Le Figaro, 13 avril 2006:
Cette première mondiale a été
réalisée en France à l'hôpital Percy,
avec le soutien logistique de l'Institut de radioprotection et
de sûreté nucléaire (IRSN).
LE 15 DÉCEMBRE 2005, un jeune ouvrier travaillant sur un
chantier de construction à Concepcion, au Chili, saisit
des deux mains une tige métallique étrange d'une
vingtaine de centimètres apparemment tombée la veille
d'un étage supérieur. Il l'examine quelques minutes
pour l'identifier et finalement la met dans la poche arrière
de son pantalon. Ressentant alors une chaleur étrange au
contact de l'objet, il le place dans la poche de sa chemise avant
d'en informer ses supérieurs. A peine est-il entré
dans le bureau du directeur pour lui rendre compte de l'affaire
que l'employé du bureau voisin accourt, s'inquiétant
du fait que son dosimètre mesurant la radioactivité
soit brutalement en état de saturation. La tige provenait
en réalité d'un outil de radiographie de soudures
et contenait une source de gammagraphie d'iridium 192. Les autorités
chiliennes demandent rapidement à la France d'accueillir
l'ouvrier, qui présente de graves lésions, notamment
au niveau de la main.
La brûlure radioactive est très différente
de la brûlure thermique : elle peut évoluer en largeur
et en profondeur sur des mois, voire des années en impliquant
les tissus cutanés, sous-cutanés, les muscles...
La cicatrisation est longue, les récidives imprévisibles.
Et l'amputation large de la zone brûlée peut se révéler
nécessaire du fait de la nécrose, avec des résultats
fonctionnels et esthétiques très médiocres.
Pour tenter de sauver sa main, dont il aurait fallu amputer au
moins les doigts, les équipes médicales de l'hôpital
militaire Percy de Clamart, épaulées par les experts
de l'IRSN, ont tenté une thérapie innovante. Après
avoir pratiqué une greffe de peau, elles ont prélevé
des cellules souches dans la moelle osseuse de l'ouvrier, les
ont mises en culture et les ont injectées au niveau de
la brûlure. Une technique expérimentée jusqu'alors
seulement sur des souris irradiées.
Régénération des tissus
Les mains du malade ont retrouvé quasiment leur aspect
antérieur et des fonctions normales, pour l'instant. Les
mécanismes thérapeutiques de la greffe restent encore
mal compris. Soit les cellules greffées se sont multipliées
sur place pour occuper le terrain, soit elles ont généré
la production de facteurs de croissance qui ont permis la régénération
des tissus altérés par la radioactivité.
«Il faut être très prudent, déclarait
hier le professeur Patrick Gourmelon (directeur de la radioprotection
de l'homme, IRSN). C'est une première, certes. Mais il
faut plus de recul, du fait de l'imprévisibilité
de l'évolution des brûlures radioactives, avant de
dire si cette greffe va révolutionner le traitement des
irradiations locales.»
Un deuxième cas en France
Un employé belge est également traité à
l'hôpital Percy pour un accident d'irradiation globale.
LES ACCIDENTS d'irradiation
sont rares, mais souvent dramatiques. Entre 1945 et 2001, 500
ont été répertoriés dans le monde,
avec 2 000 victimes et 130 décès. 41% de ces accidents
sont industriels, 19% militaires, 11% liés à la
médecine... Il peut s'agir d'accident
d'irradiation externe localisée, comme le cas du jeune
ouvrier
chilien (voir ci-dessus) ou d'accident d'irradiation externe globale,
comme celui qui a frappé un travailleur belge, hospitalisé
lui aussi en France depuis quelques jours.
Le samedi 11 mars dernier, les alarmes de surveillance de la radioactivité
ambiante se sont déclenchées sans raison évidente
dans une installation de la société Sterigenics
à Fleurus en Belgique, spécialisée dans la
stérilisation par irradiation de matériels médicaux
et de denrées alimentaires. Le salarié en charge
de la surveillance arrête les alarmes, contrôle l'ensemble
et ressort. Ce n'est que vingt jours plus tard qu'apparaissent
les premiers symptômes d'une aplasie
médullaire (destruction de la partie de la moelle osseuse
qui produit les cellules sanguines) que le médecin du travail
suspectera tout de suite d'être liée à un
accident d'irradiation.
Le patient est hospitalisé lui aussi en France à
l'hôpital Percy où les nouvelles techniques de dosimétrie
biologiques développées par l'IRSN lui ont été
appliquées. Il bénéficie actuellement de
traitement de stimulation de la moelle osseuse par des facteurs
de croissance. Aujourd'hui, la greffe de moelle osseuse n'est
plus réalisée systématiquement, comme autrefois,
mais seulement dans les cas d'aplasie médullaire totale
ce qui n'est pas le cas pour ce malade.
Martine Perez
RTBF, 6/4/06:
Un technicien de la société
Sterigenics à Fleurus a été exposé
à des radiations et hospitalisé à l'hôpital
militaire de Percy, près de Paris. Le diagnostic de l'Institut
français de Radioprotection et de Sûreté nucléaire
parle de radiation très sévère.
C'est un accident de travail. C'était le 11 mars. Un ouvrier
de Sterigenics à Fleurus, une entreprise de stérilisation
de matériel médical, était exposé
à des doses extrêmement massives de rayons gamma
[entre 380 et 450 rad d'après
l'IRSN]. Des malaises l'ont alerté.
Une prise de sang, premier examen entrepris dans ces cas-là,
à confirmé son exposition. Depuis il est hospitalisé
à l'hôpital militaire de Percy, près de Paris.
Les physiciens de l'Institut français de Radioprotection, spécialistes mondiaux, ont reconstitué l'accident pour déterminer la dose précise de radiation. Une analyse nécessaire pour savoir quelle thérapie appliquer. Selon le professeur Patrick Gourmelon, directeur de l'Institut, «Tout l'organisme de l'ouvrier a été bombardé par les rayons. La moelle osseuse est atteinte.»
«Une telle dose va être capable d'entraîner des dommages graves de la moelle osseuse. La moelle osseuse, c'est l'organe qui fabrique les cellules de notre sang. Soit, on fait des transfusions sanguines pour permettre au patient de passer le cap, soit on injecte des molécules qui ont la propriété de stimuler la moelle. Une dernière stratégie est éventuellement une greffe», explique le professeur Gourmelon.
En Belgique, le dernier accident de ce type remonte à 1953 et la fréquence mondiale est minime, un cas tous les deux ans. En tout cas à Fleurus les installations sont sous scellés. L'enquête se poursuit pour connaître les causes exactes de l'accident.
Voir: Accident d'irradiation dans une installation industrielle à Forbach en 1991
Le tableau (d'après H. Jammet dans Revue Générale Nucléaire n°5 en 1977) résume l'évolution pathologique à court terme pour différents niveaux d'irradiation homogène de l'ensemble du corps. Si la dose de rayonnement reçue est forte, un très grand nombre de cellules sont endommagées et il en résulte des troubles dont les symptômes dépendent de la dose reçue:
- 30 à 100 rem: Fatigue, formule sanguine
altérée
- 100 à 250 rem: Troubles sanguins, troubles digestifs
- 250 à 400 rem: Vomissements, vertiges, formule sanguine
modifiée, destruction des barrières immunologiques
- 400 à 800 rem: Symptômes identiques mais plus intenses.
Mort de 50 % des irradiés.
- Supérieur à 800 rem: Mêmes symptômes
encore plus intenses, la mort est quasi inévitable pour
90 % des irradiés.
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Gray 1Gy=1J/kg |
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Sievert 1Sv=1J/kg |
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Becquerel 1Bq=1 s-1 |
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Pour les travailleurs :
De 1934 à 1950 : 46 rem/an,
1950 : 15 rem/an,
1956 : 5 rem/an,
1990 : 2 rem/an (20 mSv/an).
Pour la population :
1959 : 0,5 rem/an (5 mSv/an),
1985 : 0,1 rem/an (1 mSv/an).
Nota : En France la réglementation fixe les limites
annuelles à 50 mSv (5 rem) pour les travailleurs et à
5 mSv (0,5 rem) pour la population. La réglementation française
ne respecte pas les recommandations de la CIPR.
Si 1 million de personnes reçoivent 1 rem (10 millisievert),
quel sera le nombre de cancers mortels radio-induits ? La réponse
dépend de l'institution qui effectue l'estimation.
CIPR-26 (1977): 125 cancers mortels
UNSCEAR (1977): 75 à 175 cancers mortels
BEIR III (1980): 158 à 501 cancers mortels
MSK (1980): 6 000 cancers mortels
RERF (1987): 1740 cancers mortels
BEIR V (1990): 800 cancers mortels
CIPR-60 (1990): 500 cancers mortels
NRPB (1992): 1000 cancers mortels
CIPR: Commission Internationale de Protection Radiologique.
Lire : De la CIPR-26 à la CIPR-60 ; Les experts français reprochent à la CIPR d'adopter une attitude (trop) prudente ; La France fait retarder l'adoption de la CIPR-60 et l'analyse détaillée des nouvelles recommandations de la CIPR-60)
UNSCEAR: Comité scientifique des Nations Unies pour les effets des rayonnements atomiques.
BEIR: Comité de l'Académie des Sciences des Etats-Unis pour l'étude des effets biologiques du rayonnement ionisant.
RERF: Fondation arnéricano-japonaise pour l'étude du suivi des survivants japonais des bombes atomiques. (La valeur indiquée correspond aux résultats bruts, avant l'utilisation des coefficients de réduction).
MSK: Mancuso, Stewart et Kneale. Equipe de chercheurs ayant étudié la mortalité par cancers parmi les travailleurs de l'usine nucléaire américaine de Hanford. (la valeur indiquée est déduite de leur dose de doublement)
NRPB: National Radiological Protection Board (Agence Nationale de Protection Radiologique du Royaume-Uni). D'après le suivi de mortalité effectué sur les travailleurs de l'industrie nucléaire du Royaume-Uni.