Maïlii-Suu, une "bombe nucléaire" kirghize qui menace l'Asie Centrale

05/07/2005 - Les habitants de Maïlii-Suu ne s'inquiètent guère de troubles éventuels lors du scrutin présidentiel de dimanche au Kirghizstan: ils tremblent en pensant aux deux millions de m3 de déchets radioactifs enterrés en bordure de leur ville. A un jet de pierre de ce bourg de l'ouest kirghiz, vingt-trois dépôts radioactifs, vestiges de 20 ans (1946-1967) de traitement de l'uranium extrait des mines alentours, risquent d'être emportés par la rivière Maïlii-Suu à tout moment. La communauté internationale a débloqué 10 millions de dollars pour sécuriser le site. Et les responsables locaux du ministère des Situations d'urgence saluent les efforts entrepris. Mais ils soulignent que les travaux prévus pour durer de la fin 2005 jusqu'en 2010 pourraient bien arriver trop tard. "Les dépôts n°5 et 7 regroupent la moitié des déchets nucléaires stockés ici. La montagne en face peut s'effondrer demain dans la rivière et former un barrage naturel qui noiera les dépôts. Puis l'eau se déversera dans la vallée de Ferghana", explique Rassoul Mamataliev, chargé de la surveillance du site.

Le danger que représente le site est pour les autorités locales digne du scénario d'un film catastrophe: les déchets menacent la vie de 2,4 millions de personnes et notamment la vallée de la Ferghana, la région la plus peuplée et la plus fertile d'Asie centrale. "Le jour où l'eau emportera l'un des dépôts, l'histoire de Maïlii-Suu s'arrêtera. Nous serons tous morts et après suivront des régions entières en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kazakhstan", commente Zakhanbek Iounoussapiev, un responsable de la mairie qui prépare des travaux de réhabilitation financés par la Banque mondiale. Au total ce sont 1,5 million de mètres cubes de déchets radioactifs répartis en six dépôts qui risquent d'être pris par la Maïlii-Suu au prochain tremblement de terre, glissement de terrain ou pluies diluviennes. Le temps est loin où Maïlii-Suu relayait fièrement la rumeur qui voulait que la première bombe atomique soviétique avait été fabriquée avec l'uranium de ses mines.

Ce printemps, les eaux ont effleuré un dépôt de déchets d'uranium avant d'emporter un mur de protection en béton. "Nous ne sommes que trois pour couvrir la zone. On ne peut que constater les dégâts", explique en secouant la tête Achir Abdoulaïev, le chef du ministère des Situations d'urgence à Maïlii-Suu, qui travaille là depuis trente ans. Sans surveillance depuis la chute de l'URSS et le départ des militaires chargés du contrôle de ce site alors hautement protégé, les hommes et leur bétail s'y promènent tranquillement malgré des radiations atteignant par endroit 75 fois la norme maximale admise. Les habitants ont profité de l'absence de gardes pour ramasser pierres et grillages --radioactifs mais gratuits-- pour construire leurs maisons, d'autant que les seuls avertissements restant étaient les 23 panneaux "Danger de mort, radiation" marquant le centre de chacun des dépôts.

Les canaux en béton censés éviter que l'eau de pluie ne s'infiltre dans les dépôts et ne s'écoule dans la rivière tombent eux aussi en ruine et servent d'abri à quelques vaches se protégeant du soleil. "On pense qu'il y a plus de cancers, de maladies coronariennes à Maïlii-Suu qu'ailleurs. Mais aucune étude médicale n'a jamais été menée! Nous demandons que toute la ville soit testée et analysée", supplie M. Iounoussapiev. Les habitants vivent cependant avec ce risque depuis trop longtemps pour céder à la panique ou pleurer sur leur sort. "Qu'est ce que vous voulez qu'on fasse? Maintenant on espère tous que les travaux commencent. Ca ne nous sauvera pas, mais au moins on aura tous du travail", dit Omourbek, un ouvrier de 32 ans, édenté et au chômage.


A lire:
Cobayes soviétiques aux Kazakhstan : 1ère, 2ème, 3ème partie




Libération 30 décembre 2003

Pollution. Une usine soviétique d'uranium a rendu toute une vallée radioactive.


Au Kirghizistan, le cancer sur les ruines du nucléaire

«Ces déchets peuvent détruire l'écosystème de toute l'Asie centrale. L'agriculture serait anéantie. Des millions de personnes devraient être déplacés.» Aripshan Kokossov, représentant du ministère kirghize de l'Environnement
 
Sur l'étroite route poussiéreuse qui longe le lit de la rivière, la voiture quitte l'usine d'uranium. Dix kilomètres plus bas, elle atteindra la ville de Maili Suu, coincée entre la montagne et le lit de la rivière du même nom, à 150 km au nord de la deuxième plus grande ville du Kirghizistan, Och. Là-bas, la température est de 21 °C. Ici, il fait 29 °C, une chaleur dégagée par les deux millions de tonnes de déchets d'uranium et les 940 000 m3 de roche radioactive provenant du gisement tout proche. Des puits de la mine s'échappe une odeur désagréable : du radon, un gaz radioactif et cancérigène lié à la décomposition de l'uranium. Sa concentration dans les maisons du voisinage est plus de vingt fois supérieure à la norme tolérée.

Monstre de béton et d'acier échoué sur l'étroite bande de terre glaise et de rochers au bord de la rivière, l'usine à l'abandon produisait, à l'époque soviétique, de l'uranium enrichi pour bombe nucléaire. La matière première était extraite alentour mais elle arrivait aussi d'ex-RDA et de Tchécoslovaquie. L'usine a fonctionné de 1946 à 1968. Maili Suu, 26 000 habitants, était alors une ville interdite. Vingt-trois dépôts d'uranium et treize crassiers ont été identifiés, tous proches des berges de la rivière, en raison des versants abrupts de la montagne. La nature des dépôts est alors très floue. Les déclarations n'ont été expédiées à Moscou qu'après la fermeture de l'usine et les Russes ont refusé de les retourner aux autorités kirghizes.

Grenier de l'Asie centrale. Aujourd'hui, ces matières dangereuses sont parfois recouvertes de béton, le plus souvent de terre et de gravier. Zone sismique, la vallée est perpétuellement sous la menace des tremblements de terre, des glissements de terrain et des inondations qui peuvent rejeter les substances radioactives dans la rivière et ensuite vers le fleuve Syr Daria, qui alimente tout le système d'irrigation de la région.

Cette vallée, grande comme l'Aquitaine, est le grenier de l'Asie centrale. Le Syr Daria qui se jette dans la mer d'Aral traverse l'Ouzbékistan et le Kazakhstan. «Ces déchets peuvent détruire l'écosystème de toute l'Asie centrale. L'agriculture serait anéantie. Des millions de personnes devraient être déplacés», affirme Aripshan Kokossov, représentant du ministère kirghize de l'Environnement. Photos et diagrammes à l'appui, il détaille l'activité géologique de la vallée de Maili Suu, coincée entre les montagnes Tien shan et le massif du Pamir. Un glissement de terrain, provoqué par de fortes pluies au printemps 2002, a détruit des maisons à 300 mètres de l'usine. Toujours debout, l'école est désormais vide à cause du risque : «Le printemps pluvieux a été à l'origine d'un sol gorgé d'eau et la zone autour de l'usine a été inondée. De la terre polluée est partie dans le fleuve.»

«Où aller?». «L'agriculture locale est ravagée, beaucoup sont morts du cancer. Les récents glissements de terrain n'ont pas attiré l'attention internationale», raconte Aripshan Kokossov, très critique vis-à-vis des gouvernements des pays voisins (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan). Les disputes frontalières, qui durent depuis l'indépendance de ces pays en 1991, empêchent toute collaboration sur les questions d'environnement.

Avec le temps, les déchets radioactifs enterrés ont formé des talus et des collines où l'herbe pousse et les enfants jouent... au milieu des panneaux jaune «Stop ! Radioactivité ! Danger de mort !». Les paysans ont démonté les clôtures construites sur les endroits les plus dangereux pour y faire paître leur bétail.

La maison d'Arabiddin Karassayev, 70 ans, est située sur le dépôt 7. Il vend sur le marché local des légumes qui poussent dans son jardin au sol radioactif. «Que dois-je faire ?, s'interroge le vieil homme. Nous n'avons pas les moyens de partir. Et où irions-nous ? Je ne suis pas malade mais plusieurs membres de ma famille, dans la vallée, sont morts du cancer. Mon frère, plus jeune que moi, a travaillé deux ans dans la mine et neuf ans à l'usine. Il ne peut plus marcher et il est presque aveugle. Mes trois fils sont partis après que notre maison a été emportée par un glissement de terrain. Je reste ici avec ma femme, ma fille et mes petits-enfants. Personne ne nous a jamais dit que c'était dangereux.» Kotchkor Borbouyev, 69 ans dont treize au fond de la mine, a entendu parler des experts internationaux qui ont mesuré la concentration de radon sur la zone. Devant un thé, dans le jardin de son frère aîné, il passe en revue, le regard sombre, les accidents et les morts dans la vallée : «Trois membres de ma famille sont morts d'un cancer des reins. Mon frère aîné, qui a travaillé dans la mine, est en train de mourir du même mal. Mon jeune frère est mort il y a dix ans d'un cancer.» Pourtant, il ne veut pas partir. Réprobateur, Aripshan Kokossov, qui fait souvent le trajet de Och avec des visiteurs étrangers, lui lance : «Il y a des radiations partout ici. Tu ne vois pas que toute ta famille peut mourir d'un cancer ?» Kotchkor Borbouyev reste impassible.

Menace. Les autorités locales réclament sans relâche des structures de rétention et le déblayage des déchets radioactifs le long des berges. Le ministère de l'Environnement estime que 20 millions de dollars sont nécessaires pour parer au plus pressé, et dix fois plus pour régler le problème. La Banque mondiale est disposée à en accorder cinq, les habitants espèrent que d'autres donateurs suivront.

Aripshan Kokossov conclut, menaçant : «Si des terroristes mettaient la main sur cette matière radioactive, ils pourraient très bien fabriquer une "bombe sale"...»

Gérard DIEZ

 

 

Le Kazakhstan lutte toujours contre les séquelles des essais nucléaires

ALMATA, 29 août. - Dix ans après la fermeture de Semipalatinsk, un des plus grands centres d'essais nucléaires du monde, le Kazakhstan est toujours aux prises avec les séquelles de ce qui a été décrit comme une guerre livrée par l'URSS à son propre peuple.

Cobayes soviétiques aux Kazakhstan : 1ère, 2ème, 3ème partie

En l'espace de quarante ans, le polygone de Semipalatinsk a été utilisé pour quelque 470 essais d'armes nucléaires.

Jusqu'en 1962, les bombes explosaient au niveau du sol ou dans l'air, causant d'indicibles dommages à la santé des habitants de la vaste steppe kazakhe.

"Le Kazakhstan était l'unique pays au monde où un régime totalitaire inhumain procédait à des essais nucléaires sans se préoccuper des problèmes de plus en plus graves qu'ils créaient pour l'écologie et la santé de la population", a déclaré mercredi le président Noursoultan Nazarbaïev, en évoquant "des pertes inimaginables en temps de paix".

Le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev a lancé mercredi un appel à l'aide pour combattre les séquelles désastreuses des essais nucléaires soviétiques réalisés sur son territoire. Il s'adressait aux savants et hommes politiques, dont l'ancien président de l'URSS Mikhaïl Gorbatchev, réunis pour une conférence internationale destinée à commémorer le jour où, il y a dix ans, le dirigeant kazakh a ordonné la fermeture du polygone de Semipalatinsk.

Cette décision a été "l'une des plus belles pages dans l'histoire de notre patrie", a-t-il déclaré avec émotion.

L'explosion de la première bombe soviétique au plutonium à Semipalatinsk en 1949 avait déclenché ce qui allait devenir "une guerre contre notre propre peuple", a affirmé Issilbek Nourmanov, coordinateur du programme d'aide et de réhabilitation de Semipalatinsk.

La santé de quelque 1,6 million de personnes, selon des estimations faites en 1992, a été affectée par les radiations.

Dans un village proche de la petite ville secrète de Kourtchatov, qui abritait le quartier général du polygone, à quelque 150 km de Semipalatinsk, presque chaque famille compte au moins une personne née avec un handicap ou morte d'un cancer.

"C'était une tragédie silencieuse que personne n'a remarquée", a déploré M. Nourmanov, en affirmant que les effets cumulés de quarante années d'explosions sur le site de 18.500 kilomètres carrés étaient cent fois pires que les séquelles de la catastrophe de Tchernobyl.

L'année dernière, la proportion de malades dans la zone autour de Semipalatinsk a été supérieure de 38% à ce qu'elle était ailleurs dans le pays. Celle des nouveaux-nés handicapés mentaux a été trois fois plus importante que la moyenne nationale.

Les habitants de la région n'avaient pas été informés du danger. Au contraire, certains se sentaient fiers de vivre dans le voisinage d'un lieu aussi important.

"Une ou deux fois seulement, selon des témoins, la population a été éloignée d'environ 60 kilomètres, a raconté M. Nourmanov. Lorsque les gens sont rentrés chez eux, ils ont vu que leurs chiens n'avaient plus de poil et que des oiseaux aveugles se heurtaient aux arbres".

Selon un rapport de l'ONU de 1998, plus de 100.000 personnes de trois générations ont été durement touchées par les radiations.

38 projets ont été élaborés pour les aider, mais l'essoufflement des donateurs et le fait qu'il ne s'agissait pas d'une catastrophe spectaculaire ont freiné leur mise en route.

Les engagements reçus atteignent au total 24 millions de dollars, tandis que la réalisation de ces projets revient à 43 millions.

"Les gens sont fatigués, en train de perdre l'espoir, s'ils ne l'ont pas déjà perdu", a estimé M. Nourmanov. "Bientôt il sera difficile de les regarder en face".

 

Vladimir Poutine donne le feu vert à l'importation de déchets nucléaires

Kychtym Désastre nucléaire en oural