Contrôle n°110,
avril 1996:
(Revue de l'Autorité de Sûreté Nucléaire)
Les deux réacteurs équipant la
centrale A de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) appartiennent
à la série des cinq unités uranium-naturel-graphite-gaz
(UNGG) engagées par EDF à partir de 1956, d'abord
sur le site de Chinon
(EDF 1, 2 et 3) puis de Saint-Laurent et enfin, pour la
dernière d'entre elles, du Bugey.
Les deux réacteurs de Saint-Laurent-des-Eaux inauguraient
une conception nouvelle dite « intégrée
», c'est-à-dire que le caisson en béton précontraint
renferme le coeur du réacteur et les échangeurs,
disposés l'un au-dessus de l'autre, ainsi que le circuit
primaire. Environ 3 000 canaux verticaux comportant chacun
15 éléments combustibles sont disposés dans
l'empilement de graphite; leur refroidissement est assuré
par une circulation dans le sens descendant de gaz carbonique
entraîné par l'intermédiaire de 4 turbosoufflantes.
Le 13 mars 1980, à 17h40, le réacteur
2 fonctionnant à sa puissance nominale, soit 440 MWe, a
été l'objet d'un sérieux incident: un accroissement
brutal de la radioactivité du gaz de refroidissement a
entraîné l'arrêt automatique d'urgence du réacteur.
Les analyses des différents éléments présents
dans le CO2 permettaient dès le lendemain de conclure à
une fusion d'une quantité non négligeable d'uranium
irradié.
Après une vérification de l'efficacité des
pièges à iode, l'intérieur du coeur a été
ramené à la pression atmosphérique afin de
permettre, à partir du 24 mars, la réalisation du
programme d'observation de l'empilement, d'abord en C02, puis,
à compter du 4 avril, en air.
Les observations qui ont pu alors être effectuées
dans le caisson à l'aide d'une caméra ont indiqué
que l'incident résultait d'un défaut de refroidissement
local dû à l'obstruction partielle d'environ 6 canaux
par la présence d'une plaque métallique d'une surface
d'environ de 0,5 m2. Ces observations ont montré par ailleurs
que le combustible endommagé était resté
localisé dans les canaux du coeur. Après déplacement
de la tôle en cause, le déchargement des éléments
combustibles et des autres composants des canaux affectés
par l'incident a pu être effectué avec les moyens
habituels à ces opérations.
Dès lors, à partir du 3 juin, les travaux de remise
en état de l'installation ont pu être entrepris:
- décontamination de la partie basse du caisson, au moyen
d'un robot télécommandé, et ce, afin de permettre
l'intervention ultérieure du personnel;
- expertise des structures internes (qui a permis de déterminer
l'origine de la plaque ayant entraîné le défaut
local de refroidissement du coeur), puis réparation, et
en particulier remplacement d'un certains nombre de carénages
défectueux;
- élimination des déchets radioactifs résultant
de la fusion des éléments combustibles. Un élément combustible
présentait une fusion importante de la gaine et deux éléments
étaient entièrement fondus, l'uranium (environ
20 kg) et le magnésium de la gaine étant en
grande partie contenus dans la culasse
poubelle située à la partie basse du canal et qui
avait conservé son intégrité.
Le nettoyage du canal, par brossage et aspiration, à partir
de la dalle, à l'aide d'outillages spéciaux, a été
achevé fin novembre, mais celui de l'aire support, située
au dessous du canal accidenté, a imposé des mises
au point préalables sur maquettes, et n'a abouti que courant
mars 1981. L'élimination de la plus grande partie des poussières
radioactives encore présentes dans le réacteur a
nécessité la mise en place, sous les échangeurs,
d'un système de filtration effectuée d'abord à
froid, jusqu'au début de 1982, puis à chaud en profitant
de la chauffe nucléaire; après de nombreux contrôles
et vérifications, le réacteur a enfin été
autorisé à fonctionner à nouveau à
sa puissance nominale début octobre 1983.
Cet incident, qui a conduit
à un arrêt de l'installation de près de quatre
ans, est typique du niveau 4 de l'échelle
[médiatique] Ines: il n'a
pas entraîné de risque important hors du site (notamment
aucun rejet radioactif), mais il a conduit à des endommagements
notables de l'installation, créant de graves problèmes
de retour à la normale sur le site (fusion partielle du coeur, perte de la première
barrière de confinement, risques d'exposition accrus pour
les travailleurs, ...).
[...] Au delà de l'aspect technique
spécifique des réacteurs graphite-gaz, cet incident
est venu confirmer l'importance première pour la sûreté,
pour quelque réacteur que ce soit, du principe de la permanence
du refroidissement du coeur. Si des dispositions adéquates
doivent être prises dès la conception pour réduire
autant que possible l'éventualité d'occurrence d'un
tel incident dont les origines peuvent être de nature diverse
suivant les concepts considérés (hydraulique, mécanique,
chimique, ..), il convient également que l'exploitant puisse
disposer d'un large éventail de moyens de surveillance
propres à en permettre la détection précoce,
voire de le prévenir.
Jean-Marc Saur,
sous-directeur chargé des réacteurs graphite-gaz
et des réacteurs
de recherche.