21 avril 1964, le satellite américain Transit 5 BN-3 utilisant un générateur thermoélectrique à isotopes radioactifs (RTG) qui convertissait en électricité la chaleur fournie par la désintégration du plutonium 238 quitta son orbite. Sa source d'énergie se désintégra dans l'atmosphère (ce que les premiers RTG étaient supposés faire), à une altitude d'environ 50 kilomètres au dessus de l'océan Indien, au nord de Madagascar. L'éparpillement des 17 000 curies de plutonium 238 du générateur SNAP-9A tripla l'abondance de cet isotope sur Terre et accrut d'environ 4 % la quantité totale en isotopes du plutonium, provenant principalement des essais atmosphériques... Notons que les générateurs actuels contiennent encore plus de matières radioactives.
[...] Ce n'est pas un hasard si le cérium144 et le strontium 90 ont été les premiers choisis par les Américains pour constituer les radio-générateurs des applications terrestres ou spatiales appelées SNAP [Systems Nuclear Auxiliary Powers, voir le film du Department of Energy de 1964 sur Youtube]. Etudié dès 1961, en vue du projet Dyna Soar (qui aurait consisté à demander à une fusée Titan III de satelliser un avion X 20) le SNAP-1, qui resta à l'état de prototype terrestre, comportait 450 grammes de cérium 144. Il se présentait comme un cylindre haut de 85 cm pour un diamètre de 60 cm : la chaleur était convertie en 125 W électriques (sous 28 volts) grâce à des thermocouples à base de tellurure de plomb. Le strontium 90, de son côté, fut largement utilisé d'une part sur un SNAP-3 qui alimenta la station météo d'Axel Heiberg à partir du 17 août 1961, d'autre part sur les SNAP-7 qui fournirent l'énergie à un certain nombre de stations météo flottantes, phares, bouées et balises.
Extrait de Sciences et Avenir n°186,
août 1962, (le SNAP-7 renfermait plus d'un kilo de strontium
90).
Radio-isotopes et générateurs
atomiques : les deux branches de la famille SNAP
Dès cette époque toutefois, les Américains
avaient commencé à jeter leur dévolu, pour
ce type de générateur, sur un élément
lourd radioactif alpha, le plutonium 238 : d'une période
de 90 ans, il allait constituer l'âme de tous les SNAP montés
sur des engins spatiaux.
Dès 1961, des SNAP sont mis en orbite. Cette année
là, l'alimentation de Transit 4-A et Transit 4-B, lancés
les 29 juin et 15 novembre, est assurée par des SNAP dits
U-A contenant 0,95 gramme de plutonium 238 fournissant une puissance
électrique de 2,7 W.
Cependant, les puissances croissent pour atteindre 25 W sur le
SNAP-9 qui équipe les Transit-5, ces derniers n'ayant pas
tous un sort heureux : l'un d'eux retombe, saupoudrant de
plutonium 238 l'atmosphère au dessus de Madagascar. Avec
les SNAP-19 contenant 1,2
kg de plutonium, 30 W sous 4,4 volts sont
obtenus. Ces générateurs équipent les satellites
météorologiques Nimbus ainsi que les Pioneer-10
et 11; d'une masse de 8,6 kg, ce SNAP-19 se présente comme
un cylindre de 27 cm de diamètre et de 55 cm de hauteur.
La masse du plutonium passe
à 2,6 kg avec le SNAP-27 des stations lunaires ALSEP (64 W électriques). Et ce sont deux SNAP-19
améliorés (la puissance atteignant 35 W) qui
équipèrent chaque Viking martien, lui fournissant
70 W électriques nucléaires. Avec la source
d'énergie - constituée par un bloc de trois générateurs
dits RTG (Radio isotope Thermoelectric Generators) - qui alimente
les Voyager grâce
à l4 kg de plutonium 238, on
arrive à des puissances importantes : 423 W lors
du lancement et quelque 380 W encore aujourd'hui sur Voyager
2 qui pourra ainsi en 1986 nous transmettre, depuis quelque trois
milliards de kilomètres, des photographies d'Uranus. [1/1 000 000 ème de gr de plutonium
inhalé suffit à provoquer un cancer]
C'est
avec les missions Apollo que les générateurs isotopiques
connurent leur plus grande application spatiale. Ainsi des stations
lunaires ALSEP, dotées de SNAP-27 capables de fournir 64
W électriques, permirent-elles l'accomplissement des expériences
lunaires, comme ici au cours de la mission Apolo 12.
Pour mémoire, rappelons qu'un SNAP-29 renfermant 120 grammes
de polonium 210
- un radioélément ayant une période de 140
jours et donc très indiqué pour fournir une puissance
électrique pendant un temps limité - avait été
créé en laboratoire pour fournir 500 W. Ce
générateur - dont le montage sur le Skylab fut un
moment envisagé - comportait de nombreux organes :
une pompe électromagnétique refoulait, en effet,
le métal liquide (sodium potassium) utilisé comme
réfrigérant dans un circuit qui traversait en boucle
fermée le générateur et le radiateur :
le système de conversion électrique comprenait huit
modules avec 90 thermocouples chacun. Et des volets de contrôle
thermique étaient commandés hydrauliquement par
l'intermédiaire d'une sonde de température. [Pour information, la dose létale
du polonium 210 par ingestion serait de l'ordre du millionième
de gramme.]
Ce projet n'eut pas de suite pour des raisons faciles à
comprendre : à ce niveau de puissance, il faut créer
des dispositifs ayant pratiquement la complexité d'un réacteur
à uranium. Or ce dernier est évidemment beaucoup
plus intéressant compte tenu aussi bien de la souplesse
qu'il apporte que de sa puissance massique incomparablement plus
élevée.
Jusqu'ici, nous n'avons fait état que de SNAP portant des
chiffres impairs et fonctionnant avec des radio-isotopes. Or il
existe une autre branche de la famille SNAP : les SNAP pairs
qui, eux, sont dotés de réacteurs nucléaires
compacts.
Le premier, le SNAP-2, dont 100 kg d'uranium enrichi et d'hydrure
de zirconium constituaient la matière active, apparut en
1960. Déjà, la pile atomique compacte était
entourée d'une enveloppe de beryllium mobile, car celui-ci
est un réflecteur de neutrons très efficace (tous
les réacteurs spatiaux américains et soviétiques
adopteront cette formule.). Ainsi peut on choisir pour la substance
active une masse et une géométrie telles que la
réaction en chaîne soit convergente en l'absence
de réflecteur : elle s'arrêtera donc d'elle
même (et a fortiori elle s'arrêtera si pour
une cause quelconque ce réflecteur vient à être
détruit).
Extrait de Sciences et Avenir n°186,
août 1962.
Au contraire, si le réflecteur est en place, la réaction
est divergente. Ainsi commande-t-on le régime beaucoup
plus simplement qu'avec des barres d'insertion.
Ce SNAP-2 possédait un fluide intermédiaire représenté
par du sodium et du potassium liquides (NaK). La chaleur était
toutefois convertie en électricité par un intermédiaire
mécanique : une turbine à générateur
de mercure. Deux kilowatts furent ainsi obtenus. Puis la puissance
atteignit 30 kW avec le SNAP-8 construit en 1962 par l'Aerojet
General qui, comme le SNAP-2, ne fonctionne qu'au sol.
Extrait
de Sciences et Avenir n°186, août 1962.
C'est le 3 avril 1965 - soit neuf ans avant
les Soviétiques - que les Américains mirent en orbite
un premier réacteur nucléaire : le SNAP-10.
Comme sur les précédents modèles, la substance
active était constituée d'uranium enrichi et d'hydrure
de zirconium, et le régime contrôlé automatiquement
grâce à un détecteur de neutrons qui commandait
le système d'asservissement du réflecteur. Le système
de conversion était constitué par un ensemble de
72 thermocouples répartis autour d'un coeur tronconique.
Le coeur du réacteur avait une masse de 110 kg : celle
du SNAP atteignait 500 kg. Là encore, la puissance
était de 500 W. [...]
Une même formule pour les Soviétiques et les Américains
La logique étant une, les Soviétiques avaient, comme
les Américains, commencé par construire, essentiellement
pour l'équipement de stations météo automatiques,
des générateurs radio isotopiques qui constituèrent
la série « Bêta ». Alimenté par
du cérium 144, Bêta 1 fut un imposant appareil
qui, en dépit d'un poids de 400 kg, ne fournissait
que 1,4 W électrique ; cela en raison notamment
de la température relativement basse (300°C) de la
source chaude.
Sept watts furent obtenus avec le Bêta 2 (500 kg),
alimenté au strontium 90, qui lui aussi fut réservé
à des applications terrestres : l'instrument se présentant
comme un cylindre ayant 35 cm de diamètre et 40 cm de hauteur.
A ses bornes, on obtenait une tension de 4,5 V.
Cherchant à construire des appareils de plus en plus compacts,
les Soviétiques jetèrent leur dévolu sur
le polonium 210. Le polonium 210 que les Américains avaient
envisagé d'utiliser sur le SNAP-29 (après expérimentation
de ce radioélément sur un SNAP-3) - présente
le double avantage de pouvoir directement être utilisé
comme métal et de fournir la puissance maximale pour un
générateur de ce type : 140 W par gramme,
contre 2,3 pour le cérium 144 et 0,56 pour le plutonium 238
(qui, lui, en revanche fournira sa puissance pendant un temps
incomparablement plus long). Les générateurs russes
au polonium 210, construits dans un but essentiellement spatial,
constituèrent la série Pirvobrass.
A partir de 1974, les Soviétiques entreprirent d'équiper
systématiquement leurs satellites de surveillance maritime
par des réacteurs de type Romachka-1 qui, à l'origine,
furent alimentés par de l'uranium 235 enrichi à
10 %, la chaleur étant transformée en électricité
par des thermocouples comme dans le SNAP-10. Et comme le SNAP-10,
ce réacteur Romachka fut entouré d'un réflecteur
de béryllium permettant de contrôler son régime.
La puissance électrique obtenue était de l'ordre
du kilowatt.
Le réacteur TOPAZ tel qu'il est placé au sommet d'une fusée.
Il est ici en attente des essais à terre avec des simulateurs
électriques en lieu et place du combustible. Le réacteur
proprement dit se trouve en haut, surmontant la protection et
les panneaux rayonnants. (Photo Clefs CEA n°36, été
1997)
Une nouvelle étape fut enregistrée
en 1980, avec le Topas, dont le combustible est un uranium enrichi à
90 % (l'enrichissement étant stoppé juste en dessous
du seuil qui permettrait à cet uranium de devenir une bombe
atomique) de sorte que la partie active du réacteur a pu
être réduite à 55 kg, le recours à
des diodes thermoioniques ayant permis d'atteindre 10 kW électrique.
Autant que l'on sache, sur les satellites de surveillance maritime
équipés de Topas, le réflecteur se trouve
sur la structure même du satellite, tandis que le réacteur
est sur un « siège éjectable » :
s'il est largué, il cesse ainsi d'avoir son réflecteur
et s'arrête [...].
La Marguerite française
Les Français se sont, eux
aussi, intéressés au générateur radio-isotopique,
aussi bien pour des applications terrestres que spatiales, et
les efforts conjugués de la SNECMA et de la CSF donnèrent
naissance à un générateur qui reçut
le nom de Marguerite : Marguerite se dit en russe Romachka.
Et ce n'est pas là un hasard : tout générateur
radio-isotopique comporte, en effet, un coeur chaud dont émanent,
dans les différentes directions, des ailettes de refroidissement
selon une structure en marguerite.
La substance active de la Marguerite française était
représentée par un radioélément à
vie longue, le strontium 90 extrait des déchets nucléaires.
Le CEA procéda à son chargement le 28 janvier 1968.
Ce strontium était utilisé sous forme de titanate
et tout le dispositif était scellé dans une cuve
ayant 35 cm de diamètre et 45 cm de hauteur. Il s'agissait
d'une cuve à deux parois, entre lesquelles du plomb était
coulé pour assurer une protection radiobiologique. La puissance
électrique fournie représentait 0,1 W sous
5,4 volts à la sortie du convertisseur. C'était
peu pour un appareil de 440 kg, mais c'était la perspective
d'une électricité garantie pendant de longues années.
Marguerite subit d'abord des tests d'immersion en Méditerranée, puis l'appareil fut mis en service régulier, par 100 m de fond, au large des îles Congloué, pour alimenter une bouée lumineuse, et un générateur d'ultrasons expérimental. L'objectif était de recueillir les informations à partir desquelles pourrait être conçu, sur le fond des océans, un réseau d'hydrophobes et système de communication devant permettre de suivre le mouvement des sous-marins au large des côtes françaises. Et une version miniaturisée de Marguerite fut étudiée dans le cadre de projets de satellites à alimentation nucléaire. [...]
Lire: De nouveaux moteurs nucléaires pour l'espace (en PDF, Science et Vie n°798, mars 1984).