La France nucléaire, Mary Byrd Davis:
[Les photos et le schéma ont été rajoutés
par Infonucléaire]
Les premières installations
En 1948, 8
t d'oxyde d'uranium et 9 t d'uranate de soude d'origine belge
ont été épurées pour produire le combustible
UO2 de Zoé. En novembre 1949, le CEA a réussi à
extraire le premier milligramme de plutonium français.
De 1949 jusqu'à fin 1956 environ, Le Bouchet a réceptionné
du minerai d'uranium de haute qualité (2-10 % ou plus en
uranium) pour effectuer la concentration et le raffinage [Goldschmidt
56 ; Decrop 58]. Après 1956 le CEA a exploité [du]
minerai moins riche et, en conséquence, des usines de traitement
ont été construites près des mines. Depuis
le début 1958 le Bouchet ne réceptionnait guère
de minerai brut. A raison de 10-20 t/j de minerai, le Bouchet
a traité environ 9 500 t de minerai au total, si tous les
résidus se trouvent aujourd'hui, comme Cogéma et
l'Andra l'indiquent, à Bessines.
Les déchets provenant de la concentration et du raffinement
se trouvent aujourd'hui, selon l'Andra, à Bessines, zone
Sepa (minerai non-traité) ; à Brugeaud et à
Lavaugrasse (résidus de traitement) ; et à l'annexe
du Bouchet (stériles).
L'usine de production d'Uranium
Le Bouchet a produit sa première tonne d'uranium métal en 1949.
La capacité de production a augmenté jusqu'à
1958. En 1958 la capacité s'est stabilisée à
500 t/an [Decrop 58].
Fabrication de l'Uranium, intérieur du
bâtiment principal.
Le Bouchet a produit plus de 4 000 t d'uranium métal naturel,
notamment pour les réacteurs de recherche et les réacteurs
UNGG. En 1969 et 1970 l'usine a produit au total 159 t d'uranium
métal appauvri, vraisemblablement du nitrate d'uranyle
provenant de La Hague. L'usine a également fabriqué
des produits "demi-finis", y compris l'UF4 pour la conversion
en UF6 à Pierrelatte.
De plus, l'atelier récupération et l'atelier grillage
ont retraité des déchets provenant d'autres établissements
y compris des usines d'Annecy et de Romans aussi bien que du site
du Bouchet lui-même.
Le déchets de l'usine comprenaient :
- Effluents atmosphériques. Les plus importants étaient
vraisemblablement les particules d'oxyde d'uranium provenant du
grillage en plein air.
- Effluents liquides. L'effluent principal était la solution
en provenance de l'atelier de purification dans la chaîne
de raffinage de l'uranium. L'effluent était traité
et, contenant encore un peu d'uranium et les impuretés
provenant des concentrés, était transporté
comme une boue au bassin de décantation.
- Déchets solides. Ils comprenaient les boues du traitement
des effluents, des filtres, etc. [Délange 64].
Fabrication de l'Uranium, bâtiment purification.
L'usine de production de nitrate de
Thorium
Exploitée de 1957-1971, l'usine
était située dans " un agrandissement important
" de l'enclave originelle. Elle recevait l'uranothorianite
en provenance de Madagascar et déjà concentrée
par lavage dans ce pays. Le minerai contenait de l'uranium ainsi
que du thorium 232 en proportions diverses.
L'installation a utilisé plusieurs procédés,
y compris un procédé de séparation de l'uranium
et du thorium par extraction sélective réalisée
en même temps que la purification proprement dite. Le thorium
était récupéré sous forme de nitrate
nucléairement pur, et l'uranium sous forme d'uranate de
soude.
Le CEA a estimé en 1967 que l'usine traiterait au total
5 400 t de concentrés physiques pour obtenir 935 t d'uranium
et 2 892 t de thorium [CEARa 67].
L'uranothorianite est beaucoup plus active que le minerai de thorium
et d'uranium normalement traité.
Les rejets et déchets de l'usine comprenaient :
- des effluents atmosphériques. Un système
de filtration et de carbone activé arrêtait des gaz
tels que le radon et le thoron, " au moins en grande partie
" [Braun 58].
- des effluents liquides. Pour obtenir du radium aux pieds
des colonnes d'extraction, on précipitait le sulfate de
plomb. Le radium était entraîné avec le plomb.
On rejetait dans un cours d'eau : (1) d'une part, après
neutralisation et filtration, le liquide qui restait, avec un
peu de radium ; (2) d'autre part, après dilution, les eaux-mères
de la filtration d'uranate et de thorium hydroxyde [Braun 1958].
Il semble que ce cours d'eau était la Juine [BIST ii.64].
- des déchets solides. Les résidus de traitement
(5 600 t) se trouvent au Bauzot, les fûts vides, écrasés
à Fanay, et 3 t environ d'uranothorianite non-traitées
à Bessines-Sepa. Une partie des sulfates de plomb radifère,
antérieurement stockés au CSM, a été
récemment reconditionnée et transférée
à Cadarache. À Razes se trouve un stock générateur
de radon constitué de 57 fûts de sulfate de plomb
de 110 kg chacun.
Usine de traitement de l'uranothorianite, bâtiment
principal et parc de stockage des solutions.
Démantèlement du centre
du Bouchet: 1971-1979 et la suite
C'est le CEN Saclay qui a conduit le projet. " Les installations
ont été démontées et certains bâtiments
démolis " [Andra 00]. Le CEA a remis les lieux
à la Société nationale des poudres et explosifs
en 1979 [Lallement 91]. L'Andra reconnaît les déchets
suivants : 1 900 t de ferrailles (Brugeauds) et 61 555 t et 2
200 m3 de terre et gravats (Brugeauds, Montboucher, site annexe
du Bouchet à Itteville, remblayage de l'autoroute à
Chilly-Mazarin). L'Andra reconnaît également une
contamination résiduelle des terrains :
- sur le parc JK5, lieu où ont été entreposés
des résidus de nettoyage et de curage : 21 GBq en
uranium 238, radium 226, et thorium 232 ;
- sur une épaisseur de 50 cm et une surface d'environ
730 m2 de l'ensemble des terrains inclus dans le périmètre
de l'ancienne usine CEA (hors parc JK5) : 16 GBq en
uranium, radium, et thorium ;
- sur une épaisseur de 50 cm, sur le reste du terrain :
environ 285 GBq en uranium 238 et 19 GBq en radium 226 et thorium
232 [Andra 00].
Le parc JK5 est clôturé ; la démolition
des anciens bâtiments devait avoir lieu en 2000-01 [Andra
00]. Les déchets provenant du démantèlement
doivent être entreposés au parc JK5 en attendant
de trouver un exutoire, qui est à l'étude. Le site
est surveillé dans le cadre d'une convention et d'un protocole
d'accord entre le CEA et la SNPE [Andra 00].
Installations associées
L'annexe du Bouchet à Itteville (Essonne), une ancienne
décharge, a été utilisée par le CEA
entre 1948 et 1971 comme bassin de décantation et aire
de stockage. En 2000 restaient
encore sur place 15 000 t de boues contenant 20 t d'uranium et
1 t de thorium, 8 000 t de gravats, 2 100 t de stériles,
et 2 500 t d'hydroxides. Se conformant à un arrêté
préfectoral, le CEA a recouvert ce site en 1993 d'argile
compactée, de gravier, et de terre arable
[Andra 00 ; Echo 3.i.92 ; Libé 5.vi.92]. Une étude
effectuée par des chercheurs de l'IPSN a conclu que la
réhabilitation du site a réduit les niveaux en concentration
du radon 220 et 222 au même ordre de grandeur que ceux rencontrés
dans le Bassin parisien [Robé 96].
Un terrain, dénommé " Île Verte ",
sur la commune de Vert-le-Petit (Essonne) en bordure de l'Essonne,
est le site d'une station de contrôle des eaux, aujourd'hui
démantelée, que le CEA a exploitée jusqu'en
1974. Le terrain présente une " radioactivité
naturelle en quantité supérieure à celle
habituellement rencontrée dans les sols de la région "
mais l'activité en uranium 238 est inférieure à
quelques Bq/g. Le terrain est en cours de réhabilitation
définitive. Les déchets TFA générés
seront entreposés au CEA Saclay. Leur exutoire est à
l'étude [Andra 00].
Echos du groupe CEA n°18, hiver 1989:
L'usine du Bouchet, située à 40 km au sud de Paris, entre Saint-Vrain et Ballancourt, fut la première usine française de fabrication d'uranium. Inaugurée en 1947, fermée en 1971, elle n'est plus qu'un souvenir... mais pas tout à fait. Si, d'aventure, un curieux passe devant ses portes, il pourra apercevoir, en se mettant sur la pointe des pieds, ses bâtiments déserts mais intacts, et voir, de l'autre côté de la route, les ruines de la cantine envahies par la végétation...
En ce lieu de silence et d'abandon, qui pourrait
supposer que c'est ici que se sont écrites quelques unes
des toutes premières pages de l'histoire du CEA, celles
des « pionniers » de l'uranium ?
La tâche des premiers exploitants relevait plus de l'acrobatie
chimique et technologique que de la simple industrie: il fallait
à la fois achever le montage des installations, mettre
au point les procédés, obtenir des fournisseurs
des performances inédites, former et organiser les équipes...
et fournir dans les plus brefs délais et en quantité
suffisante le produit de pureté nucléaire désiré.
A l'origine l'usine employait une centaine de personnes, pour
la plupart des novices. Deux exceptions: le directeur Paul Vertes
- qui nous a quittés en juin dernier et auquel ces quelques
souvenirs sont dédiés - était rompu aux techniques
industrielles et à la conduite d'unités importantes
dans la grosse industrie chimique, et Pierre Regnault, le n°
2, qui avait travaillé douze ans dans les laboratoires
de la SNCF. En revanche, tous les ingénieurs et techniciens
chimistes étaient des débutants, et le reste du
personnel, recruté dans les environs, provenait de l'agriculture,
de la mécanique automobile, du petit commerce, etc.
Pour éviter la fatigue des transports et permettre une
plus grande souplesse dans les horaires, les ingénieurs
et techniciens habitant la capitale ne rentraient à Paris
que pour les week-ends et le mercredi soir. Dans les premiers
temps, leur logement à proximité de l'usine posa
quelques problèmes. Après l'âge d'or de « l'Ile
Verte », petite auberge idyllique, rendez-vous des pêcheurs
et des amoureux, située près des étangs de
Ballancourt, il fallut déménager pour mettre un
terme à des indemnités de séjour jugées
scandaleuses. On échoua alors dans un local nettement plus
austère puisqu'il n'était pas chauffé. Cette
rigueur monacale toute nouvelle permit de gagner un temps précieux
sur la toilette du matin au cours de l'hiver 1947/48. Heureusement,
la température des chambres n'étant jamais descendue
au-dessous de 3 ou 4°, aucune bronchite grave ne fut à
déplorer. Par la suite, le personnel parisien des deux
sexes disposa de locaux dignes et confortables, avec une distance
d'un bon kilomètre entre le chalet des filles et celui
des garçons afin de préserver la moralité
et la réputation des agents du CEA.
Un feu d'artifice spectaculaire
Pour les premiers traitements, la matière première était constituée par quelques tonnes d'oxyde U3O8, (« l'oxyde noir ») rassemblées par Joliot Curie à la veille de la guerre et cachées au Maroc pendant l'occupation. Ensuite on traita un lot d'uranate de soude d'origine belge puis des minerais riches (3 à 10 % !) et enfin les concentrés livrés par les usines de concentration de l'Hexagone. Le traitement des minerais connut un nouvel essor à partir de 1957 avec l'arrivée de l'uranothorianite de Madagascar.
Le produit fourni par l'usine fut d'abord de l'oxyde UO2 pour
Zoé puis des lingots d'uranium métallique. Pour
obtenir celui-ci, il faut passer par l'intermédiaire du
tétrafluorure UF4. Au début, ce sel était
préparé en touillant l'oxyde UO2 avec de l'acide
fluorhydrique en solution aqueuse dans des cuves ébonitées,
ce qui donnait lieu ensuite à d'interminables filtrations,
lavages et séchages... et à un produit médiocre.
Ce dernier était réduit en métal par calciothermie,
opération fort appréciée
des visiteurs pour son feu d'artifice spectaculaire, mais non
irréprochable sur les plans du rendement et de l'hygiène.
La mise au point de la fluoration par voie sèche d'une part, les perfectionnements de la calciothermie puis le passage à la magnésiothermie d'autre part, mirent fin à ce folklore industriel.
Intérieur du bâtiment fluoruration.
Autre évocation de cette ère des pionniers: l'extraction des premiers milligrammes de plutonium de Zoé. Là encore, il fallut faire vite et avec les moyens du bord, tout en essayant de concilier l'impatience de Bertrand Goldschmidt avec l'orthodoxie technique et administrative de Paul Vertès. Les appareillages utilisés alors semblent bien archaïques aujourd'hui, en particulier pour la télémanipulation. Enfin, le 20 novembre 1949, 4 milligrammes de ce précieux élément ont pu être isolés sous forme d'iodate. C'était un dimanche, car Goldschmidt n'avait pas pu attendre jusqu'au lundi. Ensuite, avec Kowarski, qui avait assisté à la naissance, nous sommes allés tous ensemble à Sceaux chez Frédéric et Irène Joliot Curie pour leur présenter le bébé.
Les laboratoires.
Dès les premières années 50, le folklore
a fait place aux techniques industrielles. Progressivement, la capacité annuelle de l'usine
est passée de 10 à 500 tonnes. Elle fut la seule
à raffiner et à fournir l'uranium jusqu'en 1959, date de la mise en service de l'usine de Malvési.
Jean SAUTERON
Photo
extraite du dictionnaire de l'atome, Larousse 1964.
LA MÉTALLURGIE DE L'URANIUM
Il nous reste maintenant à aborder le
deuxième aspect du problème de l'uranium, celui
de l'élaboration du métal à partir du minerai.
L'ensemble des installations existant en France se trouve concentré
sur un terrain de 5 hectares enclos dans la poudrerie du Bouchet
en Seine et Marne.
L'auréole de mystère qui entoure tout ce qui concerne
l'uranium a fait perdre quelque peu au public la notion du fait
que ce corps est avant tout un métal et qu'à ce
titre il est justiciable, comme tous ses confrères, d'une
technique de métallurgie avec des impératifs financiers
aussi stricts que ceux que nous avons évoqués au
sujet des problèmes miniers.
Si la métallurgie de l'uranium est assez complexe, cela
tient avant tout à deux faits :
- Seul le métal ultra-pur est intéressant pour les
applications nucléaires.
- La purification du métal élaboré est très
délicate, pour ne pas dire impossible, il convient donc
de purifier au maximum le minerai pour enlever toute trace de
corps nuisible avant de faire apparaître l'uranium sous
forme métallique.
Cette dernière nécessité se rencontre dans
la métallurgie de bien d'autres métaux, notamment
de l'aluminium. Jamais toutefois, dans la métallurgie classique,
on n'exige une pureté comparable à celle qui est
réclamée de l'uranium destiné à la
réalisation des piles atomiques. Ceci explique la très
grande complexité des opérations de purification
qui vont être examinées maintenant.
Les bonnes mines fournissent, après concentration par des
procédés essentiellement physiques, un "concentré"
titrant aux alentours de 4 % d'uranium métal, le reste
étant composé de substances très diverses,
variant avec l'origine du minerai et même avec la portion
de filon d'où l'extraction a été effectuée.
Ceci n'est évidemment pas fait pour faciliter les traitements.
Ces traitements débutent par un concassage et un broyage,
suivis d'un criblage du minerai. Le type des broyeurs utilisés
étant à fonctionnement sec, les minerais secs y
sont admis directement, tandis que les minerais plus ou moins
humides sont desséchés au préalable dans
un four horizontal rotatif (1).
A la sortie des broyeurs à marteau, le minerai est criblé
et envoyé dans des trémis de stockage d'un volume
suffisant pour régulariser totalement la production de
l'usine et amortir les irrégularités possibles des
arrivées de minerai par wagons.
Le premier traitement chimique subi par le
minerai est une attaque à l'acide nitrique qui a lieu à
chaud dans de très grandes cuves en acier inoxydable. L'uranium
contenu dans le minerai se transforme en nitrate d'uranium soluble.
Malgré la concentration assez faible du minerai en uranium
la dépense d'acide nitrique n'est pas trop importante,
car la quasi totalité des minerais d'uranium sont renfermés
dans des roches acides très peu attaquables à l'acide
nitrique. Lorsque l'on
traitera des produits contenant de fortes proportions de calcaire,
comme les concentrés provenant de gisements de phosphate,
il faudra envisager une récupération du nitrate
de chaux qui sera vendu comme engrais et compensera ainsi la très
forte dépense d'acide nitrique.
Pour les minerais actuellement utilisés où la presque
totalité de la partie stérile est insoluble dans
l'acide nitrique, cette opération de dissolution dans l'acide
à chaud élimine la plus grande partie en volume
de substances qui accompagnent l'uranium dans son minerai. On
a donc une concentration considérable, ce qui ne veut cependant
pas dire pour autant que le nitrate d'uranium de la solution obtenue
soit au degré de pureté nécessaire.
La solution de nitrate, décantée et filtrée,
est devenue parfaitement claire, mais elle contient une quantité
importante de sel soluble d'un certain nombre de métaux
tels que fer, aluminium, cuivre, etc. Pour pousser plus avant
la purification, on se sert de la propriété chimique
suivante : les carbonates de la plupart de ces métaux
sont insolubles alors que le carbonate d'uranium, lui, est soluble.
On ajoute donc du carbonate de soude à la solution,
ce qui précipite, sous forme de carbonates insolubles,
la plus grande partie des impuretés ; il n'y a plus
alors qu'à filtrer pour obtenir une solution très
purifiée de carbonate d'uranium.
Au cours d'une dernière opération, l'uranium est
précipité dans des cuves cylindriques par la soude
caustique. Le précipité d'uranate de soude est filtré
dans des filtre-presses en donnant des gâteaux saune orangé
d'uranate de sodium.
La première salle de traitement
de l'usine du Bouchet où sont opérées successivement :
la dissolution dans l'acide nitrique, la carbonatation et la transformation
en uranate de soude.
Si l'uranium était destiné comme
les autres métaux à des usages métallurgiques
quelconques, on pourrait arrêter ici la purification. La
pureté réalisée serait sensiblement supérieure
à 99 %, ce qui, pour la plupart des métaux,
est convenable. Cette pureté est cependant tout à
fait insuffisante pour l'industrie atomique, aussi va-t-il falloir
pousser plus loin la purification.
Le degré de pureté
vers lequel on se dirige est tel, qu'il va falloir prendre désormais
les plus grandes précautions pour éviter qu'aucune
source de contamination ne vienne polluer à nouveau les
sels d'uranium purifiés à grands frais. C'est la
raison pour laquelle la suite des opérations a lieu dans
un second bâtiment dont les portes d'accès sont munies
de "sas", afin d'éviter toute introduction de
poussières.
Les gâteaux jaunes orangés d'uranate de sodium ont
été redissous dans de l'acide nitrique et c'est
donc, à nouveau, une solution de nitrate d'uranium qui
pénètre dans le bâtiment. Dès l'entrée,
le changement d'odeur nous indique bien que le traitement qui
va suivre est d'une nature tout à fait différente
des précédents. Cette odeur proche de celle que
l'on rencontre chez un teinturier est effectivement celle d'un
solvant organique.
Tableau de commande de la sortie d'extraction du nitrate d'uranium purifié par un solvant organique.
Ce solvant est mélangé à
la solution aqueuse de nitrate d'uranium et violemment brassé
avec elle ; seul le sel d'uranium se dissout dans le solvant,
tandis que les impuretés restent en solution dans l'eau.
Il ne reste plus qu'à séparer le solvant et à
l'évaporer pour obtenir cette fois du nitrate d'uranium
parfaitement pur, qui est ensuite dissous dans de l'eau distillée.
Nous sommes maintenant proches de la fin du traitement tel qu'il
se pratiquait encore lors du
temps de Zoé. En ajoutant une solution de l'eau oxygénée,
on précipite un oxyde d'uranium qui, une fois séché,
calciné à 400° et réduit partiellement
par de l'hydrogène, apparaît sous forme de poudre
brune. C'est cette poudre qui, frittée en pastilles, servit
à constituer la partie active de la première pile
française.
L'élaboration du métal proprement, dit était
en effet beaucoup moins importante du point de vue nucléaire
que l'ensemble des purifications, telles que nous les avons décrites.
Rien n'aurait servi, à l'époque, de posséder
des lingots d'uranium métallique de pureté douteuse,
alors que par contre des pains d'oxyde brun, d'un degré
de pureté élevé, ont permis à Zoé
de fonctionner pendant des années. En physique nucléaire,
la pureté chimique importe beaucoup plus que l'état
physique apparent : l'habit ne fait pas le moine...
Lorsque nos moyens et notre expérience se furent accrus,
les techniciens du Commissariat de l'énergie atomique concentrèrent
leurs efforts sur la deuxième partie de la métallurgie
de l'uranium : l'élaboration du métal proprement
dite.
C'est dans un troisième bâtiment
que s'effectue cette opération. L'oxyde brun de formule
UO2 est attaqué par de l'acide fluorhydrique.
Cet acide est une des substances les plus corrosives et difficiles
à manipuler que l'on connaisse. C'est le seul acide que
l'on ne puisse conserver dans des bouteilles de verre, car il
les dissout aussitôt...
Autrefois l'acide fluorhydrique était transporté
dans des bouteilles de plomb. De nos jours, la technique a évolué
et c'est dans des bonbonnes en matière plastique vinylique
que ce peu sympathique produit arrive à l'usine du Bouehet.
On l'y utilise dans des cuves à revêtement d'ébonite
où il est mélangé à l'oxyde d'uranium
qu'il attaque aussitôt.
L'extrémité inférieure de chacune de ces
cuves tronconiques est munie de vannes en ébonite par où
l'on soutire le fluorure d'uranium. Le fluorure, séché
dans des fours, se présente en petits granulés dont
la grosseur est de 5 à 15 millimètres.
AU ROYAUME DE SATAN
Le lecteur non spécialiste qui nous
aurait suivi jusqu'à présent pas à pas dans
notre visite de l'usine du Bouchet, à travers les salles
où sont mises en oeuvre les opérations que nous
avons décrites, aurait sans doute été déçu
par l'aspect fort peu spectaculaire des appareils utilisés.
Mais arrivé presque au terme de notre visite, un spectacle
étonnant va s'offrir pour dédommager largement le
visiteur.
Dans des cuves cylindriques en acier inoxydable d'un mètre
de hauteur, qui peuvent être manoeuvrées à
la main sur de petits chariots transporteurs, on a mélangé
les grains de fluorure d'uranium avec des copeaux de calcium métallique
ultra-pur.
On met alors le feu au mélange. Une réaction d'une
extrême violence se produit : le calcium, étant
beaucoup plus avide de fluor que l'uranium, s'empare vivement
de ce métalloïde avec un dégagement de chaleur
terriblement brutal. En 12 secondes tout est terminé. L'uranium
métallique qui est apparu sous forme liquide se concentre
dans un creuset en fluorine placé au fond de la cuve.
Cette opération très spectaculaire [et très contaminante !!!] s'est
déroulée sous une hotte destinée à
évacuer les vapeurs toxiques qui se dégagent assez
abondamment. On coiffe alors la cuve d'une cloche étanche,
on la range plus loin, en tirant à la main le chariot sur
lequel elle repose, et on la laisse se refroidir lentement pendant
24 ou 48 heures.
Réaction du calcium métallique
sur le fluorure d'uranium.
Le défournement de la cuve se fait alors sans difficulté ;
on extrait le fluorure de calcium fondu qui recouvre le lingot
d'uranium et celui ci apparaît dans son creuset.
La tradition veut que l'on propose au visiteur de soulever ce
petit lingot qui n'a pas tout à fait un volume de 3,5 litres.
Pour cela il enfile soigneusement, des gants et s'évertue
vainement pour le plus grand plaisir des observateurs... Il n'y
a rien de mystérieux à cela, si ce n'est que l'uranium
a une densité environ triple de celle du fer et que le
minuscule lingot ne pèse pas moins de 70 kg ! La prise
sur ce cylindre lisse est beaucoup trop faible pour soulever une
telle masse que l'on parvient simplement à basculer.
L'ordre de pureté de cet uranium dépasse 99,99 %,
et les impuretés particulièrement nuisibles en physique
nucléaire, comme le bore par exemple, n'y sont présentes
que sous des pourcentages inférieurs au millionième.
La pureté de ce métal rivalise avec celui obtenu
par n'importe quel pays, y compris les U.S.A.
Aucun chiffre n'a été donné
officiellenient sur la production exacte de l'usine du Bouchet.
Tout ce que l'on sait, c'est qu'elle absorbe sans difficulté
la totalité des minerais dont nous pouvons disposer, tant
sur le sol métropolitain que dans l'ensemble de l'Union
Française. En ce qui concerne la cadence du traitement,
il serait bien entendu totalement faux de se baser sur les derniers
chiffres que nous avons cités, pour le stade ultime de
la métallurgie : un lingot de 70 kg obtenu en 12 secondes !...
Il est bien évident que la cadence de production de cet
atelier est conditionnée par celle des ateliers qui le
précèdent.
La capacité actuelle
de production est largement suffisante pour assurer les besoins
des projets en cours, concernant la réalisation de deux
grandes piles sur le bas Rhône.
Notre pays semble même, pour le moment, un peu suréquipé
dans le domaine de la métallurgie de l'uranium.
L'usine de traitement du Bouchet est exclusivement destinée
à traiter les minerais d'origine française :
métropolitaine et d'Union française. Cependant,
signalons que le Bouchet a été en mesure d'avancer
à la Suède trois tonnes de métal qui ont
été rendues depuis à la France sous forme
d'oxyde en provenance des schistes bitumineux.
C'est dire à quel point notre pays a su conquérir
une indépendance totale en ce qui concerne son approvisionnement
propre en uranium. Voici un des actifs, et non des moindres, à
inscrire au crédit du Commissariat à l'Energie Atomique
et de ses chercheurs.
G. LACOSTE
(1) Il existe deux grands types de broyeurs : les broyeurs
à minerai rigoureusement sec et les broyeurs travaillant
avec un entrainemenl continu de produits par un courant d'eau.
Aucun broyeur ne fonctionne convenablement avec un minerai d'une
humidité moyenne, car il se forme alors avec les parties
les plus fines une boue compacte qui a vite fait de tout enrayer.
Dans le cas des broyeurs travaillant avec un courant d'eau, le
minerai doit être séché après broyage.