En matière d'accident nucléaire, une référence s'impose : Tchernobyl. Bien sûr, c'était en URSS et il y a douze ans déjà. Mais le parallèle est-il vraiment absurde? Les témoignages qui suivent sont ils tellement différents de ceux que l'on pourrait entendre après un accident en France? Si on lit les textes administratifs français, ce qui se passerait ici ne serait peut être pas si différent...
Sonya Kornichek, gestionnaire à la centrale : " Avant de me décider (à aller y travailler), je suis allée voir une de nos relations au ministère de l'Energie. Il m'a complètement rassurée : il m'a affirmé que les réacteurs de Tchernobyl étaient les plus modernes au monde et qu'ils avaient été construits conformément aux normes les plus strictes de sécurité. "
Témoignage extrait de Russian Voices de Tony Parker, Editions Picador, 1992
ET POURTANT, UNE NUIT : L'ACCIDENT ET LE DÉBUT DU CAUCHEMAR
Bien évidemment, les circonstances ne respectent pas les scénarios envisagés. Elles prennent toujours tout le monde au dépourvu et la belle mécanique, que l'on croyait si bien maîtriser, échappe rapidement à tout contrôle. Avec le nucléaire, pas de seconde chance en, cas de mauvais diagnostic d'un dysfonctionnement, la situation devient, au sens propre du terme, irréparable.
Finalement, les témoignages sur Tchernobyl confirment d'abord que lors de catastrophes liées aux activités humaines, chimiques (Bhopal, Seveso) ou nucléaires (Harrisburg, Tchernobyl), les réactions sont immuables:
- la population, jamais préparée, est maintenue dans l'ignorance le plus longtemps possible et endormie avec de fausses informations;
- les techniciens sont, pour la plupart, incapables de faire face psychologiquement à l'horreur de la situation et à l'ampleur de leurs responsabilités : ils participent largement, même si ça n'est pas conscient, à la désinformation générale;
- le pouvoir, enfin, redoute encore plus les réactions de panique ou de colère de la population que les conséquences de la catastrophe; lui non plus n'est pas préparé et très rapidement sa politique s'inspire de la tactique de la " part du feu " avec ses sacrifiés inévitables. L'armée est là s'il le faut pour appliquer les directives.
La POPULATION TROMPÉE, UNE VILLE PLEINE DE SOLDATS
Ma mère et les enfants me dirent qu'à la radio on avait annoncé une explosion dans la centrale mais en indiquant que cela n'avait rien de sérieux et qu'il n'y avait pas de raison de s'alarmer " (*)" Toutes les heures, le directeur de la centrale, Brioukhanov, envoyait au Comité de la ville, ainsi qu'à Kiev, des communiqués attestant que la situation radiologique restait dans les normes. "
I. P. Tsetchelskaya :" On nous a dit qu'on nous évacuait pour trois jours et qu'il était inutile de prendre quoi que ce soit avec nous. Je suis partie avec ce que j'avais sur le dos. Je n'ai pris que mon passeport et un peu d'argent, qui a été vite dépensé. Une fois les trois jours passés, on ne nous a pas laissés revenir. Je suis partie pour Lvov. Sans argent. Jimagine que mes vêtements, et tout ce que je portais, étaient très radioactifs. On n'a pas contrôlé...
Ivan Borovich, conducteur d'engin :" La ville était pleine de soldats et un communiqué avait été publié indiquant que personne n'était autorisé à quitter la ville. »(*)
SUR LE SITE : LES SAUVETEURS (SOLDATS, POMPIERS, OUVRIERS,...)
0n ne peut se passer d'eux, mais on ne peut leur faire confiance : ils courent tellement de risques, tous ne sont pas des héros prêts à se sacrifier! Alors, on ne leur dit rien et on ne leur laisse pas le choix :
Ivan Borovich, conducteur d'engin :" Personne ne me l'avait dit, si bien que je n'ai pas pu moi-même informer les soldats que les débris et la terre qu'on leur demandait de ramasser, sans aucune protection, étaient hautement radioactifs. Je leur ai transmis les ordres et distribué des tâches dont je sais maintenant qu'elles ont été fatales à certains d'entre eux. Je leur répétais au contraire ce que de hauts responsables m'avaient dit : bien que l'explosion ait été grave, il n'y avait pas eu d'émission radioactive. On m'a dit depuis que ce mensonge était justifié par le fait que si on avait dit la vérité, les conséquences de l'accident auraient été bien pires car les soldats et les ouvriers se seraient sauvés. " (*) " L'un des responsables vint nous parler. Il dit qu'il allait être franc avec nous : l'explosion avait causé beaucoup de dégâts et entre autres, elle avait mis hors d'usage le système de gestion des radio dosimètres; voilà pourquoi ils indiquaient tous un niveau 0 de radioactivité. Il répéta plusieurs fois, qu'il n'y avait eu aucune émission de radioactivité. Ce qu'il ne nous dit pas, c'est que les dosimètres n'avaient pas été détruits par l'accident: ils avaient été volontairement mis hors service. " (*)
Stéfan Sheverenko, ingénieur thermicien :" On nous indiqua que nous étions sous le coup de la loi martiale : nous n'étions autorisés ni à quitter la centrale, ni à téléphoner à l'extérieur, fusse à nos familles. ( ... ). On ne ferait pas appel à d'autres membres du personnel car le niveau des radiations était trop élevé ; cela impliquait clairement que nous-mêmes étions considérés comme condamnés. " (*)
De nombreux témoignages indiquent que les salariés qui ne travaillaient pas sur la tranche accidentée n'ont reçu aucune consigne et n'ont pas été avertis du danger qu'ils couraient à continuer normalement leur travail.
LES TECHNICIENS DE LA CENTRALE ET LES EXPERTS APPELÉS EN RENFORT...
Lors de l'accident, comment peuvent ils faire
face à l'horrible vérité et admettre qu'ils
ont fait, quelque part, une erreur ? ils s'aveuglent eux-mêmes
le plus longtemps possible :
" Arrivé dans la salle de commande, un ingénieur
dit à Akimov:
- Le réacteur est détruit, Sacha. .. il faut évacuer
le personnel...
- Le réacteur est intact! Nous l'alimentons en eau! rétorque
Akimov avec emportement. Nous n'avons commis aucune erreur...
File au centre médical, Vaieri, tu n'as pas l'air d'aller
bien... Tu t'es trompé, je t'assure... Ce n'est pas le
réacteur, ce sont les constructions, les armatures qui
brûlent. On éteindra l'incendie... " (**)
" A 10 heures du matin, Sitnikov (ingénieur appelé
à la rescousse et à qui la direction demandait un
diagnostic) annonce à Fomine et à Brioukhanov que
le réacteur est détruit. Mais son constat ne suscite
qu'agacement et n'est pas pris en compte. " (**)
Après l'accident, la machine infernale leur échappe
et ils ne peuvent guère que constater leur impuissance.
Anton Vassilievich, expert en radioactivité :" Nous avons reçu d'Allemagne une machine très sophistiquée pour mesurer les niveaux de radiations. Il s'agissait d'un robot commandable à distance. (...). Très rapidement, la machine fut bloquée au milieu des débris. Lorsque nous avons pu la récupérer avec un hélicoptère, nous nous sommes aperçus que ses appareils de mesure n'avaient pas résisté aux radiations. " (*)
Nikolaï Fiodorovitch Gorbatchenko, chargé du service de radioprotection :" Quel était le niveau de rayonnements ? Je n'en savais rien. (..) Les indicateurs de tous les appareils butaient au maximum. " (**)
DES AUTORITÉS IMPUISSANTES LORSQUE " L'IMPENSABLE " ARRIVE
le pouvoir politique veut avant tout garder
le contrôle de la population (à défaut de
contrôler la catastrophe).
Le directeur général de la construction des centrales
nucléaires de l'URSS :
Le vice ministre de l'Energie " me dit qu'à Tchernobyl
les quatre piliers de la salle des machines de la tranche n°
4 s'étaient effondrés. Je lui ai demandé
s'il y avait de la radioactivité. Il m'a répondu
que non. ( ... ) ... V. Mayine, responsable du secteur de l'énergie
nucléaire au comité central du PCUS est arrivé
: il a dit que non seulement les piliers mais aussi le dôme
du réacteur s'étaient effondrés. J'ai redemandé
s'il y avait de la radioactivité. C'est étonnant,
mais il n'y en a pas, me répondit-il. Et qui plus est,
le réacteur est intact. Un réacteur merveilleux!
" (**)
Chacharine, vice ministre de l'énergie : " Quand Chtcherbina (vice président du conseil des ministres de l'URSS) est arrivé, je l'ai pris à part, avant la réunion, pour lui expliquer la situation. Je lui ai dit qu'il fallait évacuer immédiatement la ville. Il me répondit d'un air contraint que cela pourrait provoquer la panique, laquelle est bien pire que la radioactivité. "
Un accident nucléaire, par ses conséquences (des milliers de morts sur une ou deux générations, des milliers de km2 interdits) et son ampleur (le nuage de Tchernobyl a parcouru toute l'Europe), dépasse complètement les capacités de tout gouvernement et de toute société. Dans de telles circonstances, on peut au mieux essayer de limiter les dégâts, certainement pas les réparer. Rien d'étonnant donc si aucun plan d'intervention (cf. encadré sur le PPI) n'est dimensionné de manière réaliste : c'est tout simplement impossible. Comme le remarque un des experts soviétiques parlant de Tchernobyl : " L'impensable est arrivé. "
Les témoignages sur Tchernobyl qui suivent sont extraits de deux livres : Russian Voices de Tony Parker, Editions Picador, 1992. Les témoignages extraits de ce livre seront signalés par (*)., et La vérité sur Tchernobyl de Gregori Medvedev, Editions Albin Michel, 1990. Les témoignages extraits de ce livre seront signalés par (**), que nous ne saurions que vous engager à lire.
Un accident majeur en France n'aurait pas forcément l'ampleur de celui de Tchernobyl. Sur la carte ci-dessous, deux exemple parmi d'autres. Les zones à évacuer dépendent en effet de la gravité de l'accident, bien sûr, mais également du sens et de la vitesse du vent, de la pluie, et de la hauteur à laquelle la radioactivité s'échappe. Deux éventualités ont été envisagées, un vent de sud ouest (1) ou un vent d'est (2), qui sont les deux directions les plus fréquentes. Cette carte permet de se faire une idée de l'ampleur d'un accident majeur " bien maîtrisé " tel que l'envisage actuellement EDF.
DES HYPOTHÈSES OPTIMISTES...
Nous avons utilisé une étude effectuée en 84/85 à la demande de l'Agence de Bassin Seine Normandie. Nous avons repris des hypothèses très optimistes en supposant que le filtre à sable fonctionnerait parfaitement (ce qui est quand même très douteux ... ) 2, c'est-à-dire qu'il retiendrait 99 % de la radioactivité; en conséquence la quantité de Césium 137 qui s'échapperait d'un réacteur détruit à Nogent serait seulement le centième de ce qui s'est échappé de Tchernobyl.
La répartition des retombées radioactives dépend beaucoup des conditions météorologiques. Nous avons adopté l'hypothèse simple d'un vent constant et de l'absence de pluie. Le vent peut tourner et les pluies provoquer localement des taches de contamination intenses très loin de la centrale.
AUCUNE LOI N'OBLIGE À ÉVACUER
Aucune loi en France n'impose l'évacuation de la population au-delà d'une certaine contamination. Nous avons donc dû adopter les critères d'évacuation et de contrôle radio écologiques du parlement ukrainien, puisque l'Ukraine est le seul pays prêt à adopter de telles lois. Evidemment, la France ne manque pas d'experts qui estimeront que les administrés peuvent vivre en zone contaminée et qu'en conséquence aucune mesure grave n'est nécessaire.
UN LÂCHER DE BALLONS INSTRUCTIF
Lors du lâcher de ballons réalisé par le Comité Stop Nogent le 5 juillet 1987 avec un vent soufflant du nord puis du sud est, les endroits où ceux ci ont été retrouvés (Région parisienne) prouvent la rapidité, l'ampleur et l'inattendu de la propagation de la radioactivité.
1 C'est l'Agence chargée de la gestion
de l'eau potable le long du bassin de la Seine.
2 Cf. les rapports d'EDF.
Le plan particulier d'intervention (P.P.I.)
C'est le plan qui serait mis en oeuvre par
le Préfet de l'Aube en cas d'accident grave à Nogent.
Il repose sur une échelle définissant trois niveaux
de gravité pour les accidents:
- niveau 1: incident sans conséquence radiologique et limité
à l'intérieur de la centrale
- niveau 2: accident à caractère radiologique limité
à l'intérieur de la centrale
- niveau 3: accident à caractère radiologique dont
les effets débordent le site de la centrale.
C'EST EDF Qui DÉCIDE DE DÉCLENCHER L'ALERTE
ceci n'est pas un gage de rapidité bien au contraire. Les témoignages sur l'attitude des techniciens de Tchernobyl et la simulation d'accident grandeur nature à Belleville-sur-Loire en 91 (avec EDF, la Préfecture, les journalistes ... ) montrent combien l'exploitant a du mal à admettre la gravité de la situation.
LE PLAN D'ÉVACUATION EST TERRIBLEMENT SOUS DIMENSIONNÉ
Selon une doctrine invariable des autorités, un accident de niveau 3 resterait quoi qu'il arrive limité à une zone de 10 km autour du site. Les secteurs qu'il est prévu d'évacuer sont encore plus restreints. Outre que cette limite n'a aucune valeur scientifique (voir la carte ci-après), elle est contredite par les faits (Tchernobyl, encore lui, a montré que les zones contaminées sont en " tâches de léopard " par rapport au site). Ce ne sont donc pas quelques milliers mais quelques centaines de milliers de personnes (n'oublions pas qu'il s'agit de l'Ile de France) qu'il faudrait pouvoir évacuer et héberger.
AUCUNE MENTION N'EST FAITE DES CONSÉQUENCES À MOYEN ET LONG TERME
D'après une étude du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) de 1979, en cas d'accident majeur, c'est toute la nappe phréatique ainsi que la Seine jusqu'au Havre qui seraient contaminées et la région parisienne serait privée d'eau pour longtemps. Rien dans le PPI ne prend en charge cet aspect des problèmes.
Supplément à La lettre d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine n°56