Pour le physicien bélarusse Gueorgui Lepnine qui a travaillé sur le réacteur numéro 4 "Selon mon décompte, le nombre de « liquidateurs » décédés atteint aujourd'hui près de 100.000 personnes, alors qu'un million de personnes au total ont travaillé à la centrale de Tchernobyl " après l'accident, a estimé M. Lepnine. "Aujourd'hui, les médecins tentent d'expliquer ces morts par le stress, les maladies cardio-vasculaires. Mais pourquoi ces maladies sont-elles apparues ?", s'interroge M. Lepnine. "Il n'y a aucune statistique sur le décès des "liquidateurs", personne ne les publie", a-t-il souligné. Selon le physicien bélarusse, la mortalité parmi les "liquidateurs" de Tchernobyl est 75 fois plus élevée que parmi les catégories comparables de la population.
Selon Wladimir Tchertkoff qui a filmé la conférence de l'OMS à KIEV en 2001 (Cf. le documentaire Controverses Nucléaires): « L'estimation du nombre total des liquidateurs, appelés de toute l'Union Soviétique à construire le "sarcophage" et à décontaminer les territoires, varie entre 600 000 et 800 000 jeunes hommes en pleine santé (certaines associations de défense de leurs droits avancent le chiffre de un million). Leur âge moyen était de 33 ans en 1986. Les informations concernant la catastrophe de Tchernobyl étant couvertes du secret d'état pendant les 4 premières années (les dernières de l'existence de l'URSS), et les doses d'irradiation qu'ils ont reçues étant systématiquement diminuée [...]. Les survivants de cette armée sont dispersés sur les 11 fuseaux horaires de l'ex-Union Soviétiques, nombreux sont inconnus des statisticiens et grâce à la désinformation, planifiée conjointement par le Krémlin et par les agences nucléaires de l'ONU, ils ne savent pas pourquoi ils sont malades et de quoi ils meurent si jeunes. Le chiffre officiel enregistré par la Fédération de Russie permet donc d'évaluer à 200 000 - 300 000 le nombre total des liquidateurs invalides et à 60 000 -100 000 les décédés, à ce jour. »
Par l'intermédiaire
de son ambassade à Paris, l'Ukraine qui a engagé
250 000 liquidateurs à Tchernobyl, communique à
la presse qu'en 2004, 84% des liquidateurs sont malades.
A la conférence de l'OMS à Kiev en juin 2001, le
Ministre de la Santé d'Ukraine a déclaré
que dans la plupart des républiques
de l'ancienne Union Soviétique, la proportion des invalides parmi les liquidateurs
dépassait les 30% !
S.I. Ivanov,
Médecin chef de la Fédération de Russie a déclaré que: "Plus de 200.000 Russes ont été
engagés dans les travaux de liquidation... Selon le Registre officiel, 50.000
sont invalides et 15.000 déjà morts."
"Le
sacrifice" (youtube)
|
En décernant au film " Le Sacrifice " le prix du meilleur documentaire scientifique et d'environnement, deux Festivals ont honoré les liquidateurs et mis en question la vérité scientifique officielle sur les effets de la plus grande catastrophe technologique de l'Histoire. |
Le film " Le Sacrifice " sur les liquidateurs de Tchernobyl a reçu, en novembre 2004, le Prix du meilleur documentaire du FESTIVAL DU FILM D'ENVIRONNEMENT de la Région Ile de France. Au cours de la cérémonie de la remise des prix dans la grande salle du Conseil Régional à Paris, lecture a été donnée des motifs qui ont inspiré le choix du festival :
" Savoir d'où l'on vient, dans quel monde on vit. Un cinéaste est témoin du monde dans lequel il vit. A un instant donné, il est le reflet d'un environnement qui l'a construit, qui l'a façonné ou d'un environnement vers lequel il tend. Etre cinéaste c'est s'engager, c'est être quelque part, avoir un passé, une histoire propre. Chaque film est le reflet d'une éducation, d'une culture, d'une politique, d'un refus ou d'un désir. L'important est de témoigner. Chaque film nous emmène dans des environnements différents qui nous bousculent, nous indignent, et ne nous laissent pas tranquille. "
Deux jours auparavant, le même film a reçu le prix du meilleur documentaire du Festival du Film Scientifique d'Oullins, A NOUS DE VOIR. Les intentions du festival, qui inaugurait une nouvelle formule avec l'édition de 2004, sont ainsi formulées:
Le cinéma scientifique est en perpétuelle évolution. Le festival, au travers de cette nouvelle forme de concours, souhaite ne plus être un simple lieu de validation de films, mais un chantier de réflexion.
L'équipe du festival A NOUS DE VOIR Science et cinéma, a choisi d'articuler cette 18ème édition autour de la notion de légitimité. [...] Ce que nous voudrions affirmer avant tout, c'est la légitimité de renouveler sans cesse le débat, de se poser des questions, d'impulser une appropriation sociale des réflexions entourant les thèmes de la science et de l'image.[...]
Il est d'abord question de la place de la science dans notre société, de cette idée diffuse qui laisserait aux scientifiques, souvent malgré eux, le " monopole du savoir légitime ", de la sacralité entourant le champ scientifique, lui conférant un pouvoir qui dépasse fréquemment le domaine de la connaissance. [...]
Sur le film de science lui-même, s'il
est conçu comme une courroie de transmission entre dépositaires
du savoir et les autres, comme legs d'une vérité
ontologique qu'il s'agirait d'absorber passivement, se pose également
un problème de légitimité, celle du mode
de transmission. Le film est légitime s'il est une création
assumée, s'il est pensé comme un regard porté
et sublimé, une oeuvre subjective offrant la possibilité
d'une remise en cause D'autant que le film possède, comme
toute oeuvre de création, le droit d'aborder tous les sujets
et la chance de le faire de toutes les manières possibles.
Pourquoi alors, lorsqu'il s'agit de science, la plupart des auteurs
de films documentaires abandonneraient-ils la possibilité
d'aborder ces sujets de manière sensible ? [...].
Oser le dialogue entre science et cinéma, comme deux procédés,
deux langages pour parler du monde qui nous entoure. Dans une
société qui réduit les crédits de
la recherche et de la création et oriente sa politique
scientifique et culturelle en fonction de critères marchands,
la culture scientifique, proposée comme un espace de (re)définition
collective de ce qui nous entoure nous semble plus que jamais
légitime.
Que dit le film ?
Le graphite et l'uranium répandus sur le toit de la centrale de Tchernobyl irradiaient jusqu'à 20 000 Roentgens/heure. Un morceau de graphite tenu entre les mains transmettait en une seconde et demie la dose accumulée pendant une vie entière, en condition de radioactivité naturelle. Un million d'hommes, appelés liquidateurs, ont été lancés contre le réacteur, pour le recouvrir avec un "sarcophage " improvisé en condition de radioactivité terrifiante, et pour effacer les conséquences de la catastrophe partout dans les territoires. Ils ont combattu les radionucléides à mains nues, avec des pelles et des jets d'eau. Des dizaines de milliers sont morts et continuent de mourir.
Les scientifiques soviétiques calculaient que, si l'incendie de Tchernobyl n'était pas éteint pour le 8 mai, le combustible nucléaire en fusion aurait percé la dalle de béton sous-jacente, serait précipité dans le bassin de refroidissement et aurait amorcé une explosion atomique vingt à cinquante fois supérieure à celle de Hiroshima. L'Europe aurait été inhabitable. Le 6 mai l'incendie était maîtrisé grâce au sacrifice extrême des liquidateurs. Mais ils ont été mal récompensés : la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie les ont abandonnés à eux- mêmes. L'Occident les ignore.
Les agences des Nations Unies, responsables de la santé et de la radioprotection, ne reconnaissent pas la cause radiologique des nouvelles pathologies dont souffrent et meurent les centaines de milliers de liquidateurs de Tchernobyl, abandonnés à eux-mêmes. Officiellement, la catastrophe n'a causé que 31 décès, dont 2 par traumatismes et un par arrêt cardiaque, 203 expositions à irradiations aiguës et 2000 cancers de la thyroïde facilement évitables chez les habitants des territoires contaminés. Cette trahison, commise et acceptée au plus haut niveau des institutions internationales, est rendue possible grâce à un pacte officiel d'omerta et à un tour de passe-passe pseudo-scientifique, qui consiste à identifier les effets de deux désastres atomiques majeurs, Hiroshima et Tchernobyl, qui n'ont en commun que le fait d'être atomiques.
Le pacte. Dans un film précédent, " Controverses nucléaires ", l'ex directeur général de l'Organisation Mondiale de la Santé, Hiroshi Nakajima, nous a révélé l'existence d'un conflit d'intérêts entre l'OMS et l'AIEA (Agence Internationale de l'Énergie Atomique), directement responsables de la gestion des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl pour la santé des populations contaminées. Un accord signé en 1959 entre ces deux institutions spécialisées de l'ONU, empêche l'OMS d'agir librement dans le domaine nucléaire, si elle n'a pas l'assentiment de l'AIEA. Formée de physiciens et non de médecins, cette dernière, dont l'objectif principal est la promotion des centrales nucléaires dans le monde, est la seule agence qui dépende directement du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Elle impose son diktat à l'OMS, dont le but, exprimé au Chapitre I de sa Constitution, est pourtant " d'amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible ". Aucune recherche scientifique sérieuse n'est entreprise sur la corrélation entre la radioactivité et les pathologies nouvelles de Tchernobyl, sous le prétexte que les doses reçues par les personnes exposées seraient trop " faibles ". Elle est même entravée puisque le Professeur Bandajevsky, qui a consacré les recherches de son Institut à cette corrélation, s'est trouvé en prison. Aucune aide économique prophylactique et sanitaire sérieuse n'est apportée ni aux liquidateurs ni aux millions de personnes, qui vivent dans les territoires contaminés, en proie à une épidémie multiforme, qui croît d'année en année. Comment est-ce scientifiquement justifiable ?
Le tour de passe-passe " scientifique " consiste à utiliser l'expérience de Hiroshima pour expliquer Tchernobyl. Il est erroné de comparer ces deux désastres. Il n'y a pas eu d'explosion atomique à Tchernobyl. Tchernobyl a connu une explosion thermique et un incendie qui a duré 10 jours. Des tonnes d'éléments radioactifs ont été déversées sur les territoires au gré des vents et des pluies, dont certains ne disparaîtront qu'au bout de plusieurs siècles. Ils ont détruit la santé et la vie de centaines de milliers de jeunes hommes en pleine santé et contamineront les générations futures.
Pour comprendre la différence avec Hiroshima
il faut connaître les paramètres régnant dans
les explosions atomiques. Il existe plusieurs types d'explosion
selon l'altitude:
1. explosion souterraine ;
2. explosion sur la surface du sol (la plus polluante donnant
le maximum de retombées radioactives ou " fallout
") ;
3. explosion aérienne basse (entre le sol et l'altitude
égale au rayon de la boule de feu)
donnant du fallout local ;
4. explosion aérienne moyenne (cas de Hiroshima,
à 600 mètres) en altitude supérieure
au rayon de la boule de feu. Peu de fallout local ;
5. explosion à haute altitude, bien au-delà du rayon
de la boule de feu. Uniquement fallout mondial.
Il faut savoir en outre que dans une explosion atomique la température peut monter à 100 millions de degrés centigrades, soit beaucoup plus que dans le soleil, dont la surface a une température d'environ six mille degrés. Ceci a comme conséquence qu'une explosion atomique à altitude moyenne (Hiroshima) forme immédiatement une sorte de " cheminée de feu " avec évacuation vertigineuse deux fois la vitesse du son de la plus grande partie des éléments radioactifs vers la stratosphère, et leur dispersion à partir du " champignon " sur le reste du globe terrestre (avec retombées verticales minimes, sur le site, si on les compare à Tchernobyl).
Au Japon les Américains ont fait seulement la moitié du travail scientifique nécessaire pour connaître toutes les conséquences de l'explosion. Ils ont laissé passer 5 ans avant d'aller reconstruire les doses reçues par les cohortes de survivants de Hiroshima et de Nagasaki dans la minute de l'explosion. Ils ne se sont pas souciés de ce qui s'est passé dans les heures et les jours suivants, ni du sort des populations qui ont subi les retombées globales, dites " faibles ", au loin. C'est ainsi que le " modèle de Hiroshima " a été établi et circonscrit. C'est le seul qui existe officiellement pour reconnaître les pathologies causées par la radioactivité. Il ne considère que le flash de rayons gamma, suivi, une fraction de seconde plus tard, d'une chaleur intense et d'un souffle violent, qui n'ont rien de nucléaire.
Ainsi, Hiroshima et Tchernobyl ne sont pas comparables. Dans le premier cas il s'agit d'une très forte exposition externe au flash de rayons gamma, dans le second, d'une contamination à faibles doses incorporées dans l'organisme par ingestion et par inhalation de radionucléides et de particules chaudes (rayons alpha, bêta, gamma). Mais officiellement, le second cas n'existe pas pour la " science ". Hors des paramètres du " dogme Hiroshima ", pour le consortium atomique mondial, qui réunit Pentagone, Conseil de Sécurité, AIEA, UNSCEAR, CEA, OMS, aucune corrélation n'a été observée entre pathologies et radioactivité, : ni à la périphérie des deux villes japonaises pulvérisées, ni aux îles Bikini, ni à Tchernobyl, ni en Irak/1-Yougoslavie-Afghanistan-Irak/2 bombardés par l'uranium " appauvri ", ni évidemment sur toute la planète, suite aux centaines des tests d'armes nucléaires par explosions dans l'atmosphère. La corrélation n'a pas été observée, car elle n'a pas été cherchée. La science, si elle a étudié en secret (défense) les conséquences de ces calamités sur la santé et sur l'environnement, ne semble pas encore intentionnée, dans ses institutions officielles, à en faire bénéficier les populations de la planète. Pour les experts détenteurs du " savoir légitime " seules les doses très élevées du flash gamma sont pathogènes. A Tchernobyl, selon leur narration, la corrélation ne peut pas exister à priori, car les doses sont trop faibles.
Que disent les liquidateurs ?
Borovsky
Nous
décontaminions les villages. On décapait la terre
avec les pelles, on la chargeait sur les camions à la main.
Évidemment la poussière volait sur nous et nous
la respirions. En tant qu'officier, j'ai pu observer que les hommes
étaient conscients que c'était une tâche importante:
"Oui, nous sommes en train de sauver". Et nous comptions
que nous ne serions pas oubliés non plus. Mais il s'est
avéré que nous sommes inutiles. Nous sommes un poids.
Nous dérangeons parce que nous demandons. Nous demandons
simplement un traitement humain.
Groudino
Maintenant je suis déjà un invalide de seconde catégorie.
Les maladies sont si nombreuses qu'on ne peut pas les énumérer.
Comme un vieillard de 70 ans, à 35 ans.
Que dit le liquidateur Anatoli Saragovietz quelques mois avant de mourir, à l'age de 39
ans, treize ans après la catastrophe?
En novembre j'ai perdu la sensibilité de la main gauche,
puis du bras gauche, puis du côté gauche, puis les
jambes se sont paralysées. Ils
ne savaient pas quoi faire. Ils ne reconnaissaient pas la cause
radiologique. J'allais travailler. Je conduisais le trolleybus
et je ne disais rien, parce que je devais nourrir la famille.
Je conduisais avec une main et un pied. Jusqu'au jour où
j'ai perdu connaissance et on m'a amené à la maison.
Maintenant je ne peux pas marcher, les jambes ne marchent plus.
À la maison je me tiens au mur.
Je ne faisais que tomber, et tomber. Ma femme m'a dit: mets-toi dans le fauteuil roulant. Je m'y suis mis, et voilà. Je suis de fauteuil roulant. Un cauchemar. L'homme est fichu, c'est tout. Il ne reste qu'à se résigner à tout. L'âge est encore jeune, 38 ans. On peut même dire 60, quelle différence? Avant j'étais un homme. Avant je marchais. Avant je conduisais la voiture. Mais maintenant ni de ci, ni de là. Moi, désormais, je me suis résigné durant ces années de Tchernobyl.
Vodolajsky est mort. Migorok Klimovitch est mort. Lionka Zaturanov est mort. Bref, on est restés Kolka Verbytsky et moi. Des cinq qu'on était, je suis resté comme un corbeau blanc, un divers.
Anatoli Saragovetz s'est marié en 1983. Il a eu deux enfants, un garçon et une fille. En '86 il était déjà à Tchernobyl. Treize ans plus tard il mourait.
Sa veuve raconte.
Il est resté couché
six mois, après quoi il s'est décomposé vivant.
Tous ses tissus ont commencé à se décomposer,
au point que les os iliaques étaient visibles. Je le soignais
moi-même, en suivant les recommandations du médecin.
Jusqu'au moment où le coeur s'est arrêté.
Tout s'en allait Le dos tout entier les os étaient à nu. L'os de l'articulation du fémur pouvait être touché avec la main. J'introduisais ma main couverte d'un gant, et je désinfectais l'os. J'extrayais de là des résidus d'os qui s'en allaient, de l'os décomposé, pourri. Nous nous sommes adressés à tous ceux que nous pouvions interroger. Ils ont dit: "Nous ne connaissons pas cette maladie. Nous pouvons aider seulement à diminuer la souffrance". Devant cette décomposition de la moelle osseuse ils restaient interdits. Ils ne pouvaient pas aider.
Il demandait de mourir rapidement, pour que ces souffrances cessent. Il disait que ça faisait très mal Quand je le retournais d'un côté sur l'autre, parfois il serrait les dents, d'autres fois il gémissait. En réalité il ne criait pas, il supportait. Il avait une grande force de volonté.
Les évidences du film " Le Sacrifice " accusent la science officielle d'ignorance et d'omission de secours à personnes en danger. Nous savons par les déclarations du Dr. Hiroshi Nakajima (Conférence de Kiev, juin 2001), dont la Conférence internationale de 1995 sur les effets sanitaires de Tchernobyl a été censurée, que cette ignorance est intentionnelle. Pour ne pas compromettre la réputation de l'industrie atomique, le lobby nucléaire et la médecine officielle condamnent sciemment, depuis bientôt 20 ans, des centaines de milliers de cobayes humains à expérimenter dans leur corps des pathologies inconnues.
Il incombe aux profesionnels de l'information, de la culture, de la science et de la médecine d'inciter l'opinion publique mondiale à condamner ce crime et à exiger des gouvernements les financements nécessaires pour des recherches scientifiques et médicales indépendantes dignes de ce nom.
Les liquidateurs vont-ils avoir droit à l'attention et à la reconnaissance qu'ils méritent, aide aux familles pour ceux qui vivent encore, honneurs posthumes pour ceux qui sont morts dans des souffrances parfois atroces comme en font foi les trop rares témoignages qui viennent jusqu'à nous? Une reconnaissance de la part de l'Europe, qui a été menacée, qui est directement concernée par leur sacrifice?
Le jury du Festival d'Oullins a motivé en ces termes sa décision :
" Jean-Luc Godard demandait dans ses
théories du cinéma de la manière la plus
sérieuse :
Qu'est-ce que le cinéma ?
Et il répondait : Rien.
Puis : Que veut le cinéma ?
Et il répondait : Tout.
Enfin : Que peut le cinéma ?
Quelque chose.
Emanuela Andreoli et Wladimir Tchertkoff ont avec " Le Sacrifice
" réalisé un film bouleversant, qui nous a
incités à la fois à toute la réalité
du monde et à la vérité du cinéma.
Film hommage à Andrei Tarkovski, bien sûr, dont il
est le terrible avènement, mais surtout film s'obligeant
à déployer pendant ces 17 longues années
d'enquête la parole nue de témoins dont le corps
rongé par la maladie ne fera jamais effet de preuve dans
le réel.
Sans doute n'y a-t-il pas de plus juste témoignage de la
catastrophe nucléaire de Tchernobyl que cette spiritualisation
des corps ordinaires et de sujets anonymes. "
Emanuela Andreoli et Wladimir Tchertkoff,
ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS,
association Loi 1901,
20 rue Principale, 68480 Biederthal (France)
Reporterre, 22 avril 2016:
Le 26 avril 1986, des réactions en chaîne conduisaient à la fusion du coeur d'un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl, aujourd'hui en Ukraine. Entre 1986 et 1992, entre un demi et un million de « liquidateurs » ont été « réquisitionnés » pour sauver ce qui pouvait l'être. Reporterre a rencontré l'une d'entre eux.
Reporterre - Comment avez-vous été engagée comme « liquidatrice » à Tchernobyl ?
Natalia Manzurova - Mes parents avaient été recrutés de force par le régime dans les années 1950 pour construire le complexe nucléaire de Maïak. Nous habitions sur place, tenus au secret. J'ai souhaité devenir radiobiologiste pour comprendre leurs activités et les conséquences de celles-ci. En 1986, juste après l'accident de Tchernobyl, le laboratoire dans lequel je travaillais nous a réquisitionnés pour faire un inventaire de la catastrophe. Nous avons été envoyés sur place, comme 500.000 à 1 million d'autres liquidateurs. Parmi les liquidateurs, il y avait deux catégories : ceux qui étaient envoyés en mission ponctuelle d'un mois, comme des plombiers ou des chauffeurs Et ceux qui étaient nommés pour un poste à long terme. Comme la dose d'exposition aux radiations n'était pas connue, le régime choisissait de les laisser le plus longtemps possible, perdus pour perdus Personne n'était vraiment formé ni préparé. Mais, nous n'avions pas le choix. En tout, je suis restée 4 ans et demi à Tchernobyl, de 36 ans à 41 ans.
Dans quelles conditions travailliez-vous ?
J'avais été nommée ingénieure en chef chargée de l'évacuation des biens matériels devenus radioactifs. Je dirigeais une brigade de sept « permanents » plus des occasionnels. Nous étions chargés d'explorer les appartements abandonnés précipitamment par les habitants pour récupérer meubles, bijoux, tissus Ces objets étaient ensuite enterrés dans des fosses recouvertes de béton.
Nous étions équipés
de vêtements et de masques de protection, mais les deux
premières années, la radioactivité était
si forte que notre visage était comme « tanné
». Je me souviens que nous ne disposions d'aucun instrument
de mesure de la radioactivité pour évaluer la dangerosité
du travail. Un comble pour un radiobiologiste. Nous connaissions
pourtant les risques et faisions attention à bien nous
laver les mains et à laver les aliments. Mais était-ce
suffisant ? Bien sûr que non, puisque tous les membres de
mon équipe sont morts du cancer. Je suis la seule survivante.
Depuis la loi de 1993, les liquidateurs survivants sont pris en
charge par l'État et affichent les statuts les plus élevés
d'invalidité (2 et 3). Cela signifie que nous sommes logés
et aidés financièrement. Mais les subventions diminuent
aujourd'hui. Moi, j'ai 20 % d'aberration chromosomique et suis
donc classée catégorie 2, avec un statut de maladie
chronique. Je n'ai jamais pu reprendre une vie normale.
Une stèle à la mémoire des liquidateurs de
Tchernobyl dans la ville ukrainienne de Kharkov.
Et vous, comment allez-vous, moralement et physiquement, après ce drame ?
J'ai connu un état de mort clinique, souffre de maux de tête et d'estomac récurrents, et j'ai subi une ablation de la thyroïde. Quand j'ai commencé à être malade, quelques mois après mon retour de Tchernobyl, je vivais seule avec ma fille. Il fallait tenir.
Souvent, les gens s'étonnent que je sois encore vivante, alors que la plupart de mes collègues sont morts. Je leur réponds que, lorsqu'ils ne me voient pas durant plusieurs jours, je suis malade, au fond de mon lit, et le reste du temps je m'efforce de guérir.
Ma relation à la vie a changé. Après avoir vu autant de malheurs autour de soi, on mesure mieux ce qui est important : les questions morales, les droits de l'homme, les enfants Les liquidateurs ont d'ailleurs les taux de suicide parmi les plus élevés du pays.
Quelle fut la place des femmes parmi les liquidateurs ?
Nous étions une infime minorité. Parmi les liquidateurs de Tchernobyl, il y avait 1 femme pour 1.000 hommes. En général, elles exerçaient des fonctions subalternes de cuisinières, de femmes de ménage, d'aides-soignantes. Il y a eu de nombreux cas de harcèlement, de viols et violences. C'était très dur. Les femmes liquidateurs qui étaient enceintes ont été obligées d'avorter pour éviter les malformations ou les « liquidateurs in utero », comme cela avait été le cas à Maïak.
Croyez vous que l'on ait tiré toutes les leçons de Tchernobyl ?
Non. Dans ma vie, j'ai connu trois catastrophes nucléaires : Maïak en 1957, Tchernobyl en 1986, et Fuskushima en 2011. Mais j'ai l'impression que l'on ne prend pas suffisamment en compte les causes et les conséquences de ces accidents. Il faut notamment accentuer la transparence et les échanges autour de la vérification des lieux de production nucléaire. Il est toujours impossible d'accéder à Maïak, les données sur la contamination de la zone, l'une des plus dangereuse du monde, sont confidentielles et ce secret pèse sur nos têtes.
Propos recueillis par Pascale d'Erm
Yuri Nikolayevich Risov
Maricha Jemela : "Mon père,
Yuri Nikolayevich Risov, est arrivé à Tchernobyl
en 1986. Il y a été enrôlé. Un convoi
est arrivé et ils l'y ont emmené. A cette époque,
j'avais 10 jours et lui 24 ans. Papa est décédé
le 5 août 2016. Il a vécu pendant 30 ans avec diverses
maladies et de fortes douleurs. Il disait souvent que s'il pouvait
remonter le temps, il y retournerait - parce que "qui d'autre
que nous" (dit-il). Mon père avait très peur
de la mort de ses amis. Il fut le dernier d'entre eux à
quitter ce monde. Le médecin m'a demandé après
son autopsie : comment vivait-il ? Ma réponse : Il a été
retenu parmi nous par l'amour de sa famille. Il est l'un des premiers
fondateurs de l'Union de Tchernobyl. Cette organisation fut d'abord
créée à Kiev, puis à Kupjansk et quelques
jours plus tard à Kharkiv. Le but de l'organisation était,
comme il le disait, "d'aider les hommes célibataires,
les veuves et les enfants". Ocko et son ami dirigeaient cette
organisation à Kupjansk. Le jour de ses funérailles,
de nombreuses veuves de Tchernobyl sont venues nous soutenir,
et chacune d'elles s'est rappelée comment l'organisation
les avait aidées et ce que mon père avait fait pour
elles."
Alexandre Kalantyrski est décédé à l'âge de 80 ans, l'homme qui était responsable de la construction du vieux sarcophage au-dessus du 4ème bloc détruit a quitté ce monde. Il a également été président de l'organisation israélienne défendant les droits des liquidateurs de Tchernobyl.
Peu de temps après son arrivée
en Israël, il a publié une annonce dans un journal
russe dans laquelle il annonçait la création d'une
association pour les immigrants comme lui qui avaient participé
à l'opération de « neutralisation »
de Tchernobyl. On estime que quelque 600 à 800 000 liquidateurs
y ont participé et on estime qu'environ 3 500 d'entre eux
se seraient par la suite installés en Israël. Précisément
147 ont répondu à son annonce de juillet 1992.
Les liquidateurs se sont vus garantir un traitement médical
et d'autres formes d'assistance dans les différentes républiques
de l'ex-Union soviétique, dont l'effondrement avait été
au moins partiellement provoqué par Tchernobyl. Et l'association
naissante de Kalantyrsky a poussé à un traitement
similaire pour les liquidateurs en Israël. « Tous
les pays de l'ex-Union soviétique avaient des lois : Aide
au logement, retraite anticipée de dix ans, etc. Nous nous
sommes servis de ces lois pour légiférer ici »,
dit-il.
Le gouvernement israélien a approuvé en 2001 un
projet de loi qui protège les droits des anciens liquidateurs
et leur permet de recevoir une allocation annuelle et une assistance
médicale, mais ses dispositions clés n'ont jamais
été appliquées.
Les liquidateurs en Israël reçoivent une indemnité
annuelle d'environ 1 400 $ et une petite aide pour leur
loyer.
Mais la loi qui prévoyait la mise en place d'un service
médical spécial géré par l'état
(pour surveiller et traiter les liquidateurs et surtout leurs
enfants, puisqu'il a été prouvé que les maladies
et affections causées par l'exposition aux radiations avaient
atteint la deuxième génération) n'est jamais
arrivée.
Les liquidateurs d'Israël ne peuvent pas non plus souscrire
d'assurance-vie, dit-il. « Nous sommes à
haut risque et personne ne veut nous assurer. Le gouvernement
veille à ce que les travailleurs de Dimona, par exemple,
puissent bénéficier d'une assurance. Mais pas nous.
Donc vous ne pouvez pas acheter un appartement, sauf par l'intermédiaire
d'un parent. »
Sur les quelque 3 500 liquidateurs qui ont fait leur alyah,
1 608 sont encore en vie, dit Kalantyrsky. « La
plupart des 2 000 personnes qui sont mortes, dit-il, sont
mortes de maladies liées à Tchernobyl. Tout d'abord,
les maladies liées aux vaisseaux sanguins et au coeur.
Et ensuite, numéro deux : le cancer ».
Cette vue aérienne de Tchernobyl montre
les dommages causés par l'explosion du réacteur
n°4, qui a rejeté de grandes quantités de matières
radioactives dans l'atmosphère. Seuls trois photographes
de Tass ont été autorisés à être
sur place: Volodymyr
Repik, qui a pris cette photographie,
Igor Kostin et Valery Zufarov. Repik et Zufarov sont morts plus
tard de maladies liées aux radiations et Kostin en a souffert
pendant des décennies avant de mourir dans un accident
de voiture en 2015.
JDD, 15/1/2009:
La Cour européenne des droits de l'homme
a ordonné jeudi à la Russie de mettre en application
les décisions de justice délivrées à
ses ressortissants. Depuis 2002, près de 200 arrêts
de la Cour ont condamné Moscou pour ce même motif.
Le Russe Anatoli Tikhonovitch Bourdov, irradié alors qu'il
participait d'octobre 1986 à janvier 1987 aux travaux de
confinement de la centrale nucléaire de Tchernobyl, avait
été le premier, en mai 2002, à faire condamner
son pays pour non versement des prestations sociales qui lui avaient
été accordées. La Russie dispose d'un délai
de six mois pour exécuter cet arrêt, dès lors
que celui-ci sera devenu définitif, soit dans trois mois
si elle n'en fait pas appel.
Pour le physicien bélarusse Gueorgui Lepnine qui a travaillé sur le réacteur numéro 4 "Selon mon décompte, le nombre de « liquidateurs » décédés atteint aujourd'hui près de 100.000 personnes, alors qu'un million de personnes au total ont travaillé à la centrale de Tchernobyl " après l'accident, a estimé M. Lepnine. "Aujourd'hui, les médecins tentent d'expliquer ces morts par le stress, les maladies cardio-vasculaires. Mais pourquoi ces maladies sont-elles apparues?", s'interroge M. Lepnine. "Il n'y a aucune statistique sur le décès des "liquidateurs", personne ne les publie", a-t-il souligné. Selon le physicien bélarusse, la mortalité parmi les "liquidateurs" de Tchernobyl est 75 fois plus élevée que parmi les catégories comparables de la population.
Selon Wladimir Tchertkoff qui a filmé la conférence de l'OMS à KIEV en 2001 (Cf. le documentaire Controverses Nucléaires): « L'estimation du nombre total des liquidateurs, appelés de toute l'Union Soviétique à construire le "sarcophage" et à décontaminer les territoires, varie entre 600 000 et 800 000 jeunes hommes en pleine santé (certaines associations de défense de leurs droits avancent le chiffre de un million). Leur âge moyen était de 33 ans en 1986. Les informations concernant la catastrophe de Tchernobyl étant couvertes du secret d'état pendant les 4 premières années (les dernières de l'existence de l'URSS), et les doses d'irradiation qu'ils ont reçues étant systématiquement diminuée [...]. Les survivants de cette armée sont dispersés sur les 11 fuseaux horaires de l'ex-Union Soviétiques, nombreux sont inconnus des statisticiens et grâce à la désinformation, planifiée conjointement par le Krémlin et par les agences nucléaires de l'ONU, ils ne savent pas pourquoi ils sont malades et de quoi ils meurent si jeunes. Le chiffre officiel enregistré par la Fédération de Russie permet donc d'évaluer à 200 000 - 300 000 le nombre total des liquidateurs invalides et à 60 000 -100 000 les décédés, à ce jour. »
A la conférence de l'OMS
à Kiev en juin 2001, le Ministre de la Santé
d'Ukraine a déclaré que dans
la plupart des républiques de l'ancienne Union Soviétique,
la proportion des invalides
parmi les liquidateurs dépassait les 30% !
S.I. Ivanov,
Médecin chef de la Fédération de Russie a déclaré que: "Plus de 200.000 Russes ont été
engagés dans les travaux de liquidation... Selon le Registre officiel, 50.000
sont invalides et 15.000 déjà morts."
Yevrobatsi, 18/8/2006:
par Marianna Grigorian et Gayane Mkrtchian,
journalistes à ArmeniaNow, Erevan.
(traduction d'IWPR de Georges Festa)
Vingt ans après, une génération nouvelle d'enfants ne reçoit pas les traitements nécessaires pour les maladies causées par Tchernobyl.
La peau de Sennik Alexanian a jauni, ses os ressortent, ses yeux sont enflés. M. Alexanian est âgé de seulement 49 ans mais son système immunitaire s'est effondré. Comme des centaines de ses compatriotes sa vie est divisée en deux périodes : l'avant et l'après Tchernobyl.
Comme 3000 autres Arméniens et comme des dizaines de milliers de personnes à travers l'Union Soviétique -, M. Alexanian avait été envoyé pour aider à la réorganisation, suite à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl il y a vingt ans. La moitié des Arméniens envoyés là-bas connaissent de graves problèmes de santé causés par les radiations subies et 350 sont déjà morts.
Le 25 avril, un groupe de sauveteurs arméniens a été reçu et récompensé par le premier ministre M. Andranik Margarian, qui leur a promis davantage de soutien, mais beaucoup de gens assurent qu'ils ont été abandonnés par le gouvernement de l'Arménie indépendante.
«Je suis allé à mon travail, mais ils m'en ont empêché », se souvient M. Alexanian, qui travaillait comme chauffeur routier en 1986. « Ils nous ont mis dans des trains sans nous dire, ni à notre famille, où ils nous envoyaient. Si je n'y étais pas allé et si je m'étais enfui, ils m'auraient jugé comme ennemi du peuple.»
Personne n'informa les sauveteurs des dangers invisibles de la zone où ils pénétraient.
« Les radiations n'ont ni couleur ni odeur, tu ne peux pas les repérer », ajoute M. Alexanian. «On a juste commencé à se sentir moins bien, on avait continuellement mal à la tête, des vertiges, on saignait toujours du nez.»
M. Gevorg Vardanian, qui préside actuellement l'Association arménienne de Tchernobyl, a passé onze mois à Tchernobyl et souffre d'une grave maladie causée par les radiations. « En Ukraine l'opinion publique ignorait ce qui était arrivé. Lors du défilé du 1er Mai, une pluie radioactive est tombée sur les gens, rappelle-t-il. Le plus terrible c'est qu'il y avait des étudiants parmi ceux qui emmenèrent les gens hors de Tchernobyl. Ils n'ont jamais su qu'on les avait emmenés dans une zone dévastée.»
Six ans après la catastrophe, ce fut la fin de l'Union Soviétique et les nouveaux Etats indépendants, tels que l'Arménie, durent prendre en charge les sauveteurs. Or, contrairement à beaucoup d'autres pays, l'Arménie n'a pas affecté un budget conséquent au traitement médical des survivants de Tchernobyl. Bien que pouvant bénéficier de contrôles médicaux deux fois par an, les malades disent qu'en général, ils ne les ont même pas eus.
M. Alexanian nous dit que sa santé se détériore chaque jour davantage, mais qu'il n'a pas reçu d'argent pour se soigner. Sa famille a vendu tout ce qu'elle pouvait, même leur appartement. Il reçoit une pension de 21 000 drams, soit l'équivalent de 46 $, chaque mois, mais, selon lui, il aurait besoin de beaucoup plus pour acheter ne serait-ce que l'un des médicaments qui lui sont nécessaires.
« Lorsque nous nous adressons aux services spécialisés pour obtenir une aide, ils nous disent sournoisement précise M. Alexanian : "Vous n'auriez pas dû y aller". Ça ne dépendait pas de nous, personne n'est allé vers une mort lente en le sachant.»
Il y a six ans, sa femme et lui ont eu un fils, mais l'enfant a été aussi marqué par les conséquences de Tchernobyl. Le petit Vachagan est né avec des problèmes de santé chroniques , souffre d'épilepsie et de crises nerveuses. Selon M. Gevorg Vardanian, beaucoup de sauveteurs arméniens ne peuvent plus travailler. Ils vivent pauvrement et manquent d'argent pour leurs besoins les plus élémentaires.
«On pensait que nos problèmes qui avaient commencé à Tchernobyl se termineraient en Arménie¸ mais apparemment ils ne sont pas près de finir, nous dit M. Vardanian. Ce ne sont pas seulement les sauveteurs, mais plus de trente pour cent de leurs enfants qui souffrent de nombreuses déficiences et connaissent de graves problèmes de santé. Beaucoup n'ont même pas la chance d'emmener leurs enfants chez un médecin.»
D'après M. Vardanian, le gouvernement arménien n'a pas assumé efficacement ses responsabilités. «Nous n'avons aucune loi spécifique pour défendre les droits de ceux qui ont participé aux tâches d'urgence à Tchernobyl et pour leur donner les mêmes avantages dont bénéficient les autres sauveteurs dans l'ancienne Union Soviétique.»
Selon M. Vardanian, le gouvernement arménien a ratifié un traité qui prévoyait la mise en oeuvre d'une loi protégeant les survivants de Tchernobyl, mais jusqu'à présent une telle loi n'a pas encore été adoptée.
C'est seulement au début de cette année que la commission parlementaire aux affaires sociales, à la santé et à l'environnement a rédigé un projet de loi garantissant une protection aux victimes de Tchernobyl et à leurs enfants. Selon M. Gaguik Mkheyan, président de cette commission, «le projet de loi est en discussion». Son coût est toutefois déjà critiqué par des ministres du gouvernement.
«A mon sens, l'Arménie n'a pas besoin d'une telle loi», nous a déclaré Mme Jemma Baghdasarian, directrice du service des handicapés et des personnes âgées au ministre du Travail, arguant du fait que la législation courante en matière de protection sociale assure aux survivants de Tchernobyl un suivi satisfaisant.
Selon M. Nikolaï Hovhanissian, directeur du Centre arménien de soins et de traitement des brûlures liées à la radioactivité, qui déclare comprendre la cause des sauveteurs de Tchernobyl, l'Arménie n'a tout simplement pas les moyens de s'en occuper.
«L'Etat envisage de dépenser 100 000 drams (222 $) pour chaque malade, en incluant le coût de l'électricité utilisée par l'hôpital, les salaires du personnel médical, les médicaments et la nourriture, précise M. Hovhanissian. Que dire à cela ? Cette somme ne suffirait même pas à résoudre une partie des problèmes des patients.»
Les survivants eux-mêmes placent peu d'espoir dans cette nouvelle loi. D'après eux, le budget existant est déplorablement inadapté.
«On a l'impression d'avoir tout le monde contre nous, on est comme des cadavres ambulants, dont personne ne veut,» nous dit M. Vazguen Gyurjinian, un survivant de Tchernobyl. M. Gyurjinian, électricien, était âgé de 28 ans lorsqu'il fut envoyé dans la zone de la catastrophe. Agé maintenant de 46 ans, il s'exprime d'une voix rauque et respire avec difficulté. Il a déjà eu trois attaques cardiaques. Sa troisième fille, Lusine, née à son retour, était handicapée de naissance et ne reçoit que 3 600 drams (environ 8 dollars) par mois d'aide de l'Etat.
«Ce n'est pas seulement nous, pour qui
la vie est maintenant un fardeau, qui avons besoin de cette loi,
mais nos enfants et nos petits-enfants, déclare M. Gyurjinian.
Certains parmi nous ont peut-être des enfants en bonne santé,
mais cela ne nous garantit pas de ne pas avoir des petits-enfants
malades. Nos gènes ont subi de graves dommages.»
Le Monde, 25/4/06:
Tenez, voici l'histoire de ma maladie."
Constantin Tatuyam présente un gros carnet, bourré
de feuilles. "En 2000, j'ai fait une crise cardiaque.
J'ai dû commencer un nouveau carnet." Il rit. Comme
des centaines de milliers de jeunes hommes en 1986, il a été
appelé pour aider à "liquider"
l'accident de Tchernobyl.
"Notre équipe était chargée de décontaminer
les terrains autour de la centrale. Nous étions onze. Quatre sont morts. Et les
sept autres, nous sommes tous invalides, aucun n'est en bonne
santé."
Auparavant, il travaillait dans un
institut de métallurgie. Il est arrivé en septembre
1987 à Tchernobyl et y est resté jusqu'en 1994.
Son équipe a participé à l'enterrement des
objets trouvés dans la ville abandonnée de Pripiat,
à l'enfouissement de déchets radioactifs, à
la plantation d'herbes censées concentrer la radioactivité
et à la destruction de maisons dans les villages empoisonnés.
En 1989, il a été décoré. Il a mené
un travail de bureau à partir de 1990, et depuis 1994,
il ne travaille plus. A 56 ans, il est inactif, est toujours malade,
suit un traitement pour le coeur.
"Depuis le rapport de l'AIEA, en septembre 2005, disant
que la situation était propre, il devient difficile d'obtenir
des médicaments. On nous dit simplement qu'il n'y en a
pas."
Nikolaï Karpan, 60 ans, était employé de
la centrale. Il est arrivé le matin fatidique, à
8 heures, pour prendre son service - et a plongé dans la
fournaise : "Le personnel de l'usine était une
sorte d'otage. Nous connaissions le mieux l'endroit, donc on avait
besoin de nous. On travaillait quinze jours, on se reposait quinze
jours. Au bout de quelques mois, je suis devenu très malade.
On m'a envoyé à Moscou puis, en 1990, en Allemagne,
où l'on m'a diagnostiqué le "mal des rayons".
Tous mes organes sont atteints, j'ai vingt-cinq maladies. Mais
on s'habitue : je fais attention à ce que je mange, je
ne bois pas, je vois des bons amis, je fais de l'exercice. Et
je veux penser à autre chose."
Derrière la froideur des chiffres et des enquêtes,
tous ces "liquidateurs", mais aussi les centaines de
milliers d'habitants des zones contaminées, vivent avec
la maladie, plus ou moins grave, et dont on ne saura jamais avec
certitude si la radioactivité en est la cause.
"Je ne regrette pas d'avoir travaillé à
Tchernobyl, dit Constantin Tatuyam. On travaillait par
patriotisme, pas en pensant à ce qui arriverait plus tard."
Hervé Kempf
22/9/2005 - Deux
Russes, qui étaient intervenus sur la centrale nucléaire
de Tchernobyl après la catastrophe de 1986, ont obtenu
gain de cause jeudi devant la Cour européenne des droits
de l'homme qui a reconnu Moscou coupable d'avoir tardé
à verser les pensions d'invalidité dont ils avaient
obtenu la revalorisation.
Viktor Boutsev et Vladimir Denissenkov, deux ressortissants russes
âgés aujourd'hui d'une cinquantaine d'années,
avaient participé en 1987 à des interventions sur
le site contaminé de Tchernobyl, rappelle la Cour dans
son arrêt.
Tous deux se virent accorder au milieu des années 1990
une indemnisation, à verser mensuellement, pour les problèmes
de santé qu'ils connurent à la suite de leur exposition
à des émissions radioactives provoquées par
l'explosion de la centrale nucléaire.
Ils attaquèrent chacun l'autorité locale responsable
des pensions car ils estimaient que le montant de l'indemnisation
qu'ils devaient percevoir n'avait pas été fixé
correctement, poursuit la Cour européenne.
Les tribunaux leur octroyèrent une indemnisation qui devait
être indexée sur les augmentations du salaire mensuel
minimum mais, d'après les requérants, les sommes
leur furent versées avec plusieurs années de retard.
La Cour européenne a estimé que les autorités
russes avaient ainsi notamment violé l'article 6 §
1 (droit à un procès équitable dans un délai
raisonnable) et alloué respectivement 4.500 euros et 3.000
euros à MM. Boutsev et Denissenkov pour dommage moral.
28/5/2005
- Une centaine de "liquidateurs"
de Tchernobyl, des personnels ayant travaillé sur la zone
contaminée après l'accident de 1986, ont manifesté
samedi à Moscou pour réclamer le maintien de leurs
avantages sociaux, supprimés récemment par la loi.
Réunis devant le siège du gouvernement, ces "liquidateurs"
qui souffrent des conséquences de l'irradiation, ont réclamé
la restitution de l'aide médicale gratuite, des transports
gratuits et d'avantages en matière de services publics
(électricité, gaz, téléphone) dont
ils bénéficiaient jusqu'au 31 décembre 2004.
"Députés de Russie unie (le parti pro-Poutine)
ne tuez pas vos électeurs", clamait une pancarte brandie
par les manifestants. "Nous sommes venus protester contre
la politique anti-sociale du gouvernement", a déclaré
Iouri Semionov, président de l'association de victimes
"Tchernobylets".
Des dizaines de milliers de personnes avaient été
envoyées en avril 1986 sur les lieux de la catastrophe
de la centrale de Tchernobyl, en Ukraine, alors république
soviétique, pour y procéder à des travaux
d'urgence et en "liquider" les conséquences,
dans des conditions de sécurité dérisoires.
Viatcheslav Kitaïev, qui dirige une autre association "L'Union Tchernobyl-Russie",
affirme que près
de 150.000 liquidateurs vivent encore en Russie, dont un tiers
sont malades.
Parmi les manifestants, Evgueni Keriouchkine, un ancien officier
de 52 ans, affirmait être en procès depuis deux ans
avec le ministère de la Défense pour obtenir une
indemnité de 33.000 roubles (environ 1000 dollars). "Ce
n'est pas une vie, c'est une lutte pour la survie, mais l'espoir
que le gouvernement nous entendra est très faible",
a-t-il déclaré.
Voir les info du JT sur Dailymotion.
27/4/2005 - Trente deux Bélarusses, Ukrainiens et Russes, dont deux journalistes, ont été condamnés mercredi à des peines de 8 à 15 jours de prison après avoir pris part à une manifestation de l'opposition mardi à Minsk pour le 19e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Les accusés, 13 Bélarusses - et fait rare dans ce pays où les arrestations d'opposants locaux sont fréquentes - 14 Russes et 5 Ukrainiens, ont tous été condamnés par un tribunal de Minsk pour "violations à la tenue de manifestations", selon un journaliste de l'AFP sur place. Ils avaient tous été arrêtés la veille lors d'une manifestation près du palais de l'autoritaire président Alexandre Loukachenko, où avaient été brandis des drapeaux russes et bélarusses et des pancartes avec des slogans tels que "Ukraine aujourd'hui, Bélarus demain" ou "pour notre liberté et la vôtre". Les cinq Ukrainiens, membres de l'organisation de jeunesse "Alliance nationale", ont été condamnés à des peines de 10 à 15 jours de prison. Les Russes ont eux été condamnés à huis-clos. Le chef de file de l'organisation de jeunesse "Ceux qui marchent sans Poutine", Vadim Rezvyi, a été condamné à dix jours de prison, selon Vladimir Labkovitch, responsable de l'organisation de défense des droits de l'Homme Vesna. Le journaliste de l'hebdomadaire Rousskii Newsweek Alexeï Ametov a écopé d'une peine identique et le correspondant du quotidien Moskovskii Komsomolets Mikhaïl Romanov s'est vu infliger huit jours de prison. Les 11 autres Russes ont été condamnés à des peines de 10 à 15 jours de prison. Les Bélarusses ont été condamnés à des peines de 10 à 15 jours de prison eux aussi, à l'exception de l'opposante Marina Bogdanovitch, condamnée à payer 3,5 millions de roubles bélarusses (plus de 1.600 dollars, dans ce pays où le salaire mensuel moyen est de 180 dollars).
KIEV, Ukraine (26/4/2005) - Des centaines de parents et de proches de victimes
ont posé des fleurs et allumé des bougies tôt
mardi devant un monument érigé dans la capitale
ukrainienne de Kiev à l'occasion du 19e anniversaire de
la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986.
Samedi, plusieurs centaines de survivants de Tchernobyl avaient
défilé dans le centre de Kiev pour exiger une meilleure
indemnisation pour les victimes de l'accident nucléaire
survenu il y a 19 ans.
Les personnes présentes demandaient aussi une meilleure
prise en charge médicale. Nombre d'entre elles portaient
les photos de proches ayant succombé aux suites de l'accident
de 1986.
KIEV (24 avril 2005) - Plusieurs centaines de survivants de Tchernobyl ont
défilé dans le centre de Kiev samedi pour exiger
une meilleure indemnisation pour les victimes de l'accident nucléaire
survenu il y a 19 ans.
Les personnes présentes demandaient aussi une meilleure
prise en charge médicale. Nombre d'entre elles portaient
les photos de proches ayant succombé aux suites de l'accident
de 1986. L'une des banderoles disait: "Tchernobyl est fermé,
les problèmes de Tchernobyl sont-ils oubliés?"
La police a estimé la foule à environ 700 personnes.
L'explosion de l'un des quatre réacteurs de Tchernobyl
le 26 avril 1986 a provoqué un nuage radioactif qui a contaminé
par ses retombées une partie de l'Ukraine et surtout de
la Biélorussie, ainsi qu'une bonne partie du Nord de l'Europe.
On estime à Kiev que 3,3 millions d'Ukrainiens, dont 1,5
million d'enfants, ont été affectés.
17/3/2005 - Deux
"nettoyeurs" de la centrale nucléaire de Tchernobyl
intervenus après la catastrophe de 1986 ont obtenu gain
de cause jeudi devant la Cour européenne des droits de
l'homme qui a reconnu la Russie coupable d'avoir tardé
à verser les pensions d'invalidité dont ils avaient
obtenu la revalorisation.
Dimitri Ivanovitch Gorokhov et Rostislav Vladimirovitch Roussyaïev,
deux Moscovites âgés aujourd'hui de 53 et 44 ans,
avaient participé aux opérations de nettoyage du
site de Tchernobyl. Le statut d'invalide leur avait été
reconnu mais les deux hommes avaient ensuite engagé une
procédure pour demander une revalorisation de leurs pensions
d'invalidité. Deux décisions judiciaires de janvier
et juin 2001 leur avaient effectivement accordé une majoration
de 58 % et 50 % des montants qu'ils avaient perçus jusqu'alors.
Les jugements furent exécutés le 1er novembre 2002.
La cour européenne des droits de l'homme a jugé
que les décisions en faveur des deux invalides n'ont pas
été exécutées dans un "délai
raisonnable", en violation de l'article 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme. Les juges de Strasbourg
ont également estimé que "l'impossibilité
pour les intéressés d'obtenir l'exécution
de ces décisions a porté atteinte à leur
droit au respect de leurs biens et emporté violation de
l'article 1 du Protocole n° 1" de la Convention (protection
de la propriété). Les autorités russes ont été condamnées
à verser 900 euros à chacun pour préjudice
moral (bref pas chère
la vie d'un liquidateurs).
Libération, 8/3/2005 :
Moscou - Une
réforme accentue le dénuement de ceux qui avaient
participé au nettoyage du site. «Lui est mort il
y a deux ans, lui vient juste de mourir, lui a eu une hémorragie
cérébrale...» Dans le petit local de l'Union
des Tchernobyl de Moscou, entre malades et cafards qui trottent
sur les murs, l'ambiance est un peu plus morbide de mois en mois.
Viatcheslav Kitaïev, président de l'association moscovite
des «liquidateurs» de Tchernobyl, envoyés nettoyer
les abords de la centrale nucléaire après l'explosion
le 26 avril 1986 du réacteur numéro 4, montre les
photos de ses amis, décédés dernièrement.
Au total, quelque 600 000
«héros» de l'Union soviétique, soldats
et civils, furent envoyés à Tchernobyl dans les
mois et les années qui suivirent l'explosion du réacteur.
La moitié d'entre eux seraient aujourd'hui gravement malades
ou déjà morts, selon les estimations de l'Union
russe des liquidateurs. «Et la moitié
de ceux qui sont encore vivants sont aujourd'hui en procès
pour toucher les indemnités qui leur sont dues ! Ça
vous paraît normal ?» s'insurge Viatcheslav Kitaïev.
Autour de lui, une rangée d'hommes, visage rouge et mains
tremblantes, murmurent : «On nous a volé notre vie
(...). Et maintenant, on nous cambriole.»
Une récente «réforme des avantages sociaux»
entrée en vigueur en Russie le 1er janvier vient de priver
les liquidateurs de Tchernobyl de toute une série d'avantages
en nature (réduction de charges communales et de frais
de transport, séjours annuels en sanatorium...). Quelques
dizaines d'anciens liquidateurs, souvent déjà gravement
malades, ont fait plusieurs semaines de grève de la faim
dans plusieurs villes de Russie. Plusieurs manifestations ont
rassemblé quelques centaines de liquidateurs. La plupart,
trop faibles ou trop habitués à être oubliés,
sont restés chez eux, où ils se laissent mourir
dans des douleurs souvent atroces. «Il n'y a pas de maladie
Tchernobyl proprement dite, assure le docteur Elena Chirokova,
responsable d'un institut spécialisé dans l'accueil
des liquidateurs, à Moscou. Simplement, avec l'âge,
ils développent quantité de maladies très
diverses, cardio-vasculaires, digestives, nerveuses.» Même
dans ce centre moscovite, les médecins avouent n'avoir
pas toujours assez de médicaments pour soulager leurs patients.
«Souvent les financements manquent, laissent-ils entendre
à mi-mots. Et pourtant, c'étaient nos héros,
qui ont sacrifié leur vie pour nous sauver de dégâts
encore plus grands.»
Pavel Markine 41 ans : «Nous étions des héros»
«J'ai été envoyé en juillet 1986 à Tchernobyl. Arrivé sur place, j'ai appris qu'il était interdit d'envoyer ceux qui n'avaient pas encore d'enfant, mais je suis resté car il fallait bien tout de même faire ce travail, nous étions des héros ! On enlevait la terre contaminée, à 300 mètres du quatrième réacteur : on faisait ça deux à cinq minutes par jour, la règle étant de ne pas recevoir plus de 1,5 röntgen (1,5 fois la dose max. annuelle des travailleurs du nucléaire) par jour. Mais les temps de trajet jusqu'à la centrale n'étaient pas comptés. Autour de nous, la forêt était de couleur orange, il y avait des arbres avec des fruits énormes et des chiens à moitié chauves. Je portais un dosimètre, mais il ne marchait pas tout le temps. Officiellement, ils ont noté que j'avais reçu 21,13 röntgens, mais je suis sûr d'en avoir reçu beaucoup plus. J'ai commencé à me sentir mal à partir de 1989. J'ai d'affreuses douleurs à la tête, les médecins parlent d'encéphalopathie, de gastrites, j'ai les vaisseaux sanguins qui rétrécissent. Le médecin me conseille de temps en temps de faire une pause dans la prise de médicaments et de faire passer les douleurs à la vodka. De toute façon, les médicaments que nous recevons gratuitement sont les moins efficaces. Ceux qui me soulagent vraiment, je dois les acheter moi-même : 1 000 roubles environ tous les mois [28 euros]. Je touche 1 700 roubles [47 euros] de pension d'invalidité et 1 200 roubles [33 euros] d'indemnités par mois. D'après la loi, je devrais toucher 14 000 roubles [390 euros]. Je suis en procès pour un total de 380 000 roubles [10 555 euros] que l'Etat me doit depuis 1996. Avec la réforme entrée en vigueur en janvier, ils nous ont supprimé toute une série d'avantages... L'Etat russe se fout de nous, il nous crache dessus.»
Vladimir Vassine 45 ans : «On nous réduit en poussière»
«Vous avez cru que j'étais saoul
? Tout le monde pense ça, à cause de mon visage
rouge. Ça fait quinze ans que j'ai le visage et le corps
de plus en plus rouges. Pourtant, je ne bois pratiquement pas.
Mes autres symptômes : des douleurs atroces à la
tête et aux oreilles, dans les bras et les jambes. Ça
a commencé dès 1987, quand j'ai fait un petit infarctus.
Et j'ai aussi un morceau de l'os du genou qui s'est détaché.
C'est en juin 1986 que j'ai été envoyé à
Tchernobyl. J'étais ouvrier, je ne voulais pas y aller.
Mais ils m'ont menacé de licenciement, puis de prison,
et puis ils m'ont offert un triple salaire, alors j'ai fini par
céder. On devait construire un mur pour empêcher
l'eau de la nappe phréatique de se jeter dans la rivière.
A la fin, ils ont écrit que j'avais reçu 0,00001
microröntgen.
Il fallait bien que quelqu'un fasse ce travail, mais quand même
je regrette parce que j'aurais bien aimé avoir des petits-enfants.
Je viens d'avoir un bébé, il y a un an, après
des années de traitement de la prostate. Nous vivons à
trois dans une pièce de 33 m2. D'après la loi, nous
avons droit à 66 m2, mais je vais encore devoir me battre
au tribunal pour l'obtenir. Avec les indemnités, c'est
pareil : j'ai dû faire un procès de plusieurs années
pour obtenir une indemnité mensuelle de 24 000 roubles
[666 euros] et maintenant, avec la réforme entrée
en vigueur en janvier, ils ne me la versent plus depuis trois
mois ! On nous réduit en poussière ! C'est une honte
pour notre pays. Tout dernièrement, le médecin a
écrit sur mon dossier que j'aurais besoin de soins psychiatriques.
C'est bizarre car jusqu'à présent le psychiatre
m'avait toujours déclaré normal. Je me demande si
ce n'est pas un ordre du ministère de la Santé,
pour nous priver de nos droits civiques si nous continuons à
protester.»
Lorraine Millot
Interviews de Vladimir NAOUMOV, président de l'association des "liquidateurs" ; ainsi que de deux "liquidateurs" qui témoignent de leur intervention et de l'ignorance dans laquelle elle s'est déroulée. Un tiers des 450 mineurs de Nikouline partis à Tchernobyl sont morts. Les mineurs procèdent au coffrage de la centrale sans aucune protection particulière. 25 octobre 2000, Moscou, les "liquidateurs" organisent une marche de protestation contre l'Etat qui désire réduire leurs indemnités.
Libération, 17 novembre 1999
Toula envoyé spécial
Sergueï Vorobiov, vice-président du comité Tchernobyl de Toula, exhibe le télégramme signé par le ministre du Travail, Kalachnikov, envoyé le 6 septembre à 15h39 : cinq lignes certifiant que le gouvernement russe n'appliquera pas son arrêté du 1er juin avant son examen par la Cour suprême de Russie et, pour l'heure, «propose de ne pas changer le paiement des indemnités aux invalides de Tchernobyl».
Cet arrêté avait choqué les «liquidateurs» de Tchernobyl. Les termes en étaient alambiqués et abscons, mais ils ont appris à lire de tels textes : «nous avons dû devenir des spécialistes du droit russe, j'ai honte de le dire», rage Vorobiov (moineau, en russe). Après décryptage, ils en avaient mesuré «la perversité». Sous des atours avantageux, le texte revenait à rendre plus sélectifs les critères d'attribution des avantages sociaux accordés par l'Etat. Pour la plupart des liquidateurs, cela revenait à réduire de fait leur indemnité mensuelle pourtant souvent modeste, autour de 500 roubles (120 F). On leur demandait en effet d'apporter la preuve de leur maladie, ou, quatorze ans après, de prouver qu'ils avaient bien travaillé dans la «zone 3» (la plus sensible) alors que les preuves ont «curieusement» disparu des archives de l'état-major militaire à Moscou. C'en était trop.
Aucune allocation. Le 23 août dernier, 185 liquidateurs de la région de Toula (à environ 200 km de Moscou) entamaient une grève de la faim. 185 «invalides» de Tchernobyl dont une trentaine ont dû être hospitalisés. La grève a été «suspendue» après la décision du gouvernement de geler l'arrêté et d'entamer des discussions. Lesquelles sont en cours au ministère des Affaires sociales. «Une victoire», souffle Vorobiov, sans triomphalisme aucun, dans le bureau du comité Tchernobyl de Toula, modeste local au rez-de-chaussée d'un immeuble krouchtchévien. Une victoire? C'était encore l'été, c'est déjà l'hiver. Un mois après, la victoire s'est effilochée. A Toula, où la mobilisation a été forte, les fonctionnaires restent prudents mais dans d'autres régions ils appliquent l'arrêté, pourtant déclaré anticonstitutionnel sur plusieurs points par la Cour suprême - le ministère du Travail a fait appel. Une commission bipartite entre le ministère et les comités Tchernobyl doit reprendre ses travaux ces jours-ci. Il n'empêche, depuis le début septembre les liquidateurs de Toula n'ont reçu aucune allocation.
Volontaires. L'atmosphère dans leur local est morose, comme la vie de ces invalides de 70 à 100 %. Tous viennent là, dans ce lieu, tuer comme ils peuvent un peu de leur temps de vie bousillée par les radiations. 2 650 hommes de la région de Toula sont partis à Tchernobyl après l'explosion du réacteur numéro 4, le 26 avril 1986. On a d'abord envoyé des mineurs - fer de lance de la fierté soviétique - Sergueï et Evguéni faisaient partie des 285 volontaires venus des mines de charbon de la région. «Le parti nous avait éduqués comme ça, on est partis là-bas par patriotisme, j'avais 33 ans, se souvient Sergueï, on a sauvé la patrie, mais on a aussi sauvé l'Europe.» Puis sont venus ceux que l'on a expédiés sur le site «en mission» sans leur demander leur avis, comme Igor, 37 ans à l'époque. «Dans mon entreprise, on était deux à être désignés, la femme de l'autre est tombé malade alors il n'est pas parti.»
Voir la vidéo. (C'est Igor Kobryn qui filme les mineurs sous le réacteur, voir les commentaires de Valery Starodumov sur cette opération.)
«Les cinq premiers jours on avait conscience du danger et puis on oubliait, poursuit Igor. Je devais revenir au bout de deux mois, je suis resté trois mois et demi. On reconnaissait les bleus au fait qu'ils portaient le masque sur la figure. Nous, on s'en était débarrassés en le portant dans le dos, on sentait le danger en respirant ou en salivant, un goût d'iode qui venait du réacteur.» «Toute la nature vivait au ralenti. Les lézards étaient sans force, on pouvait les prendre dans la main, les oiseaux s'écrasaient sur le pare-brise des camions même quand on roulait à petite vitesse», se souvient Evguéni. «Moi j'étais un grand sportif, je suis revenu avec une hépatite, adieu la boxe, la natation», soupire Vorobiov. Le retour fut rarement glorieux pour ces sauveurs de la patrie.
En 1986, dans la foulée de la catastrophe, le gouvernement, alors soviétique, déclara prendre en charge l'ensemble des gens de Tchernobyl. Il a fallu attendre 1991 pour voir voter une première loi concernant «la protection sociale des personnes ayant souffert de Tchernobyl», un an de plus pour son application. «Ce n'est qu'au bout de quatre ou cinq ans que l'on s'est rendu compte des conséquences. Des hommes ont commencé à mourir», explique Vorobiov. 260 liquidateurs sont ainsi décédés dans la région de Toula, aucun n'avait plus de 40 ans. Parmi eux, certains avaient préféré se suicider. Parce qu'ils ne pouvaient plus avoir d'enfants, parce qu'ils souffraient trop.
Suicide à la grenade. Le liquidateur ukrainien Vladimir Serguienko avait, lui, survécu. Le 27 août dernier, une grenade à la main, il est entré dans le bureau du procureur de Dmitrov, à l'ouest de l'Ukraine. Il en avait assez de vivre misérablement, il voulait 50 000 dollars, on ne les lui a pas donnés, il a dégoupillé la grenade et s'est fait exploser.
A Toula, ville de huit cent cinquante-deux ans d'âge (un an de plus que Moscou) au Kremlin chatoyant, sous une carte du site de Tchernobyl coloriée zone par zone, Sergueï Vorobiov parle de dignité humaine. «Nous n'avons pas besoin d'aide humanitaire, ce dont on rêve c'est de travail, que Renault ouvre ici une usine. Mais aucune entreprise n'a besoin de gens invalides comme nous. Comme il y a des élections qui approchent en Russie, aujourd'hui les partis politiques viennent nous voir. Les communistes, les fascistes, tous. Ils veulent tous nous aider. Mais on n'attend plus rien. On se débrouillera seuls.».
JEAN-PIERRE THIBAUDAT
L'Express, 25/4/1996:
Il n'a pas été volontaire, Igor, pour aller faire le sale boulot, là-bas à Tchernobyl. Il a obéi aux ordres. Sans savoir que l'air qu'il respirait, le sol sur lequel il marchait, le sable qu'il touchait étaient empoisonnés. Il y a dix ans, Igor Brekov fut l'un des premiers liquidateurs à arriver sur place - ceux qui ont participé au contrôle de l'accident ou au nettoyage de la région. Aujourd'hui, à 30 ans, handicapé à vie, l'il sombre, la parole hésitante, il raconte comment, de la base secrète de Tchernobyl 2, où il faisait son service militaire, à 7 kilomètres de la centrale, il a regardé «Atomka», le surnom affectueux qu'il donnait à la centrale, s'embraser dans la nuit du 25 au 26 avril 1986. Comment, des jours durant, le nez au vent dans une Jeep, sans aucune protection, il est allé sur les bords de la rivière Pripyat remplir des sacs de sable - déjà hautement radioactif - qui servaient à étouffer l'incendie. En l'espace de quelques jours, il a vu les officiers et leur famille quitter la base. Lui, on lui a demandé de rester. Un mois plus tard, rapatrié à Serpoukhov, près de Moscou, il est tombé gravement malade. Des semaines entre la vie et la mort. Diagnostic: une grave affection cérébrale - la maladie de Wilson - déclenchée par les radiations. Igor, qui ne connaîtra jamais la dose qu'il a reçue, a été officiellement classé victime de Tchernobyl en 1991. En veut-il à son pays? Même pas; il faisait son devoir. Mais plus jamais il n'appellera une centrale nucléaire «Atomka».
Françoise Harrois-Monin
Der Spiegel,
27/01/92 (en Pdf) :
"Des êtres humains sacrifiés
pour rien"
Il s'est rendu à Tchernobyl dès novembre 1986. Lors d'une conférence tenue en septembre 1992 à Berlin et consacrée aux victimes des radiations, Georges Lépine a indiqué que 70 000 liquidateurs étaient invalides et que 13 000, âgés de 35 ans en moyenne, étaient déjà morts (WiseAmsterdam n°381, 30/10/92).
Aujourd'hui on entend souvent des lamentations
sur Tchernobyl. Mais que peut-on en dire et que peut-on écrire
là-dessus ? Je pense que Tchernobyl attend toujours son
Soljenitsyne qui dira la vérité.
Le pire, c'est que Soljenitsyne a décrit le passé.
Le passé relativement éloigné, alors que
Tchernobyl c'est maintenant. Aujourd'hui.
Prenez, par exemple, le mensonge par omission qui a coûté
si cher aux habitants de Pripyat et des villages alentour. La
seule explication pour comprendre ce qui s'est passé à
Pripyat dans les 36 premières heures après l'accident,
c'est qu'on a essayé de dissimuler ce qui venait d'arriver.
On a essayé d'empêcher la glasnost. Ceux qui finalement
ont pris la décision d'évacuer les habitants n'imaginaient
pas qu'ils les sauvaient. C'est la chance qui les a sauvés
en fait « la langue » de débris issus du réacteur
est passée juste au sud de la ville, par la « Forêt
Rousse ». C'est cette zone de forêt qui a d'abord
souffert du coup le plus brutal. Si le vent avait légèrement
tourné, ces 36 heures auraient alors été
les dernières pour une foule de gens.
Mais même à ce moment-là, le jeu de « Je
ne sais rien, je n'ai rien entendu, je ne dirai rien » a
été joué suffisamment longtemps pour qu'en
soient affectés les habitants de Pripyat.
Il est vrai que les habitants de Pripyat disent souvent que les
dirigeants de la province et de la République ne les ont
pas oubliés mais ces derniers étaient tout simplement
incapables de faire deux choses à la fois. D'abord, il
fallait évacuer d'autres personnes d'endroits beaucoup
plus dangereux leurs parents devaient être évacués
de Kiev. Ensuite viendrait le tour de Pripyat (2).
On justifie ce genre de choses en parlant de « mensonges
dont sortirait un plus grand bien », « de mensonge
qui sauve », et même de « mensonges sacrés
». Peut-être. Mais était-on dans une telle
situation ? Sommes-nous si faibles que nous ne puissions accepter
la vérité, même si elle est souvent très
cruelle ? Quand comprendrons-nous que le progrès est impensable
si l'on n'a pas la force que la vérité peut donner?
On n'a pas du tout tenu compte du fait que les gens impliqués
dans les travaux d'urgence et de liquidation des conséquences
de l'accident souffriraient de sérieuses séquelles.
Cela doit être souligné avec force.
Les ouvriers qui ont construit
le sarcophage de ciment recouvrant le réacteur n° 4
de Tchernobyl posent avec une banderole qui dit : « Nous
exécuterons l'ordre du gouvernement » à
l'été 1986 sur le chantier inachevé. (Photo:
Volodymyr Repik)
Il suffit de consulter nos journaux. Où trouve-t-on imprimé
le nombre de personnes mortes à la suite de Tchernobyl
? On peut à la rigueur trouver le chiffre 30. C'est tout.
Mais le 31e ne sera pas mentionné. Mais je peux donner
un chiffre différent. Entre 5 000 et 7 000 personnes de
Tchernobyl sont mortes à ce jour (3). Elles ont été
éparpillées dans toute l'URSS. Nous ne pouvons les
compter avec précision. Mais le chiffre peut être
estimé sur la base des témoignages fournis régulièrement
à notre organisation.
Et que penser de cet autre gros mensonge qui semble avoir le soutien
du ministère de la Santé lui-même et qui apparaît
dans le marquage « sans lien avec les radiations ».
Combien y a-t-il de personnes sérieusement malades à
cause de l'accident qui ne peuvent se débarrasser de ce
sale et inhumain marquage ?
Lorsque j'ai tenté de demander à notre centre médical
local de quoi mouraient les gens qui étaient allés
à Tchernobyl, on m'a répondu : « Que voulez-vous
dire ? Cela n'a rien à voir avec Tchernobyl. Ils meurent
d'autres causes. Certains d'attaques cardiaques. D'autres se suicident.
Mais pourquoi ? Après tout, on a conduit ces gens là.
Et si un garçon de 25 ou 30 ans devient complètement
handicapé et vit avec une pension misérable de 70
à 100 roubles par mois ? Et s'il a une famille ? Que fera-t-il
? Il n'a qu'une seule chose à faire se pendre ou se noyer.
Nous estimons qu'il y a aujourd'hui au moins 50 000 handicapés
parmi ceux qui ont pris part aux travaux d'urgence. Les membres
de notre organisation à Moscou ont essayé de les
dénombrer - ils pensent que le nombre est plus proche de
100 000. Je pense que le chiffre de 50 000 est plus proche de
la vérité pour l'instant. Cela fait environ 10 %
du nombre total des personnes qui sont passées par Tchernobyl
pendant les opérations d'urgence.
Hé1as, Mikhail Sergeyevitch (Gorbatchev) ne nous a pas
honorés de son attention nous, humbles travailleurs de
Tchernobyl. Nous aurions beaucoup de choses à lui dire.
Et cela ferait sans doute un peu de bien. Quant à cette
« représentation théâtrale » qu'on
nous a montrée à la télévision, elle
pourrait prendre sa place véritable parmi les oeuvres classiques
de cette période de l'histoire que nous tentons si désespérément
d'abandonner (4).
Il est évident que ce mensonge, qui se présente
sous diverses formes mais qui est le même dans son essence,
sert le but de quelques personnages. Sans doute, pour ces «
quelques personnages », le mensonge est-il le seul moyen
possible de survivre.
Quel paradoxe que l'honnêteté, l'ouverture, la glasnost
soit devenue une sorte de façade derrière laquelle
on continue d'agir, selon notre vieille habitude ô ! combien
profondément enracinée, depuis une coulisse remplie
de toutes sortes de déformations, d'hypocrisie, de fauxsemblants,
de purs mensonges et de demi-vérités.
Mais écoutez ce que disent « les liquidateurs »,
comme on appelle ceux qui sont passés par la zone du désastre.
Essayez de les comprendre. Leur tragédie vous bouleversera.
(...) Une grève de la faim dans la plus grande clinique
radiologique du pays, à Pushche-Volodetse, dans une banlieue
près de Kiev. Les mineurs font une grève de la faim.
Le danger et le risque, c'était leur métier. Mais
les risques qu'ils ont pris en mai et juin 1986 ont été
les derniers de leur courte vie. Ces jeunes garçons, comme
plusieurs milliers de gens passés à Tchernobyl,
ont été conduits à la mort, dans un tunnel
sans lumière au bout. Tout ce qu'ils avaient espéré
s'est effondré à ce moment-là pour de nombreuses
années. Tchernobyl a simplement révélé
la nature de ce qu'ils avaient vécu longtemps avant que
l'accident ne se produise. L'incendie de Tchernobyl a aidé
à éclairer les aspects cachés de notre système,
les endroits que l'on ne voulait pas voir, sur lesquels nous gardions
honteusement le silence. Le mythe selon lequel le mot de «
citoyen » résonne dans notre pays a été
en un instant réduit en cendre.
Docteurs ! Docteurs ! » Le troisième jour de la grève
de la faim, on a pu entendre cet appel cinq fois. Une ambulance
emportait alors un garçon. Un autre était emporté
en salle de réanimation. Les autres étaient soignés
sur place. Tout le monde savait qu'une grève de la faim
était mortellement dangereuse pour ces jeunes à
ce moment-là. Quel mépris de leur dignité,
de leur sort et de leur vie avait-il bien pu les conduire à
prendre une telle décision ? Que pouvaient-ils gagner ?
Dans ce cas encore, quelques flashes de lumière dans la
pénombre de leur tunnel. Une petite part de ce qu'un être
humain est en droit d'attendre d'une société civilisée.
Ils n'ont pas cherché à atteindre des buts personnels.
L'attitude inhumaine à l'égard des victimes de Tchernobyl
est toujours la règle absolue. Autrefois en bonne santé,
ces gens sont tombés malades, incapables de travailler
ou sont morts après Tchernobyl. Le gouvernement fait tout,
non pour sauver les gens, mais pour défendre l'Etat contre
ces gens qui ont fait honnêtement leur devoir de citoyens,
et qui ont risqué leur vie en répondant à
l'appel de ce même État. Il est difficile de considérer
qu'une telle attitude à l'égard des victimes de
Tchernobyl est digne d'un État qui se respecte.
Propos rapportés par Vladimir Tchernoussenko dans son livre Insight from the Inside, Springer verlag 1991.
Traduction de l'anglais par l'ACNM (Association Contre le Nucléaire
et son Monde).
1. Voici un fait rarement noté : « La plupart des animaux sauvages qui se trouvaient dans les zones de plus fortes retombées sont morts ; des cadavres portant des brûlures cutanées témoignèrent alors de doses rapidement mortelles » (Science et vie n° 900 septembre 1992).
2. Selon Konstantin I. Massik, Premier ministre adjoint de la RSS d'Ukraine, dans la seul Ukraine, « dès le mois de mai 1986, le transfert, dans des régions non contaminées de la République, de 526 000 écoliers et mères de familles accompagnées de leurs enfants fut organisé ». (in « L'accident de Tchernobyl : le fond du problème » Unesco : Tchernobyl, le bilan 1991). En fait, environ un million de personnes ont abandonné précipitamment Kiev après la catastrophe « Les premiers jours, la gare de chemin de fer avait été le théatre d'une pagaille inimaginable. La foule avait été encore plus dense que pendant la retraite en 1941 [...]. La panique avait commencé parce que des gens haut placés avaient fait quitter Kiev à leurs enfants, en secret. On n'avait pas tardé à le découvrir dans les écoles, les classes s'étaient clairsemées ». (G. Medvedev, La vérité sur Tchernobyl p 249)
3. Le professeur Lépine donne ici le nombre de morts parmi les 25 000 personnes environ qui ont travaillé dans les zones de haute radioactivité (25 000 liquidateurs ont construit le sarcophage). Ce chiffre concerne des personnes ayant moins de 35 ans, précise V. Tchernoussenko. Le gouvernement ukrainien a indiqué le 22 avril 1992, que « 6 000 à 8 000 habitants dc l'Ukraine sont morts des suites de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl » (AFP 23 /4/92)
4. Lépine fait allusion à la visite de Mikhail et Raïssa Gorbatchev à Tchernobyl le 23 février 1990. Elle dura 40 minutes.
18 avril 1989:
Témoignage
d'Ignatieva Olga Sergeïvna sur son fils unique Léonid
Vladimirovitch Ignatiev