En 1896, un savant français, Henri Becquerel,
découvrit la radioactivité par accident, alors qu'il
faisait des recherches sur la fluorescence des sels d'uranium.
Encouragé par son ami Henri Poincaré, il cherchait
à déterminer si ce phénomène était
de même nature que les rayons X. C'est Marie Curie qui appelle
cette bizarrerie scientifique la « radioactivité »
et bientôt les Curie décèlent l'élément
radioactif appelé radium, dont ils parviennent à
isoler une petite quantité. Becquerel s'aperçoit
qu'un flacon de radium conservé plusieurs heures dans la
poche de son gilet lui a brûlé la peau. Pierre Curie,
ayant exposé son bras pendant dix heures au rayonnement
du radium, écrit : « Sous l'action des
rayons, la peau a rougi sur une surface de six centimètres
carrés, présentant l'apparence d'une brûlure,
mais sans causer ou presque de douleur. Au bout de plusieurs jours,
cette rougeur, sans augmenter de taille, s'est intensifiée ;
le vingtième jour il s'est formé une dartre, puis
une plaie que l'on a enveloppée de bandages ; le quarante
deuxième jour, l'épiderme a commencé à
se reformer depuis les bords de la plaie jusqu'au centre, et cinquante
deux jours après l'action des rayons, la plaie présente
encore sur un centimètre carré un aspect grisâtre
dénotant une mortification plus profonde. »
Le radium deviendra pourtant une nouvelle potion magique (lire:
"L'insensibilisation
par le radium" dans la revue Le Radium n°3,
mars 1904) que l'on vend sans plus de scrupules que les vieux
remèdes de bonnes femmes.
« Lors de ma première
note à l'Académie de Médecine, le 6 octobre
1903, je disais déjà que je croyais être arrivé
à la détermination des doses maniables, des doses
médicamenteuses du radium. Or depuis cette époque
j'ai soigné un grand nombre de malades. J'ai eu bien des
insuccès, c'était inévitable, mais je n'ai
jamais observé la moindre complication, le moindre effet
nuisible attribuable au radium.
Il y a encore beaucoup à chercher, beaucoup à faire;
mais il est nécessaire de procéder avec une grande
circonspection et une sage lenteur. Aussi ne vous parlerai-je
que plus tard des inhalations radioactives dans certaines affections
du larynx et des poumons, des injections souscutanées ou
intraveineuses des solutions radioactives, de l'absorption de
poudres radioactivées, etc... »,
extrait d'une conférence du Dr A. Darier à la Faculté
de Médecine de Paris publiée dans la revue Le Radium
n°5, mai 1904 (lire: "Radiumthérapie
des maladies nerveuses" et "Radiumthérapie des affections articulaires",
extraits du livre: "Radiothérapie"
de P. Oudin et A. Zimmern, 1913).
Dès 1908, on utilise le radium pour soigner de nombreuses affections, notamment les affections cutanées.
Tout au long des années vingt, les médecins rédigeront à la chaîne des ordonnances de radium pour l'arthrite, la goutte, l'hypertension, la sciatique, le lumbago et le diabète. Une société new-yorkaise productrice d'eau minérale au radium prétend même qu'elle compte cent cinquante mille clients...
Pierre et Marie Curie venaient juste de découvrir la radioactivité et ses pouvoirs miraculeux, la génération d'avant la 2ème guerre mondiale, nourrie au petit lait du progrès moderne, s'enthousiasmait pour ces mystérieux produits dont le pouvoir rayonnant éclairait un avenir qui ne pourrait être que radieux.
Publicité sur le Spinthariscope de Sir William Crookes, dont la technique est expliquée dans la revue Le Radium n°2 de févrié 1904.
Le radium allait tout transcender.
Publicité dans la revue Le Radium n°4 d'avril 1904.
Mme Curie termine un Traité de radioactivité, écrit de ses mains profondément brûlées (par la radioactivité) en 1934, l'année de sa mort (due à "une anémie pernicieuse aplasique à marche fébrile" selon le communiqué officiel) résultant de l'accumulation de l'effet des radiations. Elle cite dans cet ouvrage comme "thérapeutiques médicales" l'ingestion sous forme de boisson d'eau radioactive naturelle ou artificielle contenant du radon; les injections dans les veines, muscles ou articulations de sérum physiologique contenant un radioélément en suspension ou dissous, l'inhalation d'air contenant du radon (l'empereur François-Joseph faisait dans ce but une cure annuelle à Badgastein), ou enfin les bains d'eaux radioactives naturelles ou artificielles ainsi que ceux de boue à base de radium. Mme Curie reconnaissait toutefois dans ce passage consacré à "la curiethérapie par voie interne ou par bains" que "les bases scientifiques sont ici encore peu développées et le caractère empirique prédomine".
Extrait de la revue américaine "Radium".
Pendant une bonne partie du XXe siècle, de nombreux médecins croyaient le radium être totalement sûr.
Une publicité pour les préparations
au radium utilisées en interne et en externe parue dans
la revue "Radium", à côté, la photo
d'une fiole de "Standard Radium Solution for drinking".
En 1916 la revue médicale Radium affirme que "le Radium n'a absolument aucun effet toxique, étant accepté harmonieusement par le corps humain, comme la lumière solaire pour les plantes." Les médecins ont appris sur le radium de la même manière qu'ils ont fait pour les rayons X: par tâtonnements et par erreurs.
Cette publicité pour les préparations du radium utilisées en interne et en externe est apparu dans le numéro de juin 1916 de la revue "Radium", voir la publicité "Radium and Beauty," dans le New York Tribune de 1918.
C'est écrit sur la boite de Radium Radia, "Le plus grand remède du monde pour les rhumatismes, les névralgies, les lumbagos, les entorses, les maux de dos, la goutte, et toutes les douleurs dans les membres, la poitrine et la gorge. Aucun échec connu"
S'exprimant en 1953 au dîner annuel de l'American Society Radium, le Dr James Case, un personnage clé dans le développement de la radiothérapie, a rappelé: "Au début, nous avons donné de très fortes doses... si grandes en fait, et dans un délai si court, que la plupart des patients ont été contraints de prendre le lit pendant une semaine ou deux, et certaines d'entre eux étaient vraiment prostrés. Nous avons souvent donné des transfusions sanguines, et d'autres traitements de soutien." Les conditions pour lesquelles le radium était utilisé allait des troubles cardiaques, à l'impuissance, ou aux ulcères. Certains médecins prescrivaient des injections de radium comme tonique pour les patients qui étaient déprimés...
Dans les années 1930, des préparations à base de Radium sont vantées pour guérir de presque toutes les maladies imaginables de l'arthrite au cancer, de l'hypertension artérielle à la cécité. Quelle que soit sa puissance médicale, le radium avait certainement le pouvoir d'inspirer les charlatans.
En France, on trouve en pharmacie la crème Tho-Radia vendue selon la formule du Dr Alfred Curie (un médecin homonyme des fameux Pierre et Marie Curie), lire: "L'histoire étonnante du Tho-Radia".
Cette préparation qui contient une petites quantités de thorium et de
radium, est censée effacer les rides du visage. Son
slogan publicitaire : « La science a créé
Tho-Radia pour embellir les femmes. A elles d'en profiter. Reste
laide qui veut ! ».
Mais Tho-Radia a de la concurrence...
La marque Radiumelys propose également des crèmes, des poudres de riz, des dentifrices et des sels de bains.
Un autre cosmétique qui porte le joli nom de Radiocrèmeline est censé avoir un pouvoir sédatif et provoquer la multiplication rapide des couches cutanées.
Avec la crème Activa, « on ne vieillit plus, mieux on rajeunit ! ».
La poudre et la crème Alpha-Radium « porphyrisées par un procédé nouveau procure au visage le velouté mat si apprécié par la femme élégante ».
A côté des produits de beauté, on trouve à cette époque en pharmacie des pommades et des comprimés à base de radium: Tubéradine pour combattre la tuberculose, Artoradine contre l'artériosclérose, Hémoradol contre l'anémie, Digéradine pour favoriser la digestion ou Vigoradine pour lutter contre la fatigue...
Les compresses Radiumcure sont célèbres pour calmer
la douleur et empêcher l'inflammation.
Les pilules Radiovie sont préconisées par la réclame pour les anémiques, les neurasthéniques et les surmenés.
L'un des produits qui a le plus de succès est sans doute l'eau radioactive.
Les cures thermales, en vogue avant même la découverte de la radioactivité, ont maintenant "une assise scientifique". On n'hésite pas à mettre en place des installations sophistiquées pour attirer les curistes. Il ne s'agit plus de proposer uniquement de l'eau radioactive mais également de l'émanation à inhaler grâce à des appareils adaptés. Pour rentabiliser ces investissements, on installe les curistes dans des cabines qui accueillent plusieurs malades à la fois. Ces séances d'inhalation collectives qui durent environ une heure font la renommée de certaines stations thermales comme celle de Spa en Belgique.
Quant à la cure de bains radioactifs, elle implique une vingtaine de séances à 35° 38° degrés, deux ou trois fois par semaine et il est vivement conseillé de renouveler l'opération deux semaines après la fin du premier traitement.
Et lorsque les eaux ne sont pas assez radioactives, on n'hésite pas à les recharger artificiellement en radioélément. De nouveaux appareils d'extraction de l'émanation fabriqués par des médecins ou des physiciens seront utilisés en dehors des stations thermales.
Quoi de plus agréable que de prolonger les bienfaits d'un traitement en optant pour une cure de boisson chez soi ? De nombreuses sociétés qui commercialisent déjà des produits au radium (Erco, la Société d'application du radium, l'Office français du radium) se lancent dans ce nouveau créneau. Elles proposent une eau radioactive "à domicile". Leurs "cafetières à radium" et "fontaines à radium" feront partie des plus belles réussites commerciales du marché des produits radioactifs à destination du grand public. Leur principe de fonctionnement est relativement simple : une capsule de sels de radium est logée à l'intérieur de l'appareil, l'eau absorbe l'émanation et devient alors radioactive. La cure de boisson doit durer 21 jours, annonce la notice. On arrête ensuite une semaine et on recommence.
L'être humain n'est pas le seul à bénéficier de produits au radium. Les animaux et les plantes y ont droit aussi. « Engraissez tous vos animaux de ferme ou de basse-cour avec Provadior, véritable provende française contenant du radium » annonce un fabricant.
De nombreux engrais, faiblement radioactifs, sont proposés aux agriculteurs, tels Excitor Agral.
En 1932, une publicité de Frederick Godfrey, qui s'auto-proclame "bien connu spécialiste britannique des cheveux", annonce "l'une des plus importantes réalisations scientifiques de ces dernières années", un tonique capillaire radioactif.
Une barre de chocolat au radium a été vendue en Allemagne comme un "rajeunisseur".
En 1953 une société de Denver faisait la promotion le promotion d'un gel contraceptif au radium.
L'engouement pour l'eau au radium a également donné un coup de fouet aux stations thermales à l'eau radioactive comme Hot Springs, en Arkansas, qui est maintenant un parc national encore florissant. En 1952, un article dans le magazine Life quant aux prétendus avantages pour la santé du radon a envoyé des milliers de personnes souffrant d'arthrite dans les mines abandonnées pour respirer un "remède naturel".
A l'intérieur de la Merry Widow Health Mine, les gens se détendent tandis que leurs douleurs se guérie. Voir la vidéo.
La Merry Widow Health Mine, près de Butte, Montana, (ou son nom proche et rassurant: la Sunshine Radon Health Mine), continue en 2008 de faire de la publicité pour les personnes souffrant d'arthrite, de sinusite, de migraine, d'eczéma, d'asthme, de rhume des foins, de psoriasis, d'allergies, de diabète et d'autres maux "de passer une heure et demie dans les mines, trois fois par jour pendant dix ou onze jours"...