"Les murs se sont mis à trembler
et le béton à grincer. J'ai alors compris que quelque
chose de terrible était arrivé", raconte Boris
Stoliartchouk, un ancien ingénieur de la centrale de Tchernobyl
présent sur les lieux du drame le 26 avril 1986.
A 01h23 ce matin-là, deux explosions font voler en éclats
le coeur du quatrième réacteur. Dans la salle de
contrôle jouxtant le bâtiment dévasté,
les hommes chargés de piloter le réacteur sont immédiatement
aveuglés par un épais nuage de poussière
radioactive.
"Refroidissez! Ouvrez toutes les vannes d'eau, hurla l'adjoint
de l'ingénieur en chef", se souvient Stoliartchouk.
"Les voyants de contrôle clignotaient, s'affolaient.
Les commandes ne répondaient plus", poursuit-il. "En
me penchant par une fenêtre, j'ai vu l'ampleur des dégâts.
Le réacteur n'était plus qu'un trou béant".
Les rares dosimètres disponibles, permettant de mesurer
la radioactivité, étaient bloqués au maximum.
Pourtant, personne n'ordonna l'évacuation immédiate
des quelque 500 personnes travaillant à la centrale. Stoliartchouk
resta ainsi pendant près de trois heures en compagnie de
son chef d'équipe dans la salle de contrôle "grillée"
par les mortels rayons. "Techniquement, il n'y avait plus
rien à faire. Chaque minute dura une éternité",
lance-t-il dépité.
Les deux hommes furent pris de violents vomissements et ils eurent
de terribles maux de tête. Leur peau rougie les brûlait.
Stoliartchouk survécut. Son collègue, plus âgé,
succomba.
A l'extérieur, une étrange luminescence montait
toute droite des profondeurs du cratère incandescent, éclairant
la centrale plongée dans la nuit. Le toit du bâtiment
des turbines non loin de là était en feu, raconte
le sergent Léonid Shavrey.
A peine protégés, Shavrey et une trentaine d'autres pompiers
montèrent à l'assaut des flammes qui menaçaient
de ravager les trois autres réacteurs encore intacts. Six
de ces hommes périrent d'irradiations aiguës dans
les semaines qui suivirent.
Les
pompiers, Viktor Kibenok et sa
femme Tatiana, à droite Vasiliy Ignatenko et
sa femme Lyudmila (la photo a été prise environ
deux mois avant l'accident). Kibenok, 23 ans, et Ignatenko, 25
ans, se sont battus "en première ligne" - juste
sur le toit entre les 3e et 4e blocs et autour de la cheminée.
Après quelques heures de lutte contre les incendies, leur
sort était scellé. En plus des brûlures causées
par la combustion du bitume (couverture du toit), ils ont reçu
de fortes doses de radiations. Kibenok est décédé
le 11 mai 1986, Ignatenko 2 jours plus tard. Ils ont reçu
à titre posthume divers titres tels que Héros de
l'Union soviétique.
La veille du drame, les responsables de
la centrale avaient décidé d'effectuer un test dans
le quatrième réacteur - sans l'accord des autorités
soviétiques de l'époque - reconnaît aujourd'hui
l'ancien directeur de Tchernobyl Viktor Brioukhanov. [Ce test a pourtant été refait
une dizaine de fois depuis l'explosion de Tchernobyl]
Même si toute la lumière sur
l'accident n'est toujours pas faite, il semblerait que la négligence
du personnel combinée à des défauts de conception
des réacteurs soit à l'origine de l'explosion. [Les responsables du nucléaire en occident
accordaient pourtant
toute leur confiance au nucléaire soviétique jusqu'à cette catastrophe]
Le combustible brûla pendant dix
jours et les fumées radioactives contaminèrent les
trois-quarts de l'Europe.
Pourtant, l'accident n'aurait fait que 31 morts et 237 blessés
selon un bilan auquel plus personne ne croit [hormis
le lobby pro-nucléaire international].
Kiev a fait récemment état de 15 000 morts et de
millions d'invalides.
Les autorités soviétiques tentèrent de cacher
puis de minimiser la catastrophe, aggravant ainsi ses conséquences.
La ville de Tchernobyl, située à seulement 20 kilomètres
de l'épicentre ne fut évacuée que le 5 mai,
soit 10 jours après le drame.
Pire encore: On laissa 800 enfants participer à un "marathon"
dans les environs de la centrale le jour même de la tragédie,
selon des témoins. Un
million de personnes défilent dans la capitale ukrainienne
pour les festivités du 1er mai alors que la radioactivité
y atteint son pic. Une épidémie de cancers de la thyroïde
- due à l'iode radioactif craché par le réacteur
- frappe aujourd'hui des milliers d'enfants et d'adolescents en
Ukraine, au Bélarus et en Russie.
Lors d'un procès à huis clos en 1987,
Moscou accabla la direction de la centrale: six des responsables
de Tchernobyl furent condamnés à des peines allant
de 2 à 10 ans de prison (voir l'estimation provisoire de la catastrophe
de Tchernobyl). Les plus hauts dirigeants soviétiques ont
eux échappé à toute poursuite.
« Sur les 5 500 employés de
la centrale, 4 000 ont pris la fuite dès le premier jour...
»
Le 26 avril 1986 à 1h23 du matin, une
explosion retourne la dalle de béton du réacteur
numéro 4 de la centrale ukrainienne de Tchernobyl.
La gravité de l'accident, mais aussi et surtout l'incurie
des autorités soviétiques à tous les niveaux,
ont fait de Tchernobyl la plus grande catastrophe du nucléaire
civil, un désastre humanitaire et écologique qui
frappe les trois-quarts de l'Europe. [voir le reportage "Tchernobyl cette herbe
amère" de la NHK 1er partie
52 mn et 2e
partie 46 mn Viméo,
basse définition]
Dans un livre basé pour l'essentiel
sur des témoignages, "Tchernobyl après l'apocalypse",
Philippe Coumarianos, correspondant de l'AFP à Kiev depuis
quatre ans, raconte l'enfer de ceux dont la vie a basculé
ce jour-là.
Lorsque l'accident survient, en pleine
nuit, "aucune mesure n'est immédiatement prise pour
mettre le personnel à l'abri", raconte l'auteur. "En
fait, tout manquait: vêtements de protection, respirateurs
et dosimètres". Dans l'incertitude et la confusion,
le directeur de la centrale, Viktor Brioukhanov, qui écopera
de dix ans de camp de travail, n'a pas le courage de donner l'ordre
qui s'imposait: évacuer le personnel et arrêter les
trois réacteurs encore en fonctionnement.
Toujours à partir de témoignages de survivants,
Coumarianos raconte la lutte dérisoire des pompiers qui
plongent dans la fournaise sans la moindre protection: pantalon
et veste de grosse toile, gants, bottes et casques en plastique.
Aucune équipement anti-radiations, aucun dosimètre.
"Nous ignorions à peu près tout des radiations
et comment s'en protéger", témoigne un pompier.
A tous les niveaux, c'est l'improvisation et le mensonge. "Tout
le monde était pris de court. Personne ne savait comment
refroidir le magma nucléaire et stopper les émissions
d'isotopes. On improvisa", explique l'auteur, qui raconte
comment les autorités ont tenté de cacher puis de
minimiser la castrophe, aggravant ainsi les conséqnences.
Le chef de l'Etat, Mikhaïl Gorbatchev, n'interviendra à
la télévision que dix-neuf jours après le
drame [voir texte de son intervention,
d'après les Izvestia n°135 du 15/5/1986].
Philippe Coumarianos décrit également l'exode de
ceux qui ont évacué Pripiat, cité modèle
de l'URSS, une ville de 45 000 habitants désertée
en quelques heures. "C'était le chaos. Il fallait
loger chez l'habitant des milliers de personnes, dont beaucoup
souffraient de diarrhées et de nausées", raconte
un témoin, qui se retrouve finalement dans une zone aussi
fortement contanminée.
Tchernobyl, c'est aussi le combat et l'esprit de sacrifice des
"liquidateurs", ces 650 000 hommes qui pendant près
de deux ans participent aux opérations d'évacuation
et de décontamination. [Voir
le documentaire "très soviétique" Le tocsin
de Tchernobyl]
Mais Tchernobyl, ce sont également
les revenants, ceux qu'on appelle les "samasiolis" (colons): âgés
pour la plupart, ils n'ont pas supporté la vie précaire
dans les banlieues de Kiev ou d'ailleurs et sont revenus sur leur
coin de terre, même dans la zone contaminée de 30
kilomètres autour de la centrale qui reste théoriquement
interdite.
Extrait de "Tchernobyl, après
l'apocalypse"
de Philippe Coumarianos.