Dans une
lettre datée du 15 mars 2000 Jérôme GOELLNER,
Adjoint au Directeur de la Sûreté des Installations
Nucléaires, adresse une série de demandes au Directeur
de la Division Production Nucléaire ELECTRICITE DE FRANCE
afin que soit pris en compte le risque d'inondation sur les centrales
nucléaires en exploitation...
La tempête du 27 décembre 1999 et les inondations à la centrale du Blayais: la sécurité absolue ne peut pas exister. Où lon perçoit comment une situation peut dégénérer en accident majeur.
Dans lestuaire de la Gironde le 27 décembre
au soir, sous leffet de la tempête avec vents violents
et pression barométrique au plus bas mais avec un coefficient
de marée relativement faible de 77, des vagues sont passées
au-dessus de la digue de protection de la centrale et ont inondé
des galeries souterraines. La conjonction de la tempête,
derreurs de conception minimisant le risque dinondation
dès la construction de la centrale, aggravées par
la non-réalisation par EDF des travaux de rehausse de la
digue et de remise en état demandés par lAutorité
de Sûreté et la conséquence : un incident
très grave. Il est ainsi montré que la DSIN na
pas de pouvoir réel vis-à-vis dEDF, et les
autorités de tutelle (ministère de lindustrie
et ministère de lenvironnement) ne sont guère
dun grand secours. Elle doit accepter finalement les conditions
dEDF, mais les travaux envisagés auraient de toute
façon été insuffisants. Les 90 millions de
litres deau de la Gironde passés par dessus bord
ont inondé linstallation rendant indisponibles des
circuits vitaux pour la sécurité des réacteurs
avec mise en uvre dans la centrale du PUI niveau 1 (plan
durgence interne conventionnel), reclassé par lautorité
de sûreté en PUI niveau 2 (PUI radiologique intérieur)
avec, pour la première fois, mise en place en temps
réel dune organisation nationale de crise [1] avec
collaboration entre EDF et la Direction de la Sûreté
des Installations Nucléaires (DSIN) et de son appui technique
lInstitut de Protection et de Sûreté Nucléaire
(IPSN). Cela aurait pu être pire et cela a été
souligné quelques jours plus tard.
Rappelons que cest un article publié le 5 janvier
par le journal Sud-Ouest qui a révélé
la gravité de lincident avec un titre rétrospectivement
alarmiste " Très près de laccident
majeur " et dans le sous-titre " le
scénario catastrophe a été évité
de justesse ". Bien sûr lhabitude des
rédactions est " daccrocher "
le lecteur, mais larticle nétait pas une élucubration
de journaliste car il rapportait les explications dun représentant
local des autorités de sûreté, (un responsable
de la division nucléaire à la DRIRE de Bordeaux
-Direction régionale de lindustrie, de la recherche
et de lenvironnement-) et qui montraient la gravité
de lincident et comment il aurait pu dégénérer
avec possibilité de fusion du cur.
Pourquoi linformation est-elle sortie 8 jours après
lévénement ou, autre éclairage,
nest-elle sortie que 8 jours après ? EDF et DSIN
avaient bien émis des communiqués de presse les
jours précédents, (le premier communiqué
de la DRIRE est du 28 décembre) mais dune façon
si laconique pour le profane parmi les nouvelles des ravages visibles
de la tempête, que personne navait soupçonné
limportance de ce qui sétait passé et
cela navait pas suscité la curiosité des journalistes.
Dun côté il fallait quand même bien faire
savoir à lextérieur du cénacle que
la gestion par EDF et la DSIN dun événement
potentiellement très grave avait été un succès,
doù larticle de Sud-Ouest. Dun
autre côté il ne fallait pas non plus trop affoler
le public ce qui explique que par la suite, conformément
à la routine, les efforts ont plutôt consisté
à calmer le jeu. Alors quon peut se demander comment
les choses auraient tourné si, pur hasard, au lieu dun
coefficient de marée de 77 il avait été de
118 avec le plus fort de la tempête au moment des plus hautes
eaux, si la crainte du méchant " bug 2000 "
navait pas conduit à réviser au préalable
tous les groupes électrogènes et à mobiliser
toutes les compétences tant à EDF quà
la DSIN et à lIPSN avec un personnel sur le qui-vive
à la centrale
Communiqués et dossiers de presse ont été
publiées depuis par EDF [2], lIPSN [3] [4] et des
articles sont parus dans la presse [5]. Un rapport dEDF
concernant cet " incident significatif " a
été remis dernièrement à la DSIN et
lIPSN analyse les données informatiques enregistrées
à la centrale.
Plus prosaïquement nous tentons dans ce dossier de donner
quelques informations résultant dune enquête.
En recoupant les renseignements que nous avons obtenus de diverses
sources, voire de leurs contradictions, nous essaierons de pointer
les " trous " de linformation révélateurs
de conditions qui auraient pu conduire à une situation
difficilement maîtrisable. Dans dautres circonstances
cet incident aurait pu dégénérer en accident
grave avec fusion du cur et rejets radioactifs importants
dans lenvironnement. Apparemment ce nétait
pas un scénario prévu, les vagues nétaient
pas prévues, la perte conjointe de circuits de sauvegarde
non plus. Il importe donc dessayer dy voir un peu
plus clair ne serait-ce que pour tenter dévaluer
la confiance que lon peut avoir dans les études de
sûreté et les gestionnaires du nucléaire.
Quelques généralités
La centrale nucléaire du Blayais
comporte 4 tranches de 900 MW. Les travaux ont commencé
en 1976 (réacteur-1) et 1977 (réacteurs-2,3,4).
Les réacteurs-1 et 2 ont été couplés
au réseau en 1981, et Blayais-3 et 4 en 1982 et 1983. Les
deux décrets de création [6] mentionnent la protection
contre le risque sismique mais dans le paragraphe traitant de
la protection contre les agressions de lenvironnement le
risque dinondation nest pas même mentionné.
Ce nest quen 1984 que sera énoncée la
Règle Fondamentale de Sûreté relative à
la " prise en compte des inondations dorigine
externe " [7].
Lestuaire de la Gironde, le plus grand dEurope (800
km2), sétend profondément à
lintérieur des terres. Le phare de Cordouan est à
lentrée de lestuaire et le chenal de navigation
longe depuis la Pointe de Grave la rive gauche de lestuaire
qui borde les vignobles célèbres du bordelais, jusquau
Port Autonome de Bordeaux, sur la Garonne, à 95 km de lembouchure
de lestuaire. Pour les impératifs de navigation le
Port Autonome a installé tout le long de la Gironde en
rive gauche un réseau de 9 marégraphes émetteurs
qui donnent toutes les 5 minutes la hauteur de marée du
lieu [8].
Rappelons que la centrale nucléaire du Blayais située
à 45 km de lembouchure a été construite
sur des marais de la rive droite (ayant nécessité
des travaux de fouille, pieutage etc.) ce qui nest certainement
pas lidéal pour une installation de ce genre en dehors
du faible prix du terrain, à environ 25 km en aval du Bec
dAmbès, confluence de la Garonne et de la Dordogne.
Lestuaire de la Gironde représente un système
hydrologique très complexe et il est considéré
que les marées sont déterminantes pour la prévision
des niveaux deau en Gironde au niveau du Blayais, lapport
Dordogne et Garonne étant relativement peu important en
aval du Bec dAmbès. Il ny a pas de marégraphe
à proximité du site ni de houlographe. EDF a ses
propres stations météo mais celle du Blayais est
tombée en panne lors de la tempête du 27 décembre
dernier. Les deux stations marégraphiques du Verdon et
du Richard, les plus proches de lembouchure, émettent
vers la centrale " pour déclenchement dalarme
en cas de surcote de marée exceptionnelle "
[8].
Nous allons montrer quEDF a sous-estimé dès le départ le risque lié à linondation externe en ne tenant pas compte des données existantes, puis a mégoté sur les remèdes à apporter mais que ces " remèdes " auraient été dérisoires. Nous tenterons destimer la hauteur de la protection qui aurait été nécessaire si on envisage des conditions plausibles plus défavorables que celles rencontrées le 27 décembre 1999.
I-Le positionnement de la plate-forme de la centrale lors de la construction (1976)
Nous navons pas réussi à
obtenir le dossier de sûreté relatif à la
construction de la centrale, ni à le consulter. Les spécialistes
du Laboratoire National Hydraulique dEDF et du Centre dingénierie
générale dEDF nous ont précisé
que ce dossier comportant 2 gros tomes était destiné
à ladministration de tutelle. Même manque dempressement
de la part de lIPSN dont les experts vérifient les
calculs dEDF.
Plusieurs interlocuteurs nous ont fait remarquer quà
lépoque " ils étaient en culottes
courtes " ! Sil subsiste peu de témoins
oculaires espérons quil y a eu un meilleur archivage
concernant les calculs de cette plate-forme et sa construction
que dans le cas des échantillons témoins de lalliage inconel
600 ayant servi à fabriquer les manchons de couvercles de cuves, archivage quasiment inexistant
révélé lors de lanalyse des causes
de la fissuration des manchons (Gazette Nucléaire
125/126, avril 1993) ayant conduit au remplacement des couvercles
de cuves
Ce problème de perte de la mémoire
des installations peut devenir important lorsquelles vieillissent.
1) Laltitude (ou cote) de la plate-forme de lîlot
nucléaire est rapportée au niveau de référence
terrestre représenté par le niveau moyen du plan
deau à Marseille, qui est par définition à
0 mètre daltitude de la carte du " Nivellement
Général de la France " (NGF). Les repères
de nivellement ont été réactualisés
par lInstitut Géographique National en 1969 (système
IGN69). Cependant, tout le monde (EDF, DSIN, IPSN, Port autonome
de Bordeaux) raisonnant encore avec le système précédent
dit " système Lallemand NGF" nous ferons
de même et les cotes seront estimées en mètres
NGF (mNGF).
Daprès EDF et la DSIN la plate-forme de la centrale
du Blayais a été érigée à 4,50
mNGF. Pour savoir si elle est bien dimensionnée vis-à-vis
du risque inondation il faut la comparer au niveau des plus hautes
eaux déjà observées ou susceptibles dêtre
rencontrées dans lestuaire.
2) Le risque
dinondation et les niveaux deau en Gironde pris en
compte lors de la construction
Quelle était la règle au moment où les
travaux ont commencé en 1976 ?
On remarquera que les travaux de construction de la quasi-totalité
des réacteurs actuellement en service ont démarré
avant la parution de la Règle Fondamentale de Sûreté
sur la " Prise en compte du risque dinondation
dorigine externe " [7]. On compte 7 réacteurs,
Cattenom-4, Golfech-2, Penly-2 et les 4 réacteurs du palier
N4 de Chooz et Civaux dont la construction a démarré
après, mais les plates-formes de Penly, Golfech et Cattenom
étaient déjà faites. Reste donc uniquement
le palier N4 qui devrait être aux normes de la RFS.
Lédition publique de janvier 1982 des textes du Rapport
de sûreté commun à toutes les tranches du
palier 900 MW sapplique à la centrale du Blayais
dont les 4 réacteurs ont divergé avant cette date.
Au chapitre dune demie page seulement relatif à la
protection contre les inondations [9] on peut lire qu " Afin
de respecter les trois objectifs fondamentaux de sûreté
tous les matériels (structures et composants) liés
à la sûreté cest à dire
ceux des systèmes de sauvegarde, des systèmes nécessaires
au refroidissement du réacteur, des systèmes de
confinement radioactifs- sont protégés de la " crue
majorée de sécurité ".
Nous verrons que ces objectifs nont pas été
tous respectés lors de linondation.
Le cas des estuaires nest pas traité comme un cas
particulier. Il nest question que des sites fluviaux et
des sites en bord de mer. Pour les sites en bord de mer la " crue
majorée de sécurité " correspond
à la conjonction de marée maximale (coefficient
120) avec la surcote millénaire ".
Au Blayais, EDF et la DSIN indiquent une " cote
majorée de sécurité " de 4 mNGF
pour une hauteur de plate-forme placée finalement à
4,5 mNGF. Voyons donc si ces valeurs sont " conservatives "
par rapport aux niveaux deau observés.
3) Les hauteurs deau et les surcotes
observées. Attention, les marégraphes ne donnent
aucune indication sur les vagues.
Soulignons tout de suite que beaucoup
de personnes, y compris des experts en sûreté, ignorent
que les marégraphes, dont les indications doivent
servir à la navigation dans le chenal, ne donnent aucune
indication sur lagitation du plan deau car
ils sont pourvus dun amortisseur tel quils ne renseignent
que sur le niveau moyen horizontal du plan deau. Donc, aucune
indication en Gironde sur le " clapot "
et les vagues.
Le Service Hydrographique et océanographique de la marine
(SHOM) de Brest a un répertoire des plus forts coefficients
de marée rencontrés au printemps et en automne depuis
1868 qui nous a été transmis. En simplifiant, disons
que les prédictions des plus hautes eaux (et des plus basses
eaux) qui figurent dans lannuaire des marées du Port
Autonome de Bordeaux, sont calculées par le SHOM à
partir dun modèle spécifique à lestuaire
de la Gironde tenant compte de la topographie locale pour des
conditions météorologiques normales (temps calme,
pression barométrique à 760 mm de mercure).
Les services du Département hydrographique du Port Autonome
de Bordeaux enregistrent en continu les hauteurs deau dans
les différentes stations de mesures marégraphiques
situées sur la rive gauche dont celles du Verdon, Richard,
Pauillac, et donc, pour chaque marée, les niveaux réels
des plus hautes eaux qui dépendent de chaque lieu et des
conditions météorologiques de vent et de pression
barométrique. Ces niveaux sont ensuite comparés
aux niveaux deau prévus par le SHOM en chacun des
endroits. La différence de ces deux niveaux deau
est la surcote (il peut y avoir décote).
Les surcotes les plus importantes observées ne correspondent
pas obligatoirement aux coefficients de marée les plus
élevés.
Si les stations du Verdon, la plus proche de lembouchure
de lestuaire, et celle du Richard servent dalarme
en cas de " niveau haut de la Gironde ", ce
sont les hauteurs deau enregistrées en face du Blayais
à Pauillac (à 2,4 km en amont) qui fournissent
la base de données pour la centrale en ce qui concerne
les phénomènes hydrologiques.
Ce qui importe ici pour le positionnement de la plate-forme cest
laltitude (cote terrestre) en mètres NGF correspondant
aux niveaux deau observés en Gironde, qui, eux, sont
définis par rapport à des références
hydrographiques. Dans lestuaire la référence
est le zéro détiage du lieu. (Voir annexe
1).
Si lon prend la définition donnée dans les
documents publics de 1982, il faut évaluer la " crue
majorée de sécurité " à
partir de la marée de coefficient 120 et de la surcote
millénaire (plus tard on dira millénale) .
Marée de 120 et surcote millénaire :
On dispose dun échantillon historique de hauteurs
prévues pour les marées. Entre 1900 et 1975 le Port
autonome nous a fourni quelques données de coefficients
extrêmes sur Pauillac :
-2 coefficients 119 (3 mars 1900 et 14 mars 1918) hauteurs de
6 m et 5,90 m
-4 coefficients 118 (automne 1935 et printemps 1949, 1967, 1975)
de hauteurs toutes prévues à 5,85 m.
Ces hauteurs deau correspondent à des altitudes comprises
entre 3,30 et 3,45 mNGF (Annexe 1).
Nous donnons ci-après quelques exemples des plus fortes
surcotes (Table 1) et des plus hauts niveaux observés à
Pauillac (Table 2).
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27-12-1999 07-02-1996 04-02-1955 21-10-1980 10-11-1965 05-01-1919 07-01-1919 29-12-1951 |
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Considérons maintenant parmi les plus hauts niveaux (Table 2) ceux observés à Pauillac avant 1975 : il y a au moins deux niveaux deau auxquels correspondent une altitude supérieure à 4 mètres en 1937 et 1941 laissant une marge de sécurité ridiculement faible pour la valeur choisie par EDF pour positionner la plate-forme :
Date
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27-12-1999 14-03-1937* 28-03-1979 23-12-1995 07-02-1996 11-01-1978 16-02-1941* |
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Ainsi, avec plusieurs surcotes observées dépassant 1,20 m et atteignant 1,43 m lors dune marée de coefficient 55 en février 1955 on voit que la cote majorée de sécurité à 4 mNGF était sous-estimée et la mise en place de plate-forme à 4,5 mNGF déjà trop basse alors quil nétait pas tenu compte dune marée millénaire exceptionnelle.
Après 1975 un coefficient 119 le 9 mars 1993 à 6 m. Parmi quelques coefficients 118 le 18 mars 1980 une hauteur prévue de 5,85 m et surtout de 6,25 m pour le 29 mars 1998.
II- La modification de linstallation : mise en place dune digue suite à la règle fondamentale de sûreté RFS I.2.e du 12 avril 1984 sur la prise en compte du risque dinondation dorigine externe.
Lobjet de la RFS [7] : " La
pratique réglementaire française prévoit
notamment que larrêt sûr des réacteurs
dune centrale nucléaire, le refroidissement du combustible
et le confinement des produits radioactifs pourront être
assurés en cas dinondations plausibles dorigine
externe (
) ".
Depuis 1984 la protection de chaque site est obtenue par un
calage des plates-formes supportant les bâtiments abritant
les matériels et équipements associés importants
pour la sûreté à une cote dite " cote
majorée de sécurité " (C.M.S)
sappuyant partiellement sur une méthode probabiliste
et par lobturation des voies daccès deau
situées au-dessous du niveau de calage des plates-formes.
Suite à lincident du Blayais, la quasi-totalité
des centrales devant être vérifiées pour le
risque dinondation [4] nous donnons succinctement lensemble
des définitions des C.M.S.
1) Définitions de la Cote majorée
de sécurité
a) Cote majorée de sécurité
pour les sites fluviaux :
Il faut déterminer la relation entre les débits
et les hauteurs deau.
La C.M.S est le plus haut des 2 niveaux suivants :
-niveau atteint par le débit dune crue millénale
majoré de 15%
-niveau atteint par le débit résultant de la conjonction
de la plus forte crue connue, ou de la crue centennale si elle
est plus importante et de leffacement de louvrage
de retenue le plus contraignant.
b) Cote majorée de sécurité pour
les sites en bord de mer : elle correspond à la conjonction
de la marée maximale calculée (de coefficient 120)
et de la surcote marine millénale.
c) Cote majorée de sécurité en
estuaire. Elle est le plus haut des 3 niveaux suivants :
-niveau atteint par la conjonction de la surcote marine millénale
et de la marée de coefficient 120
-niveau atteint par la conjonction de la crue millénale
fluviale et de la marée de coefficient 120
-niveau atteint par la conjonction de la plus forte crue fluviale
connue etc. (comme indiqué précédemment pour
les sites fluviaux) et dune marée moyenne de coefficient
70.
Pour la centrale du Blayais on considère
le 1er des 3 niveaux, surcote marine millénale
et coefficient 120. (Le coefficient maximum observé en
Gironde est de 119).
Il est précisé quun système dalerte
sera prévu " pour permettre la mise à
létat sûr des réacteurs nucléaires
dans des délais compatibles avec la montée des eaux ".
Lors de la récente tempête un signal de hautes eaux
émis par la station du Verdon, la plus proche de lembouchure
de lestuaire de la Gironde, a été transmis
au réacteur-4 et il a été dit quil
naurait pas été retransmis aux autres tranches.
On peut se demander pourquoi cest le réacteur le
moins susceptible dêtre inondé qui était
chargé de recevoir cette information et pas les tranches
1 et 2 les plus concernées.
Il ny a pas eu mise en conformité du site après
la parution de cette règle fondamentale de sûreté
de 1984 puisquil ny a pas eu obturation des voies
daccès de leau situées au-dessous du
niveau de calage de la plate-forme. On a pu constater, lors de
la tempête, que les galeries souterraines nont pas
été protégées.
2) Les modifications apportées à
linstallation
a) Première réévaluation.
Suite à la parution de la règle de sûreté
une réévaluation a été effectuée.
" Pour la centrale du Blayais, la cote majorée
de sécurité a été examinée
en 1980, à partir de 21 années denregistrement
de marée à Pauillac (de 1957 à 1977) et en
tenant compte du volume de stockage des marais en aval de la centrale
en cas de débordement de la Gironde. La CMS révisée
était comprise entre 4,83 et 4,96 m NGF EDF a alors proposé
la réalisation dune digue tout autour de la centrale,
calée à 5,20 mNGF pour la partie à proximité
de la Gironde et à 4,75 mNGF ailleurs " [1].
Daprès les renseignements fournis
par lIPSN, la cote majorée de sécurité
a été définie de la manière suivante :
Marée de coefficient 120 : 3,22 mNGF
Surcote millénaire 2,04
Écrêtement due aux marais - 0,36
Doù la C.M.S 4,90 mNGF (de 4,83 à 4,96 mNGF)
La digue construite pour protéger le
site est calée à 5,2 mNGF et rehausse la protection
côté Gironde de 0,70 m. Ceci laisse 30 cm seulement
au-dessus de la valeur moyenne de la C.M.S.
Plusieurs sujets détonnement :
-tenir compte dun " écrêtement "
dû aux marais situés en aval. Il na donc pas
été envisagé quil puisse y avoir une
saison des pluies telle que les marais soient gorgés deau au
point dêtre incapables den " stocker "
davantage ?
-lintervalle de confiance de la surcote déterminée
dune manière probabiliste est de 6,5 cm seulement
autour de la valeur moyenne. Ce point sera discuté ci-après.
-pour la marée de 120 le niveau deau atteint a été
considérée comme correspondant à une cote
terrestre de 3,22 mNGF. Or à une hauteur deau de
6 m ayant été observée en 1900 pour un coefficient
119 il correspondait une cote terrestre de 3,45 mNGF !
b) Deuxième
réévaluation [1].
A la demande de lAutorité de sûreté
un réexamen de la sûreté a été
engagé à partir de 1990, la CMS a été
établie à 5,46 mNGF et EDF a proposé de rehausser
la digue de 50 centimètres dans son rapport de sûreté
de 1998 soit à 5,70 mNGF.
Or, non seulement il y a eu en 1995 et 1996 des niveaux deau
très élevés en Gironde comme le montre le
tableau 2, mais lannuaire des marées du Port Autonome
indique, daprès les calculs du SHOM, quen 1998,
pour la marée de 118 du 29 mars au matin était prévue
une hauteur deau de 6,25 m soit 3,66 mNGF, plus élevée
que toutes les marées de 118 et 119 observées antérieurement
(cet écart serait compatible avec la modulation diurne
de la marée, pour un même coefficient la hauteur
deau prévue peut varier entre marée du matin
ou du soir. Cela nest pas dû à lintroduction
dune méthode différente de calcul de lamplitude
des marées). Or EDF a encore tergiversé pour neffectuer
les travaux quen 2000 puis les a reportés en 2002
à la visite décennale [5].
Nota :
à propos de la méthode probabiliste et de lestimation
de la surcote millénale (le
même genre danalyse est effectué pour les débits
de crues des fleuves, [10]).
Très schématiquement : on dispose dun
échantillon historique de surcotes à partir des
mesures effectuées dans les stations marégraphiques.
On se fixe un seuil de surcote et on regarde toutes les surcotes
supérieures à ce seuil. On crée un modèle
probabiliste avec une loi mathématique représentant
cet échantillon de surcotes avec leur fréquence :
tous les ans (fréquence 1) il y a eu N événements
avec une surcote de x mètres, tous les 10 ans (fréquence
annuelle 0,1) il y a eu tant dévénements avec
une surcote de tant de mètres, et on extrapole à
la fréquence 0,001 correspondant à la surcote millénale.
On doit tenir compte dincertitudes : sur les mesures
effectuées, sur le choix du modèle statistique,
sur la taille de léchantillon statistique et sur
sa représentativité. Étant donné ces
incertitudes on adopte un intervalle de confiance à 70%
entourant la valeur moyenne de la surcote millénale calculée.
On prend la borne supérieure de lintervalle. On pense
avoir été très conservateur
et on
voit le résultat des courses avec ce qui sest passé
au Blayais ou, en plus, on na pas tenu compte des vagues
!
A propos de lincertitude : lors de la tempête
il a été mesuré une surcote de 1,64 m au
Verdon par le marégraphe du service dalarme des crues
du Bassin Garonne-Adour alors que celui du Port Autonome de Bordeaux
a mesuré au Verdon 1,55 m (après la tempête
les données ont été récupérées
dans la mémoire de lenregistrement, voir annexe 2).
Il y a donc un écart de 9 cm alors que la borne supérieure
de la plage à 70% du calcul de la CMS est à 6 cm
seulement de la valeur moyenne.
On remarquera quen épidémiologie il faut toujours
prendre un intervalle de confiance de 95% et là, il est
admis quEDF ne prenne que 70% ce qui diminue lintervalle
et abaisse la borne supérieure de la plage. Ceci est beaucoup
moins pénalisant pour laltitude de la plate-forme
qui coûte moins cher à construire. Pourquoi lautorité
de sûreté a-t-elle accepté ce 70% ? Est-ce
le fruit dune " transaction " ?
Il est vrai que cela naurait pas suffi pour empêcher
linondation mais cela montre de quel côté penche
toujours la balance lorsquil sagit de sûreté.
La sûreté ne fait pas le poids vis-à-vis des
impératifs de moindre coût dEDF.
On remarquera aussi que tous ces calculs probabilistes comparent
les résultats obtenus à la valeur de 10-7
par an car on ne prend pas en compte les familles dévénements
dont la fréquence estimée annuelle est, par tranche,
nettement inférieure à 10-7.
Pour les sites marins il ne semblait pas y avoir de problème :
surcote millénale de courte durée et non corrélée
à la marée de 120 peu fréquente (tous les
17 ans [11]) et ne durant que 2 heures environ, étaient
considérés comme des événements à
probabilité très faible. On voit ce qui est résulté
lors dune marée fréquente de coefficient 77 !
Les crues millénales existent aussi pour les fleuves, la
probabilité annuelle est 10-3 par définition,
bien plus élevée que pour les sites marins. Il y
a donc de quoi sinquiéter et cest la raison
pour laquelle la C.M.S majore de 15% le débit correspondant
à la borne supérieure de lintervalle de confiance.
Mais est-ce suffisant ? Il ne semble pas puisquil faut
désormais refaire tous les calculs.
Un tel événement tel que celui
du 27 décembre et qui peut se reproduire est-il modélisable ?
La question se pose. Ce sont bien des vagues qui ont submergé
la digue et ce nétait pas prévu.
On peut paraphraser un spécialiste en sûreté
nucléaire, qui, au sujet des débits de crues à
probabilité très faible et en labsence de
loi crédible en ce domaine dit "Le déluge
nest pas, en effet, un événement probabilisable "
[11].
III - A quelle altitude aurait dû être érigée la digue de protection ou la plate-forme ?
La soirée du 27 décembre 1999.
Lamplitude des vagues
Il est évident que la marée
(phénomène astronomique) et la tempête sont
deux phénomènes indépendants dont la conjonction
nest pas probabilisable.
La hauteur prévue de pleine mer à 21h48 par lannuaire
des marées à la date du 27 décembre au soir
avec un coefficient de marée de 77 était de 5,05
m (cote 2,46 mNGF). Il a été enregistré 7,06
m à 21h52 soit une surcote de 2,01 mètres, record
absolu et de la hauteur et de la surcote à Pauillac.
1) Lamplitude des vagues : de
lordre de 3 mètres ? !
Redisons que le marégraphe nenregistre
pas lagitation du plan deau. On peut cependant par
recoupements, avoir un ordre de grandeur de lamplitude des
vagues. En effet :
Le dossier de la Mission communication du CNPE du Blayais du 11
janvier 2000 indique " En raison de la simultanéité
de la tempête et dun fort coefficient de marée,
des vagues commencent à franchir la digue vers 19h30 ".
Si le coefficient de marée était loin dêtre
fort, le document nous renseigne par contre sur lheure à
laquelle leau de la Gironde est passée au-dessus
de la digue soit plus de 2h avant la pleine mer.
Or le Port Autonome de Bordeaux, dans son Annuaire des marées
2000 [8], indique pour chaque station marégraphique un
profil moyen des hauteurs deau prévues au cours des
12h25 qui séparent deux basses mers pour différents
coefficients de marée 40, 70 et 100. Pour un coefficient
77 interpolé entre les coefficients 70 et 100 on retrouve
bien pour le maximum de la courbe correspondant à la pleine
mer la hauteur deau prévue dun peu plus de
5 mètres (5,05 m).
On voit quà 19h30, soit 2h20 avant la pleine mer,
la hauteur deau prévue était voisine de 4
m mais à cette hauteur de niveau deau doit être
rajoutée la surcote denviron 1,5 m ce qui amène
à une hauteur deau de 5,5 m correspondant à
une cote terrestre denviron 2,9 mNGF. La digue de protection
étant à une altitude de 5,2 mNGF il a donc fallu
un paquet deau supplémentaire dune hauteur
de plus de 2,3 mètres pour passer au-dessus de la
digue ! Les vagues ont eu une amplitude supérieure à
2 mètres vers 19h30.
Quelle a été leur amplitude au plus fort de la tempête ?
On a des indications sur la pression barométrique au phare
de Cordouan qui était de 758 mm de mercure à 6 h
du matin et est descendue, entre 18 h et 20 h, à son niveau
le plus bas avec un plateau à 736 mm de mercure. Quant
au vent il a soufflé en rafales sur Royan entre 20h et
20h30 avec des pointes à 194 km/h, plus tardivement et
moins violent sur Bordeaux mais à la centrale du Blayais
située entre les deux, la station météo étant
tombée en panne on na pas de précisions sur
ce qui sest passé réellement à part
que le vent soufflait si fort quil semble que lanémomètre
ait explosé. Il est vraisemblable de penser que vers 21h,
peu avant les plus hautes eaux (21h52) et vu la force du vent,
les vagues ont pu dépasser les 3 m.
2) Cela aurait pu être pire !
Une " protection " nécessaire à
9 mNGF
A-t-on considéré au départ
en mettant une centrale au Blayais que lestuaire est un
système hydrographique très complexe ? Selon
mon interlocuteur du Port autonome " les vents provoquent
une dépression océanique qui, au voisinage des côtes,
induisent un gonflement des eaux. Lestuaire agit comme un
entonnoir, ce gonflement va samplifier tout au long de sa
propagation dans lestuaire. Ainsi, la surcote a été
de 2,01 m à Pauillac mais de 1,55 m au Verdon [à
lentrée de lestuaire] et de 2,25 m à
Bordeaux "
La tempête aurait pu avoir lieu lors de la pleine mer dune
marée de 118 dont la hauteur deau correspond à
une cote de 3,66 mNGF à Pauillac pour des conditions météorologiques
normales. On doit ajouter la surcote de 2,01 m due au phénomène
particulier qui sest produit le 27 décembre mais
qui peut se reproduire à lavenir ce qui nous met
à 5,67 mNGF. Et maintenant on doit tenir compte de vagues
de 3 mètres !
On arrive à près de 9 mNGF ! Une différence
de plus de 3 m par rapport à la pseudo-digue de pseudo-protection
qui existe aujourdhui à une cote de 5,2 mNGF
et quEDF rechignait et à réparer et à
rehausser.
Quelles vont donc être les solutions préconisées
par EDF et par lAutorité de sûreté ?
Il est indispensable détablir
une rapide chronologie des faits. Une première difficulté
vient de ce que les pertes des réseaux électriques
et leur récupération se chevauchent avec les dégradations
dues à linondation et les mesures palliatives prises.
Mais surtout, des divergences existent, non seulement entre les
diverses sources, EDF (CNPE du Blayais), DRIRE, DSIN, IPSN, mais
parfois aussi entre versions successives de la même source
conduisant à un maquis dinformations contradictoires.
EDF a communiqué récemment aux autorités
de sûreté le rapport officiel de cet incident significatif.
Bien sûr nous ne lavons pas, mais nous avons cependant
eu connaissance de changements très importants par rapport
aux informations initiales [2], base du dossier de presse tant
de la DSIN [1] que de lIPSN [4]. EDF a fourni aux autorités
de sûreté les renseignements informatisés
enregistrés durant lincident. Une question se pose dès
le départ : tout a-t-il été enregistré
et tout est-il enregistrable ? Le siècle qui vient
de sécouler nous a fourni maints exemples de réécriture
de lhistoire après coup, avec une version finale
consensuelle généralement " aseptisée ".
Pour linstant nous indiquerons les changements les plus
importants entre versions successives qui donnent une image différente
de la dégradation de la sûreté.
Le 27 décembre au soir les tranches 1, 2, 4 sont en production.
La tranche 3, en attente de rechargement, est en arrêt sur
le circuit de refroidissement à larrêt (RRA).
Au moment où débute la tempête ce RRA est
en " plage de travail basse ". Conséquence
de la fuite deau et des fissurations trouvées sur
le circuit RRA
de Civaux en mai 1998 un contrôle doit être effectué
sur tous les réacteurs du parc. Des défauts ont
été trouvés après contrôle et
un tronçon vient dêtre changé sur le
RRA du réacteur 3 du Blayais. Une chance !
Des réacteurs en état darrêt
" sûr ".
Quest-ce quun état
darrêt sûr pour un réacteur ? Cette
notion mérite dêtre précisée
avant daborder la chronologie car elle ne sera pas respectée
au cours de lincident et devra rester présente à
lesprit. Citons donc les Textes du Rapport de sûreté
communs à toutes les tranches 900 MW [9] :
" Létat darrêt sûr
est létat pour lequel le réacteur est sous-critique
et lévacuation de lénergie résiduelle
est assurée à condition que les systèmes
de sauvegarde soient disponibles et à condition quil
soit possible de passer à larrêt à froid
dans un délai admissible ".
Nous donnons ci-après le schéma de principe dun
réacteur à eau sous pression tel quil figure
dans le dossier IPSN du 17 janvier [4].
I - Perte de lalimentation électrique
Le réseau auxiliaire 225 kV
est perdu pour tous les réacteurs à 18h30 daprès
le CNPE du Blayais. Les réacteurs 1, 2, 4 continuent à
fonctionner normalement.
Le réseau 400 kV est perdu à 20h50
pour les tranches 2 et 4 qui sarrêtent automatiquement
et passent sur diesels.
A propos de lîlotage, il a dabord été
dit que les îlotages avaient raté pour cause de tension
trop faible mais que les diesels avaient démarré
sans problème. Par la suite une autre version a été
donnée : le 400 kV ayant été perdu par
surtension (" signal Max U "), lîlotage
ne peut pas réussir et donc ce ne serait pas un îlotage
raté ( ? ).
Quoi quil en soit remercions le bogue de lan 2000
car grâce à la préparation anti-bogue qui
a rendu obligatoire la révision de tous les diesels sur
tous nos réacteurs il ny a eu aucun problème
pour leur démarrage.
Les réacteurs 2 et 4 sont donc momentanément
sur diesels et en arrêt normal sur générateurs
de vapeur, le réacteur 1 marche et notamment alimente Bordeaux,
le réacteur 3 est en arrêt à froid sur RRA.
Daprès le CNPE Blayais le 400 kV sera remis en état :
pour la tranche 4 à 21h30 et les diesels arrêtés
à 22h20
pour la tranche 2 à 23h20 et les diesels arrêtés
à 0h20
Le réseau 225 kV sera récupéré le
28 décembre à 23h30.
II - Linondation
19h30-21h. Nous avons vu que leau
a commencé à franchir la digue vers 19h30. Cela
sest amplifié avec la marée montante. A 21h
la route daccès au site est coupée par leau
et les débris, la relève des équipes ne peut
se faire.
A 22h40, appel par la centrale du responsable local de
lAutorité de sûreté (DRIRE-Aquitaine,
Bordeaux) qui se rend à son bureau pour suivre la situation
[1].
A partir de 22h40 la Préfecture (via la DRIRE) et la DSIN
sont tenues informées régulièrement.
1) Alarme de niveau haut Gironde transmise à la centrale : là il
y a des divergences sérieuses quant au fait lui-même
et quant à son interprétation.
Dans son dossier du 11 janvier EDF dit " vers 23h,
le signal dalerte "risque dinondation" émis
par un marégraphe du port autonome de Bordeaux situé
à lembouchure apparaît à la centrale ".
Pour la DSIN [1] cest aussi à 23h, avec un signal
venant du Verdon mais surtout EDF aurait dû déclencher
son plan durgence interne de niveau 1.
Pour lIPSN [4] cette alarme a eu lieu à 22h venant
de la station du Richard et a été transmise à
la tranche 4 qui aurait dû répercuter sur les réacteurs
1, 2 et 3 ce qui naurait pas été fait. Cette
alarme aurait dû conduire, daprès lIPSN,
à lapplication dune consigne incidentelle I,
la " consigne de conduite I CRF qui est relative à
la station de pompage en Gironde, les pompes dites CRF amenant
leau permettant de refroidir le condenseur. Point important
il est ajouté que le document décrivant le plan
durgence interne (PUI) " fait de cette consigne
une condition de déclenchement du PUI de niveau 2 "
alors que la consigne incidentelle I CRF du site du Blayais utilisée
par les opérateurs en salle de commande ne mentionne pas
cette nécessité. " Cette incohérence
est en cours dinvestigation ".
Ceci peut apparaître comme une chicanerie administrative.
Ce point a cependant son importance car lalarme de haut
niveau Gironde peut permettre de baisser préventivement
la puissance des réacteurs dans de bonnes conditions ce
qui diminue la puissance résiduelle à évacuer
après arrêt ultérieur. Quil faille ou
non déclencher le plan durgence interne, le fait
est que le site était comme une forteresse assiégée
et que du personnel supplémentaire ne pouvait pas parvenir
à la centrale les routes étant impraticables.
Daprès la DRIRE contactée le 15 mars, le rapport
officiel EDF sur lincident donnerait une version
complètement différente. Il ne serait plus
question dun signal de haut niveau Gironde reçu à
23h en provenance dun marégraphe mais dune
alarme " défaut du marégraphe "
apparaissant à 20h30 indiquant quaucune information
nétait plus reçue en provenance des stations
marégraphiques tant du Verdon que du Richard.
Dautre part sur le site même de la centrale, dans
un bassin par où transite leau pompée en Gironde,
il y a des indicateurs de niveaux deau dans ce quon
appelle les " cheminées déquilibre "
de la station de pompage du circuit CRF de refroidissement des
condenseurs avec des alarmes de haut niveau et de bas niveau (quand
les tambours de filtration sont encrassés). Il y a eu à
22h des indications de niveaux hauts dans ces cheminées,
signe de la montée de leau en Gironde ce qui aurait
dû déclencher la procédure incidentelle I
CRF relative aux pompes CRF or cela na pas été
fait (et daprès lIPSN déclenchement
du PUI de niveau 2 comme indiqué précédemment).
Avec cette nouvelle version qui renforce le facteur tempête
il devient encore plus manifeste que la puissance du réacteur-1
encore en marche aurait dû être baissée préventivement.
(Il est cependant possible que la première version soit
aussi valable et quun signal de haut niveau Gironde ait
pu être reçu à 22h par le réacteur
4 si lémetteur du marégraphe fonctionnait
par intermittence. Voir Annexe 2).
Entre temps avec la marée montante (pleine mer à 21h52 ce qui correspond sensiblement aux indications de la station de pompage) des paquets deau ont déboulé sur le site, déformant des portes coupe-feu, enfonçant des obturations autour du passage de câbles et tuyauteries, passant par les trémies et leau sest infiltrée progressivement dans les galeries techniques souterraines des réacteurs 1 et 2.
2) Problèmes sur les circuits de
sauvegarde
Réacteur-2
23h59, selon EDF, léquipe
de conduite du réacteur-2 est " alertée
par lalarme de présence deau dans les 4 puisards
RIS et EAS du bâtiment du combustible. La personne envoyée
sur place constate alors la montée rapide de leau ".
Le schéma ci-dessous a été publié
par lIPSN [4]. Il donne les niveaux de calage de la plate-forme
et dimplantation des réacteurs et permet de comprendre
linondation des galeries souterraines et la perte déquipements
importants pour la sûreté.
Donc dès minuit le fonctionnement des circuits EAS et RIS est douteux. Il semble, aux profanes que nous sommes, que cette situation aurait dû obliger EDF à déclencher formellement le PUI car ceci est très grave du point de vue de la dégradation de la sûreté. En effet ces deux circuits RIS et EAS sont des circuits de sauvegarde très importants en situation accidentelle [9] :
a) Circuit daspersion de lenceinte
(circuit EAS). Lors dun accident
conduisant à une augmentation de la pression et de la température
dans lenceinte de confinement, par perte de réfrigérant
primaire (cas dune brèche sur le circuit primaire)
ou par rupture dune tuyauterie vapeur, le circuit EAS, pulvérise
de leau boriquée qui sert dabord en première
phase à faire baisser la température et la pression
dans lenceinte (limitant ainsi le volume des fuites hors
de lenceinte de confinement car si la pression devient trop
élevée létanchéité de
lenceinte de confinement nest plus assurée).
Laspersion sert aussi à rabattre les produits de
fission et un additif chimique (soude) dans leau pulvérisée
permet de limiter les rejets en iodes gazeux vers lextérieur.
En deuxième phase (dite de recirculation de leau
récupérée) laspersion sert à
évacuer la chaleur résiduelle du cur tout
en faisant baisser la température de lenceinte.
(Cest ce circuit EAS qui sest mis en route intempestivement
à Belleville-2 en juin 1998 provoquant un arrêt durgence
et le blocage
dune grappe de contrôle).
b) Circuit dinjection de sécurité
(circuit RIS).
Lors dun accident de perte de
réfrigérant primaire par brèche sur le circuit
primaire la réfrigération de secours du cur
est assurée par le circuit RIS, circuit dinjection
de sécurité, afin de limiter la température
des gaines du combustible et donc dassurer lintégrité
du cur. Ce circuit permet aussi linjection rapide
dacide borique concentré en cas de rupture de tuyauterie de la ligne de vapeur.
Signalons aussi que le RIS intervient pour rétablir un
niveau correct dans le pressuriseur sil y a rupture dun
tube de générateur de vapeur (comme ce qui vient
de se produire aux Etats-Unis à Indian Point, la centrale
en amont de New-York).
Une chance quon nen ait pas eu besoin de ces circuits de sauvegarde dont la fonction est dassurer la protection du public en cas daccident. La centrale travaillait désormais sans filet
Réacteur-1
28 décembre. 0 h 30. Arrêt
du réacteur.
Avec la montée des eaux, la Gironde charrie des débris
qui viennent obstruer les tambours filtrants et entraîne
larrêt automatique de la station de pompage du réacteur-1
" la fonction de filtration deau brute étant
perturbée " qui entraîne larrêt
automatique du réacteur.
Entre 1 h et 3 h ? Divergences DSIN-EDF [2]
Léquipe de conduite du réacteur-1 est alertée
par les alarmes successives de la présence deau dans
les 4 puisards du bâtiment combustible. Les 4 alarmes sont
présentes à 1 h 40.
Le document EDF précise : " La personne
envoyée sur place constate alors la présence effective
deau et limmersion partielle de matériels utilisés
en cas daccident : système dinjection
de sécurité, système daspersion de
lenceinte. Ces matériels de secours nont pas
été nécessaires pendant les intempéries.
En outre une des 2 voies du système deau brute
secourue a été noyée ".
Il sagit du circuit du circuit SEC (cest moi qui souligne).
Selon les différentes sources il sera question de 1,5 m
deau dans le bâtiment combustible, noyant les alvéoles
des pompes RIS et EAS, pour dautres il y aurait 4 m. Mais,
point important, selon ce document EDF du CNPE du Blayais il y
aurait aussi de leau noyant une des 2 voies du SEC dans
la station de pompage. La rédaction laisse supposer que
cette découverte a lieu avant 3 h. Or, dans les documents
de lautorité de sûreté il nest
fait état dune aggravation de la situation par perte
dune voie du SEC quà 8 h 23 le 28 décembre !
Il y a là une divergence qui nécessite des éclaircissements.
La route daccès au site est à nouveau praticable vers 23h avec la marée descendante et la chute des vents (EDF, 7 janvier). La relève du personnel a pu avoir lieu dès 1 h (DSIN). A partir de 3 h du matin la chronologie est sensiblement la même daprès EDF et la DSIN.
3) Plans durgence interne. Organisation
nationale de crise
Après 2 h 55 (DSIN) - 3 h
00 (EDF).
EDF, CNPE du Blayais : à 3 h la centrale mobilise
ses équipes de crise pour renforcer les équipes
présentes et informe les services nationaux dEDF
et la DRIRE. A 3 h 15 les équipes nationales de crise sont
mobilisées, à 3 h 30 la DSIN est informée
par les services nationaux dEDF.
Pour la DSIN ceci correspond au déclenchement par le site
à 2 h 55 du PUI niveau 1 (Plan durgence conventionnel,
non radiologique) qui aurait dû, daprès elle,
être déclenché la veille à 23h. La
préfecture est prévenue. Le pompage de leau
commence mais le niveau ne baisse pas.
Comme cest la première fois quune organisation
nationale de crise est déclenchée en France nous
donnons la suite de la chronologie daprès la DSIN :
" À 5 h 45 : EDF fait part de son intention
de faire appel à lorganisation nationale de crise
EDF et à lIPSN. Le directeur de la DSIN en est informé
et donne son accord.
Vers 6 h 00 : Constitution de léquipe de crise
IPSN, opérationnelle vers 7 h 00.
7 h 30 : Premier communiqué de presse dEDF informant
de larrêt des installations.
8 h 23 : Brusque aggravation de la situation. Inondation
des locaux pompes SEC de la tranche 1. Perte de la voie A du SEC.
Incertitudes sur la possible inondation de la voie B.
8 h 30 : Le directeur de la DSIN est informé de la
situation et demande à EDF de déclencher le PUI
de niveau 2 [ou PUI radiologique intérieur].
Lancement du gréement du poste de commandement de la direction
de la DSIN (PCD DSIN). Prise de contact avec EDF national et du
site du Blayais, équipe de crise IPSN, COAD [Centre
Opérationnel et dAide à la Décision
de la Direction de la Défense et de la Sécurité
civiles], Préfecture, Office de Protection contre les
Rayonnements ionisants (OPRI), DIN locale (Division des installations
nucléaires, DRIRE-Aquitaine).
9 h 10 : lancement du signal dalerte par EDF (bip de
lensemble des agents de lAutorité de sûreté)
[Daprès EDF, en complément des équipes
déjà mobilisées depuis 3h du matin, 80 personnes
dastreinte sont venues rejoindre les équipes de conduite].
9 h 30 : première information des cabinets de la Ministre
de lAménagement du territoire, de lEnvironnement
et du secrétaire dÉtat à lIndustrie
10 h 35 : premier communiqué de presse de la DSIN
faisant état du déclenchement du PUI par EDF et
de la mise en place dune équipe de crise.
10 h 40 : le pompage fonctionne dans les alvéoles
SEC, le niveau baisse. Le risque de perte de la voie B séloigne.
Entre le 28 décembre 11 h et le 29 décembre 20 h :
équipes de crise mobilisées 24 h/24. Amélioration
progressive de la situation technique (pompage de leau,
fiabilisation progressive des alimentations électriques).
Les réacteurs 1 et 2 restent en état darrêt
avec refroidissement par les générateurs de vapeur
jugé le plus sûr.
Classement de lincident au niveau 2 par la DSIN le 29 décembre
à 7 h.
Communiqués de presse n°2 à 6 émis par
la DSIN. Trois conférences de presse " tempête "
par le préfet de police de la Gironde où est présentée
la situation du Blayais.
30 décembre : redémarrage du réacteur
4. Allégement du dispositif de crise. Fonctionnement de
la voie A du SEC [du réacteur1] après changement
dun moteur. LAutorité de sûreté
soumet à autorisation le redémarrage des réacteurs
1 et 2. Communiqués de presse n°7 et 8 ".
Ainsi, tout sest finalement bien passé.
Il faut voir cela de plus près car la situation, pas très
brillante, aurait pu empirer.
III Les problèmes liés à la dégradation
de la sûreté du réacteur 1 : perte des
circuits EAS, RIS, dune voie du circuit SEC.
En fonctionnement normal la pression est de
155 bars et la température de 280°C dans le circuit
primaire. Après un arrêt durgence, pour que
le réacteur soit mis dans un état sûr il faut
que la puissance résiduelle du cur du réacteur
due aux désintégrations radioactives, denviron
25 MW, puisse être évacuée, la température
et la pression de leau du circuit primaire abaissées.
Le refroidissement est assuré par les générateurs
de vapeur (GV) alimentés en eau par le circuit dalimentation
de secours des GV (ASG). Létape suivante est de passer
sur le circuit RRA de refroidissement à larrêt
lorsque la pression a été abaissée à
32 bars et la température à 177°C.
Ce dernier circuit RRA est lui-même refroidi par un circuit
de refroidissement intermédiaire, dit circuit RRI, lui-même
refroidi par le circuit deau brute secourue, le circuit
SEC. Le circuit SEC de chaque tranche comporte 2 voies A et B
et, particularité du SEC, chaque voie comporte deux demi-échangeurs
avec chacun 1 pompe pouvant assurer 100% du débit. (Il
y a ainsi une double redondance). Avec ce système de refroidissement
en cascade le circuit SEC a donc une importance capitale pour
extraire la puissance résiduelle du cur : sa
défection impose de rester sur les générateurs
de vapeur. Et ceci pose un autre problème car lalimentation
auxiliaire en secours des générateurs de vapeur,
le circuit ASG, nécessite une eau de qualité très
particulière, déminéralisée et dégazée,
conservée sous azote or la bâche deau ASG a
un volume de 625 m3 seulement.
Finalement la voie B du SEC a fonctionné avec ses 2 pompes
et les générateurs de vapeur ont été
alimentés par le circuit ASG.
Daprès le communiqué de lIPSN du 5 janvier
[3] des conditions de pression et température adéquates
permettant le cas échéant la connexion au RRA (32
bars et 177°C) ont été atteintes vers 11h le
28 décembre, alors que la puissance résiduelle était
encore de 20 MW et indique que " la période
la plus critique de lincident a donc duré plusieurs
heures ".
Que se serait-il passé si la voie B du SEC avait été
aussi perdue ? Si la bâche dalimentation de secours
ASG des générateurs de vapeur navait plus
eu assez deau ? Sil y avait eu perte de lalimentation
400 kV ?
Dans le même communiqué [3] lIPSN indique que
pendant cette période on pouvait envisager 2 voies daggravation
de la situation :
-La défaillance de la voie B du SEC. La perte totale du
SEC diminue le refroidissement des joints des pompes primaires
(par RRI inopérant). LIPSN souligne quon aurait
pu utiliser le circuit de contrôle volumétrique et
chimique (circuit RCV) et quil faut imaginer une défaillance
supplémentaire du réseau 400 kV pour que les joints
nétant plus refroidis on ait une brèche sur
le circuit primaire et dégradation du cur du réacteur.
Ajoutons quil sagirait là dune perte
de refroidissement du cur avec pour conclusion la fusion
du cur, sans circuits de sauvegarde pour la protection du
public.
Questions :
ce quon oublie de signaler à ce propos cest
que les protections thermiques chargées de protéger
les joints des pompes primaires, ont " naturellement "
de fâcheuses tendances à la fissuration sur nos réacteurs
900 MW, parfois même dans des zones inaccessibles et non
contrôlables sans démontage de lenveloppe de
la barrière thermique (Gazette Nucléaire
155/156, janvier 1997). Les barrières thermiques sont constituées
dun serpentin (contenu dans une enveloppe fixée par
soudure à la bride de la barrière thermique) parcouru
par de leau froide venant du RRI. Certaines enveloppes de
la barrière thermique ont été remplacées,
comme sur la tranche 4 du Blayais. Certaines autres devaient être
contrôlées ou remplacées en fonction de leur
état dendommagement. A-t-il été tenu
compte dans lanalyse de lIPSN de la forte probabilité
de présence de fissurations préexistantes
dans la protection thermique sur la tranche 1 (et 2) ?
Que se passerait-il si elles ne sont pas bien refroidies via
un circuit RRI inopérant via un circuit SEC
complètement défaillant ? Est-on sûr
que, fatigue thermique aidant, une contrainte supplémentaire
ne pourrait pas faire progresser une fissure préexistante
jusquà rupture dune partie de la protection
thermique et provoquer une brèche du circuit primaire même
avec un circuit RCV (et une alimentation 400 kV)
en état ?
-La défaillance complète du circuit ASG. Dans ce
cas on aurait une dizaine dheures avant la fusion du cur
en introduisant de leau par linjection de sécurité
à haute pression et grâce à louverture
de soupapes du circuit primaire.
LIPSN omet de préciser quil y aurait eu rejet
de vapeur radioactive à lextérieur par ouverture
de ces soupapes.
Il na pas été indiqué si la bâche
deau ASG a suffi pour alimenter les générateurs
de vapeur ou sil a fallu utiliser de leau venant dune
bâche de réserve. Dans ce dernier cas cette eau na
pas les spécifications de leau habituelle dalimentation
de lASG. Il est indiqué [réf. 9, chapitre
II-4.4-5] "(
) dans la mesure où la sécurité
de linstallation est en jeu. La propreté ou la corrosion
éventuelle des G.V est alors dune importance secondaire ".
Au cas où la bâche ASG nait pas suffi,
il serait nécessaire de vérifier assez rapidement
les tubes des Générateurs de Vapeur. (Au fait, cela
fait longtemps qu'on na plus de renseignements sur le nombre
de tubes bouchés des G.V).
Finalement lincident a été bien géré et le personnel à la hauteur. Il a fallu changer les moteurs noyés, nettoyer leau salée source de corrosion. Il faut vérifier les installations électriques dans les sous-sols. Tout doit être requalifié pour les tranches 1 et 2. Mais cela aurait pu être pire.
IV- Le pompage et les rejets en Gironde
Tout le personnel de la centrale a
été mobilisé, il a été fait
appel à plusieurs casernes de pompiers de Mérignac
et Blaye ainsi quà 20 personnes de sociétés
extérieures pour manuvrer le matériel (6 camions-pompes
dentreprises extérieures et 12 pompes fournies par
les pompiers). Il y a eu quelques difficultés parce quil
faut avoir les courbes caractéristiques des pompes et pendant
plusieurs heures limpression a prévalu que le niveau
ne baissait pas.
EDF indique que le pompage a commencé le 28 décembre
vers 8h et sest terminé le 29 à 22h45 et quil
a été rejeté en Gironde environ 90 000 m3
deau provenant de tous les bâtiments. Toute leau
pompée, y compris dans le bâtiment combustible, a
été amenée dans le circuit de collecte des
eaux pluviales, le circuit SEO, " qui a fait office
de tampon ". La procédure de rejets a été
définie avec lAutorité de sûreté.
Au sujet des analyses avant rejet en Gironde EDF précise
que " les mesures effectuées au sortir du
bâtiment combustible au refoulement des pompes ont été
réalisées toutes les heures au début du pompage
et toutes les demi-heures en fin de pompage ". Il
y a eu 11 contrôles. Daprès EDF les valeurs
des rejets sont toutes " restées inférieures
au seuil de 90 à 120 Bq/l à lexception dune
mesure communiquée à 300 Bq/l effectuée en
fond de puisard dans le bâtiment combustible du réacteur-1
(BK1) qui na pas été confirmée par
une mesure complémentaire ". (
) " LOPRI
a également effectué une série de prélèvement
dont un seul donnait une valeur de 150 Bq/l, mais cet échantillon
avait été prélevé sur de leau
du BK1 qui a été rejetée dans la bâche
de stockage SEO avant rejet maîtrisé en Gironde ".
Nous citons ce passage car il est question de " rejets
maîtrisés ". En quoi des rejets
en Gironde via les caniveaux du circuit de collecte des eaux fluviales
(le circuit SEO) sont-ils " maîtrisés " ?
Bien sûr toutes les valeurs sont inférieures à
la norme de rejet pour le tritium qui est de 1000 Bq/l. Rappelons
que pour le tritium (liquide et gazeux) la norme autorisée
annuelle est considérable, 1400 curies par an (5,2 1013
Bq) par tranche [9]. La Gazette a signalé il y a
longtemps combien le métabolisme du tritium dans lêtre
humain est mal connu pour les formes liées organiquement
(Gazette Nucléaire 78/79 juin 1987). En fait
les autorisations de rejets sont élevées parce quon
ne sait pas stocker le tritium. Ainsi, même si le rejet
en Gironde nest "quune faible fraction de lautorisation
de rejet annuelle " cela ne veut pas dire que cest
inoffensif.
Ce qui est plus bizarre cest le sort de ce qui se trouvait
dans la bâche de reprise du puisard RPE (" reactor
purge event ") qui normalement aurait dû partir
dans la station de traitement des effluents radioactifs. Là,
leau est partie dans la Gironde via le circuit de
collecte des eaux pluviales, comme le reste. Bien sûr on
ne pouvait pas faire autrement ! Même si le volume
était faible cest une façon élégante
de se débarrasser des effluents, pas besoin de passer par
la station prévue pour leur traitement. Voilà qui
est très " maîtrisé ".
V- Le réexamen du risque
inondation pour lensemble du parc
Voici ce quen dit lIPSN [4]
:
" Il conviendra de réexaminer pour lensemble
des sites du parc nucléaire français les données
utilisées pour le calage de leur plate-forme (ces données
concernent notamment les niveaux des marées, linfluence
des phénomènes naturels pris en compte et les niveaux
atteints lors des crues) " (
) Selon la règle
de sûreté RFS I.2.e " la protection des
sites est assurée notamment par :
1. le calage de la plate-forme supportant les bâtiments
abritant les matériels importants pour la sûreté
à un niveau au moins égal au niveau des plus hautes
eaux, avec une marge de sécurité (le niveau correspondant
est appelé cote majorée de sécurité
CMS) ;
2. lobturation des voies possibles daccès de
leau dans les locaux abritant les matériels participant
au maintien de linstallation dans un état sûr,
situées au-dessous du niveau de calage de la plate-forme.
En terme de rétroactivité, pour les sites aménagés
avant la mise en application de la RFS I.2.e du 12 avril 1984,
celle-ci prévoit que les sites ne répondant pas
au premier critère doivent en tout état de cause
respecter le deuxième critère et que des dispositions
complémentaires doivent être proposées pour
assurer un niveau de protection équivalent à celui
exigé par la RFS I.2.e. De plus, certains sites présentent
des conditions spécifiques nécessitant dexaminer
le risque dinondation résultant de la proximité
dun canal dont la ligne deau est supérieure
à la plate-forme.
Les 19 sites français peuvent être regroupés
en quatre catégories daprès les critères
identifiés ci-dessus :
-les critères 1 et 2 rappelés ci-dessus sont respectés
avec des marges importantes pour les sites de Chooz, Civaux et
Cattenom ;
-la plate-forme de lîlot nucléaire est calée
au-dessus de la CMS mais le respect du second critère mérite
des vérifications plus approfondies pour les sites de Bugey,
Cruas, Flamanville, Golfech, Nogent, Paluel, Penly et Saint-Alban ;
-la plate-forme de lîlot nucléaire
est calée au-dessous de la CMS pour les sites de Belleville,
Chinon, Dampierre, Gravelines, Le Blayais et Saint-Laurent ;il
conviendra, pour ces sites, de réexaminer lensemble
des dispositions mises en place ;
-les sites de Fessenheim et de Tricastin sont implantés
à proximité dun canal dont la ligne deau
est supérieure à la cote de leur plate-forme. Pour
ces sites également, il conviendra de réexaminer
les dispositions particulières mises en uvre " .
Et en attendant que tous ces sites soient vérifiés ils seront autorisés à fonctionner. Est-ce une application de ce quon appelle en sûreté " la défense en profondeur " ?
Redisons que cest un hasard, la tempête
aurait pu se produire au moment des plus hautes eaux dune
marée de coefficient 118
Des réacteurs sans
systèmes de sauvegarde et cet incident grave aurait pu
dégénérer en accident majeur.
Même avec un coefficient modeste de 77 le 27 décembre
dernier avec un SEC noyé complètement, une alimentation
électrique du réacteur-1 perdue, la fusion du cur
aurait pu se produire
Avec des routes impraticables sil
avait fallu évacuer
Linventaire
Moins de 3 semaines après lincident
grave du Blayais, lIPSN sort un inventaire des problèmes
de sûreté liés au risque inondation pour les
19 sites de notre parc nucléaire avec un classement des
principaux défauts ne respectant pas la règle de
sûreté RFS I.2.e pouvant affecter chacun des sites.
Il y a fort à parier que la plupart de ceux-ci étaient
répertoriés depuis longtemps puisquils ont
nécessité de recalculer la cote majorée de
sécurité pour tous les sites. Le problème
va à nouveau se poser du pouvoir de la DSIN vis-à-vis
dEDF et de ses autorités de tutelle (le ministère
de lindustrie et celui de lenvironnement) à
faire respecter une règle de sûreté et donc
du pouvoir de la DSIN à imposer à EDF lexécution
des travaux indispensables à la sûreté.
En somme, il est nécessaire davoir des incidents
graves, qui peuvent, le cas échéant, dégénérer
en accident, pour que lIPSN ait la possibilité dexposer
publiquement les lacunes graves concernant la sécurité
des réacteurs français ! Devra-t-on attendre
un séisme pour que le respect des normes de sûreté puisse
être imposé à EDF ?
La modélisation
Cet événement révèle
le manque dimagination de nos concepteurs qui navaient
pas prévu lexistence de vagues dans lestuaire
de la Gironde. Et ailleurs, sur les autres sites ? Mais ils
ont fait dautres impasses comme par exemple de minimiser
le couplage du risque nucléaire au risque chimique et sismique
dans la vallée du Rhône.
Cet événement met clairement en évidence
que tout nest pas forcément modélisable. Comment
paramétrer les vagues, la propagation du feu, les séismes ?
Ce qui vaut pour cette tempête vaut également
pour les séismes quon oublie trop souvent alors que
sont détériorées bon nombre de protections
anti-sismiques des réacteurs de notre parc.
Dailleurs seraient-elles efficaces même si elles étaient
en bon état ? On ne connaît pas tout sur la
sismicité en France. On vient seulement de découvrir
les " effets de site ", par exemple Grenoble
est un endroit sensible avec amplification des secousses
sismiques dans la vallée et la ville même de Grenoble,
le site agissant comme une caisse de résonance pour les
ondes sismiques !
Alors que se passerait-il à Fessenheim ou au Tricastin
construits en dessous de la ligne deau du canal voisin si
un séisme bousillait la digue bordant le canal ?
A propos de lorganisation nationale
de crise
En cas de crise nucléaire la
centrale est connectée à 3 postes centraux :
EDF national, DSIN, IPSN. Les paramètres qui sont sensés
représenter létat du réacteur sont
alors automatiquement transmis aux cellules de crise. Les responsables
de la centrale en difficulté grave sont ainsi mis sous
contrôle. Les cellules de crise savent tout ce qui se passe
et réagissent en conséquence.
Est-ce si évident que cela ? Est-on sûr que
tous les paramètres sont automatiquement enregistrés
et transmis ? Le nombre de paramètres qui représentent
létat réel du réacteur et du reste
de linstallation est considérable et il y a certainement
eu une sélection pour éviter une véritable
inondation des cellules de crise qui serait ingérable.
Ce choix ne peut se faire quà partir de certains
scénarios jugés possibles. Mais noublions
pas que lInspecteur général de la sûreté
à EDF Pierre Tanguy déclarait en 1988 à propos
des accidents " Lensemble des accidents possibles
est tout de même limité, de sorte que nous pensons
pouvoir couvrir avec le temps la totalité des cas possibles.
Mais je reconnais que nous ne sommes pas sûrs dêtre
absolument exhaustifs et que sil doit se produire un accident,
ce sera celui que nous naurons pas prévu "
[12].
Dautre part il y a des paramètres non mesurés.
Par exemple, (et, qui sait, cela sest peut-être passé
de cette façon au Blayais pour la voie A du SEC), si un
opérateur descend dans une galerie souterraine, saperçoit
quelle est inondée et donne oralement linformation
à son chef. Cette information ne sera transmise que si
le supérieur hiérarchique la transmet. Une solution
" intéressante " serait la mise automatique
sur écoute de tous les locaux où du personnel travaille,
avec enregistrement bien sûr. Ceci naurait rien doriginal
car cela a été fait aux Etats-Unis en mars 1979
lors de laccident du réacteur de Three Mile Island.
Ce qui a été assez audacieux cest que le décryptage
des enregistrements a été assez rapidement rendu
public. EDF en a dailleurs fait une traduction que quasiment
personne na signalée. Serait-on aussi audacieux en
France ? Cette " solution " efficace
qui sintègre bien à la vision dun monde
décrit par George Orwell dans son livre 1984 na
rien de réjouissant et ce nest certainement pas là
lidéal dont on rêve pour ses enfants et petits-enfants.
Bella Belbéoch
22 mars 2000
Jai eu de nombreux informateurs durant
cette enquête de deux mois. Merci à tous.
Plus particulièrement, mes remerciements chaleureux à
M. Rocco du Port Autonome de Bordeaux et à M. Jehan de
lEtablissement Principal du Service Hydrographique et Océanographique
de la Marine (EPSHOM) pour les documents fournis et qui nont
pas épargné leur peine pour minitier à
la complexité de lestuaire de la Gironde. Je remercie
également M. Auriac et M. Gravier du CNPE du Blayais pour
les dossiers quils mont transmis, M. Niel et M. Rebour
de lIPSN pour les informations et le rapport de J. Miquel
quils mont communiqués, sans oublier M. Quintin
et M. Duval de la DRIRE-Aquitaine que jespère ne
pas trop importuner par mes questions.
Références
[1] Conférence de presse de
la Direction de la sûreté des installations nucléaires,
DSIN, Paris, 14 janvier 2000
[2] CNPE du Blayais, Mission Communication, Dossier dinformations
Suite aux intempéries du 27 décembre 1999.
Dossier du 7 janvier et du 11 janvier 2000.
[3] Communiqué IPSN, 5 janvier 2000, Gazette Nucléaire
179/180, janvier 2000
[4] Institut de Protection et Sûreté Nucléaire
(IPSN) Rapport sur linondation du site du Blayais survenue
le 27 décembre 1999, 17 janvier 2000.
[5] Le Point, 14 janvier 2000, numéro 1426, Christophe
Labbé et Olivia Recasens, Centrale nucléaire du
Blayais, La lettre qui accuse. Larticle fait
état de la lettre du 19 novembre 1999 de la DRIRE-Aquitaine
sommant EDF de produire un échéancier des travaux
de mise en conformité de la centrale vis-à-vis des
risques liés à linondation.
[6] Décret de création des tranches 1 et 2, 14 juin
1976 (J. O 19 juin 1976). Tranches 3 et 4 décret du 5 février
1980, J. O du 14 février 1980.
[7] Journal Officiel de la République française,
Sûreté des installations nucléaires en France.
Législation et réglementation (3ème
édition janvier 1995) Règle n° I.2.e, Prise
en compte du risque dinondation dorigine externe,
p.242-245.
[8] Annuaire des marées 2000 Estuaire de la Gironde,
Port Autonome de Bordeaux.
[9] Centrales nucléaires du palier 900 MW. Textes du RAPPORT
DE SURETÉ commun à toutes les tranches du palier,
Edition publique, Tomes I et II, janvier 1982.
[10] J. Miquel, Guide destimation des probabilités
des débits de crue, EDF, Laboratoire National dHydraulique,
novembre 1981, E43/G25 et /81.45
[11] Jacques Libmann, Approche et analyse de la sûreté
des réacteurs à eau sous pression, Ed. Institut
national des sciences et techniques nucléaires, CEA,collection
enseignement, (1987).
[12] Pierre Tanguy, Actes du Colloque nucléaire-santé-sécurité,
Montauban, 21-22-23 janvier 1988, p. 496.
Le nivellement à Pauillac. Hauteurs
deau observées, zéro détiage
et cote terrestre.
Le SHOM fait les calculs de hauteurs
deau pour toutes les marées dans des conditions normales
de pression barométrique, sans vent. On suppose en plus
que sur la Garonne, à la Réole, le niveau deau
est normal sans crue. Le Port Autonome de Bordeaux enregistre
le niveau moyen réel atteint par le plan d'eau.
Plusieurs niveaux de référence sont utilisés
en hydrographie : zéro détiage, zéro
marin, zéro hydrographique
tout cela est complexe.
Dans lestuaire de la Gironde on se réfère
au zéro détiage qui est le niveau
moyen des plus grandes basses eaux observées en
un lieu de lestuaire. Chaque échelle dune station
marégraphique de lestuaire est calée au zéro
de létiage qui est référencé
par rapport au zéro terrestre. Mais les références
terrestres ont été affinées, on est passé
du système dit Lallemand NGFau système dit IGN 69
depuis 1969. Le zéro détiage à Pauillac
est à la cote - 2,588 m du zéro Lallemand
NGF ou encore à - 2,539 m du zéro IGN 69.
Nous conserverons le système Lallemand qui est celui utilisé
dans les documents EDF, DSIN, IPSN et par la Port Autonome de
Bordeaux. (De toutes façons la différence nest
que de 4,9 centimètres et importe peu par rapport à
des hauteurs observées de plusieurs mètres).
Les cotes terrestres correspondant aux niveaux deau atteints sont
données par :
cote=hauteur deau (par rapport au zéro détiage)
+ cote (négative) du zéro détiage.
Ainsi à un enregistrement marégraphique correspondant
à une hauteur deau de 5,05 mètres, valeur
prévue pour le coefficient de marée 77 dans la soirée
du 27 décembre 1999 à Pauillac, il correspond une
cote terrestre de 5,05-2,588=2,46 mNGF (2,51 m IGN 69)
alors quon a observé 7,06 m soit 4,47 mNGF
(4,51 m IGN 69) correspondant à une surcote de 2,01
m.
Signalons que le marégraphe de Pauillac a été
déplacé en 1976. Avant 1976 le zéro détiage
était à 2,547 mNGF du zéro Lallemand
qui doit être appliqué aux données de 1937
et 1941.
M. Jehan (SHOM) nous a donné des informations
sur les repères de nivellement. Le repère A du Nivellement
Général de la France est fixé sur le mur
du quai de lestacade du bac à Pauillac. Il a représenté
schématiquement les différents zéros que
nous reproduisons ci-dessous.
A propos du signal dalarme de haut
niveau Gironde : nécessité de la redondance
Si lon se fie aux premières
informations du CNPE du Blayais un point curieux à signaler
est lheure du signal alarme de haut niveau Gironde reçu
par la centrale. Daprès EDF à 23 h signal
dalerte " risque dinondation "
émis par un marégraphe du port autonome de Bordeaux
apparaît à la centrale. En provenance du Verdon et
à 23 h daprès le dossier de la DSIN (conférence
de presse du 14 janvier) mais rectifié par la suite :
en provenance de la station marégraphique émettrice
du Richard et à 22h daprès le dossier
IPSN du 17 janvier 2000. On a considéré que les
marégraphes du Port autonome avaient été
perdus dès 19h30.
Ainsi cette heure de lunique signal dalarme reçu
du Richard est bizarre quelle soit à 23h ou à
22h et ce signal correspond à une marée descendante
bien après la pleine mer qui était prévue
à 21h19.
Daprès les explications fournies par M. Rocco (Port
autonome de Bordeaux), cette station du Richard a été
complètement détruite par la tempête et était
considérée comme perdue depuis 19h30, heure à
laquelle avaient cessé les réceptions à Bordeaux.
On sest aperçu par la suite que lantenne de
réception, située à 100 m de haut sur une
pile du Pont dAquitaine de Bordeaux, avait tourné
au cours de la tempête et navait plus la bonne orientation
pour recevoir les émissions des marégraphes. Bordeaux
na donc rien reçu mais la station, elle, a pu continuer
à émettre, être détruite bien plus
tard dans la soirée et la centrale du Blayais recevoir
un signal entre temps (remarquons que Le Blayais est situé
beaucoup plus près du Richard que Bordeaux). Si on fait
un parallèle avec Pauillac et Le Verdon dont les données
ont pu être récupérées de la mémoire
de lenregistrement, la station du Richard a connu elle aussi
son record absolu de niveau atteint à la pleine mer, prévue
à 21h19, dépassant largement la cote dalarme
de niveau haut (qui doit être de lordre de 6 m). Si
on a eu 7,06 m à Pauillac on a dû avoir de lordre
de 6,8 m à Richard et il est donc plausible de penser quà
22h, à marée descendante on était encore
au-dessus de la cote dalerte des 6m ce que la station a
pu transmettre vers la centrale.
Tout cela paraît très vraisemblable mais nexplique
pas cette bizarrerie : pourquoi un seul signal reçu,
et à 22h, à marée descendante. Mais avant,
à marée montante, la cote dalerte a été
dépassée aussi et ce, dès les environs de
19h30. Donc cote dalerte dépassée entre 19h30
et 22h30 environ. Y a-t-il eu là aussi des problèmes
dantennes mais avec émissions ou réceptions
intermittentes ?
Si cette alarme de haut niveau Gironde est importante pour pouvoir
arrêter les réacteurs dans de bonnes conditions afin
de réduire la puissance résiduelle à évacuer
alors il faut envisager sérieusement la redondance des
émetteurs aux stations marégraphiques et celle des
récepteurs sur le site du Blayais.
(A paraître dans la Gazette Nucléaire 181/182, avril 2000)