Le Parisien, 28-29 avril 1990:
Depuis 1971, cette « poubelle » radioactive voisine avec les onze mille habitants de trois communes de l'Essonne. Mais toute la zone pourrait être assainie cette année.
Ballancourt, Itteville, Vert-le-Petit (Essonne), trois villages d'apparence paisible.
Au centre de ce triangle, un terrain vague entouré de barbelés. Onze mille habitants qui ne soupçonnent pas la présence de vingt mille tonnes de déchets radioactifs à quelques centaines de mètres de leurs pavillons ! Un secret soigneusement dissimulé depuis vingt ans...
Les déchets sont « faiblement radioactifs: des stériles
de minerai dans un bassin de décantation, des hydroxydes
d'uranium dans un parc contigu », précise
la direction de la Société nationale des poudres
et explosifs (SNPE), propriétaire du terrain, dans son
document confidentiel. En clair, de source officielle: « Pas
dangereux, sauf si un homme y habite pendant dix ans ! »
D'après un spécialiste de l'unité de décontamination
des installations nucléaires, « l'enclos va
être assaini pour le rendre au propriétaire. Il était
même question d'y installer un terrain de football !
Des mesures sont effectuées fréquemment, le taux
de radioactivité est faible. Mais le Commissariat à
l'énergie atomique est sur le qui-vive ! »
Les déchets proviennent de la décontamination de
l'ancien C.E.A. du Bouchet, fermé en 1971. Jusqu'en 1979,
la « décharge » a été
remplie progressivement.
C'est le symbole des débuts difficile du retraitement des
déchets nucléaires en France: la terre et l'eau
ont été expédiées dans les mines de
La Crouzille (Massif central). Le reste, des résidus de
minerai, coûtait trop cher à transporter. Alors,
des camions « balancent » les déchets
dans un terrain vague, en face de la S.N.P.E.. Le terrain est
clôturé, le tour est joué... A 40 kilomètres
du sud de Paris, la première poubelle radioactive française
est née.
« Les gens dans le secret, appellent
le terrain le champ de la mort. Si on creuse, des tonnes de petit
matériel utilisé lors de la décontamination
vont apparaître: gants, masques... », affirme Alain
Coste, des Amis de la Terre, qui travaille depuis des années
sur le dossier. Information impossible à confirmer pour
le moment. La poubelle radioactive n'a peut-être pas livré
tout son contenu. En tout cas, le maire d'Itteville, Michel Fayolle,
avoue « être un peu apeuré. Mais je suis
bien obligé de croire ce que le C.E.A. me dit... »
Le Bouchet: berceau du nucléaire
1947: l'usine du Bouchet (C.E.A) voit le jour. Première
usine française de fabrication d'uranium. Au fil des ans,
sa capacité annuelle passe de dix à cinq cents tonnes.
1959: le site de Malvesi relaye le Bouchet et fournit à
son tour de l'uranium.
1971: le Bouchet ferme. Le site est décontaminé
de 1973 à 1975 essentiellement. L'opération est
achevée en 1979: vingt mille tonnes de déchets radioactifs
sont rejetées en face.
1989: en octobre, un délégué du personnel
interroge la direction de la Société nationale des
poudres et explosifs sur l'avenir du terrain loué au C.E.A.
Des travaux doivent être entrepris avant le 1er décembre
1990 pour « assainir le site » sous
contrôle du Service central de protection contre les rayonnements
ionisants. Aucune mesure n'a été rendue publique.
Sur le site, le taux de radioactivité serait « plus
élevé que sur un site vierge, mais sans conséquence
sur l'environnement ».
Gilles Verdez
Lire: Le Bouchet, berceau du nucléaire
Voir: La plaquette
de présentation du centre du Bouchet en Pdf, 4,2 Mo
(1961)
Le Parisien, 13 novembre 1990:
RADIOACTIVITE
La décharge radioactive d'Itteville devrait être bientôt recouverte de terre. Mais la polémique rebondit sur le danger actuel du site.
Bien curieux, l'empressement du Commissariat
à l'énergie atomique à récupérer
les conclusions de Henri Sergolle.
Le directeur de l'Institut de physique nucléaire d'Orsay
présidait la commission chargée de faire la lumière
sur la décharge radioactive d'Itteville (Essonne). Son
rapport a été rendu public hier. Immédiatement,
le C.E.A. a livré son interprétation: « Les
conclusions du professeur Sergolle confirment que le terrain ne
présente aucun risque sanitaire pour la population et valident
les solutions proposées par le C.E.A. pour son réaménagement
», affirme Yves Romestan, chef du service information presse.
« Je n'ai jamais dit ça ! »,
réplique Henri Sergolle, étonné par cette
affirmation du C.E.A. « Le danger actuel du site n'est
pas anodin », poursuit le scientifique, mettant les responsables
du nucléaire français en porte à faux. En
effet, Henri Sergolle n'a jamais conclu sur l'absence de danger.
Il écrit dans son rapport: « La solution consiste
à abaisser le flux de radon et donc l'émanation
de radioactivité, en recouvrant le terrain d'une couche
suffisante de matériau adapté. Il est raisonnable
d'espérer faire chuter le taux de diffusion d'un facteur
de l'ordre de 100, écartant ainsi tout danger. »
Une formulation qui n'a pas grand chose à voir avec celle
du C.E.A.
Il reste que le terrain devrait être tout de même
recouvert sans avoir livré tous ses mystères. « Une
fois encore, le C.E.A. se place au dessus des lois. On doit avant
tout se livrer à des carottages, de nouvelles mesures avant
de se prononcer sur la dangerosité du site », affirme
Michèle Rivasi, présidente de la CRIIRAD, un laboratoire indépendant
qui a effectué des mesures sur le site. Quant au maire
d'Itteville, Michel Fayolle, il affirme que « les taux
de radon dans les habitations sont dix fois sous les normes ».
La décharge, elle, va bientôt être recouverte
par plusieurs mètres de terre, et emporter pour toujours
son secret...
Gilles Verdez
Libération, 14 novembre 1990:
Faut-il recouvrir de terre la décharge nucléaire du Bouchet ou procéder à des fouilles en sous-sol ? Le CEA et la Crii-rad divergent. En attendant du radon, gaz radioactif, s'en échappe toujours.
La polémique rebondit à propos
de la décharge nucléaire du Bouchet près
d'Itteville dans l'Essonne (voir Libération 6/9/90),
où 20 000 tonnes de déchets radioactifs
ont été enterrés naguère par le CEA
(Commissariat à l'énergie atomique) et d'où
se dégage une quantité anormale de radon, du gaz
radioactif, issu de résidus de radium (1).
Un rapport établi par Henri Sergolle, directeur de l'institut
de physique nucléaire d'Orsay, a été remis
au Premier ministre et au ministre de l'Environnement. Sa recommandation
principale est claire: « La solution envisageable
consiste à abaisser le flux du radon et donc l'émanation
de radioactivité, en recouvrant le terrain d'une couche
suffisante de matériau adapté (terre, argile...)
». Il devrait alors être possible de faire
« chuter le taux de diffusion (du gaz radon) d'un
facteur de l'ordre de 100. écartant ainsi tout danger ».
Pas d'accord, estime la Crii-Rad (Commission de recherche
et d'information indépendante sur la radioactivité).
« Ce site doit être considéré
comme un stockage de substances radioactives et rangé parmi
les installations classées pour la protection de l'environnement
» (loi du 19 juillet 1976). « II
doit être soumis au minimum à un régime de
déclaration, avec toutes les astreintes afférentes:
dispositifs de contrôle, conditionnement des substances
radioactives, bâtiments appropriés, etc. ».
La réhabilitation, envisagée en recouvrant simplement
l'endroit d'une couche de terre ne lui semble vraiment pas adéquate.
« Il y a des déchets dans cette décharge
avec des activités telles qu'il faut les reconditionner.
Du radium, très radiotoxique, ce n'est pas acceptable ! »
Et de réclamer (ce qui est d'ailleurs mentionné
dans le rapport) une « expertise par carottage du
sol ».
Autrement dit. il faudrait se décider à aller
véritablement fouiller les terrains. avec une méthodologie
rigoureuse, en particulier un « bassin de décantation
» et le « parc des hydroxydes »,
deux zones particulièrement radioactives. Mais, selon le
rapport Sergolle. « l'exigence des carottages n'est
pas retenue ». La Crii-Rad, associée aux
réunions de travail ayant donné naissance à
ce rapport, regrette que ce dernier ait été publié
« sans qu'on nous ait demandé notre avis.
Cette commission n'a pas le droit de statuer sur la réhabilitation
du site. Il faut appliquer la loi ». En l'occurrence,
on peut se demander au jourd'hui comment va réagir le ministère
de l'Environnement sur cette affaire.
(1) Lire notre grande enquête sur Gif-sur-Yvette (Essonne) parue hier, où l'on voit que le radium cause décidément de nombreux problèmes.
DOMINIQUE LEGLU
Le Républicain de l'Essonne, 19 septembre 1991:
Décharge radioactive du Bouchet, vers un
réaménagement du site ?
Le Parisien,
6 novembre 1991:
Le
préfet met les pieds dans la décharge radioactive
Le Bouchet: où en est-on ?
Se conformant à un arrêté préfectoral,
le CEA a recouvert le site en 1993 d'argile compactée,
de gravier, et de terre arable. Lire: A propos du Bouchet (Gazette Nucléaire
n°161/162, 1997).