[...] Personne ne songeait aux normes d'irradiation,
d'autant moins que l'entreprise, connue sous le nom de code «
Maiak » (Phare), employait des dizaines de milliers de détenus.
Durant les cinq premières années, 20 000 personnes
se sont relayées à l'unité de production
principale. Lorsque en 1991 il a été décidé
de majorer les pensions de retraite du personnel employé
pendant quarante ans à « Maiak », on n'a pas
retrouvé plus de 150 personnes, les autres étaient
mortes.
Les déchets radioactifs étaient gérés
avec la même insouciance. Ils étaient tout simplement
déversés dans la Tetcha, une rivière dont
les habitants de la région utilisaient l'eau pour se baigner,
arroser leur jardin et faire boire leur bétail. 124 000
personnes ont été irradiées, 28 000
ont reçu 170 Rem alors que la dose maximale ne doit en
aucun cas [...]
La paisible rivière Tetcha, dans l'Oural,
a reçu entre 1949 et 1957 d'énormes quantités
de liquides très radioactifs déversés par
l'usine de plutonium militaire Mayak. Les conséquences
sanitaires sont mal connues, mais on a relevé dans la population
riveraine un excès notable de cancers et de leucémies
et plus de 1 000 maladies chroniques dues aux rayonnements (Extrait
de Science & Vie n°943, avril 1996).
En 1957, un réservoir rempli de déchets
radioactifs a explosé, contaminant une superficie de
23 000 kilomètres carrés où vivaient 270 000
personnes, dans les régions de Tcheliabinsk, Tioumen et
Sverdlovsk. Pour situer l'ampleur du désastre «Maiak
», il suffit de donner quelques chiffres 450 000 individus
irradiés dans la seule région de Tcheliabinsk, 138
millions de curies accumulées sur le terrain contre 50
millions à Tchernobyl!
500 000 tonnes de déchets radioactifs solides ont été
enterrés.
Deux Tchernobyl et demi ont été deversés
dans le lac Karatchaï et presque 20 Tchernobyl sont encore
contenus dans des réservoirs semblables à celui
qui a explosé en 1957. Un demi-milliard de mètres
cubes d'eau radioactive sont conservés dans des étangs
artificiels creusés dans la haute Tetcha. Le niveau de
radioactivité au bord de ces étendues d'eau s'élève
aujourd'hui à 75 doses limites (1 500 microroentgens/heure).
Selon les autorités locales du village voisin de Mouslimovo,
le limon de ces étangs peut être qualifié
de « déchets radioactifs solides ».
L'héritage des cinq piles de « Maiak » qui
ont servi à construire le bouclier atomique du pays crée
une menace grave pour le bassin de l'Ob, un grand fleuve sibérien.
Les pouvoirs publics sont aujourd'hui conscients que des mesures
urgentes s'imposent pour que le processus de pollution n'échappe
pas au contrôle, mais comment procéder ? Selon
la majorité des experts, un schéma complexe de transformation
des déchets de « Maiak » nécessiterait
40 milliards de roubles d'investissements et 20 à 25 ans
pour la réalisation des travaux.
Cet exemple reflète bien la situation actuelle. Les avenues
changent de nom, les statues sont déboulonnées,
les drapeaux rouges ne flottent plus sur le Kremlin et, pourtant,
on voit toujours des enfants se baigner dans les eaux de la Tetcha,
le bétail y boire et la viande, tout comme les légumes
des potagers arrosés avec son eau, sont vendus sur le marché
de la ville voisine.
Les dossiers médicaux des autochtones, longtemps considérés
comme secrets, enregistrent de nombreuses maladies caractéristiques
des irradiations. On a vu naître des enfants difformes,
avec les jambes soudées et les bras collés au corps.
Mais, curieusement, selon la filiale de l'Institut central de
biophysique installée à Tcheliabinsk, les limites
de la norme tolérée ne sont pas dépassées
dans cette région.
Extrait de: La dramatique histoire des sous-marins nucléaires
soviétiques
de Lev Giltsov, Nicolaï Mormoul et Leonid Ossipenko,
chez Rober Laffont, collection "Vécu", 1992.
Les catastrophes secrètes de Tcheliabinsk, L'Evènement du jeudi, 16-22 janvier 1992.