Sur une terre contaminée tout ce qui
pousse est contaminé, plus ou moins. Le lait des enfants
est contaminé. Les habitants subissent une irradiation
interne chronique par contamination permanente via l'alimentation.
Au Bélarus, dans les territoires toujours contaminés
par les rejets de Tchernobyl, la situation sanitaire est dramatique.
Entre autres pathologies affectant les enfants Youri Bandajevsky
et Galina Bandajevskaya ont montré que les problèmes
cardiologiques observés chez les enfants étaient
corrélés avec l'intensité de leur contamination
interne en césium 137.
Cela pose un énorme problème pour les normes de
radioprotection. En effet ces normes, adoptées au niveau
international, sont fondées sur des modèles mathématiques
qui ne tiennent compte que des effets énergétiques
du rayonnement. Que le rayonnement vienne de l'extérieur
(un flash comme à Hiroshima) ou d'une contamination interne
par un radioélément, aucune différence disent
les experts.
Ce que l'on a décompté après 1950 sur une
cohorte de survivants d'Hiroshima et Nagasaki ce sont les morts
en excès au cours du temps par cancers et leucémies
en fonction de la dose externe reçue (nombre de "biais"
dans ces études épidémiologiques ont été
relevés par des scientifiques non officiels). Des décennies
plus tard l'excès d'incidence des cancers a été
montré. Il a aussi été trouvé que
des maladies autres que les cancers ont été radioinduites.
Pour des irradiations internes chroniques les modèles
mathématiques ne sont validés par aucune observation
expérimentale. Les pathologies constatées chez les
enfants au Bélarus ne confirment pas les modèles
qui conduisent à des doses calculées très
faibles, trop faibles pour avoir un effet sur la santé
disent les experts. Prendre en compte ces pathologies reviendrait
à réviser les normes de radioprotection d'une façon
spectaculaire, en particulier celles concernant les "urgences
radiologiques" (terme qui désigne les désastres
nucléaires) notamment celles à appliquer après
l'" urgence " et longtemps après, situation qui
est vécue actuellement au Bélarus. Une telle réduction
des limites de doses est inadmissible pour les experts alors qu'ils
préconisent des doses sur la vie de plus en plus élevées.
Pour nier les observations faites par les médecins locaux
les officiels s'appuient sur le fait qu'il n'y a pas actuellement
de théorie scientifique pour les expliquer. En somme, pour
nos experts, un événement observable et observé
n'existe que s'il est intégré à une théorie
scientifique. On est à cent lieues de la "médecine
expérimentale" de Claude Bernard ! Faudrait-il attendre
que les physiciens aient enfin expliqué théoriquement
la gravitation pour admettre que les pommes tombent ?
En bref, ce qui se passe au Bélarus dans les territoires
contaminés n'est pas un événement d'une importance
secondaire. Si ce qui est observé dans ces territoires
est accepté c'est toute la radioprotection internationale
sur la contamination interne qui est à mettre à
la poubelle. (Cela concerne évidemment aussi les travailleurs
sous rayonnement, les habitants soumis aux rejets " normaux
" des installations nucléaires etc.). L'enjeu est
considérable.
A ce stade intervient le
programme CORE, Coopération pour la Réhabilitation
(des conditions de vie dans les territoires contaminés)
financé par l'Europe, dont les géniteurs principaux
sont Lochard, (l'expert CEPN du coût monétaire de
l'homme-sievert) et Hériard-Dubreuil (de Mutadis) avec
comme participants une liste d'organismes officiels mâtinée
d'ONG et d'associations naïves qui ont trouvé quelque
intérêt à se mettre en "concubinage"
avec des individus et organismes pleins d'argent et de pouvoir.
(Voir la Lettre d'information numéros 101/102, février-mai
2004 et 103 juin-juillet 2004).
Le RE de CORE est mis pour " réhabilitation
". C'est le programme qui veut en terminer avec Tchernobyl
au Bélarus.
Que signifie ce mot " réhabilitation " ? Le
Petit Robert peut nous aider à comprendre ce qui se
cache derrière ce programme européen qui se dit
" humanitaire ". Dans Le Petit Robert
on trouve à " réhabilitation " :
(1) - " réhabilitation d'un quartier d'immeubles vétustes, leur remise en état d'habitation (réfection, rénovation, restauration) ". Si c'est ce sens là qu'il faut attribuer à la " réhabilitation " de CORE, cela signifie que le territoire contaminé nécessite une " rénovation " pour être habitable. Cette rénovation consisterait à supprimer la contamination de la terre par le césium 137 et retrouver une nourriture " propre ". Après Tchernobyl il était admis officiellement que la contamination diminuerait rapidement par migration verticale, le césium 137 s'enfonçant régulièrement en profondeur dans la terre. L'expérience a montré qu'il n'en était pas ainsi, le césium 137 revient en surface par les labours, par les plantes qui l'absorbent et le restituent en surface. La contamination surfacique des sols a diminué après 1986 mais depuis le début des années 90 on constate qu'elle diminue selon la période physique du césium 137 qui est de 30 ans. Cela veut dire qu'elle diminue d'un facteur 2 au bout de 30 ans (d'un facteur 10 en 100 ans, 100 en 200 ans, 1000 en 300 ans). A moins d'enlever la terre sur une cinquantaine de centimètres (la couche arable) et de la remplacer par de la terre non contaminée il n'y a aucun moyen de réhabiliter ces territoires, de les restaurer pour les rendre habitables avec une nourriture produite d'une qualité d'avant Tchernobyl.
Il est évident que les participants de CORE n'ont pas cette conception de la "réhabilitation" qui impliquerait que les dégâts sanitaires observés par les médecins locaux soient réels et liés à la consommation de nourriture contaminée. Or il n'est pas question pour les promoteurs de CORE d'admettre ces effets sanitaires. C'est donc une autre définition de la " réhabilitation " que les " CORISTES " ont en tête.
(2) - D'après le Petit Robert il y a une autre interprétation du mot "réhabilitation" : " restituer ou regagner l'estime, la considération perdue. Cessation des effets d'une condamnation à la suite des révisions d'un procès ". Il paraît assez vraisemblable que c'est de cette interprétation qu'il s'agit. Pour les missionnaires de CORE, ce que les médecins observent chez les enfants biélorusses des zones contaminées (par exemple les problèmes cardiaques variés plus ou moins graves selon le niveau de contamination interne mesuré grâce à l'équipement mobile de l'institut BELRAD) ne provient pas de la contamination de la nourriture due à celle du sol mais d'un stress développé dans la population. Il s'agit pour CORE d'innocenter la contamination des sols, de " réhabiliter " la terre en dénonçant le faux procès qu'on lui fait.
Il s'agit pour les missionnaires de CORE de
rendre à la terre biélorusse contaminée "
l'estime publique " en reconnaissant son innocence.
Pour CORE les coupables des problèmes sanitaires ce sont
les habitants eux-mêmes. Il s'agit dès lors de les
culpabiliser pour innocenter les sols contaminés. Peut-être
les promoteurs de CORE iront-ils jusqu'à lancer l'idée
de " Psychanalistes sans frontières " et une
souscription européenne pour que les villages aient des
divans et des psys.
La situation au Bélarus dans les zones contaminées
est assez claire. Toutes les personnes importantes de quelque
notoriété, (intellectuels, fonctionnaires, entrepreneurs
etc.) ont fui vers des zones " propres ", non contaminées
ou moins contaminées. Y compris, juste après Tchernobyl,
les médecins. Cela a été rapporté
publiquement en février 1989 dans le journal Biélorussie
soviétique par le médecin-chef de Biélorussie
(Gazette Nucléaire 96/97 Tchernobyl trois ans après). Il était quasiment inconcevable que le jeune
Youri Bandajevsky ait créé de toutes pièces
en 1990 un institut de médecine à Gomel, au milieu
d'une des zones les plus contaminées de Biélorussie.
Les zones contaminées sont des régions sans activités
(industrielles). Que faire en dehors de l'action nocive de CORE
? Vassili Nestérenko le directeur de BELRAD essaie de limiter
les dégâts en donnant de la pectine aux enfants qui
élimine le césium 137. Il est évident qu'il
faut l'aider dans cette tâche.
Mais que penser du long terme, 100 ans voire plus ? La seule solution
rationnelle à la contamination est d'évacuer les
habitants des zones contaminées et de les installer dans
de bonnes conditions sur des terres non contaminées. Financièrement
ce n'est peut-être pas une solution absurde compte tenu
de tous les financements européens depuis quelques années,
tout cet argent dont le seul but est d'escamoter les problèmes
sanitaires réels actuels (et à venir).
Mais l'implication idéologique d'une telle solution pour
les pays -dont la France- sous la menace d'une catastrophe sur
leur propre sol est inacceptable. Tout est mis en place depuis
quelques années et plus rapidement ces derniers mois pour
intégrer le désastre nucléaire dans une stratégie
permettant une situation sociale gérable en cas de catastrophe.
Que font les écolos ? Rien, ils s'investissent dans la
constitution européenne, (mais pas un mot sur le traité
Euratom).
Dans les discours politiques qu'on nous déverse depuis
des mois sur la situation en France ou en Europe, il est ahurissant
de constater que les problèmes qui risquent de se poser
à court terme avec le terrorisme sur les installations
" sensibles ", la chimie, le nucléaire etc. n'ont
aucune place. C'est finalement cette absence dans les débats
politiques des écolos/socialistes et autres, cette absence
de prise de position vis-à-vis de ces menaces, qui permet
aux promoteurs de CORE de mobiliser l'argent pour innocenter l'accident
majeur de Tchernobyl.
Roger Belbéoch, octobre 2004