Il s'est rendu à Tchernobyl dès novembre 1986. Lors d'une conférence tenue en septembre 1992 à Berlin et consacrée aux victimes des radiations, Georges Lépine a indiqué que 70 000 liquidateurs étaient invalides et que 13 000, âgés de 35 ans en moyenne, étaient déjà morts (WiseAmsterdam n°381, 30/10/92).
Aujourd'hui on entend souvent des lamentations
sur Tchernobyl. Mais que peut-on en dire et que peut-on écrire
là-dessus ? Je pense que Tchernobyl attend toujours son
Soljenitsyne qui dira la vérité.
Le pire, c'est que Soljenitsyne a décrit le passé.
Le passé relativement éloigné, alors que
Tchernobyl c'est maintenant. Aujourd'hui.
Prenez, par exemple, le mensonge par omission qui a coûté
si cher aux habitants de Pripyat et des villages alentour. La
seule explication pour comprendre ce qui s'est passé à
Pripyat dans les 36 premières heures après l'accident,
c'est qu'on a essayé de dissimuler ce qui venait d'arriver.
On a essayé d'empêcher la glasnost. Ceux qui finalement
ont pris la décision d'évacuer les habitants n'imaginaient
pas qu'ils les sauvaient. C'est la chance qui les a sauvés
en fait « la langue » de débris issus du réacteur
est passée juste au sud de la ville, par la « Forêt
Rousse ». C'est cette zone de forêt qui a d'abord
souffert du coup le plus brutal. Si le vent avait légèrement
tourné, ces 36 heures auraient alors été
les dernières pour une foule de gens.
Mais même à ce moment-là, le jeu de « Je
ne sais rien, je n'ai rien entendu, je ne dirai rien » a
été joué suffisamment longtemps pour qu'en
soient affectés les habitants de Pripyat.
Il est vrai que les habitants de Pripyat disent souvent que les
dirigeants de la province et de la République ne les ont
pas oubliés mais ces derniers étaient tout simplement
incapables de faire deux choses à la fois. D'abord, il
fallait évacuer d'autres personnes d'endroits beaucoup
plus dangereux leurs parents devaient être évacués
de Kiev. Ensuite viendrait le tour de Pripyat (2).
On justifie ce genre de choses en parlant de « mensonges
dont sortirait un plus grand bien », « de mensonge
qui sauve », et même de « mensonges sacrés
». Peut-être. Mais était-on dans une telle
situation ? Sommes-nous si faibles que nous ne puissions accepter
la vérité, même si elle est souvent très
cruelle ? Quand comprendrons-nous que le progrès est impensable
si l'on n'a pas la force que la vérité peut donner?
On n'a pas du tout tenu compte du fait que les gens impliqués
dans les travaux d'urgence et de liquidation des conséquences
de l'accident souffriraient de sérieuses séquelles.
Cela doit être souligné avec force.
Il suffit de consulter nos journaux. Où trouve-t-on imprimé
le nombre de personnes mortes à la suite de Tchernobyl
? On peut à la rigueur trouver le chiffre 30. C'est tout.
Mais le 31e ne sera pas mentionné. Mais je peux donner
un chiffre différent. Entre 5 000 et 7 000 personnes de
Tchernobyl sont mortes à ce jour (3). Elles ont été
éparpillées dans toute l'URSS. Nous ne pouvons les
compter avec précision. Mais le chiffre peut être
estimé sur la base des témoignages fournis régulièrement
à notre organisation.
Et que penser de cet autre gros mensonge qui semble avoir le soutien
du ministère de la Santé lui-même et qui apparaît
dans le marquage « sans lien avec les radiations ».
Combien y a-t-il de personnes sérieusement malades à
cause de l'accident qui ne peuvent se débarrasser de ce
sale et inhumain marquage ?
Lorsque j'ai tenté de demander à notre centre médical
local de quoi mouraient les gens qui étaient allés
à Tchernobyl, on m'a répondu : « Que voulez-vous
dire ? Cela n'a rien à voir avec Tchernobyl. Ils meurent
d'autres causes. Certains d'attaques cardiaques. D'autres se suicident.
Mais pourquoi ? Après tout, on a conduit ces gens là.
Et si un garçon de 25 ou 30 ans devient complètement
handicapé et vit avec une pension misérable de 70
à 100 roubles par mois ? Et s'il a une famille ? Que fera-t-il
? Il n'a qu'une seule chose à faire se pendre ou se noyer.
Nous estimons qu'il y a aujourd'hui au moins 50 000 handicapés
parmi ceux qui ont pris part aux travaux d'urgence. Les membres
de notre organisation à Moscou ont essayé de les
dénombrer - ils pensent que le nombre est plus proche de
100 000. Je pense que le chiffre de 50 000 est plus proche de
la vérité pour l'instant. Cela fait environ 10 %
du nombre total des personnes qui sont passées par Tchernobyl
pendant les opérations d'urgence.
Hé1as, Mikhail Sergeyevitch (Gorbatchev) ne nous a pas
honorés de son attention nous, humbles travailleurs de
Tchernobyl. Nous aurions beaucoup de choses à lui dire.
Et cela ferait sans doute un peu de bien. Quant à cette
« représentation théâtrale » qu'on
nous a montrée à la télévision, elle
pourrait prendre sa place véritable parmi les oeuvres classiques
de cette période de l'histoire que nous tentons si désespérément
d'abandonner (4).
Il est évident que ce mensonge, qui se présente
sous diverses formes mais qui est le même dans son essence,
sert le but de quelques personnages. Sans doute, pour ces «
quelques personnages », le mensonge est-il le seul moyen
possible de survivre.
Quel paradoxe que l'honnêteté, l'ouverture, la glasnost
soit devenue une sorte de façade derrière laquelle
on continue d'agir, selon notre vieille habitude ô ! combien
profondément enracinée, depuis une coulisse remplie
de toutes sortes de déformations, d'hypocrisie, de fauxsemblants,
de purs mensonges et de demi-vérités.
Mais écoutez ce que disent « les liquidateurs »,
comme on appelle ceux qui sont passés par la zone du désastre.
Essayez de les comprendre. Leur tragédie vous bouleversera.
(...) Une grève de la faim dans la plus grande clinique
radiologique du pays, à Pushche-Volodetse, dans une banlieue
près de Kiev. Les mineurs font une grève de la faim.
Le danger et le risque, c'était leur métier. Mais
les risques qu'ils ont pris en mai et juin 1986 ont été
les derniers de leur courte vie. Ces jeunes garçons, comme
plusieurs milliers de gens passés à Tchernobyl,
ont été conduits à la mort, dans un tunnel
sans lumière au bout. Tout ce qu'ils avaient espéré
s'est effondré à ce moment-là pour de nombreuses
années. Tchernobyl a simplement révélé
la nature de ce qu'ils avaient vécu longtemps avant que
l'accident ne se produise. L'incendie de Tchernobyl a aidé
à éclairer les aspects cachés de notre système,
les endroits que l'on ne voulait pas voir, sur lesquels nous gardions
honteusement le silence. Le mythe selon lequel le mot de «
citoyen » résonne dans notre pays a été
en un instant réduit en cendre.
Docteurs ! Docteurs ! » Le troisième jour de la grève
de la faim, on a pu entendre cet appel cinq fois. Une ambulance
emportait alors un garçon. Un autre était emporté
en salle de réanimation. Les autres étaient soignés
sur place. Tout le monde savait qu'une grève de la faim
était mortellement dangereuse pour ces jeunes à
ce moment-là. Quel mépris de leur dignité,
de leur sort et de leur vie avait-il bien pu les conduire à
prendre une telle décision ? Que pouvaient-ils gagner ?
Dans ce cas encore, quelques flashes de lumière dans la
pénombre de leur tunnel. Une petite part de ce qu'un être
humain est en droit d'attendre d'une société civilisée.
Ils n'ont pas cherché à atteindre des buts personnels.
L'attitude inhumaine à l'égard des victimes de Tchernobyl
est toujours la règle absolue. Autrefois en bonne santé,
ces gens sont tombés malades, incapables de travailler
ou sont morts après Tchernobyl. Le gouvernement fait tout,
non pour sauver les gens, mais pour défendre l'Etat contre
ces gens qui ont fait honnêtement leur devoir de citoyens,
et qui ont risqué leur vie en répondant à
l'appel de ce même État. Il est difficile de considérer
qu'une telle attitude à l'égard des victimes de
Tchernobyl est digne d'un État qui se respecte.
Propos rapportés par Vladimir Tchernoussenko dans son livre Insight from the Inside, Springer verlag 1991.
Traduction de l'anglais par l'ACNM (Association Contre le Nucléaire
et son Monde).
1. Voici un fait rarement noté : « La plupart des animaux sauvages qui se trouvaient dans les zones de plus fortes retombées sont morts ; des cadavres portant des brûlures cutanées témoignèrent alors de doses rapidement mortelles » (Science et vie n° 900 septembre 1992).
2. Selon Konstantin I. Massik, Premier ministre adjoint de la RSS d'Ukraine, dans la seul Ukraine, « dès le mois de mai 1986, le transfert, dans des régions non contaminées de la République, de 526 000 écoliers et mères de familles accompagnées de leurs enfants fut organisé ». (in « L'accident de Tchernobyl : le fond du problème » Unesco : Tchernobyl, le bilan 1991). En fait, environ un million de personnes ont abandonné précipitamment Kiev après la catastrophe « Les premiers jours, la gare de chemin de fer avait été le théatre d'une pagaille inimaginable. La foule avait été encore plus dense que pendant la retraite en 1941 [...]. La panique avait commencé parce que des gens haut placés avaient fait quitter Kiev à leurs enfants, en secret. On n'avait pas tardé à le découvrir dans les écoles, les classes s'étaient clairsemées ». (G. Medvedev, La vérité sur Tchernobyl p 249)
3. Le professeur Lépine donne ici le nombre de morts parmi les 25 000 personnes environ qui ont travaillé dans les zones de haute radioactivité (25 000 liquidateurs ont construit le sarcophage). Ce chiffre concerne des personnes ayant moins de 35 ans, précise V. Tchernoussenko. Le gouvernement ukrainien a indiqué le 22 avril 1992, que « 6 000 à 8 000 habitants dc l'Ukraine sont morts des suites de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl » (AFP 23 /4/92)
4. Lépine fait allusion à la visite de Mikhail et Raïssa Gorbatchev à Tchernobyl le 23 février 1990. Elle dura 40 minutes.
www-ve-com,18 février 2007 :
Georgy Fedorovich Lepin, spécialisé en physique. Il est professeur, docteur en sciences techniques, membre titulaire (académicien) de l'Académie internationale d'écologie. Georgy Fedorovich possède une vaste expérience dans l'enseignement ; il a travaillé dans des universités d'Ukraine, de Russie et de Biélorussie, en tant que professeur et chef de département. Il a de nombreux points de vue intéressants et innovants sur l'apprentissage des étudiants.
Après l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, de 1986 à 1992, il a travaillé dans la zone contaminée au sein de l'unité d'urgence. Il est l'un des organisateurs et le premier président de l'organisation pan-syndicale « Union de Tchernobyl », créée en 1988. Il était l'un des trois auteurs du projet de loi « Sur la protection sociale des citoyens touchés par la catastrophe de Tchernobyl », soumis pour examen aux Conseils suprêmes de Biélorussie, d'Ukraine, de Russie et d'URSS. Ces lois ont été adoptées en 1991. Georgy Fedorovich s'occupe sans relâche des questions d'énergie nucléaire et, dans ce contexte, d'écologie, il publie constamment des articles sur les problèmes de Tchernobyl dans les médias. G.F. Lepin a participé aux travaux de la commission gouvernementale, à la suite de laquelle la commission a décidé de suspendre les travaux dans le domaine de l'énergie nucléaire en Biélorussie pendant 10 ans.
Lorsque l'on parle d'énergie atomique, des doutes surgissent inévitablement quant à sa sécurité pour l'homme. Par conséquent, nous souhaitons connaître l'opinion d'un spécialiste sur cette question.
ve : L'humanité a-t-elle vraiment besoin de l'énergie
nucléaire ? Ou est-ce le vain désir du « roi
de la nature » de montrer sa supériorité sur
elle ?
G.F. Lepin : L'idée d'utiliser l'énergie atomique, à mon avis, appartient aux militaires. Ce sont eux qui voulaient affirmer la force de leur pouvoir avec l'aide du pouvoir de l'atome divisé. Ces développements ont été réalisés par des scientifiques d'avant-guerre et surtout des années de guerre en Allemagne, aux États-Unis et en URSS. Nous devons rendre hommage aux physiciens allemands, dont beaucoup ont compris à quel point cela était dangereux pour l'humanité et ont délibérément retardé les recherches et les expériences sur ce problème [à relativiser, lire : L'Allemagne et la course à l'atome]. Les scientifiques soviétiques, travaillant sur le même problème sous la pression de Staline, ne parvenaient toujours pas à devancer les États-Unis. Et les physiciens américains ont réussi à créer une bombe atomique avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale et n'ont pas tardé à utiliser leur invention pour démontrer leur supériorité militaire, mais pas pour la science et certainement pas pour les besoins de l'économie nationale. Ensuite, les scientifiques ont commencé à réfléchir à l'endroit où ils pourraient utiliser la quantité colossale de chaleur résultant de cet effet secondaire. Et rien de plus.
ve : Comment a commencé l'utilisation de l'énergie de fission atomique ? Quelle idée était l'idée originale pacifique ou militaire ?
G.F. Lépine : Bien sûr, paisible. Les physiciens de nombreux pays avancés travaillent depuis des décennies sur l'idée de diviser le noyau atomique. Et ce n'est que dans les années 30 du siècle dernier que ces études ont été marquées par une découverte dans le domaine de la physique nucléaire. Les scientifiques ont enfin réussi à fissionner le noyau d'un atome. Il y avait une possibilité de réaction en chaîne. Cela a libéré une énorme quantité d'énergie. Cela a suscité des réflexions sur le grand pouvoir destructeur d'un tel processus. Lorsque les hommes politiques ont appris auprès des scientifiques la possibilité de créer une bombe atomique, ils ont classé ces travaux et ont mis fin à l'atmosphère sereine et créative qui régnait alors entre les physiciens de différents pays. Ils ont commencé à penser à fabriquer une bombe atomique.
Ces bombes sont remplies de plutonium. Un tel matériau n'existe tout simplement pas dans la nature. Mais il peut être obtenu à partir de l'uranium U-238 à la suite d'une réaction nucléaire dans le réacteur nucléaire lui-même. C'est pour cela qu'ils ont été créés. Si quelqu'un vous convainc qu'ils ont été créés à des fins pacifiques, n'en croyez pas vos oreilles ! Il est probable que sans un intérêt militaire clairement exprimé, les soi-disant « réacteurs pacifiques » ne seraient jamais apparus.
ve : Il existe une opinion selon laquelle l'énergie nucléaire est très bon marché avec les tarifs modernes du chauffage municipal, l'énergie « presque gratuite » de l'atome « pacifique » semble très tentante pour beaucoup.
G.F. Lepin : On dit que rien ne convainc mieux qu'un exemple. Par conséquent, je donnerai des chiffres précis. Selon des estimations minimales, le coût de construction d'une seule centrale nucléaire de 1 000 MW dotée de l'infrastructure nécessaire coûterait entre 4,5 et 6 milliards de dollars. La construction du deuxième bloc nécessitera 3 à 5 milliards de dollars supplémentaires. Ces calculs concernent la Biélorussie.
Voyons maintenant ce que disent les experts occidentaux. Selon le Département américain de l'Énergie, l'investissement spécifique moyen en capital pour les centrales nucléaires mises en service en 1987 est de 3 700 $/kW de capacité installée. Selon les mêmes données, l'investissement en capital spécifique pour une centrale électrique au charbon avec épuration totale des gaz et autres mesures environnementales construite en même temps à New York était de 1 100 $/kW de capacité installée. Ainsi, la construction d'une centrale nucléaire coûte 3,4 fois plus cher que la centrale au charbon la plus avancée et la plus respectueuse de l'environnement.
Il s'est donc avéré que l'électricité produite par les centrales nucléaires, même sans prendre en compte un certain nombre de postes de coûts importants, s'avère au moins 5 fois plus chère que l'électricité produite par les centrales à cycle combiné.
ve : Alors, d'où viennent les mythes selon lesquels les centrales nucléaires sont les plus économiques ?
G.F. Lépine : De tels mythes sont apparus parce que le complexe militaro-industriel en avait besoin. Derrière les réacteurs et les centrales nucléaires, comme la pointe d'un iceberg, se cache « l'industrie nucléaire », étonnante par sa puissance et son coût. Jamais auparavant des sommes d'argent aussi énormes n'avaient été dépensées pour quelque chose que celles investies dans la création de cette même « industrie nucléaire ». Mais ils n'ont pas l'habitude d'économiser de l'argent pour les besoins militaires.
Après avoir créé un énorme arsenal atomique et tenté de détourner l'attention des programmes militaires, leurs développeurs ont proposé avec acharnement divers projets visant à utiliser l'atome à des fins pacifiques. De plus, ils ont soigneusement sous-estimé le coût de ces installations nucléaires « pacifiques ».
ve : De quel genre de projets s'agit-il ?
G.F. Lepin : Le plus incroyable ! Des projets ont été avancés pour créer de nouveaux lacs et canaux, des installations de stockage et des barrages souterrains, des mines à ciel ouvert et bien d'autres objets de « transformation de la nature » par l'explosion de charges nucléaires. Dans le même temps, ils ont ignoré le fait que ces objets s'avèrent être entièrement contaminés par les produits de fission nucléaire issus de l'explosion atomique qui a créé ces objets.
ve : Et les gens croyaient ?
G.F. Lepin : Pour que les gens croient à tout cela, ils ont procédé à un traitement intensif de la conscience publique. Les gens étaient constamment convaincus, par exemple, que les centrales nucléaires en construction étaient extrêmement fiables et importantes et que la probabilité d'un accident avec rejet de produits radioactifs à l'extérieur du réacteur était faible. Ils sont même allés jusqu'au ridicule : ils ont calculé que la probabilité qu'une personne meure à cause des effets d'une centrale nucléaire est moindre que celle causée par la chute d'une météorite.
ve : Dans quelle mesure les déchets des réacteurs nucléaires sont-ils dangereux dans ce cas ?
G.F. Lepin : Le combustible usé est le radioactif le plus radioactif, le plus mortel de tout ce qu'un réacteur nucléaire « produit ». Le journal «Arguments and Facts» (n° 23, 2003) a rapporté que la Russie, par exemple, possède déjà environ 14 000 tonnes de combustible nucléaire usé. Tobias Münchmeier, de l'organisation internationale Greenpeace, a dressé un bilan complet du problème des déchets radioactifs. Il est clair que l'industrie nucléaire internationale est en crise parce qu'elle ne sait que faire des volumes croissants de déchets des centrales nucléaires. Les déchets radioactifs devraient rester dans le pays où ils sont produits, et non être cyniquement déversés dans un pays pauvre comme la Russie, doté d'une législation environnementale faible. Et la plupart des pays s'attendent à « vendre » leurs déchets radioactifs et leur combustible nucléaire usé à d'autres pays.
ve : Y a-t-il eu des accidents dans les centrales nucléaires avant Tchernobyl ?
G.F. Lépine : En 1986, le nombre d'accidents se chiffrait par centaines, mais il n'y en avait que trois majeurs : l'accident de Winscale (Royaume-Uni, 1957), l'accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island (États-Unis, 1979) et le plus grand - à la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986. Sans compter les nombreux accidents survenus sur des réacteurs de navires militaires et civils, gardés silencieux « pour des raisons de secret ». Les conséquences de ces accidents sont la mort de milliers de personnes ! L'académicien P.L. Kapitsa l'a exprimé très précisément à propos de l'énergie nucléaire en général : « des bombes atomiques qui fournissent de l'électricité ».
ve : La sûreté d'un réacteur nucléaire est une expression contradictoire, elle sonne comme un iceberg chaud.
G.F. Lepin : Des choses étranges arrivent aux réacteurs nucléaires en général. Le fait que dès le début ils n'ont pas voulu se comporter décemment et ont souvent démontré leur caractère peu pacifique, ils les ont obligés à y apporter de plus en plus d'améliorations destinées à réduire le risque de situations d'urgence. Les réacteurs sont devenus plus complexes et plus coûteux au fil du temps. Mais il n'a pas été possible de les rendre plus sûrs.
ve : Quelle est aujourd'hui la tendance dans le monde en matière de construction de centrales nucléaires ?
G.F. Lepin : Réduction des programmes. Dans les pays développés qui possèdent depuis longtemps des armes atomiques, de nombreuses centrales existantes, qui n'ont même pas atteint leur date prévue, sont mises hors service en raison de leurs imperfections techniques. Dans d'autres États, les commandes de nouvelles constructions ont été totalement annulées. Un nombre croissant de pays dans le monde arrêtent le développement de l'énergie nucléaire et penchent vers l'idée d'un moratoire sur la réalisation de ces travaux dans leur pays.
ve : Si nous abandonnons l'usage de l'énergie nucléaire, comment comblerons-nous sa pénurie, alors que la société consomme chaque année de plus en plus d'énergie ?
G.F. Lepin : Mais
on n'a pas besoin de tant d'énergie, parce que... Nous
parvenons littéralement à en jeter une partie importante
dans les égouts. L'épargne est le moyen le moins
coûteux de répondre aux besoins énergétiques
humains. N'ouvrez pas grand les fenêtres en hiver, lorsqu'il
fait chaud dans l'appartement, mais vissez le robinet d'alimentation
en chaleur de la pièce. Installez des fenêtres à
double vitrage au lieu des fenêtres traditionnelles, etc.
Au lieu d'une ampoule à incandescence ordinaire, qui est
inutile à 10 %, achetez des ampoules économiques.
En technologie, il existe un tel concept : l'efficacité.
Tenez-en compte. Alors même l'énergie produite aujourd'hui
par les centrales électriques sera suffisante en excès.
En Occident, il est reconnu que les investissements dans les économies
d'énergie sont 4 fois plus efficaces que la création
de nouvelles capacités. De plus, vous pouvez utiliser l'énergie
de l'eau, du soleil et du vent. Tout cela fonctionne déjà
dans le monde civilisé. Mais c'est un sujet distinct.