La situation dramatique de ceux qu'on a appelés
les " liquidateurs " donne lieu à des hommages.
Ils se seraient " sacrifiés " pour éviter
un désastre européen. Il est exact que s'il n'y
avait pas eu ces intervenants sur le réacteur en détresse
la contamination de l'Europe entière aurait été
bien plus importante et leur action a sauvé bien des européens.
Se sont-ils sacrifiés ? Non, on les a sacrifiés.
Leur a-t-on expliqué les conséquences pour leur
santé, pour leur vie, de l'irradiation qu'ils allaient
subir ? A-t-on dit aux pilotes des hélicoptères
qui ont survolé le réacteur pour y déverser
plomb, bore dolomite et autres matériaux, que le débit
de dose mesuré était redoutable ? Dans le meilleur
des cas ils pouvaient s'attendre à un cancer radioinduit
dans une quinzaine d'années, plus probablement et plus
rapidement une leucémie mortelle dans les années
qui allaient venir ou des effets encore peu connus sur la santé
qui les feraient mourir avant même " l'expression "
de leur leucémie radioinduite ? Non, on n'a rien dit à
tous ces intervenants. Ils ne se sont pas sacrifiés, on
les a sacrifiés en leur cachant non seulement les dangers
connus mais aussi qu'ils inaugureraient des phénomènes
biologiques dus aux radiations non encore identifiés. Quand
on interroge un liquidateur dont la vie est en sursis on ne lui
demande pas ce que ses chefs lui ont raconté sur les dangers
qu'il allait courir avant de l'envoyer en intervention. Tous ces
travailleurs, tous ces soldats, ignoraient totalement les dangers
du rayonnement. Auraient-ils accepté le risque énorme
s'ils avaient su ?
Le chef de la centrale a été jugé à
huis clos et ce huis clos n'a guère choqué les médias.
Le journal américain Nucleonics Week (la référence
du lobby nucléaire international) a mentionné que
parmi les chefs d'accusation il y avait : n'a pas su maintenir
l'ordre sur le site car 70 techniciens s'étaient rapidement
enfuis et avaient plongé dans la clandestinité.
Ces 70 évadés avaient certainement une connaissance
globale des dangers et n'avaient eu aucun désir de se sacrifier
ou de se faire sacrifier.
Ceux qui glorifient ces héros du sacrifice ne mentionnent
pas la révolte des soldats estoniens envoyés à
Tchernobyl, ni l'attirance qu'a exercée pour certains liquidateurs
la perspective d'un salaire élevé pour un travail
facile et de courte durée. Il fallait beaucoup de monde
puisque chacun ne pouvait rester dans l'enfer que peu de temps
à la fois, il n'est pas signalé qu'on a proposé
à des condamnés de droit commun de les libérer
s'ils intervenaient à Tchernobyl. Leur a-t-on expliqué
clairement le gain proposé : réduction du temps
de prison à comparer à la réduction de leur
durée de vie ? Certainement pas.
La situation après Tchernobyl, dans les centres nucléaires
occidentaux et en particulier dans les centres nucléaires
français, a certainement beaucoup changé. Il est
évident qu'en cas de désastre nucléaire chez
nous il n'y aura guère de gens prêts à se
sacrifier. Dans un film du Réseau sortir du nucléaire,
un pompier explique bien qu'en cas de désastre nucléaire
sa réaction sera de s'évader.
Les autorités françaises ont certainement compris
la situation et c'est bien pourquoi ce qui est prévu pour
gérer un problème nucléaire sera sous la
responsabilité de l'armée.
A Verdun, les soldats ne se sont pas sacrifiés, on les
a sacrifiés avec des gendarmes armés derrière
eux. S'ils refusaient de se " sacrifier " ils étaient
immédiatement sacrifiés en les fusillant pour l'exemple.
Un désastre nucléaire représente ce genre
de situation qu'il faut prévoir. Si l'armée ne contrôle
pas ceux destinés à être sacrifiés,
les conséquences du désastre pourraient être
bien plus graves encore. Le nucléaire, qu'on le veuille
ou non, implique un contrôle militaire et ce qui est pire,
c'est que cette action militaire serait " bénéfique
" pour la population.
A la fin des années 70, avant l'arrivée des socialistes
au pouvoir avec ses alliés de la " gauche ",
le slogan antinucléaire était " Société
nucléaire, société policière ".
J'avais alors protesté en disant que la réalité
était " Société nucléaire, société
militaire "...
Roger Belbéoch, mars 2005.