prise en 1956 par Guy Mollet de fournir un réacteur de
recherche à uranium naturel et eau lourde de 24 mégawatts
(Dimonah), sans contrôle international [c'était bien
avant le TNP] et d'engager une vaste coopération nucléaire
: mise à la disposition de la France d'un procédé
de production d'eau lourde développée par le Pr
Israel Dostrowsky (p. 112) ; participation de scientifiques israéliens
à l'élaboration de la force de frappe française
(p. 113) [!] [seules des sources anonymes, américaines
et françaises sont invoquées ici] ; fourniture à
Israel d'une petite unité de séparation de plutonium.
M. Francis Perrin « La France a beaucoup aidé Israel
» ... « Nous avons également participé
à la construction d'une usine d'extraction de plutonium
», ceci via la SGN, selon une source de l'AIEA. Les Israéliens
auraient aussi eu accès aux données techniques relative
aux mesures faites lors de l'explosion d'essai de la bombe française
(p. 114). Plus tard de Gaulle met fin à cette coopération
(p. 113), mais auparavant (p. 118), selon des sources françaises
anonymes, du combustible irradié aurait été
renvoyé en France et du plutonium séparé
retourné en Israel. Ceci est nié par les sources
israéliennes, et il n'y a pas de conclusion définitive
dans le livre.
Les auteurs évoquent la disparition de 100 kg d'uranium
fortement enrichi en U235 en Amérique (pp. 119-124) dont
auraient bénéficié les Israéliens,
sans conclure sur la véracité de cette thèse,
ainsi qu'une opération qui aurait permis à Israel
de se procurer en secret 200 tonnes d'oxyde d'uranium naturel
en Allemagne (pp. 124-128).
PAKISTAN
Naissance du projet
L'architecte du projet est Ali Bhutto dont
une des idées force était dès les années
60 l'accession du Pakistan à la bombe atomique (pp. 39-52).
Il l'a écrit en 67, mais n'a pas été pris
au sérieux. Au pouvoir fin 1971, Bhutto trouve dans
la défaite aboutissant à la sécession du
Bengladesh l'aliment de son ambition. Les auteurs révèlent
pour la première fois qu'une réunion eut lieu
à Multanen en janvier 1972 entre Bhutto et les meilleurs
scientifiques pakistanais, au cours de laquelle la construction
d'une bombe atomique a été décidée
(pp. 44-46). Le prix Nobel Abdus Salam refuse par suite sa coopération
(p. 46).
Les auteurs décrivent en détail les tentatives avortées
de Khadafi d'acheter une bombe atomique et ses tractations
avec Bhutto pour financer le programme pakistanais. Elles
ont eu lieu à Paris en 1973 et ont inclus l'Arabie Saoudite
et le Golfe. Tous ces États ont accepté le principe
de financer le programme et malgré la pauvreté du
Pakistan il ne devait plus subsister de problème financier
(p. 61). Khadafi posait cependant des conditions inacceptables
(disposer de la première bombe) et ce n'est qu'en février
1974 (p. 62) que l'accord était conclu, entériné
en marge du sommet islamique de Lahore.
Le Pakistan avait déjà un réacteur canadien
CANDU (137 mégawatts électrique, 400 mégawatts
thermique) qui pouvait fournir le plutonium (p. 66). Bhutto s'est
tourné vers la France pour la fourniture d'une usine de
retraitement pour la séparation du plutonium contenu dans
le combustible.
Position de la France
Les auteurs discutent ensuite les positions
françaises d'alors (1974) sur l'industrie nucléaire
et la prolifération. M. Bertrand Goldschmidt : «
N'eût été l'énergie nucléaire,
vous auriez une lutte mondiale pour les ressources énergétiques
et peut être une guerre nucléaire. » M. Michel
Pecqueur « Ce que nous pouvons faire pour payer notre facture
pétrolière est de développer notre technologie
nucléaire et notre industrie nucléaire » (p.
71). Et la prolifération ? Officiellement on invoque le
contrôle international. « En privé l'attitude
française est plus cavalière » disent les
auteurs (p. 72), comme en témoigne un grand paquet de
documents secrets qu'un inconnu remet aux auteurs (p. 72).
Réunion du 4 janvier 1973 du Comité Interministériel
de l'Énergie Atomique (p. 73) [nous traduisons de l'anglais]
selon M. Bertrand Goldschmidt
« une nation ne peut pas construire un véritable
arsenal nucléaire en secret, mais presque n'importe quelle
nation pourrait construire quelques bombes sans que quiconque
le sache ; ceci est pratiquement impossible à arrêter
; cela n'a donc pas de sens d'être trop obsédé,
comme les Américains, par la construction clandestine
d'une seule bombe, car il n'y a aucun moyen de l'empêcher.
» M. André Giraud dit : «
Le développement de l'énergie nucléaire va
augmenter considérablement les quantités de plutonium
manipulées dans le monde ; ... la négligence ou
des erreurs marginales commises volontairement rendront
possible la dissimulation des quantités appréciables
du plutonium en ce sens l'efficacité des contrôles
est très discutable un dispositif primitif (de bombe atomique)
ne peut être exclu, assemblé éventuellement
avec diverses pièces détachées, au prix d'un
rendement réduit... » [ce document a paru dans
Libération, 10 juin 1981, p. 3]. « Voilà,
commentent les auteurs, ce que pensaient vraiment les mandarins
nucléaires français. »
Le Quai d'Orsay était plus prudent, voulant sauver les
apparences, et « était de façon récurrente
en désaccord sur la politique d'exportation nucléaire,
le Quai bataillant contre les pressions exagérées
exercées par Giraud et le C.E.A. en faveur des exportations
nucléaires » (p. 73). « Le Quai ne voulait
pas que la France soit considérée par ses alliés
comme aidant le Pakistan à construire une bombe ... mais
André Giraud et le lobby de l'exportation ne voulaient
pas perdre la vente, ni la promesse des ventes futures. »
(p. 78).
Chasma
Un premier accord pour une usine de séparation de 100 tonnes par an, 800 kg de plutonium par an, à Chasma, fut signé en mars 1973, un accord détaillé en octobre 1974, impliquant le SGN, avec un espoir de fournir plus tard 3 réacteurs de puissance (p. 75). Les auteurs rapportent des conversations avec M. François Xavier Poincet, ancien directeur de SGN ; celui-ci minimise les dangers de Chasma et dit que ce n'est pas son affaire mais celle du gouvernement (p. 77). L'aide-mémoire secret du 24 janvier 1975 décrit le mécontentement de Munir Khan (chef du C.E.A. pakistanais) face à une demande de contrôle multilatéral avec l'AIEA ; ce document montre aux Français à l'évidence les intentions pakistanaises (p. 78). Le Pakistan accepte finalement, début 1976, les contrôles de l'AIEA [le Pakistan n'adhère pas au TNP], et le contrat est signé. Et pourtant il est bien connu qu'une grosse installation rend les contrôles encore plus aléatoires car elle permet, si les accords sont violés, de préparer du plutonium militaire en grande quantité très rapidement (p. 165) avant que d'éventuelles mesures de rétorsion aient pu agir.
L'usine pilote (p. 80)
Cette usine, plus petite, sise à Kahuta, et sans contrôle était en construction alors même que les négociations pour Chasma étaient en cours. Les Anglais avaient refusé de la construire. Elle a été confiée à Belgonucléaire pour l'ensemble du laboratoire et à SGN pour le retraitement proprement dit. Les auteurs expliquent qu'une première bombe pouvait être construite à l'aide de cette usine, que le Quai d'Orsay le savait, mais qu'il ne savait pas que c'est SGN qui le construisait [!]. L'existence de cette usine était cependant invoquée pour poursuivre Chasma, car « puisque les Pakistanais ont déjà une usine pilote, ils n'avaient pas vraiment besoin d'une grosse usine comme Chasma juste pour faire une bombe. Alors pourquoi ne pas livrer ? » (p. 83).
Crise avec l'Amérique
Après l'explosion indienne, la CIA met
le Pakistan sur la liste des « possibles » avec comme
date cible 1984 (p. 161). La diplomatie américaine commence
une longue action contre la prolifération (déjà
évoquée à propos de la Corée et de
Taïwan). Kissinger menace Bhutto de l'application de l'amendement
Symington, qui interdit toute aide économique et militaire
à un pays important ou exportant des usines d'enrichissement
ou de retraitement non contrôlés (p. 163). Bhutto,
dans son testament politique : Kissinger m'a dit que « je
ne devais pas insulter à l'intelligence des États
Unis en disant que le Pakistan avait besoin de l'usine de retraitement
[de Chasma] pour ses besoins en énergie. » «
Toutes les autres grandes civilisations les chrétiens,
les juifs, les hindous et les communistes ont la capacité
[nucléaire] et maintenant la civilisation islamique l'aura
aussi » (p. 163).
Kissinger intervient en France. Jacques Chirac invoque la «
souveraineté nationale » et refuse la discussion.
Cette visite déclenche cependant un changement «
étonnamment rapide », Le 1er septembre 1976, le Président
Giscard d'Estaing crée le conseil politique nucléaire
extérieure, rencontre Kissinger le 7 septembre et en octobre
annonce que la France renonce à la « compétition
couteau sur la gorge », qui utilise la laxité en
matière de contrôle comme argument de vente ; «
le contrat sur Chasma sera cependant respecté
». Le 16 décembre, la France renonce à
vendre d'autres usines de retraitement.
Suit (pp. 164-173) la description d'une longue tractation qui
a abouti après 2 ans d'efforts au quasi abandon du projet
de Chasma par la France. Les Canadiens, pour leur part, tentent
d'imposer des contrôles plus stricts de leur réacteur
CANDU et finissent par rompre les ponts [mais c'est un réacteur
à uranium naturel, et du combustible peut être
trouvé ailleurs]. Un coup d'État renverse Bhutto.
Cependant il est trop tard. Selon M. Poincet, SGN a
déjà fourni 95 % des plans (p. 167). Les Pakistanais
relancent SGN puis M. Louis de Guiringaud, qui propose une nouvelle
méthode de retraitement, le coretraitement fournissant
du plutonium impur ; ils refusent. M. André Jacomet, du
Quai d'Orsay, effectue deux missions les Pakistanais s'accrochent
au plutonium pur. Jacomet « Nous étions convaincus
que les Pakistanais voulaient la bombe atomique... La seule
voie était de ne pas poursuivre le contrat »
(p. 171). En février 1978 SGN reçoit une
lettre ferme du gouvernement disant de tout arrêter. M.
Poincet prétend actuellement que cet ordre était
dû à une intrigue américaine pour juguler
la concurrence. Le 15 juin 1978 l'annulation du contrat est définitivement
décidée, mais jamais rendue publique. Au
cours de sa mission, Jacomet invoque la nouvelle politique de
ne pas vendre des usines de retraitement et insiste que c'est
général, non discriminatoire vis-à-vis
des Pakistanais (p. 173). Le Pakistan n'acceptera jamais la décision
et tentera de la contourner. Le général Zia continue
en matière nucléaire la politique de Bhutto.
Les tentatives de contournement du Pakistan (pp. 195-223)
Les auteurs décrivent en détail,
documents à l'appui, comment les Pakistanais ont essayé
d'induire SGN à continuer à les aider malgré
les ordres du gouvernement. M. Michel Pecqueur à M. Georges
Besse, président de Cogema, 28 mai 1979 « De diverses
sources, étrangères et françaises, circulent
des rumeurs selon lesquelles SGN encouragerait la continuation
du transfert de savoir-faire et de matériel au Pakistan
pour faciliter l'achèvement de l'usine de retraitement...
» Besse demande des explications ; le 31 mai 1979, Poincet
admet que SGN aide les Pakistanais pour passer des commandes
et qu'il a encore quelques résidents là-bas, mais
nie la contrebande de matériel (p. 196). Les auteurs rapportent
alors comment l'organisateur de l'action pakistanaise S.A. Butt,
basé à Paris, effectue ses achats de matériel
de haute technologie nécessaire pour une mise en route
du processus de retraitement. Une aide secrète de SGN apparaît
à plusieurs reprises. « Le CEA pouvait-il, avec son
penchant pour les exportations, défier ouvertement le Quai
d'Orsay ?... » demandent les auteurs. « La réponse
est aussi ambiguë que la politique française elle-même
» répondent-ils (p. 199). Jacomet : « Ce que
nous avons essayé c'est de ne pas rompre avec le Pakistan
sur ce sujet. » Le contrat n'était pas supprimé,
seulement suspendu. C'est ainsi que des ingénieurs français
sont restés au Pakistan pour finir les travaux de génie
civil, pour le compte de SGN au moins jusqu'en décembre
1979 (p. 200). La politique française, si bien accueillie
par les Américains, était « évasive,
incertaine, pleine de compromis » (p. 200). Poincet lutta
contre la décision gouvernementale et fut démis
le 29 juin 1979 ; il maintient à ce jour [mars 1980] des
contacts, de son propre aveu, avec les Pakistanais (p. 201). Les
auteurs décrivent l'aide que SGN a continué à
fournir au Pakistan, en passant par une filiale en Italie, faits
contestés par M. Alain Vaneau, porte parole du CEA, mais
confirmés par Dr Fabio Pistella, premier conseiller du
directeur du CEA italien (CNEN) (p. 207).
D'après les auteurs, les Pakistanais ont réussi
à terminer l'usine pilote de Kahuta, qui devait démarrer
début 1981 (p. 215) et est la source la plus probable d'explosif
pour la première bombe pakistanaise au plutonium, qui
devrait être prête en 1982. Les Pakistanais n'ont
jamais admis l'existence de cette usine : elle est en dehors
de tout contrôle de l'AIEA (p. 221). Quant à
Chasma, elle est théoriquement sous contrôle, mais
celui-ci ne s'effectue pas, au grand embarras de l'AIEA.
La voie uranium par ultracentrifugation
Les auteurs décrivent de façon
très détaillée (pp. 174-182) le vol, en Hollande,
par les Pakistanais de secrets de l'ultracentrifugation pour séparer
U235, nouvelle méthode d'enrichissement mise au point par
la Grande-Bretagne, la Hollande et l'Allemagne. Ils décrivent
avec tout autant de détails comment M. Butt a pu se procurer
au Pakistan, par pièces détachées commandées
dans le monde entier, le matériel nécessaire (pp.
183-194, 215-217), exploitant le fait que l'exportation, même
massive, de ces pièces, prises séparément,
n'était pas sur la liste du Club de Londres : la Suisse
(p. 183), l'Allemagne (p. 185) laissaient faire. Est décrit
également l'achat complet, toujours par M. Butt, d'une
usine d'hexafluorure d'uranium en Allemagne (p. 219). Ces achats
massifs ont fini par déclencher une réaction internationale,
qui par des moyens plus dignes d'une histoire policière
que des lois et accords internationaux a réussi à
freiner ce projet.
Tout cela démontre que « le système des règlements
et contrôles internationaux destinés à empêcher
les exportations dangereuses est aisément contourné,
désespérément vulnérable, facilement
trompé... et qu'il n'existe pas d'effort sérieux
pour empêcher la violation même des règles
existantes » (p. 194).
Achats d'uranium
De l'uranium naturel a été acquis
auprès du Niger par le Pakistan et la Lybie, par centaines
de tonnes, jusqu'en 1981. La COGEMA, filiale du CEA, détient
la majorité des actions de ces mines. Le CEA était
au courant, comme l'a confirmé M. Pecqueur (p. 210). Aucune
inspection n'a jamais pu avoir lieu en Lybie.
[Ce qui précède montre comment le Pakistan s'est
lancé dans un programme d'armement nucléaire «
tout azimuth », empruntant à la fois la voie plutonium
et la voie uranium, sans jamais être découragé
par les difficultés et qu'il a souvent bénéficié
de bienveillance ou même de complicités. Aux dernières
nouvelles, la CIA annonce pour 1984 (comme prévu il y a
10 ans) la disponibilité d'une bombe pakistanaise : une
explosion est cependant tenue pour improbable à cette date,
car pour l'instant le Pakistan aurait plus à y perdre qu'à
y gagner sur le plan politique et économique New York Times,
25 janvier 1981, ci-joint].
IRAK
Naissance du projet
La bombe pakistanaise a été placée d'emblée sous le signe de la solidarité islamique ; le projet irakien, lui, relevait du nationalisme arabe laïque (Baas) (pp. 85-86). Son architecte est Saddam Hussein (p. 86) (au départ éminence grise, président de l'Irak depuis mi-1979), qui, contrairement à Ali Bhutto, a tu à l'époque ses ambitions, sauf dans une déclaration en septembre 1975, faisant allusion à « la première tentative arabe d'armement nucléaire » (p. 89). Le point de départ du programme est le voyage de M. Jacques Chirac à Bagdad en septembre 1974, au cours duquel les Irakiens, déçus par le refus soviétique de nouvelles livraisons nucléaires (conforme à la politique traditionnellement anti-prolifération de l'URSS) se sont tournés vers la France (p. 91). Une concurrence effrénée sévissait cependant en cette matière, les Canadiens en particulier offrant leur réacteur CANDU à uranium naturel, vantant par allusions sa capacité de produire du plutonium. Selon M. Yves Girard, vice-président de Technicatome, il était alors de bonne guerre commerciale de vanter les vertus de produits offerts, y compris leur capacité de produire du plutonium (p. 191), « Pour ne pas se laisser distancer» les Français proposent un réacteur de 500 mégawatts [électrique, 1 500 mégawatts thermique] graphite-gaz [le type même du réacteur plutonigène, cette filière ayant servi à la construction de la force de frappe française avec des réacteurs bien moins puissants]. Chirac accepte (légèreté ou ignorance, se demandent les auteurs) (p. 92). Le projet n'aboutit pas cependant, cette filière étant déjà démantelée, non sans une bataille entre CEA et EDF : cette dernière craignant une réactivation de cette filière abandonnée à l'époque au profit des réacteurs à eau légère, et tirait argument contre le CEA de sa nature proliférante. Le Président Giscard d'Estaing tranche pour EDF.
Achat d'Osirak
Yves Girard : « Nous savions très
bien que quelque Irakiens étaient intéressés
par l'aspect militaire, le potentiel militaire du réacteur..,
mais c'était les gens de l'armée»
(p. 93). Les Français suggèrent l'achat d'un
réacteur de recherche avancé : « Les scientifiques
irakiens pourraient le "vendre" aux militaires à
cause de sa capacité de production de plutonium, disant
que cela donnera à l'Irak "l'option nucléaire"...
(ces scientifiques) voulaient un outil leur assurant une formation
pour entrer dans le monde nucléaire » (p. 93). En
septembre 1975, Saddam visite Paris (et Cadarache) ; le 18 novembre un accord de
coopération est signé ; le 26 août 1976 [5
jours avant le revirement vis-à-vis du Pakistan !] est
conclu le contrat d'Osirak, « un des plus puissants et des
plus perfectionnés des réacteurs d'essai de matériaux
[MTR] du monde » (p. 94).
Tout en prétendant qu'Osirak est mal adapté pour
faire une bombe, Yves Girard admet : « Bien sûr
nous aurions dû résister ... dire : cet outil
est trop bon, cherchez quelque chose de plus raisonnable ... mais
tout le monde voulait vendre : les Italiens, les Canadiens, les
Allemands » (p. 95). Les Français se rassurent en
invoquant l'incapacité technique des Irakiens, à
laquelle ne croient nullement les Israéliens (p. 96), à
moyen terme. D'autant que la fourniture de 80 kg d'uranium
enrichi de qualité militaire fait partie du contrat (p.
97).
Les installations italiennes
Les auteurs décrivent en détail l'achat par l'Irak en Italie d'un important ensemble de radiochimie, de cellules chaudes, de fabrications de combustible à uranium naturel [d'aucun usage normal pour Osirak], etc. (pp. 97-102). Tout cela peut servir à la séparation de plutonium obtenu par irradiation d'uranium. Les Français accusent les Italiens de ne pas se soucier de prolifération ; les Italiens retournent l'argument (p. 102). Le fractionnement de l'ensemble de l'installation permet à chacun de se justifier.
L'opposition au projet
Les auteurs relatent en détail la guerre
secrète qui se livre dans les années qui suivent
(pp. 227-248). Destruction du coeur d'Osirak par explosif le 6
avril 1979 près de Toulon (pp. 227 233) ; meurtre du physicien
el Meshad à Paris le 14 juin 1980 (pp. 239-243) ; menaces
et attentats en France et en Italie par un « Comité
islamique se disant d'obédience iranienne » [la guerre
irano irakienne venait d'éclater].
Ils décrivent aussi la bataille diplomatique. Interventions
américaines. M. Michel Debré, le 3 décembre
1976 « Nous ne pouvons pas laisser nos alliés américains
et européens continuer leur offensive contre notre industrie
nucléaire » (p. 235). Les Français résistent.
André Jacomet : « Pour le Pakistan nous avions des
documents indiquant leurs intentions. Pour l'Irak nous ne savions
que ce que nous savions. Et l'Irak était signataire du
TNP » (p. 235). En janvier 1978 les Américains interdisent
la réexportation de leur uranium enrichi en Irak, obligeant
les Français à puiser dans leurs stocks militaires
de Pierrelatte, par ailleurs beaucoup plus cher (p. 235).
Début 1979, les Soviétiques expriment leur inquiétude
(p. 236). Même l'Arabie Saoudite fait part de sa préoccupation,
en 1978 (p. 236) : « Le simple fait d'avoir la bombe donnerait
à l'Irak la suprématie dans le Golfe » (p.
237) disaient-ils, du moins en 1978. L'Iran fait des démarches
pressantes, sous le Shah comme sous Khomeini (p. 237). Dès
1977 la Syrie intervient, inquiète de la puissance que
donnerait la bombe à son rival (p. 238). Les auteurs évoquent
la tuerie de l'ambassade d'Irak à Paris et concluent que
les suspects ne manquent pas pour ce qui est des meurtres et attentats
(p. 239), sans parler des Israéliens dont les démarches
diplomatiques sont évoquées plus loin.
Persécutions en Irak et caractère de Saddam Hussein
Les auteurs évoquent la répression de Saddam Hussein contre les Chiites en 1979, au cours de laquelle il fait emprisonner et torturer atrocement les deux meilleurs physiciens nucléaires irakiens, chiites ; le plus brillant des deux est condamné à mort et on ne sait pas s'il est mort ou vivant (pp. 249-255). Ces faits et d'autres persécutions dont ils sont témoins dépriment gravement le personnel français sur place (p. 255), mais ne provoquent aucun changement dans l'attitude française.
La voie uranium enrichi
Les auteurs expliquent comment dans le contrat
initial négocié alors que M. Chirac était
premier ministre, la France s'est engagée à fournir
80 kg de combustible enrichi en U235 à 93 %, de
quoi construire au moins 4 bombes atomiques, cette quantité
devant être livrée dans sa totalité en 1981,
à la mise en route du réacteur (p. 256). [Il faut
40 kg par an pour faire marcher le réacteur à pleine
puissance.] « Le risque était évident et à
ce jour il n'est pas clair comment et pourquoi les Français
ont jamais pu commettre une action aussi irréfléchie
» (p. 256). Ce fait a été la cause
la plus immédiate des interventions de protestation citées
plus haut et du refus américain de livrer l'uranium enrichi.
Bientôt le Quai d'Orsay « bataillait ... pour éviter
au moins les risques les plus embarrassants » alors que
« le CEA luttait pour garder le contrat dans sa forme originale
» (p. 257). Ce « désaccord profond »
[en français dans le texte], rapporté par la presse
dès mars 1978, poussa le Quai à insister sur la
mise au point d'une alternative en matière de combustible,
Caramel. André Giraud (devenu alors ministe de l'Industrie)
vante publiquement « le caractère parfaitement
non proliférant de ce combustible » (p. 257).
Caramel est proposé aux Irakiens fin 1977 ou début
1978 ; ils refusent. Pour finir, le Président Giscard d'Estaing
décide, en mars 1978, que l'uranium enrichi sera envoyé
charge par charge (13 kg) et irradié dès sa
livraison : ceci écarte le risque le plus immédiat
(p. 257). On continue cependant à tenter le passage à
Caramel, en particulier lors de la visite à Bagdad de M.
Raymond Barre en juillet 1979. Nouveau refus. La France s'incline
et envoie la première charge la semaine du 20 juin 1980
(p. 259).
La voie plutonium
Une livraison charge par charge ne permet plus
le détournement direct de l'uranium enrichi pour faire
la bombe, et y tenir avait pour les Irakiens un sens plutôt
symbolique (p. 260). Professeur Francis Perrin « Je suis
persuadé que l'Irak se prépare à avoir une
bombe atomique. La première chose à considérer
est que ce réacteur utilise de l'uranium enrichi, ... je
doute que l'Irak veuille utiliser directement cet uranium pour
faire une bombe ... Ils pourraient en revanche irradier du combustible
avec ce réacteur pour produire du plutonium » (p.
260).
Les auteurs tentent d'établir quelle serait la production
annuelle potentielle de plutonium dans une « couverture
» d'uranium naturel irradié par les neutrons du réacteur.
Pour ce faire, « la difficulté était dans
l'énorme secret entourant tout le projet nucléaire
irakien et dans l'habitude exaspérante des autorités
nucléaires françaises de dire des mensonges même
lorsque cela ne semble servir aucun but ». Début
1981, M. Alain Varneau, porte-parole du CEA, leur dit «
Dans ces conditions idéales, réellement idéales,
ils pourraient avoir environ 10 kg par an » (p. 263). Ce
chiffre leur paraît sidérant [2 bombes par an]. Plus
tard, après l'attaque israélienne, les autorités
se rétractent : le chiffre de 10 kg provenait « d'une
étude superficielle » ; « 2,4 kg, c'est
plus probable ». « C'est donc tout ce que les Français
considéraient comme valant la peine de faire au départ
», notent les auteurs : « une étude superficielle
». En fait, les estimations varient de 2 à
10 kg par an [le directeur de l'AIEA a annoncé 8 kg]. «
2 bombes par an ou 1 bombe tous les 2 ans » ; pour les Israéliens,
cela ne change guère. Ce qui préoccupait les
Israéliens, c'était cette production de plutonium
plutôt que le détournement de l'uranium enrichi [livré
charge par charge] ; or ils ne croyaient pas à l'efficacité
des contrôles (p. 236).
Les auteurs exposent alors un des éléments «
les plus atterrants » du dossier « L'Irak n'avait
aucune obligation légale de ne pas utiliser le réacteur
pour irradier de l'uranium naturel ... ni avec nous, ni avec
l'AIEA », indique aux auteurs un des diplomates du Quai
chargé plus tard de réviser le contrat ; «
Tout ce que fait l'AIEA, c'est de comptabiliser ces opérations
» (p. 264). [Les matériaux ainsi obtenus ouvertement
pouvaient donc être stockés sur place]. Compte tenu
des dispositifs de séparation italiens qui pouvaient être
facilement agrandis, les Irakiens mettaient donc en place ce que
le sénateur américain Alan Cranston a appelé
« un projet Manhattan pour le monde arabe radical »,
et ceci dans le cadre du TNP.
La matière première pour le plutonium
Les auteurs décrivent les achats massifs
d'uranium naturel : 138 tonnes de « yellow cake »
(qui n'est pas sous contrôle de l'AIEA) au Portugal en mars
1980, 100 tonnes du Niger début 1981 et l'accord de coopération
nucléaire extorqué au Brésil (pp. 270-272).
Plus alarmantes encore sont les tentatives d'achat d'uranium
appauvri [en U235], qui « n'a que deux utilisations
majeures : servir de lest pour un voilier [environs 15 tonnes pour
le "Pen Duick VI" d'Eric Tabarly] ou de couverture
à un coeur de réacteur pour faire du plutonium »
(p. 272) [la réduction de la teneur en U235 d'un facteur
3 diminue l'échauffement et la radioactivation de la couverture
et facilite considérablement son irradiation ainsi que
la séparation du plutonium]. L'Irak a pu acquérir
de l'uranium appauvri selon l'AIEA, mais nous ignorons combien.
Les faits les plus récents
Les auteurs évoquent les démarches
israéliennes relatives au réacteur, son bombardement
par les Iraniens, l'exode qui s'en est suivi des techniciens français,
qui ont abandonné sur place les 13 kg d'uranium enrichi
déjà livrés et l'interruption du libre
accès au réacteur pour les inspecteurs de l'AIEA
décidé à ce moment par les Irakiens (pp.
275-282). Les officiels français n'ont jamais pensé
à ce qui pourrait se passer en cas de guerre ; «
très embarrassés ... ils disent (selon le Washington
Post) que cela place tout le problème de la prolifération
nucléaire sous un jour nouveau » (p. 282). Ils décrivent
pour finir la destruction du réacteur par les Israéliens
(pp. 283-291 et 3-10).
Dans un chapitre spécial (pp. 11-21), les auteurs évoquent
les efforts faits pour améliorer le contrat dès
l'entrée en fonction du Président Mitterrand. Un
groupe de travail se met à l'ouvrage au Quai, dès
le 22 mai 1981, sous la direction de M. François Nicoullaud.
« Pour la première fois des diplomates hostiles à
la prolifération, comme Nicoullaud, ont une chance de gagner
leur petite bataille contre les marchands nucléaires exclusivement
préoccupés d'exportation » (p. 12). Il s'agissait
de colmater les « failles » du contrat, dont quelques
unes étaient « évidentes de façon choquante
» : pas d'obligation légale de ne pas utiliser
le réacteur pour irradier de l'uranium et produire ainsi
du plutonium (p. 13) ; pas de disposition claire sur
le devenir du combustible usé, hautement radioactif
et encore à haute teneur en U235 (p. 15) ; garanties
insuffisantes pour la présence des techniciens français
sur le site jusqu'à 1989, disposition tenue encore
à l'époque rigoureusement secrète. Cette
disposition fut d'ailleurs violée dans l'année
même de sa signature lors de l'interdiction faite
aux techniciens, après l'attaque iranienne d'accéder
à Osirak (p. 14). « Nous aurions voulu que soit dit
expressément que les Français sont là sur
une base permanente », dit un officiel. « La France
voulait cette fois-ci avoir la garantie que les techniciens auraient
un libre accès directement au réacteur lui-même,
pour assurer, sinon le contrôle, du moins la surveillance
efficace du fonctionnement du réacteur » (p. 14).
Les Français voulaient aussi rendre formel l'arrangement
selon lequel l'uranium enrichi allait être livré
charge par charge. Rien de tout cela n'était garanti
par le contrat initial. « Et pourtant, remarquent les
auteurs, durant 18 mois d'investigations, nous avons reçu
les assurances constantes des officiels français qu'Osirak
ne fera pas et ne pourra pas faire la bombe. Maintenant, ce diplomate
admettait ... d'un air dégagé ... que rien dans
le contrat franco-irakien n'empêchait officiellement les
Irakiens d'entreprendre une telle action ». « Nous
en étions bouleversés » disent-ils.
Le projet de révision est prêt début juin.
Le 7 juin, les Israéliens convaincus que Saddam utilisera
Osirak pour se créer une capacité nucléaire
complète (p. 19) et qu'il n'hésitera pas à
s'en servir (p. 20), détruisent le réacteur. Il
était trop tard.
Perspectives
Sans prendre position sur l'attaque, les auteurs
espèrent qu'elle aura un effet salutaire, en déclenchant
une prise de conscience face à « l'irresponsabilité
flagrante » des pays occidentaux exportateurs de technologie
nucléaire et en donnant quelques années pour répondre
à la question la plus importante posée à
l'humanité en cette fin de siècle : comment stopper
l'extension à des groupes de nations entièrement
nouveaux de la technologie de fabrication des armes atomiques
(p. 21). La fin du livre (pp. 295-326) étudie l'effondrement
du système antiprolifération actuel, les aspects
épidémiologiques de la prolifération, les
difficultés pour la France de résister à
la reconstruction d'Osirak, compte tenu en particulier de la nouvelle
association de l'Arabie Saoudite avec l'Irak (comme avec le Pakistan)
(p. 314), l'alliance Irak-Pakistan pour le nucléaire, les
faiblesses de la nouvelle politique antiprolifération de
Reagan (pp. 315-321).
La solution est dans l'embargo efficace sur les usines de séparation
et d'enrichissement, sur les grands réacteurs de recherche
et pour les pays dangereux, même des réacteurs électrogènes
; elle est dans des traités régionaux et dans des
inspections internationales et régionales les plus strictes
; elle est dans l'arrêt de la prolifération verticale.
Comme le disait George Kennan « Pour l'amour de Dieu, de
vos enfants et de la civilisation, arrêtez cette folie.
»
Roger Belbéoch,
Gazette nucléaire n°56/57, décembre 1983.