Le CEA: sa raison d'être, la bombe son alibi, la recherche

A propos de la reprise des essais nucléaires français il y a eu dans la presse de nombreuses libertés vis à vis des faits historiques concernant les places respectives de la recherche militaire et civile au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA): l'erreur la plus commune est d'inverser les rôles respectifs du militaire et du civil dans les motivations du CEA.

 Inauguration de la pile atomique Zoé en 1948 (pile atomique est le nom donné aux premiers réacteurs nucléaires, provenant du fait qu'ils étaient constitués par un empilement de barreaux de matière combustible d'uranium au sein du modérateur). Cette pile construite par Lew Kowarski est une copie à la même échelle de la pile canadienne ZEEP (dont-il avait dirigé le projet à partir d'août 1944 et qui était entrée en service le 5 septembre 1945 moins de 13 mois plus tard).

Le CEA est généralement présenté comme un organisme ayant été créé en octobre 1945 pour développer tous les aspects pacifiques de l'énergie nucléaire (à l'époque on disait énergie atomique). Sa création était en fin de compte l'accomplissement administratif des déclarations enthousiastes des scientifiques français : l'avenir ne pouvait être que radieux avec cette énergie "inépuisable", "quasi-gratuite", sans danger, déclarations qui suivirent la destruction totale d'Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945. L'orientation militaire du CEA ouvertement affirmée dans les années 50 est apparue alors comme une dérive perverse des buts assignés au CEA à sa création. Cela donna lieu à de vives protestations pour exiger le retour vers "l'atome pour la paix".

La réalité est très différente: la mise en service en 1956 à Marcoule de G-1, premier réacteur électrogène français, montrait bien l'orientation fondamentale du CEA vers les applications militaires même si le Département des Applications Militaires (DAM) ne fut créé que plus tard, fin 1958. L'aspect électrogène de G-1 masquait en fait sa finalité réelle. Le réacteur G-1 était un piètre producteur d'électricité: sa puissance électrique était de 2 mégawatts. Il n'a été exploité que par le CEA même après son couplage au réseau.

Vue générale du Centre de production de plutonium de Marcoule. A gauche, les réacteurs G2 et G3, au centre l'usine d'extraction du plutonium, à droite le réacteur G1.

Les réacteurs suivants, G-2 et G-3, plus puissants, (38 Mwe) furent eux aussi exploités par le CEA et non pas par EDF. La raison en est que la production de plutonium impose un mode de fonctionnement très différent du mode optimum nécessaire à la production d'électricité.

G-1 à Marcoule.        Vue arrière sud des réacteurs G-2 et G-3 à Marcoule.

La gestion par le CEA des réacteurs de Marcoule est la marque de leur objectif plutonigène. Pour ces réacteurs la priorité n'était pas la production d'énergie électrique mais leur utilisation pour la production de plutonium par le CEA.

         
La cheminée d'évacuation de l'air de refroidissement du bloc pile G-1. Cet air, radioactif, est ainsi plus facilement dilué dans la masse de l'air ambiant. La collerette évite les tourbillons descendants.

Il faudra attendre 1963 pour qu'EDF prenne en exploitation un réacteur nucléaire, le réacteur Chinon A-1, d'une puissance électrique de 70 mégawatts.

Cependant il y a beaucoup plus fondamental. Dès l'origine les acteurs de l'énergie nucléaire ont donné la priorité au militaire. Ceci est évident aux États-Unis avec le projet Manhattan aboutissant avec "succès" à Hiroshima et Nagasaki. Mais cela est vrai aussi pour la France. Voici quelques faits généralement passés sous silence (et ce n'est certainement pas un hasard) :

1 - La mise en évidence de la fission de l'uranium laissait voir le futur énergétique de cet élément et la question qui était posée concernait la possibilité d'une réaction en chaine si la fission de l'uranium produisait plus d'un neutron. C'est l'aspect explosif de l'énergie nucléaire qui intéresse alors les physiciens et qui inquiète certains d'entre eux (très très peu et aucun en France).

2 - Lorsque Joliot met en évidence la possibilité d'une réaction en chaine il s'empresse de prendre 5 brevets entre le 30 avril et le 4 mai 1939. Quatre d'entre eux concernaient la production civile d'énergie, le cinquième, déposé le 4 mai 1939 à 15h 35 avait pour titre: "Perfectionnement aux charges explosives".

3 - Joliot et son équipe envisagent alors la première expérience de grande ampleur avec l'énergie nucléaire. Joliot met à son programme l'explosion d'une bombe à uranium. Comme les effets peuvent être importants le site projeté était au centre du Sahara ! Cet essai était désigné sous le nom: "La Grande Expérience".

4 - Dès cette époque l'essentiel des préoccupations de Joliot et de son équipe est orienté vers la bombe. Le 11 août 1945 Raoul Dautry, ancien ministre, révélait :

"Peu après le début de la guerre, le gouvernement dut demander à M. Joliot-Curie de pousser ses études, moins vers l'utilisation des radioéléments pour la production d'énergie intéressant l'industrie du temps de paix (domaine où cependant, des perspectives extraordinaires pouvaient déjà être entrevues), que vers la mise au point d'un processus de libération brutale de l'énergie atomique avec des effets dépassant infiniment ceux des explosifs puissants.

C'est à ce moment que j'eus à intervenir comme ministre de l'Armement pour mettre à la disposition de M. Joliot-Curie tous les moyens dont il pouvait avoir besoin". (Ce texte est cité dans le livre de Géraud Jouve, "Voici l'âge atomique", publié en 1946 aux éditions Franc-Tireur).

Raoul Dautry, Frédéric joliot et Maurice Surdin devant le tableau de commande de la pile Zoé.

Ainsi les premiers travaux français un peu importants visant l'énergie nucléaire ont été financés en 1939 par l'armée. Cela ne souleva aucune polémique dans les milieux scientifiques français.

C'est donc à juste titre que Joliot pouvait déclarer après la destruction d'Hiroshima : "L'emploi de l'énergie atomique et de la bombe a son origine dans les découvertes et les travaux effectués au Collège de France par MM. Joliot-Curie, Halban et Kowarski, en 1939 et 1940. Des communications ont été faites et des brevets pris à cette époque" (dépêche AFP publiée par le Figaro du 9 août 1945).

En somme la France, d'après Joliot, était en droit de réclamer aux américains des royalties* sur Hiroshima et Nagasaki puisque les bombes utilisées pour ces destructions étaient couvertes par des brevets français !

Dans le n°1 de la revue scientifique "Atomes" (mars 1946), Joliot, qui dirigeait le CEA en tant que Haut Commissaire à l'Energie Atomique, écrivait à propos du projet Manhattan: "Nous ne pouvons nous empêcher d'admirer l'effort de recherche et de construction qui a été fait par les Américains, ainsi que la valeur des savants et techniciens réalisateurs". Ce projet Manhattan avait eu pour but la mise au point d'une puissance destructrice infiniment plus grande que celle dont rêvaient les militaires.

Évidemment l'effort financier de l'armée française en 1939 pour développer les travaux de Joliot-Curie était loin d'être suffisant pour assurer à la France la primeur des destructions par l'arme atomique.

5 - Le plutonium a été dès l'origine une préoccupation majeure du CEA. Le 15 décembre 1948 le premier réacteur atomique français ("Zoé") divergeait. Il contribua au programme nucléaire français en fournissant du combustible irradié d'où fut extrait en septembre 1949 le premier plutonium français (quelques milligrammes) dans l'usine du Bouchet où une cellule avait été spécialement construite à cet effet.

Il est intéressant de citer l'intervention de Joliot quand il montra au personnel du CEA le tube contenant ce plutonium :

"Pour la première fois je voyais cet élément dont j'avais tant entendu parler ; ce fut une très grande émotion pour un vieux chimiste et physicien qui avait fait de la radioactivité avec des substances naturelles, mais n'avait jamais vu de substance radioactive artificielle en quantité pondérable" (cité par B. Goldschmidt dans "Les Pionniers de l'atome", Stock, 1987). C'est à cet élément qu'on doit la destruction de Nagasaki !

Rapidement après le succès de Zoé, la décision fut prise par l'état-major du CEA de construire à Marcoule le réacteur G-1 de 2 mégawatts pour la production de plutonium à raison de 1 gramme par jour. On ne trouve, à cette époque, aucune justification de ce programme plutonium pour une activité civile du CEA. Personne en France ne s'étonna alors de cet intérêt pour le plutonium. Il est bien évident que c'était la bombe qui était l'objectif prioritaire du CEA.

6 - Il n'y a là rien d'étrange quand on se réfère aux textes fondateurs du Commissariat à l'énergie atomique. L'ordonnance n 45-2563 du 30 octobre 1945 institue un Commissariat à l'énergie atomique (JO du 31 octobre 1945 p. 7065-7066). L'article 1er définit les objectifs du CEA :

"Le Commissariat à l'énergie atomique :

"poursuit les recherches scientifiques et techniques en vue de l'utilisation de l'énergie atomique dans les divers domaines de la science, de l'industrie et de la défense nationale [souligné par nous]".

L'article 2 définit la composition du comité qui doit administrer le CEA. Il comprendra :

"Un haut commissaire à l'énergie atomique [...]

Un administrateur général délégué du Gouvernement ;

Trois personnalités qualifiées par leurs travaux relatifs à l'énergie d'origine atomique

Le président du comité de coordination des recherches concernant la défense nationale" [souligné par nous].

Cette ordonnance fut rédigée à partir des propositions de Frédéric Joliot et de Raoul Dautry. (Ces deux personnalités avaient tenté en 1939 de développer en France une bombe à uranium).

La signature de De Gaulle était suivie par celles de 9 ministres. Les ministres des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et de l'air venaient en tête. Le ministre des colonies n'était pas oublié. Cette présentation montre assez bien la hiérarchisation des motivations du gouvernement en créant le CEA.

Le décret du 3 janvier 1946 "portant nomination du haut commissaire à l'énergie atomique et de membres du comité de l'énergie atomique" est significatif de l'orientation militaire du CEA dès son origine. Ce décret nomme Frédéric Joliot haut commissaire (Art. 2). Dans l'article 1er on trouve: "Sont nommés membres du comité de l'énergie atomique, en outre du président du comité de coordination des recherches scientifiques intéressant la défense nationale, membre de droit [...]" [souligné par nous]. Suit la liste des savants nommés pour siéger avec le représentant de l'armée: Irène Joliot-Curie, Pierre Auger, Frédéric Joliot, Francis Perrin.

Comité scientifique du CEA en 1946. De gauche à droite assis: Pierre Auger, Irène Joliot-Curie, Frédéric Joliot-Curie, Francis Perrin, Lew Kowarski ; debout: Bertrand Goldschmidt, Pierre Biquard, Léon Deniwelle, Jean Langevin.

La présence d'un représentant militaire dans les organismes de direction du CEA ne semble pas avoir géné les scientifiques de ces organismes.

La révocation de Joliot en 1950 pour son refus d'accepter l'orientation du CEA vers des recherches à fins militaires (la bombe et les sous-marins à propulsion nucléaire) a pu laisser croire qu'à l'origine le CEA n'avait que des missions civiles. Quelques jours après la décision de révoquer Joliot, des scientifiques de la direction du CEA signaient "une déclaration rappelant que le Commissariat n'était pas un établissement de défense nationale" (B. Goldschmidt, op. cité p. 438). C'était oublier les textes fondateurs du CEA et les activités prioritaires du CEA dès sa création. Un des signataires de ce texte acceptait d'ailleurs de remplacer Joliot et d'assumer ouvertement l'orientation militaire des programmes du CEA.

Bertrand Goldschmidt signale dans son livre qu'"en janvier 1949 Joliot fut l'invité de la presse anglo-américaine [...]. La question du secret atomique ayant été abordée, Joliot expliqua que tout résultat de ses recherches susceptible de contribuer à un programme militaire serait gardé secret tant que les Nations unies ne se seraient pas mises d'accord sur un traité d'interdiction de l'arme atomique" (p. 433). Ceci indique bien que le haut commissaire à l'énergie atomique n'excluait pas de ses recherches et de celles du CEA des recherches concernant les bombes atomiques.

L'activité prioritaire du CEA pendant les années qui suivirent sa création fut militaire. Cependant le développement des recherches pendant cette période pouvait laisser croire à une orientation différente: la recherche des minerais d'uranium, la purification de l'uranium et des matériaux nécessaires à l'élaboration d'un combustible nucléaire, la fabrication industrielle de graphite très pur, la mise au point de techniques physico-chimique de contrôle des matériaux, la neutronique etc. toutes ces activités pouvaient apparaître comme orientées vers des applications pacifiques. Mais le CEA menait, en parallèle, une activité plutonium: études sur les propriétés physiques et chimiques du plutonium afin de mettre au point son extraction à partir des combustibles nucléaires irradiés. La construction de réacteurs nucléaires à Marcoule avait pour motif principal l'obtention rapide de plutonium pour réaliser la bombe française et placer la France au rang des "grandes" nations, des nations ayant un potentiel de destruction vraiment moderne ! La production électrique de ces réacteurs ne pouvait servir qu'à masquer l'orientation fondamentalement militaire des activités majeures du CEA qui se concrétisa le 13 février 1960 par l'explosion au Sahara (sélectionné depuis 1939 comme le territoire "français" le mieux approprié pour ce genre d'activité) de la première bombe nucléaire française, une bombe au plutonium. Les réacteurs de Marcoule prenaient là tout leur sens.
En 1958, le général de Gaulle lance à Marcoule le réacteur G2, destiné à la production de plutonium militaire.
La France allait ainsi servir de modèle pour tous les états qui plus tard désireront se placer dans le club des grandes nations, de celles dont le potentiel de destruction massive attesterait de leur modernité. La France, le 13 février 1960 ouvrait la voie à la prolifération nucléaire.

Le CEA a été créé par De Gaulle en 1945 afin de produire des bombes atomiques. Il a eu l'approbation unanime des divers partis politiques, (droite et gauche confondues), et de l'ensemble de la communauté scientifique, y compris de ceux, qui, comme Joliot, se manifestèrent plus tard contre la bombe. L'activité civile française pour la réalisation de réacteurs nucléaires de puissance ne prit réellement place dans les programmes du CEA que lorsque sa mission première fut remplie: la bombe.

Roger Belbéoch, septembre 1995.


Nota:
Certains points soulevés dans ce texte ont été développés plus en détail dans des interventions publiques dont :
- L'émission "Micro-Climat" sur Radio Libertaire, 8 août 1988 sur le thème "De Hiroshima à Bikini".
- Le séminaire "Science/Technologie/Subjectivité". Université européenne de la recherche, Dépt. de Sciences Politiques, Université Paris VIII, sur le thème "Pratiques de la science : le nucléaire", 1er février 1993.
Voir également les références citées dans "Tchernobyl, une catastrophe" (B. et R. Belbéoch, Éd. ALLIA, 1993) dans le chapître "De Hiroshima à Tchernobyl".

 


* EGE (Ecole de Guerre Economique), 27 février 2012:

Les « brevets Joliot » : Une bataille juridique de plus de vingt ans

La guerre des brevets fait rage. Et il est bon de revenir sur quelques cas d'école. L'affaire des « brevets Joliot » qui remonte au milieu du siècle dernier illustre les difficultés à établir et défendre ses droits dans un domaine aussi sensible et stratégique que l'énergie nucléaire. Sur fond de guerre et d'occupation du territoire national, on ne peut pas à proprement parler évoquer un copiage de technologies, mais les réactions des américains n'étaient peut-être pas totalement dénuées d'arrières pensées économiques dans le contexte du développement du nucléaire civil aux États-Unis dans les années 50.

En mai 1939, Frédéric Joliot, prix Nobel de Physique 1935 avec sa femme Irène Curie (elle-même fille des prix Nobel 1903 Pierre et Marie Curie), dépose conjointement avec son équipe du Collège de France trois brevets portant sur l'utilisation de l'énergie nucléaire. Intitulés Dispositif de production d'énergie, Procédés de stabilisation d'un dispositif de production d'énergie et Perfectionnement aux charges explosives, ces brevets reposent sur le mécanisme de fission nucléaire découvert quelques mois auparavant par des chercheurs autrichiens.

En deux mots, le noyau d'un atome d'uranium est susceptible de se briser en deux en dégageant une grande quantité d'énergie et en libérant quelques neutrons capables d'aller provoquer de nouvelles fissions des noyaux alentour. Le contrôle (ou non) de cette « réaction en chaine », dont l'équipe du Collège de France a l'intuition la première, est le fondement des « brevets Joliot » qui portent sur l'exploitation de cette énergie d'origine nucléaire. Deux brevets supplémentaires seront déposés début 1940, portant sur l'enrichissement de l'uranium et sur la géométrie des « modérateurs », matériaux permettant le contrôle des réactions nucléaires.

Avec le début de la guerre, deux des collaborateurs de F. Joliot, co-détenteurs des brevets fondamentaux, se réfugient à Londres où ils prennent contacts avec les autorités gérant la question nucléaire sur fond d'exploitation offensive de la fission. Ils y déposent également de nouveaux brevets 40 et 42, et négocient des accords avec les autorités anglaises et un industriel de la chimie (ICI), compliquant ainsi notablement la situation sur le plan de la propriété intellectuelle.

Au sortir de la guerre, la propriété des brevets initiaux est transférée au CEA créé trois mois après Hiroshima et Nagasaki qui entreprend des négociations avec les autorités nucléaires anglaises. Si un accord partiel est rapidement (et courtoisement !) conclu dès 1948, certains aspects ou prolongements des accords traineront encore jusqu'en 1960.

Aux États-Unis, la question prend un autre tour : les brevets originaux (les deux premiers du moins, le troisième n'avait pas été déposé hors de France) sont rejetés en novembre 1941 pour insuffisance de description des dispositifs envisagés (la loi américaine brevète des inventions exploitables, pas de simples idées). Dans un contexte de communication déjà difficile avec la France occupée, la mise au secret à partir de 1942 et jusqu'en 1949 de tout ce qui touche à l'énergie nucléaire aux USA verrouille toute revendication française sur ces brevets. Plus encore en 1946 l'Atomic Energy Act interdit aux États-Unis tout brevet lié à des matières fissiles, et même tout échange d'information sur ce sujet.

Les démarches françaises ne reprennent qu'en 1954 avec l'assouplissement des règles américaines sur le nucléaire et l'ouverture par le CEA de deux procédures parallèles, potentiellement contradictoires, cherchant en même temps à faire reconnaitre ses brevets et à se faire indemniser de manière forfaitaire pour leur utilisation pendant la guerre. Jusqu'au début des années 60 la situation parait complètement bloquée, mais les choses s'arrangent progressivement à partir de 1963.

En 1968, l'antériorité française des découvertes fondamentales dans les technologies nucléaires est reconnue officiellement lors d'une cérémonie à Washington, et assortie d'un « dédommagement » de 35 000 $ (environ 300 000 Euros de 2022)
pour les inventeurs (dont deux sont décédés entretemps), sans aucune commune mesure avec les frais de justice engagés.

 

A lire...

- Un extrait du livre "La babel nucléaire" de Louis Puiseux, Editions Galilée, 1977:

" Quatrième grand, exclu du partage du monde de Yalta en 1945, de Gaulle voulait sa bombe (1). Par ordonnance du 18 octobre 1945, il avait créé le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), placé directement sous l'autorité du président du Conseil. Ses successeurs reprendront son ambition à leur compte (1), limogeront le 28 avril 1950 Frédéric Joliot-Curie, alors patron du CEA (2), pour ses options communistes, et à son retour au pouvoir, en 1958, de Gaulle retrouvera, intact et grandi, cet outil majeur de l'indépendance nationale.
Pas question pour la France de jouer les gendarmes du monde: le sous-marin à propulsion nucléaire n'est pas prioritaire. Mais pas question non plus de dépendre des Etats-Unis pour la fourniture des matières fissiles: l'enrichissement de l'uranium est une technique trop complexe, trop lourde, pour l'instant hors de sa portée. Il s'agit de produire du plutonium par la voie la plus courte: d'où, comme les Anglais, le choix de la filière à uranium naturel:

L'uranium 238 à partir duquel se produit le plutonium étant en proportion plus faible dans l'uranium enrichi, les réacteurs à uranium enrichi produisent à puissance égale moins de plutonium que les réacteurs à uranium naturel, et d'autant moins que leur teneur en uranium 235 est plus élevée. Cette donnée technique a une signification politique importante car il s'en déduit que les réacteurs à uranium naturel représentent un éventuel potentiel militaire plus grand à cause de leur caractère plutonigène accentué, et ce fait a joué un rôle certain dans le développement de la technologie nucléaire. (Bertrand Goldschmidt, 1962, pp. 107-108.)

Les Anglais font exploser leur première bombe en octobre 1952 à Montebello (Australie), et les Français en février 1960 à Reggan (Sahara). "


1. « Le général de Gaulle avait créé le CEA " d'abord pour fabriquer la bombe " me répétait-il. Il avait nommé Joliot Curie avec cette mission expresse. Et Joliot avait accepté !. " Je vous la ferai, mon général, votre bombe ! " » Alain Peyrefitte, Le Mal Français, p. 83. (Paris, Plon, 1976.)

2. Alain Peyrefitte cite le lancement du programme d'armes nucléaires par Pierre Mendès-France en décembre 1954, et celui de la construction de l'usine d'enrichissement de Pierrelatte (pour faire la bombe H) en mars 1957 par Guy Mollet, comme deux exemples de décisions prises « sous hypnose »: les services spécialisés avaient si bien préparé la décision que le Premier ministre l'a signée sans en comprendre la portée, et n'en a gardé aucun souvenir. (Le Mal Français, pp. 288 à 291.)