Michel Brun, 2022, Gazette Nucléaire n°299:
Canal + a diffusé un reportage : "Nucléaire, la politique du mensonge" (Spécial Investigation, mai 2015). Cette enquête avait mis en lumière les rejets radioactifs de plutonium du site nucléaire de Saint Laurent des Eaux consécutifs à des accidents de fusion (en 1969 et en 1980) sur les deux réacteurs les plus anciens. Des rejets qu'EDF aurait préféré continuer d'oublier. Le journaliste soulignait que la direction d'EDF n'avait pas souhaité répondre à ses questions.
Comme il y avait eu quelques grincements de dents au sein du monde politique, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) s'était fendu d'une note d'information afin de démentir une partie des informations de Canal +. L'IRSN rappelait la communication officielle de l'année 1980 : « Jusqu'en 1994, la surveillance du territoire était réalisée par le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI). Les relevés mensuels de mesures du SCPRI mentionnent uniquement pour mars 1980 : "Rejet anormal d'une faible quantité de radioéléments dans une centrale" ».
Toutefois, l'IRSN reconnaissait la contamination de la Loire par du plutonium en 1980 « estimée à un GBq de radioéléments émetteurs alpha » sans l'associer pour autant à l'accident de fusion de combustible. L'IRSN ne mentionnait aucune infraction à la réglementation mais soulignait au contraire les valeurs d'activités pour les rejets radioactifs gazeux « inférieures aux autorisations de rejets en vigueur à l'époque ».
Le reportage de Spécial investigation mettait en exergue les rejets prohibés de plutonium dans la Loire, des rejets liquides assumés par Marcel Boiteux l'ancien PDG d'EDF. Pourtant, deux jours après la diffusion de l'émission, selon le site Internet de la Nouvelle République, « la centrale a indiqué par l'intermédiaire de son service communication : "avoir respecté les limites réglemen-taires d'autorisation de rejet de l'époque, fixées par l'arrêté ministériel de juin 1979" ». Tentons de voir si le service communication d'EDF avait fait preuve de la transparence tant vantée par l'entreprise ou si la politique du mensonge était toujours de mise même après le reportage de Canal +. [lire la suite]
Michel Brun, 2020, Gazette Nucléaire n°293:
En mai 2015, un reportage de Canal + a
remis dans la mare atomique les rejets liquides de plutonium,
classé comme "émetteur ?" (alpha), consécutif
à un accident de fusion nucléaire dans un des réacteurs
de Saint Laurent des Eaux en 1980. Dans sa note du 18 mai 2015,
l'IRSN confirme bien les rejets liquides de plutonium abordés
par Canal + mais associe « ce rejet au traitement
des eaux de la piscine du réacteur » de la tranche
A2, selon « les éléments d'archive dont
dispose l'IRSN ». La piscine a effectivement été
contaminée « lors de l'éclatement d'un
conteneur renfermant un élément combustible non
étanche, survenu en avril 1980 » [1] mais les
rejets d'émetteurs alpha dans l'environnement n'ont pas
eu pour origine ce seul incident selon les éléments
d'archive dont dispose le GSIEN. EDF a toujours eu certaines difficultés
à s'exprimer sur les rejets de plutonium des vieilles tranches
de Saint Laurent... [lire la suite]
Science & Nature
n°56, mai 1988:
[Les remarques entre crochets en rouge sont d'Infonucléaire]
Le 13 février 1980, au cours d'une montée en puissance rapide du réacteur graphite-gaz* n°1 de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir et Cher) il y a surchauffe de combustible, entraînant un certain nombre de ruptures de gaines protégeant ce combustible. Conséquences sur l'environnement : inconnues. Le 13 mars 1980, autre incident dans la même centrale, mais sur le réacteur n° 2 : fusion partielle de 20 kg d'uranium. Origine de l'incident l'obturation partielle d'un canal par une tôle qui s'est détachée de la protection des tuyauteries dans l'espace situé entre l'échangeur principal et le réacteur. Dans son rapport d'activité du premier trimestre 1980, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) dont on est en droit d'attendre objectivité et impartialité vis-à-vis de la chose nucléaire, indique dans sa rubrique «Incidents divers sans conséquences après vérification», en date du 13 mars 1980 : «rejet anormal d'une faible quantité de radioéléments dans une centrale». Plus tard, ce même SCPRI indiquera que la pollution radioactive est restée en dessous du maximum admissible.
Le plutonium n'existe pas dans l'écorce
terrestre. Il a fallu générer des réactions
nucléaires pour le faire apparaître. Ainsi, lorsqu'un
atome d'uranium 238 capture un neutron, il y a production de
plutonium. Globalement, après 3 ans en centrale nucléaire,
100 kg d'uranium produisent 1 kg de plutonium. Il existe plusieurs
types de plutonium, différenciés par leur nombre
de neutrons. Le plutonium 239 s'éteint de moitié
en 24 400 ans tandis que le plutonium 240 n'a besoin «que»
de 6 000 ans. Le plutonium 239 est employé dans les
bombes atomiques et dans les surgénérateurs nucléaires
de type Superphénix
à Creys-MalvilIe. En revanche un autre isotope, le plutonium
238, est utilisé comme source thermo-électrique
: on le retrouve à bord de certains satellites et dans
quelques stimulateurs cardiaques. Les rejets de plutonium dans
notre environnement proviennent de différentes sources.
En premier lieu, les bombes atomiques. |
Nucléaire, santé-sécurité
A la suite d'une étude de l'Institut
de biogéochimie marine de l'Ecole Normale Supérieure
de Montrouge (Hauts-de-Seine) sur les problèmes de polluants
dans les sédiments de la Loire, le plutonium est apparu.
A des niveaux extrêmement faibles, heureusement, mais de
manière significative pour les chercheurs de cette unité
associée au Centre national de la recherche scientifique
(CNRS). Cette étude a été menée sur
la Loire fluviale, de Saint-Laurent-des-Eaux jusqu'à l'estuaire.
Quatre centrales sont implantées le long de ce fleuve.
«En amont de ces centrales, explique Jean-Marie Martin,
l'un des scientifiques chargés de l'enquête, il
n'y a quasiment pas de traces de plutonium. Les seules traces
correspondent aux retombées d'explosions nucléaires
effectuées dans l'atmosphère. Or, une fois passée
la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, le taux de plutonium est
multiplié par dix et va ensuite décroissant lentement
jusqu'à l'estuaire. Il y a en fait deux sortes de plutonium
car celui d'une centrale a une composition très différenciée
au plan isotopique par rapport à celui généré
par une bombe atomique.» C'est donc lors du colloque
«Nucléaire, Santé Sécurité»,
organisé en janvier 1988 à Montauban, que Jean-Marie
Martin et son collègue, Alain Thomas, ont fait état
de la présence de plutonium dans la Loire.
Après avoir décrit toutes les contaminations radioactives
possibles de notre environnement, les deux chercheurs ont comparé
les activités rejetées dans le milieu à partir
des différentes sources de radioéléments.
Conclusion : «Nous avons pu mettre en évidence
la présence indiscutable de plutonium d'origine industrielle
dans les sédiments et les suspensions de la Loire fluviale
dès 1980» précise le rapport. Cependant,
s'il apparaît que les concentrations en isotopes de plutonium
238, 239 et 240 proviennent bien des centrales nucléaires,
en revanche il est impossible de préciser si ce plutonium
est rejeté en fonctionnement normal ou est consécutif
à l'accident survenu en 1980 à l'un des réacteurs
graphite-gaz de Saint-Laurent-des-Eaux.
Il y a donc indéniablement des traces de plutonium dans
la Loire.
Le plutonium n'est pas inoffensif. Les tests
effectués sur les animaux - le premier remonte à
1944 - le prouvent. On s'aperçoit, lors d'expériences
menées sur le rat que cet élément, lorsqu'il
est injecté, se concentre essentiellement sur deux organes
- le foie et les os - et induit à terme des cancers. Et
chez l'homme ? |
Organismes benthiques
Nul ne peut encore dire si les faibles concentrations
radioactives sont ou non dangereuses pour l'homme [si, lire: Quelques études
effectuées aux USA sur les faibles doses de rayonnement
et le cancer]. Certains n'excluent toutefois pas que des modifications
du patrimoine génétique sont susceptibles de se
produire lorsque l'irradiation affecte les organismes pendant
une période de temps relativement longue.
Que dire de la bioaccumulation des polluants dans les chaînes
alimentaires ? Il apparaît, d'après le rapport des
deux chercheurs français, qu'en ce qui concerne le plutonium,
les
analyses effectuées dans différents organismes benthiques
- qui vivent en mer, sur le plateau continental - autour de la
Hague, révèlent que la contamination, exprimée
en facteur de concentration, décroît avec le degré
de complexité des organismes [et qui mange au final les crustacés ???].
Reste que, comme le note le rapport «la notion de concentration
moyenne dans l'ensemble d'un organisme, peut cacher des accumulations
sélectives dans certains organes».
Jean-Marie Martin devant l'ensemble de spectrométrie.
«Mon sentiment, explique Jean-Marie Martin, c'est
qu'il n'y a pas de risque avec un si faible niveau d'activité
dans la Loire. Mais c'est un sentiment. Donc plus subjectif qu'objectif.
Le problème est de savoir quelle crédibilité
on peut porter aux normes [lire:
Le système international de radioprotection
est fondé sur des données fausses]. En quelques
années, ces normes ont été divisées
par dix. Il est question aujourd'hui de les diviser par trois
ou quatre. Mais ces normes sont établies pour des individus
adultes en bonne santé. Mais qu'en est-il pour les personnes
fragiles, les enfants et les foetus ?».
Christa d'Ailyan
*Réacteur à uranium naturel graphite-gaz
(UNGG) réacteur utilisant l'uranium naturel comme combustible,
du graphite comme modérateur et du gaz carbonique comme
fluide caloporteur.