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Je vais vous présenter un document ukrainien sur les mutations dans la région de Tchernobyl, filmé par M. Kouznetsov dans les années 90 dans différents Instituts de Kiev, de la région de Jitomir et dans la zone des 30 km d'exclusion.
Un botaniste:
"Nous nous trouvons à l'intérieur de la zone
d'exclusion autour de la centrale de Tchernobyl. J'ai semé
sur 25 mètres carrés des graines recueillies sur
un seul pin. A présent ces petits arbres ont 4 ans. Vous
voyez ici, sur cette petite surface, les 25 mutations connues
dans le monde entier pour cette variété de pins
: gigantisme, nanisme, dissymétrie de l'implantation des
aiguilles, des branches, aiguilles anormalement longues, courtes,
plumets, tout ceci vous le voyez ici". Il montre des détails
de ces jeunes arbres.
Un vétérinaire:
"Nous sommes dans la région de Jitomir. Après
l'accident de Tchernobyl, nous avons vu apparaître en nombre
très augmenté des malformations dans les élevages
: porcs à deux têtes, ici un veau dont tout l'arrière
train est absent. Certaines de ces malformations conduisaient
à des avortements précoces, d'autres animaux sont
nés et n'ont vécu que quelques heures. Ici vous
avez un veau à 3 cornes, ici un cheval qui n'a pas vécu."
Des médecins :
Lorsque nous avons examiné au microscope des biopsies prélevées chez
des liquidateurs, nous avons vu d'énormes taches noires. Nous avons tout d'abord pensé qu'il s'agissait
d'artefacts. Nous avons refait nos préparations. Il s'agissait de particules radioactives
énormes, particules de Plutonium en particulier. Nous avons recherché dans la littérature,
et les seules études que nous ayons trouvées sont
des travaux expérimentaux allemands, pratiqués avec
du Plutonium sur des lapins. Ici il s'agit de liquidateurs, de
personnes vivantes.
Une sage-femme de Jitomir :
"A présent les femmes s'inquiètent lorsqu'elles
sont enceintes. Les grossesses ne se passent pas très bien.
nous avons une forte augmentation
des avortements spontanés, avec souvent des embryons très
déformés. Les femmes saignent.
Ici vous avez un enfant né prématurément.
Il ne vivra sans doute pas. Nous l'avons mis dans une couveuse,
vous voyez sur l'écran son rythme cardiaque très
irrégulier et difficile. Il a sur le corps des taches rouges,
des angiomes."
Le films se termine par des plans de dizaines de foetus et nouveau-nés
malformés, sur la musique poignante du Kyrie d'un office
des mezor orthodoxe.
J'aimerais également vous présenter les photos que
m'a prêtées Adi Roche, responsable de la "Fondation
les Enfants de Tchernobyl" d'Irlande. Elles sont récentes,
(fin 1995), et proviennent de Minsk. Vous avez un enfant né
avec des malformations multiples des extrémités,
de la face, du cerveau. Il est mort au bout de quelques mois.
Un autre enfant né avec une anencéphalie, c'est
à dire une absence de cerveau. Il mène une vie végétative
et ses parents l'ont abandonné. Ici vous voyez un enfant
né avec une malformation de la face en bec de lièvre
traversant. On l'a intubé après opération,
mais il n'a pas survécu. La petite Nastia, parfaitement
normale sauf une amélie des deux jambes avec pieds bots,
a pu être opérée avec succès en Irlande
(fig 13 - 20).
13)
Un instant de tendre intimité entre Natacha et sa maman.
Natacha est en vie grâce à une opération réussie
en Allemagne. (photo : Anatoly Kieshouk)
14) Intubation après une opération de malformations
faciales multiples. Cette enfant est morte peu après l'opération.
(photo Adi Roche)
15) Plus que quelques jours à vivre. Malformations
multiples. (photo Adi Roche)
16) A l'âge de 5 ans en Biélorussie, les enfants
retardés et malformés doivent obligatoirement quitter
le service de pédiatrie pour le service de psychiatrie
infantile, où ils ont peu de chances de survivre. (photo
Adi Roche)
17) On opère les tumeurs aiguës. Aux amputations
s'ajoute la chimiothérapie. La survie d'un handicapé
est difficile dans un pays appauvri. (photo : Adi Roche)
18) Des malformations du cerveau et les anencéphalies
ont doublé en Biélorussie depuis la catastrophe
de Tchernobyl. (photo : Adi Roche)
19) 70 % des enfants cancéreux ont un pronostic
acceptable. Les centres d'oncologie travaillent remarquablement
bien en Biélorussie. (photo : Adi Roche)
20) La petite Nastya attend son départ pour l'Irlande,
où elle subira de multiples opérations. (photo :
A. Kleshouk)
Malgré les diagnostics prénataux pratiqués
obligatoirement, et les recommandations des médecins aux
parents, des enfants comme ceux-ci naissent chaque jour et sont
souvent abandonnés après leur naissance, les parents
ne pouvant faire face à ce désastre. Ceux qui survivent
sont soignés en pédiatrie jusqu'à l'âge
de cinq ans. Après 5 ans, ils sont transférés
dans le service de psychiatrie infantile, où leur survie
est très courte.
Pour terminer ce triste inventaire, j'aimerais vous présenter
les photos d'une étude pratiquée par le Dr. Sloukvine
sur des carpes, à l'Institut de Génétique
du Professeur Rose
Gontcharova à Minsk. Ancien responsable des piscicultures
de Biélorussie, de Russie et de Lettonie, le Dr. Sloukvine
suit une pisciculture industrielle située à 200
km de Tchernobyl. Tous les paramètres physiques et chimiques
(nitrates, métaux lourds), de l'eau sont suivis très
attentivement, car le rendement économique de ces piscicultures
en dépend.
L'étang étudié reçoit une eau non
contaminée, venant d'un lac situé en amont. Cependant
le fond de l'étang a été contaminé
par les retombées de Tchernobyl, en particulier le Césium
137. Un étang situé à 400 km de Tchernobyl
en territoire non contaminé sert de contrôle.
Les reproducteurs sont des carpes marquées
de 8 ans, qui vivent depuis 1986 dans l'étang contaminé.
Leur teneur en radioactivité n'est pas énorme :
800 Bq/kg. Les oeufs prélevés dans les carpes femelles
sont placés en incubateurs. Normalement, ces carpes fournissent
environ 2.000.000 d'alevins. Ici, seuls 30% des oeufs recueillis
éclosent et se développent. Les alevins sont élevés
dans des étangs plats.
Au bout de 6 mois, les carpillons sont étudiés au
moment où on les transfert dans les étangs d'hiver,
plus profonds. 70% d'entre eux présentent des malformations
macroscopiques plus ou moins grossières : La plus frappante
est la couleur violette. Il s'agit d'une mutation récessive
connue en Allemagne, mais autrefois très rare. Elle affecte
une forte proportion des carpillons malformés. On note
également : écailles plus petites, déformations
ou absence des nageoires, réduction ou absence de l'opercule
avec branchies à nu, absence des yeux, déformations
ou même absence de la bouche, absence de pigment.
Une seconde étude a été pratiquée
sur des alevins de 2 - 3 jours, prélevés dans le
milieu contaminé et dans l'étang contrôle.
Les aberrations chromosomiques ont été recensées
dans les cellules oculaires. Elles ont doublé, voire triplé
chez les alevins contaminés.
Une étude réalisée en fin de stade blastula
du développement embryonnaire, a montré les mêmes
résultats.
Diverses maladies ont également augmenté chez les
carpes qui vivent dans des étangs contaminés : inflammation
de la vessie natatoire, avec perte de l'équilibre, protozooses
et helminthiases, infusoires de la peau, nécrose des branchies,
rougeurs de la peau dues à des bactéries et des
virus, pseudomonas. Il s'agit sans doute d'un trouble des mécanismes
de défense naturels.
En conclusion, le Dr. Sloukvine et le Professeur Gontcharova estiment
que ces hydrobiontes sont très sensibles à la radioactivité.
Les carpes se nourrissent en fouissant dans les 5 premiers cm
de vase du fond de l'étang. Étant donné que
ce poisson n'a pas d'estomac pour accélérer la digestion,
les aliments contaminés séjournent longtemps dans
l'intestin, qui est très volumineux et occupe toute la
cavité abdominale de la carpe.
Ces études dont tous les résultats n'ont pas encore
été analysés seraient très intéressantes
à poursuivre. Étant donné qu'il n'a obtenu
aucun financement, le Dr. Sloukvine a dû les abandonner,
n'ayant même plus de quoi payer l'essence de sa petite voiture
pour se rendre à ces étangs situés à
200 km de son Institut de Génétique Animale.
Hier, à la Conférence
de l'AIEA, dans la partie consacrée à l'Environnement,
des orateurs ont affirmé qu'il n'y avait aucune conséquence
des radiations sur l'eau. J'ai pris la parole et j'ai demandé
: "Connaissez-vous l'étude du Dr. Sloukvine sur le
développement des carpes dans des piscicultures d'État
en Biélorussie, où 70% des alevins n'éclosent
pas et où 70% des carpillons de 6 mois présentent
des malformations morphologiques majeures apparentes" ?
L'orateur m'a répondu
: "Il s'agit d'un problème très complexe. Lorsque
l'on étudie la radioactivité, il faut tenir compte
de l'humidité etc." Or je parlais de l'étang
d'une pisciculture industrielle ! C'était ridicule ! Le Président de séance, se rendant compte
de l'effet déplorable de cette réponse, a réagi:
"Je ne crois pas qu'il ait vraiment été répondu
à la question posée". Un académicien
est rapidement intervenu, signalant que des études étaient
en cours, que pour l'instant aucun résultat ne permettait
de conclure à une augmentation des malformations, que les
études devaient continuer. Bien entendu, ni le Dr. Sloukvine
ni le Professeur Gontcharova n'avaient été invités
à présenter leurs résultats à la conférence
de l'AIEA.
Le jour précédent, il avait été question
des conséquences sur la santé. L'orateur a déclaré
qu'il n'y avait aucune atteinte génétique. Ils nous
ont même dit : "Il est impossible de mettre en évidence
une modification des anomalies génétiques, étant
donné qu'il n'existe pas de registre antérieur".
Il s'agissait d'un mensonge caractérisé.
En effet, le
Professeur Lazjouk de Minsk gère un registre des malformations
depuis 1982, soit 4 ans avant la catastrophe de Tchernobyl (fig.
46). Il a noté une augmentation significative de quatre
malformations majeures chez les enfants : en particulier l'amélie,
la polydactylie, l'anencéphalie, des photographies que
vous pouvez voir devant vous (fig. 13 - 20). Le Professeur Lazjouk
n'a pas été autorisé à intervenir
à la Conférence de l'AIEA.
Pour terminer, j'aimerais vous lire un extrait du rapport de l'OCDE
de novembre 1995, qui a plusieurs fois été cité
au cours de la conférence de l'AIEA, en particulier, par
le Professeur Lee de l'Université de St. Andrews en Ecosse,
expert de l'UNESCO, pour confirmer le fait que les radiations
ne nuisent pas à la santé. Ce rapport a été
rédigé par une équipe dont le rapporteur
était M. Henri Métivier de l'Institut de Protection
et de Sécurité Nucléaire (IPSN) France*
Le rapport déclare en particulier : "Des examens médicaux
très exhaustifs ont abouti à la conclusion qu'aucune
anomalie sur le plan de la santé ne pouvait être
attribuée à l'exposition aux rayonnements".
Et plus loin : "En conclusion... l'accident de Tchernobyl
ne devrait pas être considéré comme l'accident
de référence".
La vidéo que nous venons de voir, les photographies d'enfants
malformés et l'étude des poissons ne sont que des
exemples qui montrent le cynisme de telles déclarations,
dont j'estime qu'elles sont véritablement criminelles.
Nous devons refuser que des soi-disant experts continuent à
nier l'évidence, simplement pour prolonger encore un peu
de temps la vie d'une industrie nucléaire absolument incompatible
avec un développement soutenable.
* "Tchernobyl dix ans déjà. Impact radiologique et sanitaire". OCDE Paris, novembre 1995. Ce rapport a été rédigé par M. Peter Waight (Canada) sous la direction d'un Comité de Rédaction présidé par M. Henri Métivier (France) et composé de : Dr. H. Métivier (IPSN, France), Dr. P. Jacob (GSF, Allemagne), Dr. G. Souskevitch (OMS, Genève), M. H. Brunner (NAZ, Suisse), M. C. Viktorsson (SKI, Suède) Dr. B. Bonnet (UNSCEAR, Vienne), Dr. R. Hance (FAO/AIEA, Vienne), M. S. Kumasawa (JAERI, Japon), Dr. S. Kusumi (Japon), Dr. A. Bouville (NCI, USA), Dr. J. Sinnaeve, (UE, Bruxelles), Dr. O.P. tari (OCDE/ARN, Paris), et Dr. E. Lazo (OCDE/AEN, Paris).
Solange Fernex,
Tchernobyl, conséquences sur l'environnement, la santé,
et les droits de la personnes,
Vienne, 12-15 avril 1996,
Tribunal Permanent des Peuples,
Commission Médicale International de Tchernobyl.