On transporte à bord des avions cargos, mais aussi des avions de passagers, des produits extrêmement dangereux : explosifs, matières inflammables, toxiques, et surtout des colis radioactifs dont le taux de radioactivité dépasse bien souvent les normes.
On trouve de tout dans les soutes des avions de lignes... Y compris des explosifs, des produits corrosifs et toxiques, sans oublier des matières radioactives. Faut-il s'en inquiéter? Les compagnies aériennes nient pour leur part que ce genre de fret fasse courir un réel danger au personnel et, a fortiori. aux passagers. "Il y a bien eu quelques rares accidents dans le passé, disent à l'unisson leurs porte-parole, mais cela ne devrait pas se reproduire. Car il y a désormais une réglementation internationale qui permet de limiter considérablement les risques. " Les personnels navigants et leurs syndicats donnent malheureusement un son de cloche différent. Les règlements édictés sous l'égide de l'IATA (l'Association internationale du transport aérien) sont généralement appliqués avec un laxisme préoccupant par la plupart des compagnies(1). L'opération de contrôle qui a été menée au printemps dernier à l'initiative du personnel d'Air France sur un certain nombre de vols long-courrier donne, il est vrai, des arguments non négligeables aux alarmistes.
Il s'agissait en l'occurrence de vérifier à l'aide de radiamètres (des appareils capables de détecter les rayons X et gamma entre 60 KeV et 2 MeV) si les normes de l'IATA étaient réellement respectées en ce qui concerne le transport des produits radioactifs qui ne cesse de s'accroître.
Au départ de la France, par exemple, le Commissariat à l'énergie atomique, expédie une cinquantaine de colis par jour à destination du monde entier. Et il n'est pas le seul. Les utilisations des sources radioactives et notamment des éléments à très courtes durées de vie - ce qui impose un mode de transport très rapide - se multiplient en effet tant en médecine que dans l'industrie. Pour tester des matériaux ou vérifier l'usure des pistons d'un moteur, par exemple. Ce sont ainsi des millions de curies qui sillonnent chaque année le ciel. Bien que ces radioéléments soient toujours transportés dans des boîtes de plomb qui absorbent la plus grande part des rayons nocifs, il est difficile de ne pas se poser de question sur les mesures de sécurité à prendre.
Pendant les deux mois qu'a duré l'enquête, les contrôles devaient porter sur 17 vols long-courrier pris au hasard. Alors que le personnel des compagnies aériennes découvre parfois la présence d'éléments radioactifs non déclarés dans leur cargaison, les agents d'Air France devaient être rassurés, cette fois-ci, sur ce point: les radiamètres n'ont rien décelé si ce n'est dans les cinq avions où les documents remis à l'équipage indiquaient clairement la présence de fret radioactif. Malheureusement, en ce qui concerne ces derniers, de graves anomalies devaient être découvertes dans quatre cas sur cinq. Un risque très réel de contamination a même été mis en évidence.
La première anomalie, par ordre de gravité concernait un avion cargo arrivant à Paris le 1er juin en provenance de Montréal via Chicago avec quatre colis radioactifs à bord. Or l'un d'entre eux présentait une intensité de rayonnement nettement supérieure à celle qui était annoncée par les documents de fret. Les normes de sécurité n'ont toutefois pas été dépassées.
La seconde, nettement plus préoccupante, a été décelée le 25 mai lors d'un chargement à Montréal. Sur cinq colis contenant divers radioéléments destinés à l'industrie pharmaceutique, deux posaient problème. L'un dégageait, à 1 mètre de distance 16 millirem (1) par heure au lieu des 7 indiqués sur la déclaration et l'autre 18 au lieu de 5. Des doses qui dépassaient largement les normes maximum (voir encadré). Plus grave, on a constaté que le plancher de la soute dégageait encore un rayonnement équivalant à 5 à 6 millirem par heure après le déchargement ; il y aurait eu contamination.
Troisième incident, la découverte, le 14 avril, d'une source radioactive dans la soute d'un avion-cargo en partance de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle pour un des émirats du Golfe. Il s'agissait de deux fûts métalliques de cinquante litres, qui, selon la déclaration remise au commandant de bord, venaient de Bâton Rouge en Louisiane et contenaient de l'iridium 192, un radioélément utilisé par l'industrie pétrolière. La dose de radiations enregistrée par le radiamètre était cinq fois supérieure au chiffre indiqué sur les documents : 30 millirem par heure, soit 15 millirem par colis alors que le maximum autorisé est de 10. L'anomalie avait encore été aggravée par une négligence lors du chargement: les deux fûts avaient été placés sous le salon du poste d'équipage alors que, selon la réglementation, ils auraient dû être installés à l'arrière du pont principal, c'est-à-dire le plus loin possible de toute présence humaine.
Les syndicalistes citent enfin le cas d'un boeing 747 combi arrivant à Roissy le 25 juin dernier en provenance de Montréal via Chicago. S'agissant cette fois d'un appareil qui transportait aussi des passagers, le problème du risque ne concernait plus seulement l'équipage. Un carton de thallium 201 - un poison extrêmement violent - avait été chargé à Chicago: on l'a retrouvé au milieu des bagages de l'équipage, sans aucun arrimage particulier... Ce colis, qui avait été mal étiqueté n'aurait en fait jamais dû être embarqué sur un avion transportant des passagers, son taux de rayonnement étant beaucoup trop élevé pour satisfaire les normes en vigueur. Mais ce n'est pas tout. Le même avion allait offrir une autre surprise: on n'y retrouva aucune trace de dix colis embarqués à Montréal et contenant du molybdène 99, du carbone 14 ainsi que de l'iode 125 à usage médical. Ces 130 kilos de marchandises radioactives avaient été débarqués par erreur à Chicago: il a fallu plusieurs heures pour les retrouver. Quelles conclusions tirer de cette opération de contrôles surprises ? " Notre but n'est pas de faire interdire le transport aérien des isotopes radioactifs, explique M. Lesage, l'un des officiers mécaniciens qui a mené l'enquête. Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité d'acheminer très rapidement certains de ces produits qui ne vivent que quelques jours. Surtout dans le cas des substances à usage médical. Le problème du respect de la réglementation n'en reste pas moins posé," La sécurité des personnes - équipages ou passagers - impose que les compagnies prennent des précautions et renforcent les contrôles.
Car il s'agit d'un problème général qui concerne toutes les compagnies et pas seulement Air France. Les syndicats citent pour souligner ce fait un incident intervenu à la même époque sur un appareil d'Air Canada reliant Saskatoon à Toronto. On a découvert, le 20 juin dernier, que 58 barils chargés sur cet avion et contenant environ 2 tonnes de poudre d'uranium étaient mal scellés : l'un d'entre eux s'est ouvert pendant le trajet et 19 litres de poudre se sont répandus dans la soute à bagages. Les 119 passagers n'ont évidemment pas été informés de ce fâcheux accident. Il est clair par ailleurs que les transporteurs aériens ne peuvent plus se permettre de faire aveuglément confiance aux déclarations de leurs clients. Il conviendrait par ailleurs, que les compagnies vérifient la nature des marchandises qu'elles transportent. Les navigants d'Air France n'hésitent pas à dénoncer l'abus que font certains transitaires de l'étiquette "rush for medical use" qui permet d'embarquer sur des avions de passagers des objets radioactifs qui devraient normalement attendre un avion-cargo.
L'opération n'aura en tous cas, pas été inutile. Air France a d'ores et déjà commencé à équiper tous ses avions-cargos de radiamètres, comme l'a fait quelques mois auparavant la compagnie privée UTA, également sous la pression du personnel.
Mais pourquoi Air France refuse-t-elle de prévoir le même dispositif de surveillance sur ses avions de passagers ? Peut-on se permettre de prendre le moindre risque en la matière ?
2600 PRODUITS DANGEREUX Il n'y a pas que les matières radioactives. 2600 articles réglementés, dont certains sont refusés par la Marine marchande, peuvent être embarqués sur des avions-cargos et même sur des avions de passagers.
D'après les spécialistes et experts consultés par le Syndicat national des pilotes de ligne, il conviendrait d'interdire le transport aérien au minimum d'une quarantaine de produits ou, pour certains, d'en diminuer les quantités autorisées, particulièrement sur les avions de passagers. Les commandants de bord se plaignent d'être souvent mal informés et trop tard (souvent 5 minutes avant le départ) de la présence de matières dangereuses dans les soutes. Or, tel colis contenant un solide inflammable maintenu mouillé à 10% peut devenir un dangereux explosif si l'eau du récipient s'écoule par une fuite.
La réglementation actuelle permet, par exemple, de transporter du phosphore blanc ou jaune (solide inflammable et poison), qui, hors de l'eau, dégage des vapeurs toxiques et s'enflamme à une température voisine de 30 degrés C; l'on imagine sans peine ce qui se passerait en cas de rupture d'emballage dans un pays tropical, ou en vol, avec une surchauffe de conditionnement d'air! Lorsqu'un feu se déclare à bord, c'est grave, car les différents revêtements plastiques dégagent alors des vapeurs très toxiques (acide fluorhydrique et acide cyanhydrique).
Si la dernière réglementation édictée par l'IATA indique les effets primaires des produits dangereux, elle omet trop fréquemment les effets secondaires, souvent aussi graves. L'anhydride sulfureux en solution, par exemple, est rangé parmi les matières corrosives; or il dégage aussi des vapeurs toxiques et suffocantes.
Quant à la dénomination ORA (other restricted articles) qui concerne tous les autres produits réglementés qui ne figurent pas sur la liste, elle est trop souvent prétexte à transporter un produit dangereux sans respecter les mêmes limitations quantitatives; il suffit que l'expéditeur argue d'un secret de fabrication et rajoute une poudre de perlimpimpin et le produit passe dans la classe ORA, sans que le pilote puisse en connaître la composition exacte. En cas d'accident, de mauvaises manipulations ou de feu, l'équipage serait totalement désarmé pour prendre une décision.
Si vous apercevez sur les aéroports ou ailleurs, des colis radioactifs, vous saurez les reconnaître; on les classe en 3 catégories selon l'intensité du rayonnement qu'ils dégagent.
Catégorie I. Etiquette blanche. Intensité maximale au contact: jusqu'à 0,5 millirem/heure. A un mètre de distance : aucune radioactivité décelable. On peut en embarquer autant qu'on veut a bord de tous avions.
Catégorie II. Etiquette jaune. Intensité maximale au contact: jusqu'à 50 millirem/heure. A un mètre de distance: jusqu'à 1 millirem/h.
Catégorie III. Etiquette jaune. Intensité maximale au contact: Jusqu'à 200 millirem/h. A un mètre de distance: jusqu'à 10 millirem/h.
D'après la réglementation IATA, on peut embarquer les types de colis Il et III à bord de tous avions. Toutefois, certaines compagnies américaines et Air France ne chargent volontairement ces catégories qu'à bord d'avions-cargos, sauf déroga tion. De toute façon, dans l'un et l'autre cas, l'intensité maximale à 1 m de la totalité des colis radioactifs embarqués à bord d'un avion ne peut dépasser 50 millirem/h.
Jacqueline DENIS-LEMPEREUR,
Science et Vie n°758 novembre 1980.