Le Figaro, 18/01/2005:
La prochaine mise en place d'un réseau national de mesures de la radioactivité dans l'environnement intégrant pour la première fois des laboratoires indépendants suscite des remous. Cette perspective de pluralisme ne fait pas l'unanimité au sein des associations antinucléaires, tout comme dans une partie du monde institutionnel qui voit d'un mauvais oeil l'expertise s'ouvrir à la société.
En novembre dernier, dans un texte très virulent, le réseau Sortir du nucléaire qui regroupe 698 associations a estimé que le pluralisme a pour «seul objectif de faire accepter par les populations le nucléaire et ses risques». Il dénonce un complot contre les associations antinucléaires.
D'un côté, on trouve une association comme la CRIIRAD (1) qui «a choisi de rester du côté des loups» et ne veut pas «se laisser domestiquer». De l'autre, un laboratoire associatif comme l'Acro (2) qui considère cette ouverture comme une opportunité. «Nous avons pour principe d'accepter les ouvertures par les autorités en participant à de nombreux groupes pluralistes, même si elles nous apparaissent souvent bien timides et que le fonctionnement pourrait être amélioré», explique l'association.
A quelques semaines du vote de la loi sur la transparence dans le nucléaire, le débat vient de prendre une nouvelle tournure avec la publication d'une lettre ouverte aux 695 associations du réseau Sortir du nucléaire. Une lettre rédigée par Gilles Hériard-Dubrueil, responsable d'une société spécialisée dans la gestion sociale des activités à risques. Accusé en novembre d'être en France le principal «bras armé de la désinformation pronucléaire», il ajoute une nouvelle pierre au débat. «Dans un pays où 80% de la production d'électricité est d'origine nucléaire, où se trouvent une cinquantaine de réacteurs nucléaires en activité qui produisent des déchets radioactifs et où l'éventualité accidentelle est bien réelle, faut-il aider les acteurs du nucléaire à continuer d'ignorer la société civile ou aider la société civile à exercer un suivi vigilant du nucléaire ?»
Jacques Repussart, directeur général de l'IRSN, l'organisme d'expertise publique qui compte 1 500 chercheurs, se déclare déterminé à soutenir le pluralisme. «Le problème de l'IRSN, c'est son monopole», affirme-t-il.
(1) Commission de recherche et d'information
indépendantes sur la radioactivité.
(2) Association pour le contrôle de la radioactivité
dans l'Ouest.
Yves Miserey
A lire:
- Contre-experts contre experts
- Le nucléaire à la recherche d'une opposition institutionnelle
- La concertation autour des sites industriels
- Des structures écrans au service du nucléaire
Le gendarme du nucléaire veut "domestiquer" la CRIIRAD.
Plusieurs hauts responsables de l'Administration
ont informé la CRIIRAD des consignes nationales données
par la DGSNR (dite Autorité de Sûreté Nucléaire)
aux inspecteurs des DRIRE : Il faut (pour reprendre les termes
de l'un d'entre eux) " domestiquer " la CRIIRAD : empêcher
son laboratoire d'effectuer des études tant qu'elle ne
se sera pas pliée aux conditions instaurées par
l'arrêté du 17 octobre 2003. Ce texte abroge le système
de validation des mesures de radioactivité mis en place
en 1988 - un système basé sur des critères
exclusivement scientifiques - et le remplace par un agrément
subordonné à l'acceptation des conditions posées
par la DGSNR. L'une des plus inacceptables pour la CRIIRAD est
l'obligation d'extraire les résultats chiffrés de
leur contexte (c'est-à-dire des études qui leur
donnent sens), de les intégrer dans un tableur pré-paramétré
qui est transmis aux services officiels (IRSN-DGSNR) avec totale
liberté d'exploitation et sans possibilité de recours.
La CRIIRAD est prête à payer le prix de son indépendance.
Le nouveau dispositif de délivrance de l'agrément a été spécialement conçu contre la CRIIRAD et il met en jeu sa survie. En effet, les études du laboratoire représentent aujourd'hui le tiers des ressources de la CRIIRAD C'est dire les risques auxquels s'expose la CRIIRAD en refusant de céder au chantage. Il est important de souligner que l'attaque de la DGSNR a été lancée avant même que viennent à échéance les agréments dont dispose actuellement la CRIIRAD. Le dossier de FEURSMETAL en est la parfaite illustration. Cette fonderie de la Loire doit accueillir des ferrailles faiblement contaminées en provenance de SOCATRI. Afin d'écarter le laboratoire de la CRIIRAD du dossier - alors que son intervention est réclamée par la municipalité, les syndicats et les associations - l'Administration n'a pas craint de mettre des références inexactes dans l'arrêté préfectoral ! Quelles que soient la vigueur des attaques et l'importance des risques, la CRIIRAD préfère les affronter - quitte à disparaître - plutôt que sentir peser le joug de l'Etat.
Appel à solidarité.
En instrumentalisant la réglementation
pour détruire le premier, et dernier, laboratoire indépendant
de mesure de la radioactivité, la DGSNR rétablit
le monopole qui a conduit, en 1986, au mensonge de TCHERNOBYL.
La CRIIRAD va tout faire pour maintenir la pluralité des
sources d'information :
- Mobilisation de l'opinion publique : lancement de la pétition
auprès du grand public, des personnalités et personnes
morales (associations, collectivités territoriales.). Vu
la perversité de l'attaque, seul un soutien massif pourra
empêcher la CRIIRAD de disparaître.
- Actions en justice : le C.A. de la CRIIRAD va mandater son avocat,
Maître Billet pour étudier les possibilités
de recours devant les juridictions françaises et européennes
(illégalité du recours au chantage, respect de la
propriété intellectuelle, préservation de
l'anonymat des partenaires.)
- Interpellation des autorités et des élus : diverses
démarches sont en cours auprès des ministères
de la Santé et de l'Environnement (Voir la lettre à
Philippe Douste-Blazy [format word]), demande de rendez-vous,
campagne de lettres pour la suppression du chantage et la restauration
d'un agrément purement scientifique. Si elles n'aboutissent
pas, les demandes seront élargies aux parlementaires et
aux partis politiques.
Communiqué de presse, CRIIRAD, 11 octobre 2004.
A Lire:
- Comment les
industriels du nucléaire infiltrent les structures en charge
de la radioprotection et s'emparent des financements publics.