[Photo et extraits rajoutés
par Infonucléaire]
Libération, 12/4/03:
«Ma maison est un lieu de stockage gratuit de déchets nucléaires et je dois payer pour la faire nettoyer ?» Mme Léonard, résidente [...] se promenant «Chemin du Radium», à Gif-sur-Yvette (Essonne), on se laisse séduire par l'endroit. De jolies maisons, des rosiers en fleur, des oiseaux qui chantent, la totale pour une vie de plénitude et sans histoires. Pourtant, trois familles sont embourbées depuis des années (bientôt trente ans pour deux d'entre elles) dans des histoires de maisons contaminées au radium, un minerai naturellement radioactif. A bout de nerfs, les habitants ont joué leur dernier va-tout la semaine dernière en apportant au ministère de l'Ecologie des échantillons de céramique, de terre et de poussières radioactives issus de leur jardin ou de leur chambre. Ils réclament une décontamination totale et définitive aux frais de l'Etat, et quand celle-ci est trop complexe, une expropriation correctement indemnisée. «Il existe une volonté sincère de faire aboutir le dossier», rassure-t-on dans l'entourage de la ministre.
Depuis 1996, les Léonard vivent dans une bâtisse «de caractère», en fait un ancien laboratoire qui utilisait et revendait du radium. «Quand vous élevez vos enfants dans une maison contaminée, vous vivez un cauchemar», affirment les parents. José Garcia, lui, se bat depuis 1975 pour que l'on décontamine sa maison archi-truffée de radon, gaz radioactif issu du radium. Il s'est installé avec sa famille aux Petites Coudraies en 1964. Comme les Jerzyck. A l'époque, on leur assure que tout va bien : les maisons ont été décontaminées et les enfants peuvent s'amuser dans le jardin sans s'inquiéter.
Miraculeux. Le quartier n'est pas, loin s'en faut, le seul endroit contaminé au radium. En 1997, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a inventorié une quarantaine de sites en région parisienne, dont une halte-garderie, rue Chomel à Paris (fermée en mai 2000), et l'école Marie-Curie à Nogent-sur-Marne. S'il existe beaucoup de sites dans ce cas-là, c'est parce qu'on a abondamment manipulé le minerai en France dans les années 20. On le considérait comme une substance miraculeuse dont il fallait badigeonner le quotidien. On en a fait des aiguilles, des cafetières, des rasoirs ; on a enduit de peintures luminescentes les chiffres des cadrans de pendules, de boussoles, de montres... On l'a extrait, traité et commercialisé sans se soucier de sa dangerosité. Les hôpitaux l'utilisaient sur les conseils de Marie Curie et les médecins s'en procuraient en douce.
A Gif-sur-Yvette, de 1907 à 1956, la Société nouvelle du radium a commercialisé le radioélément sur le quartier des Petites Coudraies. Ensuite, les installations ont été abandonnées avant d'être officiellement décontaminées en 1959 (1). A l'époque, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) déconseille aux riverains de cultiver des légumes, tout en assurant qu'il n'y a aucun risque sanitaire. Mais en 1975, un ingénieur du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) tout proche s'installe aux Petites Coudraies. Il procède, à titre personnel, à des mesures et constate que sa maison présente des «points chauds» de présence de radium. José Garcia, qui vit ici depuis 1964, emmène ses enfants faire des analyses anthropogammamétriques pour quantifier l'activité radioactive. On lui fait part des résultats... vingt-cinq ans plus tard ! «Mes enfants auraient dû subir un suivi médical. On ne m'a rien dit.»
[En mai 1975, à la demande
de M. et Mme Garcia, le SCPRI mesure la quantité de radioactivité
présente dans l'organisme de leurs deux enfants (anthropogammamétrie).
Un an plus tard, n'ayant toujours aucun résultat, Mme Garcia
écrit au directeur du SCPRI pour les réclamer.
Le courrier de M. Pellerin est laconique : " le but de
ces examens était de vérifier l'absence d'activité
due au radium à un niveau nécessitant un suivi médical.
Je vous confirme que la vérification effectuée a
montré que tel était bien le cas, et qu'il n'y avait
pas lieu de pousser plus loin les investigations".
Les résultats n'étaient pas joints au courrier !
Et pour cause : communiqués hier par l'OPRI à Mr
et Mme Garcia, ils révèlent
une contamination incontestable par le radium 226 : de l'ordre
de 2 000 becquerels en charge corporelle totale pour chacun des
deux enfants, âgés alors de 8 et 10 ans. Rappelons que le radium 226 est un radionucléide
de très forte radiotoxicité. Son comportement est
assez proche de celui du calcium : il se fixe préférentiellement
dans les os, en particulier chez les enfants dont l'organisme
est en pleine croissance.
Extrait du Communiqué/Presse CRIIRAD,
8 mars 2000 "Mis en cause par la CRIIRAD
pour Gif-sur-Yvette, l'OPRI
décide de porter plainte contre le SCPRI !"]
Série d'analyses. «Le cas de Gif-sur-Yvette est d'autant plus délicat qu'officiellement tout a été décontaminé, en [1969] d'abord, puis en 1975, puis en 1981 !», explique Roland Desbordes, président de la Criirad, un laboratoire indépendant de mesures sur la radioactivité. En 1999, les relevés de la Criirad montrent que la décontamination n'est toujours pas complète [voir rapport de la CRIIRAD]. Début 2000, le préfet ordonne une nouvelle série d'analyses. L'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, successeur du SCPRI) s'en charge et indique que le radon constitue la principale source d'exposition. Sur 80 maisons, une vingtaine présentent des «points chauds» de contamination, et quatre des concentrations élevées de radon. Comme la maison des Garcia, où la concentration est 80 fois supérieure à la moyenne annuelle acceptable. Mais les experts de la Criirad estiment que leurs confrères de l'IRSN ont ignoré l'inhalation de particules en suspension. «Dans la maison des Léonard, on a trouvé des poussières radioactives sous la moquette à des doses de l'ordre de plusieurs dizaines de millisieverts par an (2) », explique Bruno Chareyron, du Criirad. Comme les mesures officielles ont été faites à 50 cm du sol, pas étonnant que les ingénieurs soient passés à côté des particules bloquées sous la moquette.
Ballottées entre les experts, usées par des années de procédures et de paperasses, les familles doivent aussi affronter les organismes officiels en charge du dossier. Pour aider les habitants à décontaminer leurs maisons, la Direction de la prévention des pollutions et des risques crée le Fonds radium en septembre 2002. Ce fonds finance les travaux à hauteur de 50 %, le reste étant à la charge des propriétaires. «On nous traite comme des pollueurs-payeurs, s'insurge Marie-Pierre Léonard. Ma maison est un lieu de stockage gratuit de déchets nucléaires et je dois payer pour la faire nettoyer ?»
Le Fonds radium statue au cas par cas. «Les expertises des services de l'Etat n'ont pas, et n'ont jamais eu, de vision réaliste de la contamination de ces maisons, regrette Roland Desbordes. Comment voulez-vous établir un devis de travaux correct si l'état des lieux de la contamination ne l'est pas ?» Les frémissements d'une issue favorable se font sentir aujourd'hui, mais trois familles auront dû vivre durant des années au contact de matières dangereuses du fait de la gestion désastreuse d'un vieux site industriel. A l'IRSN, un responsable admet que «cela soulève le problème du devenir des déchets radifères. Puisque, à part les entreposer, on ne sait pas quoi en faire».
Laure NOUALHAT
(1) Libération du 13 novembre 1990.
(2) Mesure du risque d'irradiation. Les normes européennes
fixent à 1 mSv/an la norme maximale acceptable par le corps
humain.
Le Parisien, 31 mars 2003:
LES MAISONS radioactives de Gif-sur-Yvette seront-elles un jour décontaminées ? Les habitants, qui se battent depuis des années pour être entièrement indemnisés par l'Etat, ont décidé de saisir directement le gouvernement. Cet après-midi, avec les responsables de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad, association à but non lucratif), ils s'inviteront aux ministères de l'Ecologie et de la Santé. Analyses à l'appui, ils démontreront que quatre familles de Gif vivent dans un environnement très dangereux et qu'il faut les exproprier ou décontaminer de toute urgence. Faute de quoi la Criirad menace de porter plainte.
« Nous sommes des victimes, pas des
pollueurs »
C'est le résultat des derniers prélèvements,
pratiqués en juillet et octobre 2002, qui a poussé
la Criirad à tirer une nouvelle fois la sonnette d'alarme.
Les scientifiques, qui examinaient la maison de la famille Léonard,
ont découvert des microparticules radioactives particulièrement
dangereuses. Dans le bureau, sous une moquette, ils ont prélevé
des poussières, invisibles mais tellement chargées
en radium qu'un enfant peut ingérer des doses 200 fois
supérieures à la norme. Même chose dans le
jardin, où les chercheurs ont déterré, à
15 cm de profondeur seulement, des carreaux de céramique
très irradiants. Des découvertes en contradiction
avec les rapports réalisés ces dernières
années par les laboratoires de l'Etat. « Ils ont
fait ses mesures à 50 cm du sol, sans chercher plus loin
», accuse Corinne Castanier, la directrice de la Criirad.
« Du coup, ils ont totalement sous-évalué
les risques sanitaires, en concluant que la maison et le jardin
sont habitables, alors que les conséquences pour la santé
peuvent être très graves. » Mettant en cause
l'ensemble des conclusions des organismes étatiques, la
Criirad et les propriétaires des maisons radioactives demandent
maintenant au ministère de l'Ecologie de faire pratiquer
des contre-expertises, par des laboratoires indépendants.
Et ils insistent pour que le programme de décontamination
soit amélioré. « Il faut que l'on retire tout
le radium, y compris sous les planchers et les moquettes »,
souligne Marie-Pierre Léonard, présidente d'une
association d'habitants des Coudraies, « et il faut que
l'Etat paie l'intégralité des travaux, alors qu'il
propose de ne financer que la moitié. Nous sommes des victimes,
pas des pollueurs. » Cette position a reçu le soutien
de la députée Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP),
qui plaide pour que l'Etat prenne en charge la décontamination
(ou l'expropriation si la propriété est vraiment
trop polluée) des maisons radioactives de Gif. «
J'ai fait voter un amendement à la loi sur les risques
industriels qui obligera les vendeurs à signaler si leur
terrain a pu stocker, par le passé, des matières
dangereuses. Il ne faut pas que ce genre de situation se reproduise.
» La Criirad et l'association AVPV organisent une réunion
publique ce soir à 21 heures, salle de l'Orangerie, Gif-sur-Yvette.
Sandrine Binet
Communiqué CRIIRAD
Valence, le 26 mars 2003:
Conférence de presse
lundi 31 mars à 11h00
22, rue de Milan (France Libertés), Paris 9ème
Objet
En 1999, le laboratoire de la CRIIRAD démontrait la contamination d'un quartier de Gif-sur-Yvette où avaient fonctionné, de 1912 à 1957, une usine d'extraction du radium et un laboratoire d'essai de substances radioactives. Les efforts entrepris en liaison avec les propriétaires des terrains les plus contaminés (action en justice, conférence de presse, interpellation des responsables...) ont porté leurs fruits : les interventions de l'Etat se sont multipliées (OPRI, IPSN, IRSN, ANDRA, Comité radium...).
Aujourd'hui, les nouveaux contrôles réalisées par la CRIIRAD à la demande des propriétaires démontrent que la méthodologie utilisée par les experts officiels ne permet pas de diagnostiquer correctement les risques. Ont été fortement sous-évalués (et parfois totalement ignorés) les risques liés à l'ingestion et à l'inhalation de particules chaudes (poussières très radiotoxiques facilement incorporables).
Des échantillons radioactifs prélevés dans les propriétés concernées seront contrôlés publiquement avant d'être déposés aux ministères de la Santé et de l'Ecologie pour contre-expertise, accompagnés du procès-verbal d'huissier et de la synthèse scientifique établie par la CRIIRAD.
Intervenants
* Roland Desbordes, physicien, président de la CRIIRAD
* Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, responsable du laboratoire CRIIRAD
* Marie-Pierre Léonard, présidente de l'AVPV, association regroupant les propriétaires les plus touchés.
* Maître Hébert-Suffrin, en charge de la plainte contre X déposée avec constitution de parties civiles.
Déroulement
* Au cours de l'après-midi, les présidents de la CRIIRAD et de l'AVPV se rendront au ministère de la Santé puis au ministère de l'Ecologie et du Développement Durable.
* Pendant ce temps, Bruno Chareyron se tiendra
à la disposition des journalistes qui le souhaitent pour
effectuer des contrôles dans les habitations et les terrains
contaminés. Par ailleurs, une réunion-débat
aura lieu à 21h, salle de l'Orangerie, près de la
mairie de Gif-sur-Yvette.
Renseignements complémentaires :
* Les courriers adressés ce jour aux Ministres de la Santé et de l'Ecologie ainsi que les rappels chronologiques seront disponibles sur le site internet de la CRIIRAD à partir du jeudi 27 mars 16 h.
* Informations à la CRIIRAD : au standard pour toutes questions relatives à l'organisation (lieu, contacts, horaires, rendez-vous...) ou auprès de Bruno Chareyron pour toutes les questions relatives au contenu du dossier.
* Vous pouvez également joindre Mme
Léonard (AVPV) au 01 69 07 20 92 ou par mél à :
avpv@wanadoo.fr
CRIIRAD
Commission de recherche et d'information indépendantes
sur la radioactivité
471 av. Victor Hugo
26 000 VALENCE - FRANCE
Tel: 00 33 04 75 41 82 50
Fax: 00 33 04 75 81 26 48
E-mail: contact@criirad.com
Le Parisien, 20/12/02:
«DANGER, maison contaminée ».
Le sigle radioactif estampille la pancarte que vient d'installer
José Garcia dans son jardin. « C'est le ras-le-bol
qui s'exprime avec ce panneau », résume le retraité,
dont la maison à Gif-sur-Yvette est contaminée depuis
1964 au radium et au radon, un minerai et un gaz radioactifs.
Les habitants du quartier croient que l'Etat les a abandonnés.
Un nouvel allié vient de prendre leur défense :
la députée UMP Nathalie Kosciusko-Morizet qui compte
bien rappeler leur existence aux pouvoirs publics. Le quartier
des Coudraies à Gif est installé sur l'ancien site
industriel de la Société nouvelle du radium, spécialisée
jusqu'en 1957 dans l'extraction de ce minerai, très prisé
à l'époque en radiologie et en cosmétique
! [Voir Tho-Radia et Radium and Beauty par exemples]
La lettre qui relance le dossier Les époux Garcia réclament,
depuis trente ans, une décontamination complète
de leur habitation. « Les services spécialisés
de l'Etat ont prétendu l'avoir réalisée en
1975, mais ce n'est pas du tout le cas », assure José
Garcia. En l'an 2000, une grande campagne de mesures a été
réalisée sur 90 maisons du quartier. Une vingtaine
présentent des traces de contamination, dont quatre enregistrent
des taux de radon (le gaz radioactif dégagé par
le radium) dangereux. Mais alors que, depuis trente ans, le dossier
reçoit des fins de non-recevoir des autorités, une
lettre de la députée essonnienne Nathalie Kosciusko-Morizet
vient de relancer l'affaire. L'élue (UMP), spécialiste
des affaires environnementales, vient d'écrire à
la ministre de l'Ecologie et du
Développement durable, Roselyne Bachelot, en estimant que
« la solution la plus judicieuse est l'expropriation ».
« En France, il existe un gros problème concernant
les anciens sites industriels non dépollués, reconnaît
la jeune députée. Dans le cas des Garcia, on ne
pourra pas confiner la pollution, il faut donc exproprier. Mais
ce qui me frappe, c'est qu'aucune intervention n'ait jamais abouti.
Comme on ne peut plus retrouver le
propriétaire responsable de la pollution, l'Etat doit intervenir.
» Les autres habitants, moins touchés que les Garcia,
espèrent de leur côté que les travaux de décontamination
seront pris en charge dans le cadre du fonds radium. « Notre
maison est contaminée au sous-sol par du radon, expliquent
les époux Jersyk. Un devis a évalué les travaux
à 260 000 Euros (1,7 million de francs), alors que notre
maison est estimée à 27 000 Euros de moins. »
Le fonds radium prévoit de couvrir la moitié du
montant des devis. « Il est hors de question qu'on paye
autant pour une pollution qui n'est pas de notre fait »,
assurent les deux retraités.
Le Parisien, 10/7/02:
LE RADIUM, les habitants du quartier des Coudraies à Gif-sur-Yvette le connaissent. Ce minerai radioactif, présent à l'état naturel dans le sol, était extrait dans leur quartier jusque dans les années cinquante par la Société nouvelle du radium. Depuis l'abandon du site en 1957, les riverains se sont installés, sans être forcément informés du passé du site. Aujourd'hui, et pendant toute la journée, ils vont tenter de faire enfin reconnaître par l'Etat la spécificité de leur situation pour réclamer des indemnisations. La Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Crii-Rad), créée après l'accident de Tchernobyl en 1988, vient d'ailleurs leur prêter main-forte, en effectuant des mesures de radioactivité dans les rues du quartier.
Deux actions en justice. La journée débutera, et ce n'est pas un hasard, devant la maison de José Garcia. Ce retraité de 69 ans a relancé l'affaire en 1998. Logé avec sa famille dans une maison contaminée au radon (le gaz radioactif dégagé par le radium) depuis plus de trente ans, il accuse l'Etat de l'avoir laissé s'installer dans une maison dangereuse. Devant les lenteurs des autorités, il a même entamé deux actions en justice : la première au tribunal administratif pour obtenir une prise en charge des travaux de décontamination, et la seconde au pénal, contre plusieurs services de l'Etat pour « omission de porter secours » et « mise en danger de la personne ». « Force est de constater qu'au tribunal administratif, on se trouve face au dédain, voire à l'approximation de l'administration, assure M e Marc Héber-Sufrin, l'avocat de José Garcia. Dans ses dernières conclusions, en juin dernier, le commissaire du gouvernement ne reconnaît aucune faute de l'Etat. Comment prétendre, par exemple, qu'il n'y a aucune faute de l'OPRI, alors qu'on sait depuis trois ans que le dossier médical des enfants Garcia a été caché ? » Quant au volet pénal, la plainte déjà instruite par deux juges d'instruction n'a toujours pas abouti. Les riverains du quartier espèrent donc beaucoup de la création du « fonds radium » promis par l'Etat. Destiné à financer les travaux de décontamination, qui peuvent s'élever à plus de 152 000 Euros (1 MF), il n'a malheureusement toujours pas vu le jour. « Le fonds radium est une véritable Arlésienne, dénonce Marie-Pierre Léonard, responsable de l'Association de préservation du périmètre Vert (APVP). Dans notre cas, on avait souhaité avancer les frais des travaux, qui nous seraient ensuite remboursés par le fonds radium. L'entreprise, pourtant mandatée par les autorités pour réaliser la décontamination, n'est jamais venue ! »
1900 à 1957 : La Société Nouvelle du Radium (SNR),
créée par Jacques Danne, collaborateur de Pierre
et Marie Curie, a développé les applications, notamment
médicales, du Radium. A cet effet, Jacques Danne crée deux entités
: une usine de production de radium, à partir de Pechblende
et un laboratoire situé aux Coudraies. La SNR est mise
en liquidation judiciaire en 1957.
1957 à 1959 : la contamination des lieux est avérée,
mais le CEA considère que les travaux nécessaires
sont trop importants pour qu'il les prenne en charge. Le 15 décembre
1959, le maire de Gif diffuse un arrêté interdisant l'accès
et l'utilisation des bâtiments et terrains de la SNR.
1960 à 1969 : recherches de solutions pour la décontamination
du site.
Finalement, le 16 juin 1969, mise en demeure de Mme Danne par
le Préfet de l'Essonne de faire procéder à
la
décontamination dans un délai d'un mois. Le
CEN (Saclay) avec qui le contrat est signé, termine une
première phase de travaux le 17 août. 400 fûts
de déchets sont évacués vers le CEN-S.
Une deuxième phase de travaux se termine en novembre 1969
-décontamination de la bibliothèque, de la piscine
et de canalisations. Un contrôle est fait le 4 12 1969.
1970 : le
SCPRI (ancien OPRI) adresse au Préfet des Yvelines
une lettre dans laquelle il se déclare favorable à la levée des arrêtés
qui frappent la propriété sous réserve que
les bâtiments contaminés soient détruits et
qu'une partie de la terre du jardin soit enlevée dans les
conditions définies par le SCPRI.
1974 à 1975 : démolition des bâtiments
et évacuation des déchets par le SPR. Ces travaux
permettent la réalisation du lotissement de la Petite Coudraie.
Dans le même temps, mise
en évidence de contamination et de fortes présomptions
de contamination dans les terrains avoisinants -MM. Morvan, Garcia
et Lecomte-
1975 à 1983 : après décontamination
chez M. Morvan et travaux chez M. Garcia, 39 autres propriétés
présentent des traces de contamination. Il est à
noter que la réalisation du diagnostic est élargi
au Clos Rose à Gif.
En 1976, le SPR, mandaté par la Préfecture procéde
à des contrôles et élimine un certain nombre
de contaminations ponctuelles.
En août 1977, le CEN-S adresse au Sous-Préfet de
Palaiseau un dossier portant sur l'ensemble des mesures et qui
propose des niveaux limites d'irradiation et des consignes de
décontamination ainsi qu'une estimation du coût des
travaux. Aucune suite officielle n'est donnée à
ce document. Quelques assainissements ponctuels sont effectués
(propriétés Dizier et Peltier)
1984 : Suite à l'intervention de M. Tavernier, Député
de l'Essonne, une réunion est organisée au CEN-S
avec le SPR et le SCPRI. Il est conclu qu'il n'existe pas, dans
les conditions actuelles de risque sanitaire et qu'une décontamination
complète rencontrerait des difficultés techniques
considérables et entraînerait des dépenses
sans commune mesure avec le risque encouru. Il estime toutefois
que le moindre usage imposé aux propriétaires et
la moindre value des propriétés constituent un problème
qu'il serait anormal de faire supporter aux propriétaires
ou à la commune. Il se propose d'en saisir le gouvernement
par une question écrite.
1990 : 26 novembre, compte rendu d'une réunion
(SCPRI, CEA et Préfecture de l'Essonne) : les autorités
préfectorales n'ont pris aucune disposition depuis 1977
pour réglementer l'utilisation des terrains dans cette
zone. Le SCPRI considère qu'il ne pouvait pas imposer des
décontaminations ou des servitudes lourdes car il ne disposait
à l'époque d'aucune réglementation concernant
la radioactivité naturelle.
1997 : M. Destot, député de l'Essonne, intervient
sur la demande de M. Garcia auprès du médiateur
de la République, M. Pelletier.
1998 : lettre du Préfet de l'Essonne à M.
Garcia lui demandant de prendre contact avec la DDASS et l'OPRI.
Le 12 octobre 1998, l'OPRI effectue des mesures chez M. Garcia.
1999 : les événements se précipitent.
M. Garcia découvre que les résultats réels
pratiqués sur ses enfants en 1976 par le SCPRI lui ont
été cachés. Dans la foulée, les 8
et 9 novembre, M. Garcia demande l'intervention de la CRII-RAD.
La presse intervient. M. Garcia porte plainte au tribunal administratif.
2000 : suite à ce scandale, le Sous-Préfet
de l'Essonne, M. Marzoratti lance une campagne de mesures sur
tout le quartier. Un groupe de travail technique est constitué
de membres de l'Institut de Protection et de Sûreté
Nucléaire (IPSN), de l'Office contre les Rayonnements Ionisants
(OPRI) de l'Institut de Veille Sanitaire (INVS) et de la DDASS.
A propos de l'affaire Garcia, l'opri pense qu'il y a eu faute
et demande au Procureur de la République de le confirmer.
Parallèlement, M. Garcia, ses enfants et la CRII-RAD portent plainte contre X auprès
du tribunal d'Evry avec constitution de partie civile.
Juin 2000 : création de l'Association pour la Valorisation
du Périmètre Vert.
2001 : en janvier, les résultats définitifs
de la campagne sont prêts et communiqués. Les déclarations
publiques données par les autorités font état
de 23 propriétés comportant dans les sols une radioactivité
supérieure à la normale, 8 propriétés
comportant une contamination au radium à l'intérieur
des maisons (d'ordres de grandeur respectifs très différents),
4 maisons doivent subir un diagnostic radon, afin de corriger
une teneur en radon trop élevée dans les pièces
à vivre : la prise en charge financière des travaux
à venir doit être assurée par l'Etat.
En ce qui concerne la décontamination radium à l'intérieur
des maisons, les travaux supervisés par l'ANDRA restent
à la charge des propriétaires (un fonds radium est
en discussion pour leur venir en aide).
La décontamination des terres ne trouve pas encore de solution
(servitudes, enlèvement, recouvrement ???.....)
De son côté M. Lasbordes, Député de
l'Essonne, pose à plusieurs reprises des questions orales
ou écrites à Mme Voynet afin d'attirer son attention
sur l'inquiétude des habitants du quartier d'ordres sanitaire
comme patrimonial.
Sources :
- D. CENS/SPR n° 84-305 HV/dl juillet 1984
- IPSN étude historique du site de la SNR de sa création
à nos jours février 2001
Libération,
13 novembre 1990:
30 ans après la fermeture de la première usine de radium de Gif-sur-Yvette dans l'Essonne, le Commissariat à l'énergie atomique admet «un état peu satisfaisant» du niveau de décontamination à l'endroit même d'un lotissement. Enquête, compteur à l'appui, dans la cité du radium.
Tout un quartier de Gif-sur-Yvette, dans l'Essonne, va se découvrir un avenir «radieux». Irradiant, même, si l'on en croit la note confidentielle du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) révélée par Libération le 26 octobre dernier. Trois lignes dans un inventaire des sites pollués par des déchets radioactifs, qui indiquent, de façon laconique, qu'à Gif existe un «état peu satisfaisant car il subsiste une contamination résiduelle un peu élevée».
Ces stigmates indélébiles. Gif les doit à une ancienne usine de radium, installée au début du siècle dans ce petit coin de la vallée de Chevreuse. On y a, pendant prés de soixante ans, manipulé une énorme quantité de radioactivité. Aujourd'hui, de coquets pavillons se pressent sur le terrain de l'usine, rasée à la va-vite en 1974 pour cause de promotion immobilière. Avec la bénédiction du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) dirigé par le professeur Pellerin, qui s'est porté garant de la décontamination. Une assurance largement démentie par le document du CEA et par de nombreux témoignages recueillis au cours d'une enquête de plusieurs mois.
Mais la révélation n'étonnera que les naïfs. A Gif, la radioactivité est une vieille habitude. Le CEA et son centre de recherche de Saclay sont implantés depuis 1950 sur des terrains de la commune de Gif. Les 6000 personnes qui y travaillent habitent pour une bonne part les environs, contribuant à la prospérité locale. Et nombre d'élus locaux sont sur les listes du personnel de Saclay. Ici, l'atome est chez lui. Et depuis longtemps. Depuis que Jacques Danne, préparateur au laboratoire de Pierre Curie, à Paris, y a fondé la Société nouvelle du radium, en 1907.
L'usine est alors la première installation industrielle au monde à produire ce radio élément naturel. Le minerai de pechblende provient de Cornouailles. Il est acheminé par train jusqu'à la petite gare de Gif. Déchargé en vrac, puis transporté à la brouette, le long d'un raidillon baptisé «chemin du radium». Après extraction, ce radium est utilisé pour préparer des peintures lumineuses ou des aiguilles à usage médical. Ces aiguilles creuses sont en verre et mesurent quelques centimètres de long. Elles sont remplies à la main de sels de radium et sont ensuite implantées dans le corps des malades, au voisinage des tumeurs ainsi soumises au rayonnement destructeur. Dès 1919, la Société nouvelle du radium détient le monopole pour la fourniture des sources radioactives aux hôpitaux français. Le monde entier découvre la radiothérapie pour le traitement des cancers et les commandes affluent du monde entier. Marie Curie conseille elle-même à tous ses correspondants étrangers de se fournir chez Jacques Danne. Mais, alors que l'on connaît déjà les dangers de la radioactivité, on ne prend à Gif aucune précaution. Le traitement du minerai se fait par une attaque à l'acide, rejeté ensuite dans des canalisations se déversant dans le terrain. Tous les déchets de l'usine sont balancés dans une ancienne carrière de sable toute proche et dans les terrains alentours. Quant aux résidus de traitement du minerai, riches en nitrates, ils sont gracieusement mis à disposition des jardiniers locaux. Ravis, ceux-ci emportent cet engrais radioactif à pleines brouettes.
Avant la Deuxième Guerre, la région est le siège d'un véritable marché libre du radium, organisé autour de l'usine. A cette époque, la société est dirigée par l'épouse de Jacques Danne, le fondateur, mort en 1919. La légende raconte qu'il aimait surprendre les gens en éteignant les lumières des antiques compartiments de train, sur la ligne de Sceaux. Dans l'obscurité du souterrain de la Cité universitaire, les voyageurs pouvaient alors distinguer les dents, devenues fluorescentes à force de fixer du radium, de Jacques Danne. Son frère Gaston, qui avait repris le flambeau, est décédé d'une leucémie, en 1926. Madame Danne soupçonne des vols au sein de l'usine. A l'automne 1933, elle fait appel à l'institut du radium. Marie Curie envoie alors son élève, qui sera d'ailleurs sa dernière thésarde, madame E. Au terme d'une longue et minutieuse série de contrôles, qui l'amène à Gif deux à trois fois par semaine pendant plusieurs mois, madame E. découvre l'incroyable: «Une secrétaire barbotait une partie des aiguilles de radium fabriquées dans les ateliers, pour les revendre à des médecins de la région.» Ceux-ci, véritables apprentis sorciers, se livraient à des essais de traitement de cancer sur leurs patients. «Mal maîtrisée, cette technique a donné des résultats épouvantables», se souvient un ancien responsable du CEA. «Le rayonnement était tellement énergétique qu'il crevait les intestins de ces pauvres femmes.»
Autre spécialité répandue, les pastilles de radium. «Les employés de la société étaient seulement chargés de les placer dans des cafetières à radium que commercialisait un certain monsieur David.» Chacun pouvait ainsi faire à domicile sa petite cure d'eau radioactive dont on ne doutait pas des effets bénéfiques pour la santé. Quant aux conditions de travail, madame E. est l'un des rares témoins de cette époque à pouvoir encore en faire état. «Les protections n'étaient pas bien fameuses. Il y avait bien quelques hottes aspirantes et des briques de plomb. Mais le plus souvent, on se protégeait avec une paire de gants de caoutchouc.»
Laboratoire à l'abandon
Ce sont les restes de ces activités que découvriront les décontaminateurs du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 1969. Une découverte toute relative, d'ailleurs, puisque les responsables du Service de protection contre les rayonnements (SPR) de Saclay ont été longtemps des clients de madame Danne. «J'y ai acheté des sources étalon de radioactivité en 1953 », explique ce responsable aujourd'hui retraité. Ce qui ne l'empêche pas de garder une meilleure mémoire que son ancien employeur. La note confidentielle du CEA prétend en effet que l'usine incriminée a cessé toute activité en... 1939. «Les sources étaient livrées dans des emballages de protection en plomb. Mais les conditions de travail étaient si mauvaises dans cette société que les emballages étaient aussi contaminés à l'extérieur qu'à l'intérieur.» Autre scène pittoresque, rapportée par un autre client CEA lors d'une transaction. «Madame Danne est partie dans une autre pièce pour chercher les sources que nous lui achetions. Elle les cachait entre des pots de fleurs. Pendant ce temps, comme nous avions un compteur avec nous, on a mesuré la radioactivité de sa veste posée sur une chaise. Ça crachait drôlement.»
Arrêtées entre 1959 et 1963, les installations restent à l'abandon. Une aubaine pour les bandes de gamins en mal de terrain d'aventure. Comme Gérard - qui exige l'anonymat pour témoigner - et ses copains, des chapardeurs qui écumaient à l'époque les maisons abandonnées de la région. «La porte avait déjà été forcée, mais tout était intact, seulement recouvert par une bonne couche de poussière.» Dans l'entrée, du matériel empilé, comme préparé pour un déménagement qui n'a jamais eu lieu. Ailleurs, de longues tables de laboratoire, des produits chimiques, de la verrerie. Ils reviendront à plusieurs reprises, constatant à chaque fois la disparition d'objets et de matériel. De ces visites répétées, il ne lui reste aujourd'hui que quelques reliques éparses dans le capharnaüm de son appartement. Et comme pour prouver ses dires, Gérard désigne posément des tubes de verre épais, fermés par de gros bouchons de liège et contenant des poudres colorées.
Le compteur utilisé par Libération, de type SPP2 (scintillateur portatif de prospection), le confirme. Le 4 novembre, il enregistre près de 2000 coups par seconde sur ces flacons, alors que dans la région, le niveau moyen normal est de 30 coups. Ces produits sont en sa possession depuis plus de vingt ans, sans qu'il en ait jamais mesuré exactement le danger. Et il n'est sans doute pas le seul dans ce cas. «Nos enfants avaient ramené des bocaux de verre, jolis et anciens, se souvient une voisine. Ils ont aussi trouvé un jour des aiguilles de radium dans un tiroir. » A l'époque, la verrerie ancienne provenant de l'usine faisait fureur. Les couleurs et les formes de ces récipents qui avaient servi à préparer de terribles concentrés de radioactivité étaient en effet très originales. D'autres se sont emparés du plomb de protection. Plusieurs centaines de kilos, revendues à des ferrailleurs de la région. Les éviers, les tables et toute la bibliothèque ont disparu. Tous ces brocanteurs du dimanche ont dispersé ainsi, sans le savoir et sans que personne s'en inquiète, une formidable quantité de radioactivité. Sans compter ceux qui se livrèrent à de grandes batailles dignes des chevaliers du Zodiac à l'aide des produits trouvés sur place. «On lançait des grosses bouteilles sur les murs», raconte l'un de ces ex-héros en culotte courte, devenu respectable artisan. «Il se dégageait d'énormes volutes de fumée rouge, on trouvait ça super.»
Tout cela a duré quelques années, sans doute entre 1965 et 1969, sans que nul ne s'en émeuve. Or, outre les services compétents du CEA, qui connaissaient bien les lieux, la mairie était parfaitement consciente de la situation. Elle avait même pris, le 15 décembre 1959, un arrêté interdisant d'habiter et de démolir les bâtiments de l'usine, compte tenu d'une «radioactivité supérieure à la normale». Il aura donc fallu attendre dix années pour que la première intervention ait lieu. Que sont devenus les témoins, les enfants, les matériaux dispersés entre temps ? Qui possède encore de ces sources de radium ? Jamais le ministère de la Santé, dont c'est l'entière responsabilité, n'a entrepris la moindre étude dans ce sens.
Lotissement contaminé
L'équipe de décontamination viendra donc à Gif, après une énergique mise en demeure de la préfecture de l'Essonne auprès de la Société nouvelle du radium, en date du 9 juin 1969. L'un des responsables des opérations, toujours en activité au CEA, se souvient: «Cette installation aurait dû être mise en sécurité bien avant notre intervention. C'était dans un tel état de contamination... Le premier travail, à la demande du SCPRI, a donc consisté à rendre l'ensemble non dangereux.» Les hommes de Saclay ont ramassé tout ce qui trainaît encore dans les laboratoires. Ils ont également découvert des fûts contenant du minerai en attente de traitement. Les murs ont été grattés, les sols piquetés, les gravats ramassés. Et le tout expédié vers le centre de La Hague. Mission accomplie. Cinq ans plus tard, en juin 1974, la Société nouvelle du radium n'est plus qu'un terrain défoncé par les bulldozers, derrière une pancarte annonçant la réalisation prochaine du «lotissement des Coudraies ».
Un ingénieur du CEA, justement, est intéressé par une belle parcelle. Mais la rumeur court à Saclay. «La décontamination n'a pas été faite correctement.» Ce qu'il vérifie aisément, grâce à un rapide contrôle au moyen d'un compteur emprunté à son bureau. «En certains points du terrain, le taux d'irradiation était de 10 rad, soit 20 fois supérieur au seuil légal », se souvient l'ingénieur. Au cours de ses contrôles, il retrouve même des sources radioactives dans un champ de pommes de terre voisin. Et pourtant, d'autres acquéreurs qui s'étaient avant lui inquiétés de l'état des terrains avaient reçu toute garantie de la part du Service central de protection contre les radiations ionisantes (SCPRI), dirigé par le professeur Pellerin. « Cette propriété n'est actuellement grevée d'aucune servitude du point de vue de la radioactivité», écrit ce dernier en réponse à l'un des acquéreurs dans une lettre datée du 7 juin 1974, une semaine avant les contrôles personnels de l'ingénieur.
Nouvelle intervention des décontamineurs. «Le promoteur avait déjà fait raser les bâtiments sans autre forme de procès», soupire l'ancien responsable. Et personne ne sait aujourd'hui avec exactitude ce que sont devenus les gravats de démolition. «Nous avons décapé la terre», poursuit l'ingénieur du CEA, «et assaini le terrain autant qu'on a pu. A l'endroit du puits qui collectait les eaux usées de l'usine, on a creusé profond mais sans arriver à décontaminer totalement. Alors, on a coulé une dalle de béton et on a refermé. Mais nous avons laissé des zones du terrain, qui ne devaient pas être loties immédiatement, sans traitement, en demandant aux propriétaires de nous avertir. Quant à l'extérieur de la propriété, on a identifié des traces de radioactivité, mais nous ne sommes pas intervenus car cela n'était pas de notre ressort.»
L'ancienne propriété personnelle des Danne, en semble l'exemple type. Dans son jardin, nous avons pu relever la semaine dernière trois points chauds, dont l'un crachant au moins 15000 coups par seconde, sur une surface d'environ 30 cm de diamètre (l'aiguille s'est coincée au maximum sur le SPP2). Le propriétaire actuel, qui savait au moment de l'achat (par adjudication) à qui avait appartenu cette maison, a voulu s'assurer qu'il n'y avait aucun problème de radioactivité. Selon ce qu'il nous a raconté, les services du SCPRI lui ont assuré, au téléphone, «que l'ex-propriété des Danne ne présentait aucun danger». Cela étant, aucun certificat écrit ne lui aurait été fourni, nous a-t-il précisé.
Laboratoire d'essai de la Société nouvelle du radium. Avant la Deuxième Guerre, la région est le siège d'un véritable marché libre du radium, organisé autour de l'usine.
Exclu du nettoyage, également, un petit laboratoire a survécu aux pioches du démolisseur. Il existe toujours, seul vestige des installations de Jacques Danne. Un héritage que ne renie pas le carrelage de l'entrée: lorsque l'on y place un compteur de radioactivité, l'aiguille fait un joli bond. En plusieurs endroits, comme dans le jardin, l'instrument détecte d'autres «points chauds» radioactifs. Les actuels propriétaires ne sont pas inquiets: «On a acheté en 1984, mais avec un certificat de décontamination signé du professeur Pellerin.»
Confidences radioactives
Pourtant, cette année là, l'adjoint de Pellerin, le docteur Moroni, conseillait par téléphone à un acheteur potentiel, Olivier Gateau, de ne pas se porter acquéreur. Confidence obtenue seulement en raison du titre de la personne en question, médecin, et travaillant à l'époque sur les radioéléments dans un laboratoire de la «ferme atomique» de I'Inra (Institut national de recherches agronomiques) à Jouy-en-Josas. «J'avais essayé de me présenter comme un simple curieux», se souvient le Dr. Gateau, «mais dans ce cas, il était impossible d'obtenir le moindre responsable du service».
L'indiscrétion du Dr. Moroni n'a fait que renforcer la conviction du jeune médecin, qui procèdera lui-même à une série de mesures. «Ça crachait presque partout: dans l'entrée, dans la cuisine, au sous sol et aux alentours.» Le propriétaire, qui disposait pourtant d'un certificat de décontamination, a donc fait procéder à un nouveau nettoyage, également certifié. Opération imparfaite, si l'on en croit les indications de notre compteur. Aujourd'hui, deux familles vivent dans les lieux. Sans doute courent-elles un risque assez faible, d'après un spécialiste de radioprotection du CEA. «Mais il faudrait que ces personnes nous contactent pour que l'on procède à des vérifications précises», estime t-il, «et surtout qu'ils s'abstiennent de creuser des trous.»
Jusqu'à présent, Gif s'est surtout abstenu de creuser sa mémoire radioactive. La solidarité nucléaire a parfaitement fonctionné entre SCPRI et CEA. Y compris face aux récentes affaires des décharges radioactives du Bouchet et de Saint-Aubin, dans l'Essonne. Dans les deux cas, le CEA s'est chargé d'expliquer les mesures de radio-activité anormales faites par un laboratoire privé, à l'initiative de deux journalistes du Parisien. Et le SCPRI a délivré des communiqués rassurants quant aux risques encourus, sans attendre d'ailleurs le résultat des contremesures du CEA. Deux dossiers relativement «faciles», concernant deux terrains vagues, clôturés et loin d'habitations. A Gif, la situation présente à l'évidence un autre caractère de gravité. C'est d'un lotissement qu'il s'agit. Bâti avec la garantie du SCPRI, s'appuyant sur les mesures du SPR de Saclay. Le CEA, en reconnaissant sa préoccupation dans sa note confidentielle déjà évoquée, se démarque du SCPRI et de ses déclarations lénifiantes. Un premier accroc à une complicité obligée, dénoncée en secret depuis longtemps par certains ingénieurs du CEA, et qui pourrait se terminer au bout du chemin du radium. Un chemin en forme d'impasse.
Guy BENHAMOU
Le Monde, 18 mars 1975:
Une pelleteuse jaune ouvrant le sol devant une coquette villa, une pelouse éventrée en plusieurs endroits, les dalles du garage et de la cave défoncées, des bidons jaunes ici et là qu'on remplit de terre: tel est le spectacle qu'offre aujourd'hui la propriété de M. José Garcia, sur la colline résidentielle au-dessus de la gare de Gif-sur-Yvette (Essonne).
La villa de M. Garcia, teinturier de son état et père de deux enfants, est en cours de décontamination. Sous la pelouse et le garage gisaient depuis des années des déchets radioactifs. Assez radioactifs pour qu'une mise en fûts soit nécessaire et que ces fûts soient transportés dans une décharge particulière.
Depuis que la «dépollution» a commencé, le 4 mars dernier, une quarantaine de fûts ont été remplis et l'opération n'est pas terminée.
Selon les mesures prises par le service central de protection contre les radiations ionisantes, le S.C.P.R.I., dirigé par le professeur Pierre Pellerin, la radioactivité variait selon les endroits entre 0,5 et 2 millirads à l'heure. Ainsi, une personne exposée en permanence à ce rayonnement aurait reçu une dose allant de 4 à 16 rads par an, alors que la dose maximale admissible est de 0,5 rad par an pour le citoyen et 3 rads pour un travailleur nucléaire sous contrôle médical permanent. Heureusement, le sous-sol de la maison de M. Garcia n'était pas habité, et, selon les examens de sang, les doses reçues par les membres de sa famille n'ont pas eu jusqu'ici de conséquences néfastes. La maison n'était pas contaminée.
«Je suis bien content d'avoir été dépollué. Non, le ne suis pas effrayé pour ma famille», dit M. Garcia, avec un grand calme, et après avoir peu à peu étudié et compris le problème. Selon lui, le devis de dépollution se monterait à 50 000 ou 100 000 F. Aujourd'hui, le souci de M. Garcia est que tous les habitants de Gif-sur-Yvette qui pourraient eux aussi vivre à côté de déchets radioactifs soient prévenus, et dépollués si besoin est. Le terrain sur lequel M. Garcia a construit sa demeure appartenait en effet autrefois à la Société nouvelle du radium, qui possédait à proximité un atelier de fabrication d'aiguilles de radium. Cette société déversait une partie de ses déchets (produits radioactifs ou contaminés, gants, éprouvettes...) dans une carrière de sable qui se trouvait en partie devant et sous le garage actuel de M. Garcia.
La société cessa ses activités en 1940. A cette époque, on ne prenait guère de précautions. Plusieurs ouvriers et l'ancien propriétaire des ateliers lui-même, M. Danne, sont morts des suites de la radioactivité à laquelle ils avaient été exposés. Puis, des parcelles de terrain contaminé furent vendues, une à M. Garcia, une autre à M. Morvan, qui a été dépollué il y a un mois.
Les carences officielles
La partie centrale du terrain où se trouvaient les ateliers resta sans occupant. En 1959, un arrêté municipal en interdit l'accès et la vente, mais il ne fut pas clos sérieusement. Pendant des années, et jusqu'à une date récente, des enfants sont venus jouer sur ce terrain planté d'arbres. Ils ont parcouru les bâtiments, emporté des objets, pris des livres dans la bibliothèque, dispersé les produits radioactifs. Or, le radium, qui a une assez longue durée de vie, émet des rayons gamma très pénétrants et se fixe sur les os. Il devient alors très dangereux.
Le maire de Gif-sur-Yvette, M. Robert Trimbach, tout comme le S.C.P R.I. n'ignoraient pas l'histoire de ce terrain. Mais rien ne fut entrepris pour le décontaminer car le devis était élevé.
Puis un accord fut conclu entre le Commissariat à l'énergie atomique et la propriétaire, Mme Danne, ancienne collaboratrice de Mme Joliot Curie. Une première décontamination des bâtiments eut lieu vers 1967. On élimina le stock de minerai uranifère dont on extrayait le radium : les aiguilles de radium furent placées dans des fûts et transférées à La Hague. Le coût de cette opération s'éleva à 250 000 F.
Il fallut que Mme Danne mette récemment son terrain en vente pour que certains habitants de Gif dont la villa était proche du terrain découvrent les risques auxquels ils étaient exposés. En 1974, plusieurs acquéreurs se présentent et signent une promesse de vente avec Mme Danne. L'un d'entre eux. M Jean Marc Delrieu, physicien au CEA, est alerté par ses collègues sur l'histoire du terrain. Muni d'un compteur Geiger, il se rend sur place. L'atelier vient d'être livré aux démolisseurs. Mais il subsiste dans le sol une douzaine d'endroits radioactifs (environ 3 millirads à l'heure, soit 24 rade par an)
Pourtant, le futur acquéreur de l'une des parcelles. M. Jean-Paul Renner, a reçu du S.C.P.R.I le 7 juin 1974, une lettre signée de M. Pellerin : «Les arrêtés frappant d'interdiction la vente de la propriété de Mme Danne ont été rapportés (...) après une opération décontamination, suivie d'un contrôle d'exécution. En conséquence, cette propriété n'est actuellement grevée d'aucune servitude du point de vue de la radioactivité.»
A la Défense... et ailleurs
M. Delrieu téléphone alors au S.C.P.R.I., sans obtenir de réponse, puis au C.E.A. On lui explique que la décontamination n'est pas terminée et doit se dérouler en trois phases : d'abord les bâtiments, ce qui a été fait en 1967, puis le contrôle des opérations de démolition, enfin le terrain lui même. M. Delrieu porte alors l'affaire sur la place publique et accuse le S.C.P.R.I. et le Service de protection contre les rayonnements (S.P.R.) du Commissariat à l'énergie atomique (C.E.A), qui mène pour le compte du S.C.P.R.I.. les opérations de décontamination, de ne pas procéder à la recherche systématique des sources radioactives. Le C.E.A. rétorque que la vente du terrain n'est toujours pas autorisée (1) et que M. Delrieu cherche à faire baisser le prix du terrain (250 à 300 francs le mètre carré). M. Pellerin estime, quant à lui, que la radioactivité qui subsiste ne nécessite pas de «mesures dramatiques».
Finalement, le terrain de Mme Danne sera soumis à la décontamination cet été. Des ouvriers équipés à certains moments de scaphandres et de gants de protection enlèvent une couche de terre atteignant parfois 2 mètres d'épaisseur et la remplacent par un mètre de bonne terre. Aujourd'hui on peut lire une pancarte : «Beaux terrains à vendre». Pourtant, le lotissement doit faire l'objet d'un dernier contrôle avant d'être autorisé à la vente.
Toute cette affaire n'a pas incité pour autant le S.C.P.R.I. à contrôler les terrains voisins. Il fallut qu'un ami de M. Garcia, M. André Charbonnel, lui-même conseiller municipal, découvre, avec un compteur Geiger, la radioactivité de la pelouse et du garage. M. Garcia a alors dû demander au maire, M. Trimbach, d'alerter le S.C.P.R.I. Ce dernier a procédé aux premières mesures en novembre 1974. Mais les agents de ce service n'ont pas jugé utile d'aller promener leurs compteurs près de la gare où débarquaient autrefois les minerais uranifères, et où des restes de minerais ont servi à remblayer des trous avant que les terrains ne soient construits, il y a une quinzaine d'années. De peur, sans doute, de voir les prix des terrains baisser et certains propriétaires dans l'incapacité de vendre leurs maisons, ou de susciter trop de craintes. M Trimbach n'a pas informé la population. Mais les habitants des propriétés susceptibles d'être polluées vont être prochainement avertis.
Le cas de Gif-sur-Yvette n'est pas isolé. Il existait d'autres ateliers de radium en France : à Bandol, par exemple, dans le Var ainsi que dans le quartier de la Défense (Hauts-de-Seine). Il semble bien que des mesures de radioactivité viennent d'être faites è Courbevoie, où était installée la Société française d'énergie et de radiochimie. Mais à Bandol ?
La législation en vigueur comporte des lacunes. Le règlement sur les établissements classés n'autorise les organismes officiels de contrôle des rayonnements à ne s'intéresser qu'aux locaux professionnels. Quant aux habitations privées, elles ne peuvent être contrôlées qu'à la demande du propriétaire. Mais comment celui-ci saura-t-il si son terrain ou sa maison sont contaminés ? Les compteurs Geiger ne font pas encore partie de la panoplie domestique de tous les Français... Et dans le cas où une propriété est polluée, c'est en principe le propriétaire qui doit supporter les frais de dépollution. Mais Gif, M. Garcia a été exonéré. Qu'en sera-t-il pour les autres terrains si on découvre d'autres déchets ? Il serait temps de renforcer le pouvoir d'action du S.C.P.R.I. et de lui donner les moyens de dépolluer les propriétés après avoir de lui-même demandé à faire les premières mesures de contrôle.
(1) II est vrai qu'il n'existait à l'époque qu'une promesse de vente entre les propriétaires et les acquéreurs intéressés, sans qu'aucun versement financier ne soit intervenu. Le terrain n'est aujourd'hui toujours pas en vente libre.
Dominique Verguese.
DELRIEU Jean Marc
4 F Avenue Edouart Herriot
91440 Bures-sur-Yvette
Objet: Autorisation de vente de terrains radioactifs donnée par le ministère de la santé publique.
Résumé:
La société Difer (128, rue de Paris à Palaiseau)
propose à la vente des terrains pollués par des
matières radioactives, à l'emplacement d'une ancienne
usine de produits radioactifs. Cette société croyait
en toute bonne foi, à la véracité de la lettre
ci-jointe affirmant l'absence de contamination radioactive
résiduelle du terrain possédé par Mme Danne
à Gif-sur-Yvette après l'opération de décontamination
surveillée par le Ministère de la Santé.
En tant que futur acquéreur, à la suite de remarques
faites par mes collégues de travail au C.E.A. à
Saclay sur l'absence de soins apportés à la décontamination,
j'ai effectué un contrôle et j'ai constaté
que le 13 juin cette affirmation ["absence de contamination
radioactive résiduelle"] était fausse. Le taux d'irradiation du public est
sur ce terrain supérieur au seuil légal de 0,5 rad/an ;
il est en certain points de l'ordre de 10 rad/an. A la suite de
mon alerte, le C.E.A. chargé du contrôle a répertorié,
les sources que j'avais signalé plantant de petits drapeaux
sans avoir rien enlevé à la date du 1er juillet ;
de plus il en a oublié en dépit de mes appels téléphoniques,
de sorte que l'entreprise chargée des travaux de viabilité
et de fondations a dispersé des sources, rendant radioactifs
des endroit propres. De plus un contrôle
rapide m'a permis de trouver une source radioactive dans un champ
de pommes de terres d'un voisin (Mr. Morvan). Je demande donc
qu'un contrôle sérieux soit effectué chez
les voisins de façon à éliminer toutes les
sources radioactives qui restent. En particulier dans le passé
des morceaux de l'usine ont étés volés qui
sont très certainement très radioactifs, de sorte
que des personnes sont soumises à des rayonnements sans
s'en douter. Rien n'a été fait pour les en informer
par la presse.
Rapport:
Différents acquéreurs (liste ci-jointe), à
la suite de la proposition de la société Difer [...]
ont signé une promesse de vente pour 9 lots sur le terrain
de Mme Danne à Gif-sur-Yvette. Ce terrain était
autrefois possédé par la Société Nouvelle
du Radium qui y avait construit une usine fabriquant des produits
radioactifs [...]. Plusieurs acquéreurs [...] se sont inquiétés
de savoir s'il ne restait pas de matières radioactives
sur ce terrain, où se trouvait autrefois [cette] usine
[...] fonctionnant avant guerre dans des conditions de sécurité
à peu près nulles (une
bonne partie des ouvriers et de la famille [de Mme Danne] sont
morts de maladies dues aux rayonnements).
Toutes les réponses à leurs questions concordaient:
il ne restait aucun danger. La lettre ci-jointe du Ministère de la Santé
ne laissait aucun doute ; de plus vers le 13 juin 1974 le
préfet a accordé 1'autorisation de division sans
réserves (comme par exemple: sous réserve de contrôle
de tout travaux de terrassements par le S.C.P.R.I. étant
donné les risques très sérieux de déterrer
des produits radioactifs). Ainsi à la date du 10 juin toutes
les personnes concernées croyaient à l'absence de
toute radioactivité. En toute bonne foi je fis une option
le 10 juin sur le terrain qui m'était proposé exactement
à l'emplacement de 1'ancienne usine. Comme par hasard c'était
le dernier terrain de libre. Le lendemain mes collégues
de travail au C.E.A. m'apprirent que ce terrain était bien
connu, très radioactif et que je ferai bien de vérifier
s'il était encore radioactif. N'ayant pu obtenir des preuves
certaines de ces "ragots", j'ai pris l'appareillage
nécessaire à un contrôle rapide (un compteur
Geiger à piles et un Babyline donnant une mesure précise
de l'intensité des rayons Gamma).
Je fus très surpris de constater les jeudi 13 et vendredi 14 juin 1974 un taux de radioactivité fort à l'emplacement de l'ancienne usine dont les décombres venaient d'être enlevés récemment (taux était supérieur à 3 mrad/heure sur des surfaces de plusieurs mètres carrés ; vivant sur ce terrain pendant un an j'aurais subi une irradiation de 24 rad/an alors que le maximum légal pour le public est de 0,5 rad/an) ; j'ai aussi constaté la présence de quelques sources d'intensité comparable jusqu'à 50 mètres de l'usine ainsi que chez un voisin Mr. Morvan dans un champ de pomme de terre (voir plan ci-joint) ; ce voisin m'a d'ailleurs dit qu'il préférait ne pas se plaindre pour ne pas avoir d'ennuis avec sa voisine.
Ainsi ce terrain en principe propre [...] assure à tout habitant actuellement un taux d'irradiation 48 fois supérieur au maximum légal. J'ai très nettement l'impression que sans mes remarques rien n'aurait été fait pour supprimer cet état de fait dangereux puisque les parties concernées n'en avaient pas conscience, leur contrôle avant les démolitions de l'usine ayant été mal fait.
Après cette constatation j'ai téléphoné au S.C.P.R.I. (ministère de la santé) qui n'a pas été capable de me donner une réponse par téléphone: le responsable Mr. Rebattet était en vacances et un chef de service ne sachant rien m'a conseillé d'écrire le lundi 17 juin.
J'ai aussi téléphoné au
chef de service du S.P.R. (Service de Protection des Rayonnements
) au C.E.A. à Saclay qui était chargé par
le S.C.P.R.I. de la décontamination pendant la première
phase et du contrôle des travaux pendant la deuxième
phase. La définition de ces phase ne m'a pas paru très
claire au point de vue pratique: aucun niveau limite de radioactivité
ne m'a été donné. C'est seulement à
la fin de la troisième phase que le terrain deviendrait
habitable par le public. Mr. Joffre chef du S.P.R. a été
très surpris que le préfet ait donné l'autorisation
de division et que les terrains soient en vente ; il n'a
jamais dans un rapport déclaré que le terrain était
habitable dans son état actuel. En particulier à
la fin de la décontamination il avait fait des réserves:
le terrain était décontaminé sous réserve
de contrôle après les travaux de démolitions.
L'entreprise Gailledrat 17 rue P. Rigaud 94 Ivry (tél.
672 41 89) a effectué ces démolitions pendant la
première quinzaine du mois de juin sous contrôle
du S.P.R. (en principe). Ce contrôle a consisté à
dire à l'entreprise que les surperstructures du batiment
étaient propres et sans danger à la suite de la
décontamination et que "s'ils avaient des doutes sur
un objet sorti de terre comme une canalisation d'eaux usées
ils n'hésitent pas à appeler le S.P.R. de Saclay".
Ainsi pendant la démolition l'entreprise n'a pas eu de
"doutes" et le C.E.A. n'est pas venu contrôler
une seul fois du 1 au 15 juin avant mon contrôle personnel
le 13 juin.
A la suite de mes appels téléphoniques le S.P.R.
a controlé les travaux dans la semaine du 17 au 23 juin.
En particulier 1'emplacement de l'usine était plein de
petits drapeaux repérant l'emplacement des sources radioactives.
J'ai remarqué que les sources loin de cet emplacement n'étaient
pas marquées comme si le S.P.R. n'avait pas recherché
les sources loin de cette usine pensant à priori qu'il
n'y avait rien en dépit de mes remarques répétées
par téléphone. En particulier une source placée
très près du chemin de la terre marnée (voir plan) non repérée
par un drapeau a été emportée par les excavateurs qui ont élargi
le chemin. A cette date, 29 juin, j'ai retrouvé cette
source dissiminée dans les déblais du talus qui
sont encore sur place. Le S.P.R. ne s'est nullement inquiété
de mes informations ainsi que d'une source dans le champ de pommes
de terres voisin de Mr. Morvan. Le S.P.R. ne peut intervenir que
sur demande expresse du propriétaire qui refuse pour ne
pas avoir d'ennuis avec sa voisine Mme Danne. Une autre source
non marquée risque dans les quelques jours qui suivent
d'être dispersée sans contrôle par 1'entreprise
Gailledrat, par suite de l'absence d'information par le S.P.R.
de la présence [de cette] source radioactive.
Ainsi il n'y a eu aucune recherche systématique de toutes les sources radioactives pouvant être répandues aux alentours du terrain alors que l'on savait que des fioles de matières radioactives avaient été emportées, cassées, et même volées dans le passé (c'est l'interprétation officielle de la présence de sources en dehors de l'emplacement de l'usine). Je pense aussi que la poussière associée à la démolition des murs de l'usine a contribuée aussi à répandre ces sources sur le terrain et les environs en dépit du la décontamination préalable du S.P.R.. D'autre part le S.P.R. a refusé de prêter un compteur Geiger à l'entreprise Gailladrat chargée des démolitions et des travaux dans la terre pour qu'elle puisse avoir "des doutes" et appeler le S.P.R.. Il parait que la possession d'un compteur Geiger est plus dangereux que de ne pas en avoir, par suite de la difficultée à s'en servir ; cependant l'utilisation est plus simple que celle d'un poste de radio ordinaire.
En résumé pendant les travaux aucun contrôle n'a été fait avant que je contrôle moi-même de sorte que des sources radioactives ont été dissiminées sans contrôle (la décharge où ont été déposés les déblais devrait être controlée).
De plus actuellement on laisse l'entreprise
manipuler la terre sans pratiquement de contrôle, une source
radioactive ayant été emportée sans que l'entreprise
sans rende compte.
Dans cette affaire l'autorisation de diviser le terrain a été
donné par le S.C.P.R.I. sans que l'on soit sûr d'arriver
un jour à supprimer toute radioactivité sur le terrain.
Le S.P.R. a été incapable de me dire quand le terrain
sera sans danger ; c'est seulement à la fin de la troisième
phase que cela se passera [...] et dépend de ce que on
trouvera sous terre en creusant les fondations et les tranchées.
Ainsi chaque futur propriétaire devra posséder un
compteur Geiger et contrôler la terre qu'il remue chaque
fois qu'il creuse un trou. Il me semble inadmissible que le S.P.R.
refuse de préter un compteur Geiger à l'entreprise
chargée des terrassement qui continue apparemment à
ne pas "avoir de doutes". Les ouvriers chargés
des démolitions n'étaient
pas prévenus du danger et n'ont pas été controlés
au spectromètre Gamma à la fin des travaux.
La poussière particulièrement [importante] entraînée
par les démolitions pouvait contenir des poussières
radioactives (ou même le gaz radon), susceptibles d'être
inhalées ou mangées par les ouvriers. Mr. Joffre
m'a affirmé que de telles poussières n'étaient
pas possibles mais comme il a été surpris qu'il
y ait des poussières radioactives après démolitions,
le doute est permis. La facilité d'un contrôle des
ouvriers ne permet pas d'hésiter.
Je suis d'autre part très surpris qu'il
n'y ait aucune recherche systématique des sources radioactives
qui peuvent être répandues dans les environs comme
celle que j'ai trouvée chez Mr. Morvan au cours d'un contrôle
très rapide.
Liste partielle des futurs acquéreurs voisins du terrain qu'on m'a propose: [...]