[Les remarques entre crochets sont d'Infonucléaire]
Extrait de: "MEMOIRES
sans concessions"
Yves Rocard - Grasset 1988. [Yves
Rocard est considéré comme le père de la
bombe atomique française]
"Lors de nos tirs souterrains, il se produisit un incident nucléaire, à ma connaissance le seul [problème de mémoire ?] motivant l'intervention des services de sécurité et ayant exposé des sujets à des radiations nucléaires - sans qu'il en ait résulté aucun dommage [juste quelques morts et des malades...]. D'une part, c'est la preuve que nos expériences ont toujours été conduites avec la plus extrême prudence; d'autre part, si on relate les péripéties de cet incident, on constate que les risques courus n'étaient pas négligeables, et que la lourdeur et la rigidité de l'organisation auraient pu les aggraver considérablement. Pour la petite histoire l'exposé de cette péripétie a donc une certaine importance, c'est pourquoi je crois utile de m'y étendre un peu, quoique n'y ayant aucun rôle et n'ayant pas assisté à ce tir.
A l'instant du tir, la galerie doit être
fermée très hermétiquement. Pour obtenir
cette obturation parfaite, selon une technique qui nous venait
des Américains au Nevada, la galerie se terminait en spirale horizontale,
enroulée sur elle même pour aboutir à la chambre
de tir. Lors de l'explosion, les roches avoisinantes prenaient
un mouvement radial, créaient la cavité liée
au tir tout en écrasant la spirale, et faisaient ainsi
disparaître la galerie d'accès. Bien sûr, un
peu plus loin, hors de la zone effondrée, on disposait
aussi des portes classiques. Il s'est trouvé que, pour
le tir qui a causé l'incident, un service scientifique
avait fait creuser une galerie d'étude parallèle,
de très petit diamètre, entièrement rectiligne,
pointée comme un canon sur la bombe. Il s'agissait d'étudier
des neutrons ou des rayons gamma, dans quelque laboratoire à
l'autre bout du tube. Naturellement, une succession de portes
étanches devait venir obturer le tube de mesure, à
une cadence strictement dosée pour interdire tout échappement
des gaz de l'explosion.
Mais à l'instant du tir quelque chose s'est trouvé
inadéquat, les portes se sont brisées et le tube
de mesure a craché un affreux nuage de fumée noirâtre
qui portait les débris radioactifs de la cavité.
Mon petit service de détection avait 5 ou 6 personnes dans
une petite baraque à 7 kilomètres de là.
Or, au moment d'un tir souterrain, il est fort intéressant
d'examiner le paysage: l'onde de choc sismique puissante secoue
la surface de la montagne, un nuage de poussière s'envole
comme un brouillard, mais en quelques secondes retombe à
terre, pour découvrir dans le soleil cette montagne de
granit rose que j'évoquais plus haut. L'ingénieur
de ma petite équipe, avisé comme tout le monde de
l'instant zéro, examinait aux jumelles ce spectacle féerique
lorsque, quelques secondes plus tard, il voit sortir de la base
même de la montagne un minuscule nuage tout rouge qui grossit
rapidement. Le nuage très chaud s'en vient à passer
sur un dépôt de vieux pneus qui prirent feu aussitôt,
ajoutant une âcre fumée noire à ce qui s'échappait
de la montagne.
Le garçon se rend compte sur le champ que quelque chose
d'anormal s'est passé. On connaît ses réflexes
par un enregistrement fortuit sur un magnétophone qui avait
été enclenché probablement pour enregistrer
le « compte à rebours » servi par un haut parleur.
Se sentant responsable de son personnel, il a commencé
par avertir tout le monde, ce qui est à son honneur. Puis
il a eu peur des conséquences, et a fait préparer
un déménagement rapide. Puis il s'est soucié
de la hiérarchie qui n'avait encore rien remarqué.
Ce retard est parfaitement normal: nos petits chefs, à
l'instant zéro, étaient occupés par les personnalités
(ministres, généraux). C'est donc l'ingénieur
du service Détection qui essaie de donner l'alarme, et
le service de sécurité met du temps à l'accepter,
cependant qu'un léger vent pousse le méchant nuage
précisément sur les diverses équipes éparses.
Notre équipe Détection est prête à
partir la première - les autres ne seront alertées
que plus tard - mais, loin de l'autoriser à se replier
vers la base vie, on lui donne l'ordre d'attendre, et il faut
deux heures pour organiser la caravane dans l'ordre prévu.
Ainsi le nuage menaçant arrivat-il au gré du vent
au beau milieu de la colonne des personnalités. Dans ces
circonstances, le danger radioactif n'a rien eu de dramatique
ni d'urgent [c'est faux,
voir ci-dessous l'extrait d'un rapport du Sénat]. Chacun a accepté la discipline sans s'éparpiller
et le tout s'est déroulé sans désordre [faux, ce fut la débâcle,
le retour à la course vers les parkings, à qui arriverait
le premier à un véhicule pour se sauver, sans attendre
que les autres passagers du voyage aller ne soient arrivés]. Tout le monde a été ramené à
la base vie, à une vingtaine de kilomètres. Cependant
toutes les autorités, notamment le ministre Gaston Palewski,
le général Ailleret et quelques autres ont reçu
une dose maximum de 19 roentgens. On les a traités avec
des douches copieuses, des lavages d'estomac, des cheveux coupés
très ras. A ma connaissance personne dans ce lot spécialement
exposé n'a subi d'atteinte quelconque [c'est encore faux]. Des documents d'origine américaine nous disent
qu'à 600 roentgens tout le monde meurt. Je tiens personnellement
ce chiffre pour très exagéré, c'est la propagande
qui l'a fixé ainsi. On doit diviser par 5 les dégâts.
A 600 roentgens il y a un mort sur cinq peut-être, les autres
ne sont pas très brillants sans doute, mais sur le moment
peuvent encore saisir une mitraillette pour se défendre. [Yves Rocard n'est pas vraiment un
humaniste... et ce qu'il dit est encore faux, pour une irradiation de 600 roentgens il y a plus de 50%
de mortalité]
C'est en tout cas le seul incident sérieux à ma
connaissance dans le déroulement de nos essais nucléaires.
Y a-t-il une morale à tirer de cette aventure ? Le
service de sécurité, dès qu'il a eu la révélation
de quelque chose de louche, a pris le commandement. Or, s'il s'était
consciencieusement préparé pour faire face aux suites
d'un accident, il s'est trouvé pris au dépourvu
par un accident en train de survenir, à la vitesse d'un
vent léger porteur de contamination. Au lieu du délai
de deux heures de mise en colonnes, un « sauve qui peut
» général aurait permis à nos ministres
et généraux d'échapper aux méchants
roentgens. L'organisation, c'est bien, mais point trop n'en faut.
[Le titre du livre aurait dû
être du genre Mémoire d'un vieux salaud donneur
de leçons.]
Extrait de http://www.senat.fr/rap/r01-207/r01-2073.html#toc6
[Les remarques entre crochets en
rouge sont d'Infonucléaire]
Pour assurer le confinement de la radioactivité,
le colimaçon
était calculé pour que l'onde de choc le ferme avant
l'arrivée des laves. Lors de la réalisation de cet
essai, le 1er mai 1962, l'obturation de la galerie a été
trop tardive. Une fraction égale à 5 à 10
% de la radioactivité est sortie par la galerie, sous forme
de laves et de scories projetées qui se sont solidifiées
sur le carreau de la galerie, d'aérosols et de produits
gazeux formant un nuage qui a culminé jusqu'aux environs
de 2600 m d'altitude à l'origine d'une radioactivité
détectable jusqu'à
quelques centaines de kilomètres.
Le nuage radioactif formé était dirigé plein
Est. Dans cette direction, la contamination atmosphérique
était significative jusqu'à environ 150 km, distance
sur laquelle il n'y avait pas de population saharienne sédentaire.
Localement, en revanche une contamination substantielle (induisant
une exposition supérieure à 50 mSv) a touché
une centaine de personnes.
Les conséquences sanitaires
La trajectoire du nuage est passée au-dessus du poste de
commandement où étaient regroupées les personnalités
(notamment deux ministres, MM. Pierre Messmer et Gaston
Palewski) et le personnel opérationnel. Malgré
le port du masque respiratoire et une évacuation rapide
(entre H+2 minutes où le débit de dose était
inférieur à 1 mGy/h et H + 8 minutes où le
débit de dose était de 3 Gy/h), [il y a plus de 50% de mortalité pour une irradiation de 6 Gy!!]
une quinzaine de personnes ont reçu un équivalent
de dose de quelques centaines de millisieverts. L'irradiation
a été essentiellement d'origine externe, les masques
ayant été correctement utilisés.
Près de 2000 personnes participaient à la réalisation
de cet essai. La répartition des résultats de la
dosimétrie externe est résumée dans le graphique
ci-dessous.
Répartition des
résultats de la dosimétrie externe pour l'essai
Béryl en fonction des intervalles de doses en mSv.
Neuf personnes situées dans un poste
isolé ont traversé la zone contaminée après
avoir, au moins temporairement, ôté leur masque.
Dès leur retour en base vie (H+6), elles ont fait l'objet
d'une surveillance clinique, hématologique (évolution
des populations cellulaires sanguines) et radiologique (spectrogammamétrie,
mesures d'activité dans les excrétats).
Les équivalents de dose engagée reçus par
ces personnes ont été évalués à
environ 600 mSv.
Ces neuf personnes ont été ensuite transportées
à l'hôpital militaire Percy à Clamart pour
surveillance et examens radiobiologiques complémentaires.
Le suivi de ces neuf personnes n'a pas révélé
de pathologie spécifique [Lire:
Les
effets biologiques du rayonnement].