Depuis des années, il est établi que de nombreux Américains ayant participé ou assisté à des expériences atomiques ont été touchés par des radiations, soit par le rayonnement direct, soit par les retombées ou les débris radioactifs.
(...) La plupart des victimes, souvent d'anciens
militaires, avaient participé à des manoeuvres "
en situation réelle ". D'autres victimes furent aussi
les habitants riverains des champs d'expérimentations du
Nevada ou de l'Utah. On estime qu'entre 1946 et 1963 au moins
200 000 G.I. ont assisté à des expériences
dans des conditions de sécurité plus que douteuses.
Une enquête parlementaire britannique a révélé
en mars 1984 que durant la même période, plusieurs
milliers de soldats de Sa Majesté ont été
volontairement
exposés " pour constater les effets ", avouent
les amiraux et les généraux dans leurs rapports
de l'époque, rapports secrets bien évidemment. Aux
Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, beaucoup de ces anciens militaires
sont morts prématurément ou sont atteints de maladies
incurables à l'évolution mal connue.
Dans ces deux pays, des associations ont été fondées
afin de défendre les intérêts dés anciens
" militaires nucléaires ". L'un d'entre eux,
John Smitherman, atteint d'une grave maladie, fut d'abord pris
en charge par le Veterans Appeal Board Office. Devant l'échec
des médecins américains face à son affection,
il décida de se rendre au Japon pour consulter le docteur Hida et le docteur Abe, spécialistes
des maladies dues à la bombe atomique.
Le résumé du dossier médical de John D. Smitherman
montre à quel point les effets des radiations peuvent se
manifester de manière insidieuse, très longtemps
après le sujet a été exposé.
Historique
En juillet 1946 lors de l'«Opération Crossroads», John D.
Smitherman, marin de l'U.S. Navy, servait à bord du navire
Allen N. Sumner croisant à proximité des
îles Marshall, devant l'atoll de Bikini.
Le premier juillet, il assiste à
l'essai d'une bombe atomique dénommée "
Abel ", identique à celle lancée sur Hiroshima.
Son bateau évolue dans un rayon de trente kilomètres
autour du point de l'explosion. D'après son récit,
les marins vêtus seulement de shorts et tee-shirts reçoivent
des retombées de l'explosion. Il faut savoir que ces poussières
contiennent du sable, de minuscules débris de pierre, de
métal ; ces matériaux se sont vaporisés et
sont devenus fortement radioactifs. A l'issue de la premières
expérience, il fait partie d'une mission qui va, sans vêtements
spéciaux, sur la plage de l'atoll rechercher une caméra
automatique protégée par une boîte de plomb
spécialement conçue.
Le cuirassé américain USS Nevada à 600 m du point zéro du "test Abel" est visité par des soldats en chemisette...
L'épave d'un camion militaire sur le pont de l'USS Nevada. Un militaire du Groupe de contrôle des dommages, remplit des formulaires préparés avant les tests pour assurer une bonne communication des données.
Les restes d'un hydravion sur l'USS Nevada.
Le 25 juillet,
il assiste à l'essai atomique " Baker "
et, là encore, des débris radioactifs, mais aussi
de l'eau de mer soulevée par l'explosion, retombent sur
le pont du navire. Dix heures après l'essai, le Allen
N. Summer met le cap sur la zone de tir et, pendant ce temps,
John Smitherman reçoit l'ordre avec d'autres jeunes recrues
de lessiver le pont et les superstructures du bâtiment recouverts
par les retombées.
Pendant vingt jours, le bateau de guerre va rester ancré
à proximité du point zéro. Pendant vingt
jours entiers, les marins vivent en milieu contaminé. Ils
boivent l'eau de l'île où a eu lieu l'expérience,
se baignent dans le lagon ou utilisent son eau pour faire la lessive...
Comme il fait chaud, chaque nuit les hommes dorment sur les ponts
du navire...
L'essai "Baker".
"Radio Bikini" (youtube) 56mn de Robert Stone, 1988. S'appuyant sur des archives des années 40, le film s'intéresse au sort des habitants de Bikini après les essais de la bombe atomiques, et des soldats américains irradiés notamment l'interview de John D. Smitherman (voir à la 51ème minute du doc). |
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Premiers symptômes
Un mois après ces événements,
John D. Smitherman ressent des douleurs dans les jambes et ses
pieds commencent à enfler. Le gonflement s'aggrave et atteint
les genoux. Les douleurs sont si vives que l'on doit l'hospitaliser
à l'hôpital de la Marine à Honolulu. On le
transfère ensuite à l'hôpital de l'Armée
en Californie où les médecins diagnostiquent une
néphrite... Réformé, il quitte l'hôpital
au bout de quatre mois.
Pendant vingt-cinq ans, John Smitherman souffre de ses jambes,
les gonflements et les inflammations persistent, le mal s'accentue
ou diminue suivant les périodes, bref, cette affection
devient un handicap permanent. On soigne la douleur sans vouloir
connaître les causes du mal : John Smitherman est persuadé
que la contamination radioactive est responsable de son atteinte,
ce que n'admet pas la médecine militaire.
Évolution de la maladie
En 1972, à cause de violentes douleurs
thoraciques, on doit l'hospitaliser d'urgence, mais le corps médical
ne s'explique pas ses douleurs. Une coronographie ne présente
rien de particulier. Un an plus tard, on doit l'opérer
pour effectuer un pontage aorto-iliaque, puis une embolectomie
fémorale.
En 1975, il ressent de fortes douleurs thoraciques ; il se trouve
dans des états de transpiration et d'essoufflement intenses
et doit entrer en réanimation à l'hôpital
Saint Joseph.
A partir de 1976, la vie de John D. Smitherman va devenir un calvaire
que les médecins militaires américains essaieront
d'atténuer par tous les moyens existants. Le gonflement
de ses membres augmente ; le liquide lymphatique s'accumule et
des infections cellulitiques se déclarent.
En 1977, il est amputé de la jambe gauche ; en 1978, de
la jambe droite, mais les moignons eux-mêmes deviennent
des foyers d'inflammation.
En octobre 1979, son bras gauche est pris par le mal et le lymphoedème
qui s'étend de la main jusqu'au coude se développe
régulièrement. A son tour, le bras droit présente
des symptômes inquiétants. La douleur devient insupportable.
Après de multiples examens, les médecins militaires
ne peuvent que recommander l'amputation du bras gauche que Smitherman
refusera.
Durant deux années, John Smitherman sort d'un hôpital
pour entrer dans un autre. Après une nouvelle demande d'amputation
de ses médecins américains, il décide de
partir au Japon pour y rencontrer le docteur Hida. En août
1982, il est hospitalisé à l'hôpital de Kyodo
où l'on connaît bien les maladies dues à la
bombe atomique.
Pendant son séjour, il sera soigné par les équipes
des docteurs Hida et Abe qui lui feront subir les examens les
plus complets. L'examen chromosomique ne permet pas d'affirmer
qu'il y a eu irradiation du sujet, bien que les tissus observés
révèlent certaines modifications cellulaires.
Devant l'impossibilité de trouver un traitement efficace,
les médecins japonais feront porter leurs efforts sur le
soulagement de la douleur, notamment grâce à l'acupuncture.
Le rapport médical établi par l'hôpital de
Kyodo insiste sur les difficultés des militaires irradiés
à faire reconnaître leurs maladies. Par exemple,
pour John D. Smitherman, le Veterans Appeal Board Office lui refuse
le statut de " soldat nucléaire " qui lui donnerait
droit à une pension. L'argument invoqué est que,
à l'époque, en 1946, on a mesuré avec des
badges doseurs la radioactivité reçue, sur un échantillonnage
de 26 marins parmi les 262 hommes d'équipage du navire
; ces mesures se sont révélées négatives
pour ce qui est du rayonnement gamma.
L'administration, à partir de cette mesure unique effectuée
par un procédé empirique, affirme que John D. Smitherman
n'a pas été irradié. Des spécialistes
américains et japonais pensent le contraire :
- en effet, seuls 10% de l'équipage portaient des badges
de mesures ;
- les mesures ne portaient que sur les radiations gamma ;
- les mesures ne portaient que sur la radioactivité directe,
émise au moment de l'explosion, et aucune mesure n'a été
faite pour les retombées ;
- il est classique de voir les tissus lymphatiques affectés
par des doses minimales de rayonnements à peine mesurables
;
- grâce à de nouvelles recherches effectuées
par le docteur Petkau, on sait maintenant qu'une irradiation (bêta)
très faible mais prolongée, est plus grave qu'une
forte exposition brève, et que les membranes des cellules
sont endommagées de toute façon ;
- une exposition aux rayons bêta provoque des érythèmes,
mais aussi l'altération des tissus, des vaisseaux sanguins
et du système lymphatique.
En conclusion, le rapport indique que, dans ce genre d'irradiation " faible ", la maladie intervient souvent longtemps après, et qu'il est toujours difficile de déterminer d'une manière absolue la cause du mal. Il y est dit également que les gouvernements détenteurs de l'énergie nucléaire (militaire ou civile) ont tendance à dissimuler ou ignorer les maladies atomiques et ce, pour des raisons politiques. Ainsi, lorsque les pêcheurs japonais ou les habitants de Micronésie furent irradiés, les autorités japonaises ou américaines ignorèrent purent et simplement la gravité du mal. Encore aujourd'hui, on connaît peu ces maladies et le rapport du docteur Hida déplore le peu d'information médicale circulant sur les cas d'irradiation...
Lorsque ce document a été établi, John D. Smitherman vivait encore. Il est mort à l'automne 1983.
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