Depuis un bon moment nous narrivions plus à obtenir de renseignements de la part dEDF. Un exemple, nos demandes réitérées dinformations sur les statistiques concernant létat du parc thermique classique (charbon, fioul, gaz) - les unités en exploitation, les mises sous cocon, les mises à larrêt définitif - sont restées sans effet. Or ces données sont importantes puisque ce parc dune puissance de 17,7 GW en 1997 et sous-utilisé dans la production électrique actuelle au profit du nucléaire, figurait dans certains programmes EDF comme devant être réduit ultérieurement à 10 GW et partiellement démantelé, démantèlement qui a effectivement commencé durant lannée 1998. Donc pas de réponse pendant des mois jusquau jour où la raison de ce silence nous a été fournie oralement en septembre dernier par un responsable hiérarchique au bout du fil " Etant donné louverture du marché de lélectricité ces renseignements sapparentent à des secrets industriels ". Donc, inutile dinsister et cest la raison pour laquelle dun bout à lautre de la transparente entreprise EDF cest motus et bouche cousue, ce que nous avons pu vérifier à dautres occasions.
Cest dans ce contexte que nous avons appris que les agents EDF de centrales nucléaires avaient reçu injonction des directeurs de centre de respecter la clause de confidentialité inhérente à leur contrat de travail. En exemple la lettre ci-jointe remise en novembre dernier, en même temps que leur fiche de paie, aux agents EDF de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. Dès le début de la lettre il est fait état de louverture en France des marchés de lélectricité et du gaz et sa conséquence " ( ) vous êtes tenu(e) à une obligation de confidentialité, inhérente à votre contrat de travail ". " ( ) sans remettre en cause notre politique de transparence, vous devez conserver la confidentialité la plus absolue vis-à-vis de lexterne ( ) ". Plus loin, " Toute violation de cette obligation de confidentialité constitue une faute passible des sanctions disciplinaires ( ) ".
La transparence version EDF conduit de fait à un verrouillage complet de linformation. Est-ce cela le nouveau contrôle du nucléaire " prôné par lAutorité de sûreté ?
Pour linstant nous ne savons pas si les agents de toutes les centrales ont reçu cette notification par écrit ou si la " réactivation " de la clause de confidentialité ne concerne que quelques sites.
La conséquence immédiate dun tel rappel est dintimider les travailleurs dEDFafin de museler ceux pouvant éventuellement être considérés comme trop bavards à lextérieur de lentreprise. Y a-t-il donc des choses à cacher dans certaines centrales nucléaires ?
Prenons le cas de Saint-Laurent-des-Eaux. Cette centrale a une histoire quil nest pas mauvais de rappeler.
Sur le site qui comporte actuellement 2 réacteurs PWR de 900 MW (B1 et B2) ont fonctionné 2 réacteurs UNGG (uranium naturel, graphite-gaz), luranium naturel comme combustible, le graphite comme modérateur et le gaz carbonique sous pression comme fluide caloporteur. Les réacteurs A1 et A2 respectivement de 480 et 515 MW, ont été couplés au réseau en mars 1969 et août 1971, sortis du réseau en avril 1990 et mai 1992. Il y a eu deux accidents de fusion. Le premier en 1969 a entraîné la fusion de 5 éléments combustibles de la tranche A1. Laccident de mars 1980 a conduit à la fusion de 2 éléments combustibles de la tranche A2. Cest lévénement le plus grave répertorié pour les réacteurs français. Bien quayant été traité dincident à lépoque, il est considéré sur léchelle [médiatique] INES comme un accident. Il est de niveau 4, accident sans risque important à lextérieur de linstallation. Les réacteurs sont interdits de rejets démetteurs alpha dans lenvironnement, donc de plutonium. Or il y a eu des rejets de plutonium dans la Loire mais nous ne lapprendrons que 8 ans plus tard, lors du colloque " Nucléaire-Santé-Sécurité " organisé à Montauban en 1988 par le Conseil Général de Tarn et Garonne ! [1] Daprès les mesures effectuées dans les sédiments de la Loire et les matières en suspension, Jean-Marie Martin (Directeur de lInstitut de Biogéochimie Marine, Ecole Normale Supérieure, Paris) estime que lactivité du plutonium rejeté, en Pu239 et Pu240, se situe entre 535 et 740 millions de becquerels suite à cet accident de mars 1980. Personne na effectué à lépoque de mesures indépendantes de rejets atmosphériques hors de la centrale. On voit ainsi ce qui est considéré par les autorités comme un accident " sans risque important à lextérieur de linstallation "
Les 2 réacteurs sont en phase de démantèlement (" déconstruction " dans la novlangue nucléaire).
Les éléments combustibles ne sont plus sur le site, ils ont été envoyés à Marcoule (et peut être aussi à La Hague ?) Sur le site restent les " chemises " de graphite très radioactif qui entouraient le combustible. Elles sont stockées dans des silos ayant le statut dinstallation nucléaire de base (INB) qui sont des sites de stockage provisoire. Il reste aussi les empilements de briques de graphite des deux piles, graphite lui aussi très radioactif. Pour linstant on ne sait pas où stocker définitivement tout ce graphite radioactif.
Lévacuation des déchets dexploitation et le démantèlement des parties non nucléaires est en voie dachèvement. Le démantèlement de parties nucléaires (hors réacteurs) est en cours.
Au vu de linjonction du directeur de la centrale de St-Laurent-des-Eaux on est en droit de penser quil y a des choses qui doivent rester secrètes sur ce site pour ne pas perturber la population pendant les opérations de démantèlement. Ces opérations sont délicates car il faut en permanence veiller à la radioprotection du personnel tant EDF quintérimaire. Il faut que les effluents liquides soient soigneusement traités, que les déchets obtenus soient manutentionnés avec précaution, quaprès mesure correcte de leur activité ils soient conditionnés dans des containers qui doivent rester étanches et il faut que ces " colis " (mot de la novlangue nucléaire) soient inventoriés correctement avant leur départ pour le centre de stockage de Soulaines (Aube) qui est censé ne recevoir que des déchets de faible activité à vie courte, la vie courte impliquant un minimum de 300 ans.
Etant donné limportance des problèmes de sécurité et de radioprotection, non seulement pour les agents EDF mais aussi pour la population sans oublier le site de stockage où sont envoyés les déchets et où ils doivent séjourner dans de " bonnes " conditions vis-à-vis de lenvironnement, le silence des agents EDF exigé par la direction du CNPE de St-Laurent-Des-Eaux devrait conduire lautorité de sûreté à se poser des questions sur la façon dont sont menées ces opérations de démantèlement sur le site : le silence exigé peut cacher des anomalies dangereuses pour la sûreté.
Il est très inquiétant de voir se multiplier les " mises au placard " de personnes qui considèrent de leur devoir dalerter leurs supérieurs hiérarchiques sur des dysfonctionnements quelles constatent et éventuellement lopinion faute de résultats concrets dans lentreprise alors que le nucléaire exige une sûreté sans défauts. Ce nest pas un hasard si sest créée récemment lassociation ADHOC (agir et défendre les hommes qui osent contester) [2] et cela est révélateur dune situation particulièrement inquiétante.
La généralisation à lensemble du personnel EDF de cette clause de confidentialité signifie limpossibilité de savoir ce qui se passe réellement sur un site nucléaire. Dès lors, en rendant caduc tout contrôle efficace par défaut de visibilité, toutes les dérives sont possibles. Laccepter, cela signifie entériner lacte de décès de lautorité de sûreté.
Bella Belbéoch, 25 février 2000.
[1] Jean-Marie MARTIN, Alain J. THOMAS, Contamination radioactive de lenvironnement par lindustrie nucléaire, Actes du Colloque nucléaire-santé-sécurité, Conseil Général de Tarn et Garonne, Montauban, 21-22-23 janvier 1988, p. 347-381.
[2] ADHOC, 21 rue Vaudin, 95450 La Villeneuve Saint Martin.