Voir la circulaire du ministère de la santé du 16 octobre 1989. Le dépliant de l'ASN.
Voir le Quotidien du Médecin du 13 février 1990: "
Accidents nucléaires : comment distribuer l'iode" de Marie-Françoise Depange qui donne un tableau "posologie et formes d'administration de l'iode stable".
Voir l'article de Libération du 26 avril 1996 "
En cas de nuage nucléaire, une dose d'iode"

Les comprimés d'iode: Des tranquillisants contre l'angoisse nucléaire

La décision de distribuer des comprimés d'iode stable au voisinage des centrales nucléaires françaises a donné lieu à des commentaires d'experts médicaux très proches du lobby nucléaire pour qui seuls les iodes radioactifs auraient des effets néfastes sur la santé (du moins c'est ce qu'ils prétendent dans les médias). Ainsi, en prenant ces comprimés d'iode stable en cas d'accident grave la population serait totalement protégée. Tout se passe donc comme si le cocktail de radionucléides qui seraient rejetés en même temps que les iodes (césium, ruthénium, argent, strontium, plutonium et autres transuraniens) une fois inhalés et ingérés n'auraient aucun effet sur la santé. Il est vrai que contrairement aux iodes radioactifs qui ont pour cible la thyroïde sur laquelle ils se fixent, ces radioéléments ne donneraient pas d'effets spécifiques identifiables sur des organes particuliers. Il serait donc difficile pour les personnes contaminées de les discerner parmi les maladies normales et les experts pourraient facilement camoufler leurs effets.

S'il n'est pas possible pour les individus d'identifier les cancers radioinduits non spécifiques, alors il n'est pas nécessaire pour les gestionnaires et leurs conseillers scientifiques d'en tenir compte d'autant plus que ces cancers n'apparaîtraient que très tardivement.

Les iodes radioactifs ayant un effet spécifique sur la thyroïde et cela à relativement court terme (on l'a vu après Tchernobyl avec l'apparition des cancers chez les enfants biélorusses), il n'est pas possible de les négliger dans les gestions post-accidentelles. Ainsi le comprimé d'iode stable devient miraculeusement l'antidote absolu contre les effets des rejets radioactifs en cas d'accident nucléaire grave.

Quelques précisions sur les prises d'iode stable

L'iode stable est administré préventivement pour saturer la thyroïde et empêcher qu'elle n'absorbe ensuite les iodes radioactifs rejetés dans les accidents nucléaires. Dans cette situation la thyroïde serait protégée des effets du rayonnement causés par ces iodes radioactifs ingérés ou inhalés. [Nous ne discuterons pas ici des contre-indications médicales qui ne sont peut être pas aussi anodines qu'on nous l'assure].

Les experts de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) dans la publication 63 de 1992 (Principes pour l'intervention pour la protection du public en cas d'urgence radiologique ) donnent quelques indications sur les procédures à respecter pour que la prise d'iode stable soit efficace. Remarquons que ces experts ont attendu pour nous livrer leurs réflexions que Tchernobyl ait montré indiscutablement le développement de problèmes thyroïdiens, entre autres des cancers, chez les enfants des régions contaminées en Biélorussie, Ukraine et Russie. L'effet désastreux sur la population prenant directement conscience qu'elle avait été contaminée, malgré les dénégations officielles, n'est certainement pas étranger au souci soudain porté aux iodes radioactifs chez les experts internationaux et les gestionnaires nationaux.

La rapidité de la prise d'iode est le point important. La CIPR précise : " L'absorption d'iode radioactif est généralement stoppée 5 minutes après l'administration de 100 milligrammes d'iode stable [pour les adultes] " (art. 70). Encore faut-il que cette ingestion d'iode stable soit faite avant que l'iode radioactif ait agi notablement en saturant la thyroïde, ce qu'indique l'article 71 : " Le bénéfice maximum est clairement obtenu en prenant les tablettes d'iode stable avant l'exposition aux iodes radioactifs ou le plus tôt possible après. L'administration quelques heures après l'exposition à une incorporation unique d'iode radioactif peut réduire l'activité de la thyroïde d'un facteur pouvant aller jusqu'à 2. Une petite réduction de la dose à la thyroïde pourrait être obtenue si l'administration d'iode stable est retardée au-delà de 6 heures et l'action protectrice est nulle au-delà de 12 heures après que l'ingestion/inhalation d'iode radioactif a cessé ".

Ainsi la CIPR indique que l'efficacité d'une prise d'iode stable pour réduire les effets des iodes radioactifs est très petite après un délai de 6 heures pour les personnes sous un panache d'iodes radioactifs.

Prenons ces 6 heures comme référence. Pour les habitants proches du réacteur à problèmes, il faudrait que le directeur de la centrale donne l'alerte suffisamment longtemps avant le début des rejets pour que tous les gens concernés soient correctement informés (par exemple qu'ils aient le temps de rentrer chez eux chercher leur comprimé) sinon leur protection serait réduite, voire illusoire. du moins pour le réacteur de leur voisinage, mais pas forcément pour un désastre sur les autres sites. Un vent normal de 20 à 30 km/heure transporterait l'iode radioactif à une distance comprise entre 120 et 180 km en 6 heures. C'est la distance au-delà de laquelle il serait éventuellement possible de se protéger. Un vent plus violent de 40 km/h porte la distance à 240 km. Enfin dans la vallée du Rhône particulièrement nucléarisée, si le mistral ou la tramontane soufflent à une vitesse d'environ 60 km/h, la distance que l'on pourrait protéger se situe au-delà de 360 km.

On voit, compte tenu de l'implantation des centrales nucléaires dans notre pays, que c'est l'ensemble du territoire qu'il faudrait protéger et non pas la population des quelques km au voisinage des réacteurs.

Le Pr Schlumberger de l'Institut Gustave Roussy concluait de la façon suivante son article intitulé " Les cancers de la thyroïde après Tchernobyl " publié dans la très officielle revue de la Société Française de Radioprotection Radioprotection, (1994, vol. 29 n°3, p. 397-404) : " L'accident de Tchernobyl a montré que les populations vivant à plusieurs centaines de kilomètres de la centrale (région de Brest notamment) [il s'agit de la région de Brest-Litovsk en Biélorussie à la frontière polonaise] peuvent être fortement contaminées et développer dans les années qui suivent un cancer de la thyroïde. Ceci montre que les plans d'intervention doivent être établis au niveau d'un pays, voire d'un continent " [souligné par nous). On voit que la distribution d'iode dans un périmètre de 5 km autour des centrales françaises est un signe de panique irrationnelle et d'incompétence notoire des autorités qui seraient chargées de gérer une " urgence radiologique " (terme pudiquement utilisé officiellement pour catastrophe nucléaire). Irrationalité non pas par rapport à l'éventualité d'un désastre nucléaire mais par rapport à l'efficacité de ces autorités pour gérer de tels événements. A moins bien sûr que ces distributions de comprimés d'iode stable ne soient pas envisagées pour protéger les thyroïdes de la population mais pour réduire ce que les experts en catastrophes industrielles nomment maintenant le " risque psychologique " qui pourrait conduire les habitants près des centrales nucléaires à exiger rapidement leur mise à l'arrêt. En cas d'accident grave ce " risque psychologique " pourrait amener des " turbulences sociales " particulièrement redoutées des gestionnaires. Ils espèrent qu'une population qui se croit protégée demeure plus calme. En somme ces comprimés d'iode stable n'auraient qu'un rôle de tranquillisant. De plus on essaie par cette procédure de responsabiliser les gens. En somme s'il leur arrive des ennuis de santé après un accident nucléaire ce sera parce qu'ils n'ont pas pris correctement leur iode stable. C'est la victime qui devient responsable. Une trouvaille !

Quelques problèmes

Finalement le système soviétique qui interdisait à la population de se déplacer hors du lieu de résidence sans une autorisation, simplifierait notablement la gestion de ces comprimés d'iode stable. L'organisation autoritaire de la société est probablement la meilleure solution pour gérer l'énergie nucléaire !

Le problème des personnes allergiques à l'iode.

Ces individus particuliers ne semblent pas préoccuper les autorités sanitaires. Est-ce parce qu'ils sont peu nombreux donc négligeables du point de vue des responsables sanitaires ? Est-ce parce qu'ils savent qu'ils sont allergiques et que par conséquent ils ne prendront pas les pastilles qu'on leur proposera (mais alors on admet qu'ils ne seront pas protégés en cas de rejets d'iode) ? Mais ceux qui ne savent pas qu'ils sont allergiques à l'iode et que pour eux ingurgiter ces pastilles équivaut à de graves problèmes de santé en perspective ? Les autorités sanitaires jugent (ont-ils des données statistiques à ce sujet) que le nombre de ces personnes est trop petit pour qu'elles s'embarrassent de ces questions.

Cependant nous voudrions rassurer les allergiques à l'iode. Dans le Bulletin National de l'Ordre des Médecins* d'octobre 1986, on trouve au titre des "mesures de radioprotection" la recommandation suivante : " un simple mouchoir mouillé devant la bouche et le nez peut réduire de façon significative une inhalation de produits radioactifs ". Que les allergiques à l'iode exigent qu'on leur fournisse des mouchoirs humides et le problème est résolu...

Ce même bulletin de l'ordre des médecins signale " qu'une douche est généralement suffisante pour éliminer une contamination externe ". En somme si les populations soviétiques ont souffert de contamination interne et d'irradiation externe importantes c'est que le régime n'avait pas développé les douches. Chez nous, rien à craindre, les douches font partie du confort de notre modernité.

Que faire pour les animaux domestiques ?

Dans Libération-Champagne du 17 octobre 1997 à propos des questions que l'on se pose le journal répond à la question " Quels sont les risques pour les animaux ? " la réponse du journal est : " La première précaution à prendre est de les maintenir à l'intérieur de la maison [il faut donc évidemment prévoir un endroit pour leurs "besoins"]. L'administration d'iode est comme chez l'homme une mesure de protection complémentaire envisageable. Les modalités d'administration chez les différents animaux est en cours à l'école vétarinaire de Lyon et votre vétérinaire pourra bientôt, si vous le souhaitez, vous renseigner utilement ". Mais le journal ne dit pas si la consultation sera remboursée par EDF. Avez-vous essayé de mettre un mouchoir humide sur le museau de votre chat au cas où il serait allergique à l'iode ?

Lettre d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine n°78,
octobre-décembre 1997.

 

 

* A propos de l'Ordre des Médecins:

Comment l'ordre des médecins présentait l'énergie nucléaire en 1978

Un article du Dr Paut, "Les maladies de civilisation, le nucléaire" dans le Bulletin de l'Ordre des Médecins d'octobre 1978, analysait d'une façon rassurante les risques nucléaires. Curieusement le mot "cancer" n'apparaît nulle part lorsqu'il aborde les problèmes sanitaires du rayonnement. Sa conclusion :

" Il nous semble indispensable que la population soit correctement et régulièrement informée. Il est légitime qu'elle exige des précautions et des contrôles. Il est cependant rassurant de penser que l'utilisation industrielle de l'énergie nucléaire ne présente ni pour le présent ni pour l'avenir à plus ou moins long terme, de risques inacceptables. Le fardeau génétique transmis à nos descendants peut être léger ".

C'était en octobre 1978, quelques mois plus tard c'était le "mishap" (la catastrophe râtée) de Three Mile Island, puis ce risque non "inacceptable" produisait Tchernobyl et maintenant tous les pays nucléarisés élaborent des plans de gestion accidentelle et post-accidentelle. Quant aux déchets nucléaires il serait absurde de les déclarer "inacceptables" car ils sont là et il faudra bien les accepter et nos descendants n'auront pas le choix.

C'est ainsi que l'Ordre des Médecins a contribué à "correctement" informer la population sur l'avenir de notre industrie nucléaire, ou comment l'institution médicale cautionnait le programme nucléaire.