Un incendie et une explosion se sont produits
le mardi 11 mars 1997 dans l'atelier de conditionnement par bitumage
de déchets de faible activité provenant de l'usine
de retraitement de combustibles nucléaires de Tokaï-Mura
au Japon. Cette usine est exploitée par la compagnie PNC
(Power Reactor and Nuclear fuel development Corporation), qui
est en quelque sorte l'équivalent japonais du C.E.A., spécialisée
dans l'ensemble des activités du cycle du combustible et
les réacteurs à neutrons rapides. Elle a été
mise en service en 1977 et comporte plus d'une dizaine d'ateliers.
Dans l'atelier concerné, les concentrats résultant
de l'évaporation d'effluents liquides de faible activité
sont conditionnés par enrobage dans du bitume.
Un fût en cours de refroidissement dans la cellule de coulée
de bitume a pris feu à 10 h 06. Une fois l'incendie détecté,
l'exploitant a déclenché le système d'extinction
manuel (arrosage à l'eau) et a jugé l'incendie maîtrisé
une minute plus tard. Ce n'était pas le cas.
Les ventilateurs d'extraction d'air de la cellule, se sont rapidement
arrêtés, probablement à la suite du colmatage
des filtres par les suies dégagées par l'incendie.
L'exploitant a dû, par la suite, arrêter manuellement
le soufflage. L'extraction de l'air de la cellule, qui nécessitait
un changement de filtres, n'a pas pu être rétablie
malgré des tentatives répétées de
l'exploitant. La cellule n'était donc plus ventilée.
Une dizaine d'heures après l'incendie, à 20 h 04,
et alors que des opérateurs s'apprêtaient à
pénétrer dans l'installation pour tenter de nouveau
de changer les filtres, une violente explosion s'est produite
dans le même bâtiment. Cette explosion a provoqué
d'importants dégâts dans la cellule, des bris de
vitres aux quatre niveaux du bâtiment et l'ouverture des
portes donnant sur l'extérieur.
Cette explosion a entraîné des rejets de fumée
contenant des matières radioactives (césium, ruthénium
et iode). Le rejet d'iode 129 mesuré à la cheminée
est estimé à environ 40 % de l'autorisation annuelle
de rejet pour l'usine; cette valeur sous-estime sans doute le
rejet réel du fait des ouvertures de l'installation résultant
de l'accident.
Les conséquences radiologiques sur l'environnement et sur
le personnel ont été limitées. Sur 112 personnes
évacuées et contrôlées, 37 ont été
légèrement contaminées. L'exploitant a mis
en place une zone d'exclusion de 10 000 M2. Cet accident a été
classé au niveau 3 de l'échelle [médiatique] INÈS
qui comprend 7 niveaux.
Les causes de cet accident sont encore en cours d'analyse. Néanmoins,
certaines hypothèses peuvent être avancées.
Ainsi, pour l'incendie, il convient de noter que le procédé
utilisé implique une température de coulée
de bitume élevée (environ 200°C). Le refroidissement
des fûts contenant les déchets bituminés était
peut-être insuffisant pour empêcher une réaction
exothermique entre la charge saline des concentrats et le bitume,
et donc un phénomène de pyrolyse entraînant
l'émission de gaz inflammables. Il semble par ailleurs
que les opérateurs de l'atelier avaient modifié
les paramètres de production afin d'accroître la
quantité d'effluent par fût de bitume.
En ce qui concerne l'explosion, l'arrosage des fûts a certainement
été trop bref (1 minute) pour permettre leur refroidissement
et l'arrêt des réactions exothermiques. Les gaz inflammables
ont pu s'accumuler pendant 10 heures dans la cellule non ventilée
et atteindre leur domaine d'inflammation.
Ces hypothèses ne pourront être confirmées
qu'après une analyse plus détaillée des compléments
qui seront transmis par les autorités japonaises.
Un certain nombre de leçons peuvent d'ores et déjà
être tirées en France, d'autant que ce risque d'accident
n'est pas spécifique aux installations de retraitement
de combustibles irradiés. Le procédé de bitumage
est parfois employé dans d'autres types d'installations
ayant à traiter des effluent radioactifs (centre de recherche,
laboratoire, usines).
Plusieurs accidents de ce type se sont déjà produits,
tant en France qu'à l'étranger, sans toutefois entraîner
de conséquences radiologiques graves pour l'homme ou l'environnement.
Ainsi, en France, on recense 3 accidents survenus dans la zone
de gestion des effluents liquides (INB 35) du centre d'Études
du C.E.A. à Saclay (91). Le plus récent a eu lieu
le 21 octobre 1992: une inflammation de bitume s'est produite
dans l'appareil d'enrobage, sans entraîner de rejets radioactifs
dans l'environnement.
L'utilisation du bitumage est en régression dans les installations
françaises. En effet, outre le risque d'inflammation lors
des opérations d'enrobage que le bitume présente,
des anomalies ont pu être constatées dans le comportement
à moyen terme des fûts créés (entre
autres, dans les casemates d'entreposage des installations secrètes
de Marcoule). Le C.E.A. avait déjà indiqué
à la DSIN en janvier 1997 qu'il remplacerait à Saclay
d'ici 5 ans ce procédé par celui de la cimentation.
De même, COGEMA a mis en place à la Hague une nouvelle
gestion des effluents qui lui a permis de diminuer considérablement
le nombre de fûts de bitume créés. La question
reste toutefois ouverte de l'utilisation de ce procédé
pour conditionner des boues anciennes entreposées sur place.
En tout état de cause, même si ce procédé
est appelé à court terme à être remplacé,
la vigilance reste de rigueur vis-à-vis des installations
actuellement en service qui continuent à l'utiliser.
La DSIN, après l'accident de Tokaï-Mura, a demandé
aux exploitants français qui utilisent un procédé
de bitumage de même nature (C.E.A. et COGEMA) d'analyser
les enseignements et les éventuelles améliorations
que leur suggère cet événement en ce qui
concerne leurs propres installations. Par ailleurs, des inspections
ont été programmées par la DSlN.
Lors de l'inspection du 7 avril à l'installation de traitement
des effluents liquide du Centre de Saclay du C.E.A., les inspecteurs
ont constaté un nombre important d'écarts concernant
le risque incendie. En outre, aucune réflexion n'avait
été engagée à partir de l'événement
de Tokaï-Mura. Bien que les procédés, la conception
des installations et les risques soient différents, la
DSIN a considéré que cette situation n'était
pas acceptable et a suspendu l'autorisation d'exploitation de
cette unité d'enrobage bitume le 10 avril 1997.
En vue d'obtenir l'autorisation de redémarrage, le C.E.A.
a transmis à l'Autorité de sûreté un
nouveau dossier qui est actuellement en cours d'examen.
Du point de vue de la communication, la très forte couverture
médiatique donnée à cet accident au Japon
est en grande partie due à la mauvaise qualité de
l'information donnée au public par l'exploitant et les
pouvoirs publics : cette information a été lente,
souvent approximative et largement contradictoire.
PNC n'a pas retenu sur ce sujet la leçon de l'accident de MONJU. Il semble même
que PNC serait responsable d'une fausse déclaration concernant
l'extinction de l'incendie. Une enquête est en cours sur
cette déclaration. Il faut par ailleurs être conscient
que la volonté de coordination et de recherche de consensus
du système bureaucratique japonais tend à être
un frein à une bonne gestion de l'information en situation
de crise.
Cette affaire est porteuse de leçons. Il serait illusoire
de croire que la France serait exempte de risques de retard et
de confusion dans l'information donnée au public en cas
de crise nucléaire. Les exercices de crise que la DSIN
organise en France ont déjà fait apparaître
l'importance considérable que prendraient les problèmes
de communications. C'est pourquoi la DSIN a souhaité qu'une
pression médiatique soit systématiquement simulée
dans ces exercices afin de rendre plus réalistes les conditions
auxquelles sont soumises les différentes équipes
de crise. Cet effort doit être maintenu et prendre en compte
le cas d'accidents à cinétique rapide.
En conclusion, l'accident survenu le 11 mars 1997 dans les installations
de Tokaï-Mura apparaît porteur d'enseignements importants
pour la France.
D'un point de vue technique, il doit amener à maintenir
la vigilance vis-à-vis d'installations utilisant le procédé
de bitumage et à renforcer les efforts actuellement menés
pour la mise en oeuvre de procédés alternatifs.
Du point de vue de la communication, il met en évidence
la nécessité d'anticiper la coordination des différents
acteurs impliqués en situation de crise nucléaire
pour éviter des retards préjudiciables et obtenir
une bonne gestion de l'information.
La Gazette Nucléaire n°159/160, juillet 1997.
(La Gazette
du Nucléaire est éditée sur Internet
grace à Yves Renaud)