Il y a des mots redoutables...
Dans le compte-rendu de la réunion de
la " Commission Autorités Locales "
de la centrale nucléaire de St-Alban-St-Maurice, nous avons
remarqué l'intervention du Directeur de la centrale :
" Attention à l'utilisation du
mot confinement, il faut plutôt parler de mise
à l'abri ".Le Médecin de la centrale
approuve : " En effet il faut parler de mise à
l'abri car, avec confinement, on induit la sensation de manque
d'air ".
Mais tout de même on ne va pas jusqu'à dire que l'enceinte
de confinement n'est qu'un abri !
Cette préoccupation du bien-être
mental des citoyens est de plus en plus présente chez les
experts du risque. Récemment, ils viennent d'ajouter le
" risque psychologique " à la liste
des risques industriels. L'intervention du sociologue de
service à la réunion de Saint-Alban est assez curieuse
: "Le risque est surtout dans la
tête : on en a une certaine représentation ".
Ainsi le risque ne serait qu'une représentation mentale
mais l'objet de cette représentation n'est pas précisé.
Cet expert sociologue arrive à l'équation
:
Quant au chef de la centrale, lui, il déclare
: " En effet, il faut qu'ils craignent
et en même temps ne redoutent pas ". Curieuse distinction
entre " craindre " et " redouter "
que le Petit Robert (cet exploitant nucléaire ne
l'a probablement pas consulté) donne comme synonymes !
L'adjudant de service présent à cette réunion
est, lui, préoccupé par l'information : " On a de plus en plus d'information qui parfois
mène à la désinformation ".
De toute évidence pour cet adjudant, arriver à une
information correcte nécessite de moins en moins d'informations.
L'ignorance et la stupidité sont généralement
faciles à gérer, cet adjudant a certainement de
l'expérience en la matière. Ses compétences
ont dû être appréciées pour qu'on l'ait
choisi afin de participer à cette commission.
Tous ces propos sont extraits du compte-rendu intitulé " Projet Iode, opération de prédistribution d'iode stable autour de la centrale de St Alban-St Maurice ", réunions du comité de pilotage du 24 mai 1986 et du 27 juin 1996.
Le franc-parler de notre ministre de l'éducation nationale
Le 4 septembre 1997 sur France-Inter pendant l'émission Le téléphone sonne, Claude Allègre notre ministre de l'éducation nationale donne son avis sur les diverses filières de l'enseignement : " Les étudiants des filières techniques sont des produits excellents ".
Il est bien évident que les filières techniques les plus prestigieuses devraient, selon lui, donner des " produits " plus qu'excellents. Un bon produit dans notre société marchande est un produit qui se vend bien ou, ce qui revient au même, qu'on achète facilement.
Qu'en pense le corps des mines, la filière technique par excellence ? Monsieur Syrota, le patron de la Cogéma, est-ce un " excellent produit " ? Ou Guillaumat qui a permis à la France de rejoindre le club des bombardiers nucléaires et de se placer au top niveau du nucléaire civil ? Cet " excellent produit " de notre système éducatif a réussi l'exploit de se faire avoir par deux escrocs (de mauvais produits du système éducatif italien) qui nous ont pompé un bon paquet de fric en lui vendant l'exclusivité des avions renifleurs ! Le ridicule de cette stupidité n'a pas affecté sa réputation d'excellent produit.
L'erreur humaine
Bien que l'individu soit nié en général il demeure cependant fort utile pour déculpabiliser les autorités responsables en cas de crise. L'erreur humaine, manifestation de l'irrationalité des individus permet de tout expliquer rationnellement, même les échecs de la rationalité. Comme l'erreur humaine est par nature inévitable, elle justifie et excuse a priori l'existence d'échecs catastrophiques.
Bien sûr l'erreur humaine ne peut venir que des exécutants, jamais des concepteurs ou des gestionnaires.
Questions :
- Trouvez une erreur inhumaine.
- La matière peut-elle produire de l'erreur ?
L'erreur humaine est, pour notre société libérale, ce qu'a été le sabotage pour la société autoritaire stalinienne.
Comment décontaminer à Tchernobyl
" La police biélorusse a par ailleurs arrêté jeudi une trentaine de personnes qui manifestaient à Minsk pour protester contre un projet du président Loukachenko visant à forcer les étudiants à travailler dans les zones contaminées par l'accident nucléaire de Tchernobyl ". C'était une information dans Le Monde daté des 23-24 mars 1997, sans commentaire. La journaliste, dans cet article, consacre 14 fois plus de place aux ennuis du financier " philantrope " américain George Soros en Biélorussie qu'à ces étudiants que l'on veut envoyer dans les zones contaminées. Il faut bien sûr respecter les vraies valeurs (financières) de notre société.
Avis aux parisiens
Dans Le Monde du 10 septembre 1994, concernant la région Ile de France :
" L'engagement d'objectifs " signé jeudi 8 septembre entre le préfet de police et le directeur de la sécurité civile, va permettre de réunir les moyens nécessaires à la lutte contre les risques majeurs dans la région. Il illustre également le renforcement du rôle de l'État dans la gestion des situations de crise ".
Le journaliste qui rend compte de cet événement ajoute " La présence d'une centrale nucléaire importante, celle de Nogent-sur-Seine, en amont de Paris, ne met pas la capitale à l'abri de risques majeurs ".
Parisiens, soyez rassurés, l'État veut renforcer son rôle dans la gestion d'une catastrophe nucléaire à Nogent-sur-Seine. Le préfet de police " (...) dispose de moyens d'interventions civils et militaires très importants ". Pas de panique. Si ça pète à Nogent l'armée nous protègera !
Causes étranges. L'anormal. L'impossible est-il possible ?
Lorsque les plages du midi de la France sont soumises à une contamination bactérienne, la cause en sont les orages. Lorsque l'air à Paris est pollué c'est à cause de la température élevée et à l'absence de vent. On pourrait donc supprimer cette pollution en supprimant les causes : installer des climatiseurs dans les rues et des ventilateurs aux carrefours !
Lorsqu'une passerelle en bois s'effondre à Grenoble on nommera une commission d'experts qui travaillera des années pour établir la cause de la rupture. Le fait que la passerelle n'était pas assez solide pour supporter la charge qu'on lui a fait subir ne semble pas être une cause suffisante.
Lorsqu'EDF vide brutalement l'eau d'un de ses barrages et noie la vallée, les experts s'interrogent : l'eau en certains endroits avait une " vitesse anormale ". Comment l'eau avait-elle pu se tromper pour établir sa vitesse d'écoulement ? Mystère.
Dialogue entendu il y a quelques mois à la radio (France-Inter) entre un haut-communiquant d'EDF et un haut-sécuritaire du CEA (un ex-EDF). Le premier déclare que les accidents graves sont impossibles sur nos réacteurs. Le second approuve en déclarant " nous faisons tout notre possible pour les éviter ". Le journaliste qui animait ce dialogue n'a pas eu l'audace de demander pourquoi il fallait faire l'impossible (car tout le possible est impossible) pour éviter l'impossible. En somme tous les problèmes de sécurité dans l'industrie nucléaire reviennent à éviter l'impossible. Cela est évidemment tout à fait possible pour les experts !
" Enquête à Lyon sur une bulle de soufre intempestive "
C'est le titre d'un article du Monde du 19 août 1997. Une " bulle de soufre ", le 13 août 1997 a produit une " pollution atmosphérique ponctuelle au dioxyde de soufre, sur l'agglomération lyonnaise ". Une bulle, d'après le Petit Robert ne serait qu'un globule ; aussi, rien d'étonnant à ce que cela ne produise qu'une pollution ponctuelle (un point ce n'est pas très grand). Ce qui est plus surprenant c'est que l'agglomération lyonnaise ne soit que ponctuelle !
Petit problème
En 1989 (Le Monde des 2-3 avril 1989) le célèbre vignoble " Château Latour " à Pauillac est évalué à 1,2 milliards de francs. C'est l'un des quatre grands crus du Médoc avec Margaux, Lafite-Rothschild et Mouton-Rothschild.
Les 80 hectares de Margaux valaient en 1989 entre 1,5 et 2 milliards de francs. Toutes ces merveilles sont tout près de la centrale nucléaire du Blayais sur la Gironde.
Problème assez simple : Que vaudraient ces grands crus si une " urgence radiologique " (c'est le terme employé par les experts internationaux pour désigner une catastrophe nucléaire) survenait sur les réacteurs de la centrale du Blayais ? La question pourrait aussi être posée pour St-Estèphe, St-Julien, Haut-Médoc, Côtes de Bourg etc...
Gare aux moulins à vent !
C'était en 1979, à la fin mars un des réacteurs de Three Mile Island (notez que lorsque vous voyez un " s " à la fin du mot " Mile ", vous êtes certain qu'il s'agit d'un chroniqueur qui n'a jamais consulté un document de l'époque, ce " s " est un indicateur précieux pour détecter ceux qui expriment leurs fantasmes et non la réalité de l'époque. Fermons la parenthèse), donc à la fin mars 1979 un des réacteurs de Three Mile Island, en Pennsylvanie, USA, est en déroute et menace la région. Les opérateurs sont inquiets, ils ne contrôlent plus la situation. Le Monde des 1-2 avril 1979 (donc rédigé le 31 mars 1979) titre un éditorial en première page Le " pépin ". Il est intéressant de suivre en détail avec quelle sérénité les éditorialistes réagissent au nucléaire : " Cela devait arriver. Il n'est pas d'exemple qu'une source d'énergie ait pu fonctionner impunément depuis qu'elle existe. Les moulins à vent ont bien dû emporter quelques têtes, le charbon a des milliers de victimes à son passif et les barrages hydroélectriques ont parfois cédé ". Ainsi, au moment où les responsables locaux et le gouverneur de l'état s'interrogent pour savoir s'il faut évacuer la population, Le Monde est serein. Mieux, il voit dans cet accident un véritable intérêt : " Pour la première fois les ingénieurs de la sécurité vont pouvoir travailler non plus sur des fictions mais sur la réalité et des progrès ne manqueront pas de s'ensuivre ". Bien sûr que l'accident de TMI a été l'occasion de certaines révisions à EDF et ailleurs. On croirait entendre M. P. Tanguy lorsqu'il indiquait qu'à cause de TMI, la formation des opérateurs allait être modifiée. Merci à l'accident nucléaire source de progrès ! Quelques années plus tard un accident bien plus important, à Tchernobyl, permettra si l'on en croit ce journal, des progrès encore plus spectaculaires ! En somme, il suffit d'attendre encore un peu. Au bout de quelques accidents de plus en plus graves le nucléaire pourrait être " au point " (où " à point "...)
Dans l'éditorial, une autre perle " La peur vient aussi du mystère ". C'est une prémonition de ce que quelques années plus tard les experts appelleront la radiophobie et que chez nous on baptise désormais " le risque psychologique ".
En 1979 les journalistes du journal Le Monde n'ont pas réalisé qu'aux États-Unis il n'y a plus eu de commande après 1978 et que le déclin date de 1973, bien avant l'accident de TMI. Pour eux " sans les apports de l'énergie atomique, au moins pendant un certain temps, c'est l'économie tout entière qui sombrerait au niveau du sous-développement ". Bizarre, les USA auraient commencé à " sombrer dans le sous-développement " dès 1973 ! Nous par contre, notre envolée dans le nucléaire à partir de 1974 qu'est-ce que ça nous a réussi...Leur appréciation sur l'impact de l'électronucléaire sur le chômage est intéressante à mentionner : " Un brutal changement de cap dans les programmes nucléaires augmenterait sensiblement le nombre de chômeurs ". Chez nous le nucléaire a été particulièrement envahissant et cependant il n'a pas pu enrayer la montée rapide du chômage. Il est vrai qu'un accident nucléaire grave serait certainement créateur d'emplois. Voyez le nombre de " liquidateurs " (plus de 800 000) qui ont travaillé et travaillent à tenter de " liquider " les conséquences de Tchernobyl et ce n'est pas fini.
Pour bien montrer que cet accident nucléaire de TMI n'a rien de bien grave, dans un autre article du même numéro du Monde intitulé " Sources d'énergie et grandes catastrophes ", sont énumérés les accidents " les plus spectaculaires ou les plus meurtriers des dernières décennies " qui ont marqué l'histoire de l'énergie. Pour Le Monde la marée noire de l'Amoco Cadiz en Bretagne (16 mars 1978) a été " la plus grave catastrophe écologique de tous les temps ". Les journalistes du Monde ne pouvaient imaginer pire. Tchernobyl leur a-t-il apporté quelques éléments complémentaires d'information ? Nous verrons cela dans une prochaine " Variétés ".
Three Mile Island et l'approche probabiliste de la sûreté nucléaire
Le journal de la profession nucléaire, Nucleonics Week du 26 avril 1979 rapporte une interview du Pr Norman Rasmussen, le directeur des études dites " Wash 1400 " sur la sûreté des réacteurs nucléaires. Cet éminent expert en sûreté nucléaire a inventé l'approche probabiliste de la sûreté et du risque nucléaire. C'est le pape de la sûreté.
Les promoteurs de l'énergie nucléaire ne pouvant pas garantir une sûreté absolue de type déterministe, y ont substitué l'approche probabiliste. En usant de l'impact psychologique des petits nombres cette approche a pris le relais pour justifier une industrie dont on ne pouvait pas garantir la sûreté.
Three Mile Island a mis les pieds dans le plat : un accident d'une probabilité extrêmement faible osait se produire. Nucleonics Week (26 avril 1979), se référant aux travaux antérieurs de l'expert Rasmussen écrit : " La séquence [accidentelle qui a eu lieu à TMI] (...) devait avoir d'après Wash 1400 une probabilité de 10-7 à 10-8 par année réacteur [c'est à dire une occurrence rarissime de 1 pour 10 à 100 millions d'années-réacteur ] (...) mais comme Rasmussen l'a signalé, quand les opérateurs laissent fermées les valves de contrôle de l'alimentation en eau, alors cette probabilité se change en 1 par année-réacteur et c'est ce qui est arrivé " .
Curieux. En analyse probabiliste on est supposé prendre en compte la totalité des événements possibles. Mais il semble bien, d'après cet aveu du père de l'approche probabiliste du risque nucléaire, que les experts, lorsqu'ils qualifient les accidents graves en lançant ces chiffres rassurants de probabilités si faibles qu'on a tendance à les considérer comme impossibles, n'ont pas tenu compte de certains événements (mais est-ce possible d'inventorier la totalité du possible ?).
En somme on peut résumer l'approche probabiliste de Rasmussen de la façon suivante : si tout se passe bien il n'y aura pas de problème, les probabilités que nous avons calculées en sont la preuve. Mais si cela se passe mal, alors je ne peux rien garantir!
" Accident nucléaire ? Vite, une pastille "
C'est le titre d'un article de la Nouvelle République du 8 novembre 1996 qui commente la décision de distribuer des pastilles d'iode stable aux habitants près des centrales nucléaires. En conclusion le journaliste cite des propos tenus par le sous-préfet de Vienne : " On a été surpris par le degré de maturité des gens. En faisant une démarche volontaire, ils sont devenus acteurs de leur propre protection [souligné par nous]. Plus on parle du risque, plus il est partagé [sic] ".
En somme, maintenant que les gens sont en possession de leur pastille ce sont eux qui sont maîtres de leur sécurité. Après un accident nucléaire, s'il leur arrive quelque chose ils en seront responsables.
A en croire le sous-préfet, avant que ces pastilles n'aient été distribuées seules quelques personnes couraient un risque en cas d'accident. Qui ? EDF, la préfecture ? La population était hors du risque. Après la distribution des pastilles ces quelques personnes à risque réussissent à le partager avec toute la population. En somme, d'après les propos du sous-préfet, refuser la pastille c'est refuser le risque ! A entendre ce genre de stupidité chez des gestionnaires qui devraient intervenir en cas d'accident on peut craindre le pire.