Dans Vert Contact, publication des Verts tirée à 30000 exemplaires, on trouve un article sur les déchets signé d'un Docteur en physique nucléaire, dont le titre est étrange : " Ni ici, ni ailleurs ". Ce "ni, ni" a un relent électoral déjà vu dont on a pu apprécier les conséquences. Si c'est " ni ici, ni ailleurs ", alors où est-ce ? Nulle part, logiquement. Mais on nous prévient que ce " ni ici, ni ailleurs " c'est bien sûr quelque part. Après avoir asséné une évidence : l'enfouissement des déchets nucléaires est incompatible avec la réversibilité, on nous annonce " aujourd'hui, en toute lucidité la seule solution acceptable [pour les déchets] est le stockage en surface, sur leur lieu de production ". Ainsi le " ni ici, ni ailleurs ", c'est sur les sites nucléaires. A-t-on consulté les populations autour des sites pour savoir si cette solution "lucide" leur est acceptable ? Il ne faut quand même pas pousser le bouchon démocratique trop loin sinon ça coince !
En somme l'organe des Verts dit aux populations vivant au voisinage des centrales nucléaires : vous avez accepté les réacteurs nucléaires, vous devez accepter chez vous les déchets nucléaires produits par l'énergie électrique que nous consommons. Les déchets, ce n'est pas notre problème mais le vôtre. A aucun moment dans ce texte sur les déchets n'est exigé un arrêt rapide, inconditionnel du nucléaire en utilisant les installations non nucléaires existantes pour produire et remplacer l'électricité nucléaire.
Oublions pour un instant que ce " ni ici, ni ailleurs " signifie en fait, pour l'auteur de l'article, un quelque part bien déterminé. Supposons que ce ni ici, ni ailleurs, c'est vraiment nulle part. Mais que penser alors de quelque chose qui ne peut être mis nulle part ? Cette chose ne peut pas avoir d'existence, ou si elle existe on peut la faire disparaître, l'anéantir, il ne serait pas difficile alors de la "mettre nulle part". Si cette chose à anéantir afin de n'avoir à la mettre nulle part ce sont les déchets nucléaires, alors on retrouve l'espoir de la transmutation, ce vieux mythe du Moyen-Age redevenu moderne par les désirs des écologistes.
Le CEA n'a pas attendu la revendication des écolos pour se pencher sur ce problème. Imaginez un peu le CEA déclarant que les déchets peuvent facilement être transmutés en éléments anodins dans des réacteurs nucléaires. C'était enfin un nucléaire sans déchets à condition de ne pas arrêter le nucléaire, incinérateur de ses déchets. La perspective était prodigieuse et des études ont été lancées à Cadarache dans les années 70. Le résultat était décevant. Les radioéléments du type produits de fission ou d'activation, impossible de les transmuter en éléments à vie courte. Dans leur séjour en pile ils ont fait leur plein de neutrons et de les y remettre après retraitement ne change rien. En clair, pour les produits de fission et d'activation on ne peut rien faire. (C'est le cas du césium 137 dont l'activité est divisée par un facteur 1 000 au bout de trois siècles...). Seuls les actinides issus de l'activation par les neutrons des uranium et des plutonium pourraient éventuellement être traités, ce sont de redoutables radiotoxiques à vie très longue. Donc oublions les déchets qui ne sont inquiétants que pour quelques siècles et intéressons-nous à ces déchets dangereux pendant des centaines de millénaires. Un premier problème apparaît : lorsque ces actinides transmutent en absorbant un neutron, on ne trouve pas dans leur descendance des éléments à vie courte dont on pourrait être débarrassé assez rapidement. Le seul espoir pour ces transmutants c'est de donner des produits fissiles qui en fissionnant donneraient des déchets du type que nous avons négligé car ils n'impliqueraient que quelques siècles de surveillance. Le progrès est évidemment certain puisqu'on passe d'un danger sur des centaines de millénaires à un danger sur quelques siècles.
Ce processus de transmutation établi théoriquement, est-il susceptible d'une application industrielle ? Les études faites au CEA avec toute la motivation que l'on sait, dès les années 70 sont formelles : c'est non. Bien sûr à cette époque les données nécessaires pour conclure d'une façon précise n'étaient pas disponibles. Mais si le rendement de transmutation de ces actinides est très faible, ce qui est le cas, on ne voit guère ce qu'une meilleure précision changerait. Les problèmes soulevés étaient d'ailleurs de taille : le rendement de transmutation étant faible, pour que la transmutation ait un effet il faudrait accumuler dans le réacteur une grande quantité de ces actinides. En somme, la transmutation aurait pu justifier un gigantesque parc de réacteurs nucléaires à neutrons rapides (Superphénix). Cela aurait posé d'énormes problèmes pour le fonctionnement (déjà passablement problématique) de ces réacteurs, de gros problèmes (non résolus) pour le retraitement des curs de combustibles usés, etc. La transmutation a été assez rapidement abandonnée comme sujet de recherche au CEA conscient de l'impasse technologique. Mais lorsque la question du stockage des déchets s'est posée d'une façon aiguë dans certaines régions, des responsables Verts se sont propulsés auprès du ministre de l'Industrie et de la Recherche pour exiger que des crédits soient alloués pour les études de transmutation.
Ces études abandonnées depuis longtemps par le CEA ont donc repris sans bien sûr que les experts en espèrent quelque succès. Cela fait partie de ces études technologiques de plus en plus fréquentes à but purement subjectif destinées à calmer les angoisses populaires par l'entremise des médias. Qu'elles aient été initiées par des écolos, farouches partisans d'un changement radical de société, est assez étonnant.
Remarquons l'irrationalité de cette revendication de transmutation : on demandait en même temps l'arrêt du retraitement (fermeture de la Hague), l'arrêt de Superphénix et la transmutation, alors que celle-ci impliquait si elle était possible le développement d'un retraitement sélectif poussé, donc une extension de La Hague et un parc de Superphénix...
L'enfouissement des déchets nucléaires est bien sûr irréversible mais les déchets nucléaires peuvent-ils être réversibles ? N'est-il pas illusoire de penser que l'énergie nucléaire pourrait être "raisonnable", sans catastrophe, sans déchets ? Donnez de l'argent à des scientifiques honnêtes et nous aurons un nucléaire raisonnable. On est en plein fantasme. Peut-on imaginer un physicien qui croit avoir découvert la façon de transmuter les déchets et par là de les anéantir et qui n'essaierait pas d'obtenir des crédits pour ses recherches ? Aucune tentative de ce genre n'a pas été observée dans la communauté scientifique.
Que l'alchimie transmutationnelle ait été remise à la mode par des "responsables" écologistes, cela est assez curieux. Que des scientifiques écologistes apportent leur garantie à ce fantasme est assez mystérieux. A moins que derrière ce fantasme d'anéantissement des déchets nucléaires il y ait en réalité la nécessité de montrer que le nucléaire est maîtrisable (progrès oblige) et que la sortie rapide de cette impasse nucléaire n'est pas très nécessaire. En somme, pour ces écologistes, l'accident majeur ils l'acceptent pourvu qu'on étudie la transmutation.
Beaucoup de problèmes concernent les déchets nucléaires. Que faire des déchets très faiblement radioactifs ? Les Directives européennes et notre législation sont claires, on les balance dans le public, les gravats pour les autoroutes et les bâtiments, les aciers pour les casseroles, les radiateurs, les voitures, le reste n'importe où. Cela n'est pas acceptable et les autorités de sûreté (DSIN) le disent ouvertement. Pour elles il n'est pas raisonnable de laisser sans contrôle la dispersion de la radioactivité dans la population. Oui mais les volumes qui vont résulter dans quelques années du démantèlement de nos réacteurs sont énormes et il est impensable de les stocker tels quels. Alors on pense à des usines pour trier ces déchets : les huiles, les aciers, les gravats, etc. Une fois triés on pourrait conditionner ces déchets, réduire leur volume pour leur faire quitter le domaine des très faibles activités et les faire entrer dans les déchets moins volumineux des faibles activités. Qui va accepter les conséquences de ce genre de procédure si une usine de traitement des déchets de très faible activité est envisagée dans la région ?
Le plus simple évidemment serait de
balancer toute cette radioactivité dans le domaine public.
Personne n'y verrait de danger, les morts par cancers radioinduits
se mélangeraient sans faire de vagues aux cancers naturels
et les statisticiens au service du pouvoir ne feraient guère
d'efforts pour y déceler une anomalie. Que faut-il conclure
? Le nucléaire a mis la société dans une
impasse. Tout ce que l'on peut faire c'est de limiter les dégâts
(et d'arrêter le nucléaire arrêterait de produire
de nouveaux déchets) sans pour autant être capables
de les éviter totalement. Certaines décisions ont
été prises par des technocrates, approuvées
par le pouvoir politique qui prétendait les contrôler.
Les corps intermédiaires (syndicats, corps médical,
médias) ne sont pas intervenus et nous voilà dans
une impasse où il n'est pas possible de supprimer les effets
néfastes de l'industrie nucléaire. Il y a certainement
là une nécessité de questionner la façon
dont notre démocratie, modèle universel, a fonctionné.
Cela exige évidemment la remise en cause de bien des principes.
Les écologistes et les antinucléaires sont-ils capables
d'une telle remise en cause des fondements de notre civilisation
? Le "ni ici, ni ailleurs" de la publication des Verts
a pour résultat d'escamoter le problème.
Lettre d'information du Comité
Stop
Nogent-sur-Seine n° 79,
janvier-mars 1998.