Le Bouchet, berceau du nucléaire


Le Bouchet en 1961.

 


La France nucléaire, Mary Byrd Davis:
[Les photos et le schéma ont été rajoutés par Infonucléaire]

Le Bouchet: l'histoire
Voir: La plaquette de présentation du centre du Bouchet en Pdf, 4,2 Mo (1961).

Les premières installations
En 1948, 8 t d'oxyde d'uranium et 9 t d'uranate de soude d'origine belge ont été épurées pour produire le combustible UO2 de Zoé. En novembre 1949, le CEA a réussi à extraire le premier milligramme de plutonium français.
De 1949 jusqu'à fin 1956 environ, Le Bouchet a réceptionné du minerai d'uranium de haute qualité (2-10 % ou plus en uranium) pour effectuer la concentration et le raffinage [Goldschmidt 56 ; Decrop 58]. Après 1956 le CEA a exploité [du] minerai moins riche et, en conséquence, des usines de traitement ont été construites près des mines. Depuis le début 1958 le Bouchet ne réceptionnait guère de minerai brut. A raison de 10-20 t/j de minerai, le Bouchet a traité environ 9 500 t de minerai au total, si tous les résidus se trouvent aujourd'hui, comme Cogéma et l'Andra l'indiquent, à Bessines.
Les déchets provenant de la concentration et du raffinement se trouvent aujourd'hui, selon l'Andra, à Bessines, zone Sepa (minerai non-traité) ; à Brugeaud et à Lavaugrasse (résidus de traitement) ; et à l'annexe du Bouchet (stériles).

L'usine de production d'Uranium
Le Bouchet a produit sa première tonne d'uranium métal en 1949.
La capacité de production a augmenté jusqu'à 1958. En 1958 la capacité s'est stabilisée à 500 t/an [Decrop 58].

Fabrication de l'Uranium, intérieur du bâtiment principal.
Le Bouchet a produit plus de 4 000 t d'uranium métal naturel, notamment pour les réacteurs de recherche et les réacteurs UNGG. En 1969 et 1970 l'usine a produit au total 159 t d'uranium métal appauvri, vraisemblablement du nitrate d'uranyle provenant de La Hague. L'usine a également fabriqué des produits "demi-finis", y compris l'UF4 pour la conversion en UF6 à Pierrelatte.
De plus, l'atelier récupération et l'atelier grillage ont retraité des déchets provenant d'autres établissements y compris des usines d'Annecy et de Romans aussi bien que du site du Bouchet lui-même.
Le déchets de l'usine comprenaient :
- Effluents atmosphériques. Les plus importants étaient vraisemblablement les particules d'oxyde d'uranium provenant du grillage en plein air.
- Effluents liquides. L'effluent principal était la solution en provenance de l'atelier de purification dans la chaîne de raffinage de l'uranium. L'effluent était traité et, contenant encore un peu d'uranium et les impuretés provenant des concentrés, était transporté comme une boue au bassin de décantation.
- Déchets solides. Ils comprenaient les boues du traitement des effluents, des filtres, etc. [Délange 64].

Fabrication de l'Uranium, bâtiment purification.

L'usine de production de nitrate de Thorium
Exploitée de 1957-1971, l'usine était située dans " un agrandissement important " de l'enclave originelle. Elle recevait l'uranothorianite en provenance de Madagascar et déjà concentrée par lavage dans ce pays. Le minerai contenait de l'uranium ainsi que du thorium 232 en proportions diverses.
L'installation a utilisé plusieurs procédés, y compris un procédé de séparation de l'uranium et du thorium par extraction sélective réalisée en même temps que la purification proprement dite. Le thorium était récupéré sous forme de nitrate nucléairement pur, et l'uranium sous forme d'uranate de soude.
Le CEA a estimé en 1967 que l'usine traiterait au total 5 400 t de concentrés physiques pour obtenir 935 t d'uranium et 2 892 t de thorium [CEARa 67].
L'uranothorianite est beaucoup plus active que le minerai de thorium et d'uranium normalement traité.
Les rejets et déchets de l'usine comprenaient :
- des effluents atmosphériques. Un système de filtration et de carbone activé arrêtait des gaz tels que le radon et le thoron, " au moins en grande partie " [Braun 58].
- des effluents liquides. Pour obtenir du radium aux pieds des colonnes d'extraction, on précipitait le sulfate de plomb. Le radium était entraîné avec le plomb. On rejetait dans un cours d'eau : (1) d'une part, après neutralisation et filtration, le liquide qui restait, avec un peu de radium ; (2) d'autre part, après dilution, les eaux-mères de la filtration d'uranate et de thorium hydroxyde [Braun 1958]. Il semble que ce cours d'eau était la Juine [BIST ii.64].
- des déchets solides. Les résidus de traitement (5 600 t) se trouvent au Bauzot, les fûts vides, écrasés à Fanay, et 3 t environ d'uranothorianite non-traitées à Bessines-Sepa. Une partie des sulfates de plomb radifère, antérieurement stockés au CSM, a été récemment reconditionnée et transférée à Cadarache. À Razes se trouve un stock générateur de radon constitué de 57 fûts de sulfate de plomb de 110 kg chacun.

Usine de traitement de l'uranothorianite, bâtiment principal et parc de stockage des solutions.

Démantèlement du centre du Bouchet: 1971-1979 et la suite
C'est le CEN Saclay qui a conduit le projet. " Les installations ont été démontées et certains bâtiments démolis " [Andra 00]. Le CEA a remis les lieux à la Société nationale des poudres et explosifs en 1979 [Lallement 91]. L'Andra reconnaît les déchets suivants : 1 900 t de ferrailles (Brugeauds) et 61 555 t et 2 200 m3 de terre et gravats (Brugeauds, Montboucher, site annexe du Bouchet à Itteville, remblayage de l'autoroute à Chilly-Mazarin). L'Andra reconnaît également une contamination résiduelle des terrains :
- sur le parc JK5, lieu où ont été entreposés des résidus de nettoyage et de curage : 21 GBq en uranium 238, radium 226, et thorium 232 ;
- sur une épaisseur de 50 cm et une surface d'environ 730 m2 de l'ensemble des terrains inclus dans le périmètre de l'ancienne usine CEA (hors parc JK5) : 16 GBq en uranium, radium, et thorium ;
- sur une épaisseur de 50 cm, sur le reste du terrain : environ 285 GBq en uranium 238 et 19 GBq en radium 226 et thorium 232 [Andra 00].
Le parc JK5 est clôturé ; la démolition des anciens bâtiments devait avoir lieu en 2000-01 [Andra 00]. Les déchets provenant du démantèlement doivent être entreposés au parc JK5 en attendant de trouver un exutoire, qui est à l'étude. Le site est surveillé dans le cadre d'une convention et d'un protocole d'accord entre le CEA et la SNPE [Andra 00].

Installations associées
L'annexe du Bouchet à Itteville (Essonne), une ancienne décharge, a été utilisée par le CEA entre 1948 et 1971 comme bassin de décantation et aire de stockage.
En 2000 restaient encore sur place 15 000 t de boues contenant 20 t d'uranium et 1 t de thorium, 8 000 t de gravats, 2 100 t de stériles, et 2 500 t d'hydroxides. Se conformant à un arrêté préfectoral, le CEA a recouvert ce site en 1993 d'argile compactée, de gravier, et de terre arable [Andra 00 ; Echo 3.i.92 ; Libé 5.vi.92]. Une étude effectuée par des chercheurs de l'IPSN a conclu que la réhabilitation du site a réduit les niveaux en concentration du radon 220 et 222 au même ordre de grandeur que ceux rencontrés dans le Bassin parisien [Robé 96].

Un terrain, dénommé " Île Verte ", sur la commune de Vert-le-Petit (Essonne) en bordure de l'Essonne, est le site d'une station de contrôle des eaux, aujourd'hui démantelée, que le CEA a exploitée jusqu'en 1974. Le terrain présente une " radioactivité naturelle en quantité supérieure à celle habituellement rencontrée dans les sols de la région " mais l'activité en uranium 238 est inférieure à quelques Bq/g. Le terrain est en cours de réhabilitation définitive. Les déchets TFA générés seront entreposés au CEA Saclay. Leur exutoire est à l'étude [Andra 00].

 


Echos du groupe CEA n°18, hiver 1989:


La tâche des premiers exploitants relevait plus de l'acrobatie chimique et technologique que de la simple industrie.
On assiste ici, en 1956, au chargement du four de séchage du peroxyde d'uranium.

L'usine du Bouchet, située à 40 km au sud de Paris, entre Saint-Vrain et Ballancourt, fut la première usine française de fabrication d'uranium. Inaugurée en 1947, fermée en 1971, elle n'est plus qu'un souvenir... mais pas tout à fait. Si, d'aventure, un curieux passe devant ses portes, il pourra apercevoir, en se mettant sur la pointe des pieds, ses bâtiments déserts mais intacts, et voir, de l'autre côté de la route, les ruines de la cantine envahies par la végétation...

En ce lieu de silence et d'abandon, qui pourrait supposer que c'est ici que se sont écrites quelques unes des toutes premières pages de l'histoire du CEA, celles des « pionniers » de l'uranium ?

La tâche des premiers exploitants relevait plus de l'acrobatie chimique et technologique que de la simple industrie: il fallait à la fois achever le montage des installations, mettre au point les procédés, obtenir des fournisseurs des performances inédites, former et organiser les équipes... et fournir dans les plus brefs délais et en quantité suffisante le produit de pureté nucléaire désiré. A l'origine l'usine employait une centaine de personnes, pour la plupart des novices. Deux exceptions: le directeur Paul Vertes - qui nous a quittés en juin dernier et auquel ces quelques souvenirs sont dédiés - était rompu aux techniques industrielles et à la conduite d'unités importantes dans la grosse industrie chimique, et Pierre Regnault, le n° 2, qui avait travaillé douze ans dans les laboratoires de la SNCF. En revanche, tous les ingénieurs et techniciens chimistes étaient des débutants, et le reste du personnel, recruté dans les environs, provenait de l'agriculture, de la mécanique automobile, du petit commerce, etc.

Pour éviter la fatigue des transports et permettre une plus grande souplesse dans les horaires, les ingénieurs et techniciens habitant la capitale ne rentraient à Paris que pour les week-ends et le mercredi soir. Dans les premiers temps, leur logement à proximité de l'usine posa quelques problèmes. Après l'âge d'or de « l'Ile Verte », petite auberge idyllique, rendez-vous des pêcheurs et des amoureux, située près des étangs de Ballancourt, il fallut déménager pour mettre un terme à des indemnités de séjour jugées scandaleuses. On échoua alors dans un local nettement plus austère puisqu'il n'était pas chauffé. Cette rigueur monacale toute nouvelle permit de gagner un temps précieux sur la toilette du matin au cours de l'hiver 1947/48. Heureusement, la température des chambres n'étant jamais descendue au-dessous de 3 ou 4°, aucune bronchite grave ne fut à déplorer. Par la suite, le personnel parisien des deux sexes disposa de locaux dignes et confortables, avec une distance d'un bon kilomètre entre le chalet des filles et celui des garçons afin de préserver la moralité et la réputation des agents du CEA.

Un feu d'artifice spectaculaire

Pour les premiers traitements, la matière première était constituée par quelques tonnes d'oxyde U3O8, (« l'oxyde noir ») rassemblées par Joliot Curie à la veille de la guerre et cachées au Maroc pendant l'occupation. Ensuite on traita un lot d'uranate de soude d'origine belge puis des minerais riches (3 à 10 % !) et enfin les concentrés livrés par les usines de concentration de l'Hexagone. Le traitement des minerais connut un nouvel essor à partir de 1957 avec l'arrivée de l'uranothorianite de Madagascar.



Le produit fourni par l'usine fut d'abord de l'oxyde UO2 pour Zoé puis des lingots d'uranium métallique. Pour obtenir celui-ci, il faut passer par l'intermédiaire du tétrafluorure UF4. Au début, ce sel était préparé en touillant l'oxyde UO2 avec de l'acide fluorhydrique en solution aqueuse dans des cuves ébonitées, ce qui donnait lieu ensuite à d'interminables filtrations, lavages et séchages... et à un produit médiocre. Ce dernier était réduit en métal par calciothermie,
opération fort appréciée des visiteurs pour son feu d'artifice spectaculaire, mais non irréprochable sur les plans du rendement et de l'hygiène.

La mise au point de la fluoration par voie sèche d'une part, les perfectionnements de la calciothermie puis le passage à la magnésiothermie d'autre part, mirent fin à ce folklore industriel.

Intérieur du bâtiment fluoruration.

Autre évocation de cette ère des pionniers: l'extraction des premiers milligrammes de plutonium de Zoé. Là encore, il fallut faire vite et avec les moyens du bord, tout en essayant de concilier l'impatience de Bertrand Goldschmidt avec l'orthodoxie technique et administrative de Paul Vertès. Les appareillages utilisés alors semblent bien archaïques aujourd'hui, en particulier pour la télémanipulation. Enfin, le 20 novembre 1949, 4 milligrammes de ce précieux élément ont pu être isolés sous forme d'iodate. C'était un dimanche, car Goldschmidt n'avait pas pu attendre jusqu'au lundi. Ensuite, avec Kowarski, qui avait assisté à la naissance, nous sommes allés tous ensemble à Sceaux chez Frédéric et Irène Joliot Curie pour leur présenter le bébé.

Les laboratoires.

Dès les premières années 50, le folklore a fait place aux techniques industrielles.
Progressivement, la capacité annuelle de l'usine est passée de 10 à 500 tonnes. Elle fut la seule à raffiner et à fournir l'uranium jusqu'en 1959, date de la mise en service de l'usine de Malvési.

Jean SAUTERON

 

 


Photo extraite du dictionnaire de l'atome, Larousse 1964.

 

 

La métallurgie de l'uranium à l'usine du Bouchet
(Extrait de Sciences et Avenir n°98, avril 1955)

 

LA MÉTALLURGIE DE L'URANIUM

Il nous reste maintenant à aborder le deuxième aspect du problème de l'uranium, celui de l'élaboration du métal à partir du minerai. L'ensemble des installations existant en France se trouve concentré sur un terrain de 5 hectares enclos dans la poudrerie du Bouchet en Seine et Marne.

L'auréole de mystère qui entoure tout ce qui concerne l'uranium a fait perdre quelque peu au public la notion du fait que ce corps est avant tout un métal et qu'à ce titre il est justiciable, comme tous ses confrères, d'une technique de métallurgie avec des impératifs financiers aussi stricts que ceux que nous avons évoqués au sujet des problèmes miniers.

Si la métallurgie de l'uranium est assez complexe, cela tient avant tout à deux faits :

- Seul le métal ultra-pur est intéressant pour les applications nucléaires.

- La purification du métal élaboré est très délicate, pour ne pas dire impossible, il convient donc de purifier au maximum le minerai pour enlever toute trace de corps nuisible avant de faire apparaître l'uranium sous forme métallique.

Cette dernière nécessité se rencontre dans la métallurgie de bien d'autres métaux, notamment de l'aluminium. Jamais toutefois, dans la métallurgie classique, on n'exige une pureté comparable à celle qui est réclamée de l'uranium destiné à la réalisation des piles atomiques. Ceci explique la très grande complexité des opérations de purification qui vont être examinées maintenant.

Les bonnes mines fournissent, après concentration par des procédés essentiellement physiques, un "concentré" titrant aux alentours de 4 % d'uranium métal, le reste étant composé de substances très diverses, variant avec l'origine du minerai et même avec la portion de filon d'où l'extraction a été effectuée. Ceci n'est évidemment pas fait pour faciliter les traitements.

Ces traitements débutent par un concassage et un broyage, suivis d'un criblage du minerai. Le type des broyeurs utilisés étant à fonctionnement sec, les minerais secs y sont admis directement, tandis que les minerais plus ou moins humides sont desséchés au préalable dans un four horizontal rotatif (1).

A la sortie des broyeurs à marteau, le minerai est criblé et envoyé dans des trémis de stockage d'un volume suffisant pour régulariser totalement la production de l'usine et amortir les irrégularités possibles des arrivées de minerai par wagons.

Le premier traitement chimique subi par le minerai est une attaque à l'acide nitrique qui a lieu à chaud dans de très grandes cuves en acier inoxydable. L'uranium contenu dans le minerai se transforme en nitrate d'uranium soluble. Malgré la concentration assez faible du minerai en uranium la dépense d'acide nitrique n'est pas trop importante, car la quasi totalité des minerais d'uranium sont renfermés dans des roches acides très peu attaquables à l'acide nitrique. Lorsque l'on traitera des produits contenant de fortes proportions de calcaire, comme les concentrés provenant de gisements de phosphate, il faudra envisager une récupération du nitrate de chaux qui sera vendu comme engrais et compensera ainsi la très forte dépense d'acide nitrique.

Pour les minerais actuellement utilisés où la presque totalité de la partie stérile est insoluble dans l'acide nitrique, cette opération de dissolution dans l'acide à chaud élimine la plus grande partie en volume de substances qui accompagnent l'uranium dans son minerai. On a donc une concentration considérable, ce qui ne veut cependant pas dire pour autant que le nitrate d'uranium de la solution obtenue soit au degré de pureté nécessaire.

La solution de nitrate, décantée et filtrée, est devenue parfaitement claire, mais elle contient une quantité importante de sel soluble d'un certain nombre de métaux tels que fer, aluminium, cuivre, etc. Pour pousser plus avant la purification, on se sert de la propriété chimique suivante : les carbonates de la plupart de ces métaux sont insolubles alors que le carbonate d'uranium, lui, est soluble. On ajoute donc du carbonate de soude à la solution, ce qui précipite, sous forme de carbonates insolubles, la plus grande partie des impuretés ; il n'y a plus alors qu'à filtrer pour obtenir une solution très purifiée de carbonate d'uranium.

Au cours d'une dernière opération, l'uranium est précipité dans des cuves cylindriques par la soude caustique. Le précipité d'uranate de soude est filtré dans des filtre-presses en donnant des gâteaux saune orangé d'uranate de sodium.

La première salle de traitement de l'usine du Bouchet où sont opérées successivement : la dissolution dans l'acide nitrique, la carbonatation et la transformation en uranate de soude.

Si l'uranium était destiné comme les autres métaux à des usages métallurgiques quelconques, on pourrait arrêter ici la purification. La pureté réalisée serait sensiblement supérieure à 99 %, ce qui, pour la plupart des métaux, est convenable. Cette pureté est cependant tout à fait insuffisante pour l'industrie atomique, aussi va-t-il falloir pousser plus loin la purification.

Le degré de pureté vers lequel on se dirige est tel, qu'il va falloir prendre désormais les plus grandes précautions pour éviter qu'aucune source de contamination ne vienne polluer à nouveau les sels d'uranium purifiés à grands frais. C'est la raison pour laquelle la suite des opérations a lieu dans un second bâtiment dont les portes d'accès sont munies de "sas", afin d'éviter toute introduction de poussières.

Les gâteaux jaunes orangés d'uranate de sodium ont été redissous dans de l'acide nitrique et c'est donc, à nouveau, une solution de nitrate d'uranium qui pénètre dans le bâtiment. Dès l'entrée, le changement d'odeur nous indique bien que le traitement qui va suivre est d'une nature tout à fait différente des précédents. Cette odeur proche de celle que l'on rencontre chez un teinturier est effectivement celle d'un solvant organique.

Tableau de commande de la sortie d'extraction du nitrate d'uranium purifié par un solvant organique.

Ce solvant est mélangé à la solution aqueuse de nitrate d'uranium et violemment brassé avec elle ; seul le sel d'uranium se dissout dans le solvant, tandis que les impuretés restent en solution dans l'eau. Il ne reste plus qu'à séparer le solvant et à l'évaporer pour obtenir cette fois du nitrate d'uranium parfaitement pur, qui est ensuite dissous dans de l'eau distillée.

Nous sommes maintenant proches de la fin du traitement tel qu'il se pratiquait encore lors du temps de Zoé. En ajoutant une solution de l'eau oxygénée, on précipite un oxyde d'uranium qui, une fois séché, calciné à 400° et réduit partiellement par de l'hydrogène, apparaît sous forme de poudre brune. C'est cette poudre qui, frittée en pastilles, servit à constituer la partie active de la première pile française.

L'élaboration du métal proprement, dit était en effet beaucoup moins importante du point de vue nucléaire que l'ensemble des purifications, telles que nous les avons décrites. Rien n'aurait servi, à l'époque, de posséder des lingots d'uranium métallique de pureté douteuse, alors que par contre des pains d'oxyde brun, d'un degré de pureté élevé, ont permis à Zoé de fonctionner pendant des années. En physique nucléaire, la pureté chimique importe beaucoup plus que l'état physique apparent : l'habit ne fait pas le moine...

Lorsque nos moyens et notre expérience se furent accrus, les techniciens du Commissariat de l'énergie atomique concentrèrent leurs efforts sur la deuxième partie de la métallurgie de l'uranium : l'élaboration du métal proprement dite.

C'est dans un troisième bâtiment que s'effectue cette opération. L'oxyde brun de formule UO2 est attaqué par de l'acide fluorhydrique.

Cet acide est une des substances les plus corrosives et difficiles à manipuler que l'on connaisse. C'est le seul acide que l'on ne puisse conserver dans des bouteilles de verre, car il les dissout aussitôt...

Autrefois l'acide fluorhydrique était transporté dans des bouteilles de plomb. De nos jours, la technique a évolué et c'est dans des bonbonnes en matière plastique vinylique que ce peu sympathique produit arrive à l'usine du Bouehet. On l'y utilise dans des cuves à revêtement d'ébonite où il est mélangé à l'oxyde d'uranium qu'il attaque aussitôt.

L'extrémité inférieure de chacune de ces cuves tronconiques est munie de vannes en ébonite par où l'on soutire le fluorure d'uranium. Le fluorure, séché dans des fours, se présente en petits granulés dont la grosseur est de 5 à 15 millimètres.

AU ROYAUME DE SATAN

Le lecteur non spécialiste qui nous aurait suivi jusqu'à présent pas à pas dans notre visite de l'usine du Bouchet, à travers les salles où sont mises en oeuvre les opérations que nous avons décrites, aurait sans doute été déçu par l'aspect fort peu spectaculaire des appareils utilisés. Mais arrivé presque au terme de notre visite, un spectacle étonnant va s'offrir pour dédommager largement le visiteur.

Dans des cuves cylindriques en acier inoxydable d'un mètre de hauteur, qui peuvent être manoeuvrées à la main sur de petits chariots transporteurs, on a mélangé les grains de fluorure d'uranium avec des copeaux de calcium métallique ultra-pur.

On met alors le feu au mélange. Une réaction d'une extrême violence se produit : le calcium, étant beaucoup plus avide de fluor que l'uranium, s'empare vivement de ce métalloïde avec un dégagement de chaleur terriblement brutal. En 12 secondes tout est terminé. L'uranium métallique qui est apparu sous forme liquide se concentre dans un creuset en fluorine placé au fond de la cuve.

Cette opération très spectaculaire
[et très contaminante !!!] s'est déroulée sous une hotte destinée à évacuer les vapeurs toxiques qui se dégagent assez abondamment. On coiffe alors la cuve d'une cloche étanche, on la range plus loin, en tirant à la main le chariot sur lequel elle repose, et on la laisse se refroidir lentement pendant 24 ou 48 heures.

Réaction du calcium métallique sur le fluorure d'uranium.

Le défournement de la cuve se fait alors sans difficulté ; on extrait le fluorure de calcium fondu qui recouvre le lingot d'uranium et celui ci apparaît dans son creuset.

La tradition veut que l'on propose au visiteur de soulever ce petit lingot qui n'a pas tout à fait un volume de 3,5 litres. Pour cela il enfile soigneusement, des gants et s'évertue vainement pour le plus grand plaisir des observateurs... Il n'y a rien de mystérieux à cela, si ce n'est que l'uranium a une densité environ triple de celle du fer et que le minuscule lingot ne pèse pas moins de 70 kg ! La prise sur ce cylindre lisse est beaucoup trop faible pour soulever une telle masse que l'on parvient simplement à basculer.

L'ordre de pureté de cet uranium dépasse 99,99 %, et les impuretés particulièrement nuisibles en physique nucléaire, comme le bore par exemple, n'y sont présentes que sous des pourcentages inférieurs au millionième. La pureté de ce métal rivalise avec celui obtenu par n'importe quel pays, y compris les U.S.A.

Aucun chiffre n'a été donné officiellenient sur la production exacte de l'usine du Bouchet. Tout ce que l'on sait, c'est qu'elle absorbe sans difficulté la totalité des minerais dont nous pouvons disposer, tant sur le sol métropolitain que dans l'ensemble de l'Union Française. En ce qui concerne la cadence du traitement, il serait bien entendu totalement faux de se baser sur les derniers chiffres que nous avons cités, pour le stade ultime de la métallurgie : un lingot de 70 kg obtenu en 12 secondes !... Il est bien évident que la cadence de production de cet atelier est conditionnée par celle des ateliers qui le précèdent.

La capacité actuelle de production est largement suffisante pour assurer les besoins des projets en cours, concernant la réalisation de deux grandes piles sur le bas Rhône.

Notre pays semble même, pour le moment, un peu suréquipé dans le domaine de la métallurgie de l'uranium.


L'usine de traitement du Bouchet est exclusivement destinée à traiter les minerais d'origine française : métropolitaine et d'Union française. Cependant, signalons que le Bouchet a été en mesure d'avancer à la Suède trois tonnes de métal qui ont été rendues depuis à la France sous forme d'oxyde en provenance des schistes bitumineux.

C'est dire à quel point notre pays a su conquérir une indépendance totale en ce qui concerne son approvisionnement propre en uranium. Voici un des actifs, et non des moindres, à inscrire au crédit du Commissariat à l'Energie Atomique et de ses chercheurs.

G. LACOSTE


(1) Il existe deux grands types de broyeurs : les broyeurs à minerai rigoureusement sec et les broyeurs travaillant avec un entrainemenl continu de produits par un courant d'eau. Aucun broyeur ne fonctionne convenablement avec un minerai d'une humidité moyenne, car il se forme alors avec les parties les plus fines une boue compacte qui a vite fait de tout enrayer. Dans le cas des broyeurs travaillant avec un courant d'eau, le minerai doit être séché après broyage.