Le procès de lingénieur Joe Carson
Cet ingénieur qualifié travaillait pour le Département de lEnergie (DOE) et était chargé de vérifier le respect des règles de sécurité et de sûreté sur les sites nucléaires dépendant du DOE. Joe Carson est désormais considéré comme un " whistleblower ". On appelle ainsi aux Etats-Unis les employés qui dénoncent des dysfonctionnements de la sûreté dans les installations nucléaires. Il a révélé que pendant quil était chargé de superviser la sûreté sur le site nucléaire dOak Ridge, ses rapports à la direction du DOE qui dénonçaient les violations des règles de sûreté et de sécurité sur différents sites nucléaires dépendant du Département de lEnergie ont entraîné la diminution de son salaire, la suppression de son travail de contrôle et sa mutation sur un autre site.
En avril 1999 le " Merit Systems Protection Board " [Commission ayant un rôle analogue à nos Conseils de Prudhommes ?] avait statué que les actions juridiques entreprises par le Departement de lEnergie contre J. Carson étaient des représailles. Cette Commission avait rejeté en février 2000 lappel fait par le DOE et ordonné la réintégration de J. Carson à son poste de travail.
L" American Engineering Alliance ", une association nationale dingénieurs américains dont le siège est à New-York, prend fait et cause pour cet ingénieur dans une lettre de son président adressée le mois dernier au Secrétaire à lénergie des Etats-Unis par laquelle il lui demande dintervenir auprès des avocats du Département de lénergie afin de clore ce procès par " une solution immédiate, équitable, faisant montre de compréhension ". Dans cette lettre il est indiqué que DOE a déjà dépensé près de 400 000 dollars dans cette procédure juridique.
De plus le 12 février cette association, dans un acte appelé un " brief ", a déposé ses conclusions avant laudience de la cour de justice avec la déclaration suivante :
" Les ingénieurs agréés qui sont employés par une agence fédérale ont lobligation éthique, morale et légale de protéger le public et cette obligation nécessite la liberté de parole afin de pouvoir sen acquitter ".
(Extraits de larticle de Paul Parson, The Oak Ridger, 1er mars 2001).
Le réacteur-2 dIndian Point : un ingénieur démissionne
Cette centrale dIndian Point est située sur la rivière Hudson en amont de New York, à 35 miles (58 km) au nord de Manhattan. Cest sur le réacteur 2 quil y a eu rupture dun tube de générateur de vapeur il y a un an le 15 février 2000. Sa remise en route il y a 2 mois, le 28 janvier, sest accompagnée de nombreux incidents, le dernier en date étant une fuite de vapeur due à un trou dans la tuyauterie dune ligne de décharge de vapeur. Lexploitant Consolidated Edison vend ce réacteur à la compagnie Entergy Corporation, vente fixée en mai ou juin malgré les protestations et pétitions des groupes environnementaux qui réclament sa fermeture pour la médiocrité de la maintenance et la mauvaise gestion chronique. Or voilà ce quon apprend :
Daprès lAssociated Press et le New York Times du 1er mars, un ingénieur dune entreprise travaillant pour la ConEdison a démissionné après un différend avec la direction de ConEdison mettant en cause la fiabilité du système commandant larrêt automatique du réacteur en cas dincidents.
La démission intervient après que cet ingénieur ait écrit une série de rapports au sujet du système de protection qui contrôle les températures, pressions, débits et autres paramètres. Il a constaté des différences entre les plans relatifs au dossier dorigine (il y a 25 ans) et le câblage actuel. Ces différences entre les dessins dorigine et la réalité ont été tout simplement " traités " en changeant au fur et à mesure les dessins dorigine. Or, les analyses de sûreté faites avant que lautorisation de mise en route ne soit accordée par la NRC dépendent des plans, diagrammes etc. du dossier dorigine. Si la réalité daujourdhui diffère de celle correspondant à lanalyse de sûreté cela signifie que les systèmes de sécurité peuvent ne pas fonctionner comme cela a été prévu.
La ConEdison affirme que la sûreté nest pas en cause. La NRC (Nuclear Regulatory Commission, lautorité de sûreté) examine le différend. Pour remplacer le démissionnaire et afin de restaurer la confiance du public et des travailleurs du site la ConEdison vient dembaucher un ingénieur qui a travaillé sur un réacteur de la Northeast Utilities au début des années 90 et était à lépoque un " whistleblower ".
Un vigile se rebiffe pour raisons de sécurité, est licencié, doit être réintégré sans perte de salaire.
Un autre problème à Indian Point. Un vigile, travaillant 12 heures par jour pendant 5 jours a été licencié (abusivement daprès le ministère du travail) pour avoir refusé de travailler un 6ème jour. Sil avait accepté, (72 heures par semaine !) son état de fatigue ne lui aurait pas permis dassurer la sécurité du site, il aurait violé le règlement de la NRC et " cela aurait pu représenter une menace pour le réacteur, ses employés et la communauté dans son ensemble ". LOffice de la Santé et de la Sécurité a ordonné sa réintégration et le paiement de ses arriérés.
Quant à la NRC elle a ordonné de résilier toutes les mesures prises à lencontre du vigile de façon à sassurer que son licenciement " na pas eu pour effet de geler la volonté dautres employés de faire part de leurs inquiétudes concernant la sûreté et leur obéissance [à un ordre] "
Remarques
Voilà qui donne un éclairage très particulier sur la façon dont la ConEdison envisage la gestion.
Si des cas analogues se posaient chez nous on espère que la DSIN, comme la NRC, saurait sopposer à ce que les éventuelles inquiétudes des travailleurs concernant la sûreté et les problèmes dobéissance à la hiérarchie ne soient pas " gelées ".
Mais en fait, quen est-il en France dans nos centrales nucléaires et dans les entreprises sous-traitantes travaillant pour le nucléaire ? Lorsque des règles de sûreté sont manifestement bafouées les employés ont-ils la possibilité dintervenir publiquement sans avoir à redouter des sanctions pouvant aller jusquau licenciement ? Lactivité des Conseils de Prudhommes en principe chargés de ces conflits entre employés et employeurs nest-elle pas dominée par le lobby nucléaire ? En France, la démocratie cest " cause toujours mais nespère rien ".
La transparence tant chantée sur tous les tons est pilotée par linterdiction qui est faite aux employés de simmiscer dans les débats en rendant public ce quils savent sur ce qui se passe dans les centrales nucléaires et les entreprises sous-traitantes. La clause de confidentialité mise en avant récemment par EDF va renforcer cet état de choses.
La transparence, mythe médiatique ! La DSIN intervient-elle pour protéger les employés du nucléaire qui veulent faire part de leurs inquiétudes ? Comme les ingénieurs agréés employés par une agence fédérale américaine, les travailleurs du nucléaire nont-ils pas chez nous aussi " lobligation éthique, morale et légale de protéger le public et cette obligation nécessite la liberté de parole afin de pouvoir sen acquitter ".
Bella Belbéoch, 7 mars 2001.
------> USA, État de New-York : fuite radioactive à la centrale d'Indian Point 2