Le Figaro,17 mars 2006:
Des études menées en France pendant quatre ans évaluent
les effets des faibles doses de rayonnements sur l'environnement
et la santé.
LA CONTAMINATION chronique à des faibles doses de radioactivité
présente-t-elle un risque pour l'environnement et la santé
? «Ce sont des questions que la société se
pose avec insistance», constate Jacques Repussard, directeur
de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN). L'explosion en 1986 du réacteur n° 4 de la
centrale de Tchernobyl
qui a contaminé les sols sur des milliers de km2 en Biélorussie,
en Ukraine et en Russie mais aussi dans le nord de la Norvège,
les rejets de l'industrie nucléaire et la production de
déchets de haute activité ont renforcé ces
interrogations.
«Un expert public comme l'IRSN doit les prendre en compte
et s'efforcer d'y répondre», expliquait hier Jacques
Repussard en présentant les premiers résultats du
programme Envirhom. D'autres acteurs, au premier rang desquels
l'Académie de médecine, estiment au contraire que
ces craintes sont inutiles, la radioactivité artificielle
étant largement inférieure à la radioactivité
naturelle et médicale.
Pendant quatre ans, les chercheurs de l'IRSN ont donc fait ingérer
sur de longues périodes de faibles quantités d'uranium
(quelques millionièmes de grammes d'uranium par litre d'eau)
à des algues microscopiques, des mollusques, des poissons
et des rats. «Les
premiers résultats sont surprenants et prometteurs», analyse Patrick Gourmelon, de l'IRSN. Certaines fonctions physiologiques
(système nerveux central, respiration, digestion, reproduction)
sont modifiées à de faibles niveaux d'exposition.
Côté flore et faune, les chercheurs ont constaté
une inhibition de la croissance chez les algues monocellulaires,
une diminution de la respiration chez les escargots filtreurs.
Plus près de l'homme, chez le rat, une faible contamination
produit des troubles de la mémoire, de l'anxiété
et du sommeil.
Jamais des études aussi poussées n'avaient été
conduites dans ce sens. Elles montrent que le système chronique
est très différent du système aigu, note
Jacques Repussard. Or, il faut savoir que l'évaluation
actuelle des risques radioactifs est basée sur les conséquences
épidémiologiques de l'explosion des bombes d'Hiroshima
et Nagasaki un flash et une forte radioactivité
et qu'elle ne prend en compte que les cancers, négligeant
toutes les autres formes de pathologies. Même si à
l'IRSN, on se garde bien de remettre en cause le système de radioprotection pour
l'homme basé sur des recommandations internationales, on
estime néanmoins que ces études montrent que les
effets sur l'environnement ne sont pas forcément négligeables.
Yves Miserey
Lire:
- Le nucléaire c'est de 1,1 à 61 millions
de morts et de 2,3 à 123 millions de cancers
- Les mythes de la radioprotection
16/03/2006 - Un programme d'étude sur les conséquences des expositions faibles et chroniques à la radioactivité montre que les normes internationales actuelles ne sont pas adaptées à ce type de situation, a annoncé jeudi l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Des recherches, menées dans le cadre de ce programme d'étude appelé "Envirhom" et portant sur des micro-algues, des crustacés ou des rats, ont en effet montré que "certaines grandes fonctions physiologiques des organismes vivants, telles que la respiration, le comportement ou l'alimentation, sont modifiées de manière très précoce et à de faibles niveaux d'exposition" alors des réponses plus tardives sont observées sur la reproduction.
Ces recherches sont particulièrement importantes avec la multiplication des sources potentielles de rayonnements ionisants (centrales nucléaires, médecine, mines d'uranium, déchets radioactifs...), a affirmé lors d'une conférence de presse le directeur de la radioprotection de l'homme à l'IRSN, Patrick Gourmelon.
Le Monde, 14/12/2005:
Les normes d'exposition à la radioactivité
sont-elles insuffisamment protectrices pour la population ? En
2003, des experts mandatés par les députés
Verts européens l'affirmaient. L'Institut de radioprotection
et de sûreté nucléaire (IRSN) français
vient de répondre
par la négative, sans nier que certains aspects de la question
sont "recevables et méritent débat".
Dans son rapport de 2003, le CERI (European Committee on Radiation
Risks) évaluait à plus de 61 millions dans le monde
le nombre de morts par cancer dues, jusqu'en 1989, aux retombées
radioactives principalement liées aux essais nucléaires
dans l'atmosphère. Soit trente fois plus que les estimations
résultant des modèles de radiotoxicologie en vigueur.
(Donc il y a officiellement
2 millions de morts)
L'IRSN conteste le mode de calcul retenu par le CERI et souligne
des "incohérences" dans son raisonnement. Pour
cet organisme public, qui s'est entouré pour l'occasion
d'experts extérieurs, y compris liés à des
associations de défense de l'environnement, il n'y a pas
lieu de remettre en cause le système actuel de radioprotection.
"Néanmoins, poursuit-il, certains composants de ce
système pourraient probablement être améliorés
en s'intéressant de façon plus explicite et systématique
aux incertitudes liées à la détermination
de la dose après contamination interne." Celle-ci
désigne les radionucléides inhalés ou ingérés.
Cette prise de position constitue en soi un événement,
tant le raisonnement qui guide les normes émanant de la
Commission internationale de protection radiologique (CIPR) semble
intangible.
Ces normes sont pour une bonne part déduites de l'étude
des survivants des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki. Or
ces populations ont subi essentiellement des expositions externes
ponctuelles élevées. Les pathologies qu'elles développent
au fil des décennies sont-elles représentatives
de celles qui pourraient résulter d'expositions chroniques
à faibles doses, internes et non externes ? C'est ce que
s'est demandé le CERI.
ETUDES SUR L'ANIMAL. "C'est une bonne question, mais le CERI
n'apporte pas un raisonnement scientifique suffisamment fondé
pour y répondre, estime Jacques Repussard, directeur général
de l'IRSN. Pour autant, l'impact des contaminations internes à
faibles doses mérite des investigations."
L'IRSN a entamé des travaux sur l'animal, pour étudier
l'apparition à faibles doses de maladies autres que le cancer. Les résultats
seront publiés dans les prochains mois. L'Institut recommande
la mise en place de programmes de recherche "de fond"
pour cerner la façon dont les radionucléides migrent
et se fixent dans les organes et les tissus.
Dans la mesure où il s'agit de métaux lourds, ils
peuvent avoir des effets chimiques propres, qu'il conviendra tout
d'abord de caractériser. Enfin, des études épidémiologiques
analytiques, conduites sur des populations comme les travailleurs
du nucléaire, dont on connaît précisément
le degré de contamination interne, seront nécessaires
sur le long terme.
Le coordinateur de l'étude du CERI, Chris Busby, se félicite
que les questionnements sur l'impact des contaminations internes
soient pris en compte par les autorités françaises.
Il estime cependant que les données épidémiologiques
recueillies depuis l'accident de Tchernobyl sont déjà suffisamment
claires pour invalider les modèles de la CIPR.
"En Suède, l'épidémiologiste Martin
Tondel a mis en évidence un risque excédentaire
dans les zones exposées aux retombées de Tchernobyl,
souligne-t-il. La littérature scientifique russe va dans
le même sens." L'étude de l'impact des faibles
doses sur la réparation de l'ADN a considérablement
progressé, dit-il. Une raison de plus pour fonder la radioprotection
sur la biologie plus que sur la physique.
Le Figaro, 5 décembre 2005:
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire pointe des insuffisances sur les méthodes d'évaluation des effets des radiations réalisées d'après Hiroshima.
EN JANVIER 2003, le Comité européen sur le risque d'irradiation (Ceri-ECRR en anglais) avait publié un rapport exigeant une révision des normes de protection contre la radioactivité. Il demandait que la dose maximale de rayonnement reçue par le public soit fixée à 0,1 mSv (millisievert) au lieu de 1 mSv (l'équivalent de quelques radios des poumons), comme c'est le cas en France depuis 2002 en application de la directive européenne de 1996. Selon ce groupe de travail créé par les Verts européens, le nucléaire civil et militaire (les essais dans l'atmosphère ont duré jusqu'à la fin des années 80) serait à l'origine de 60 millions de cancers dans le monde depuis 1945. Autrement dit, tout le système de radioprotection fondé sur les recommandations de la CIPR (Commission internationale de protection radiologique) à la suite des explosions d'Hiroshima et de Nagasaki serait inefficace et à revoir.
La semaine dernière, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a publié une analyse critique du rapport du Ceri. Ses conclusions très balancées auront sans doute le don d'agacer autant les antinucléaires que les pronucléaires. En effet, les experts de l'IRSN contestent les chiffres avancés par le Ceri, car ils ont relevé plusieurs erreurs de calcul. Ils estiment néanmoins que «les questions du Ceri sont pertinentes», sans toutefois remettre en cause les modèles d'évaluation du risque de la CIPR.
«Le système actuel de radioprotection peut être amélioré en s'intéressant de façon plus explicite et systématique aux incertitudes liées à la détermination de la dose après contamination interne», peut-on lire dans le résumé du rapport. Cette déclaration pour le moins sibylline signifie qu'à la différence de l'Académie de médecine, par exemple, les rapporteurs de l'IRSN estiment qu'il est légitime de s'interroger sur l'impact sanitaire des retombées de l'accident de Tchernobyl dans les pays d'Europe de l'Est. Cette question est au centre d'une vive polémique en France depuis plusieurs années. En effet, l'évaluation des risques de la CIPR est fondée sur les survivants d'Hiroshima-Nagasaki qui ont été exposés à une exposition externe et à un flash. Or la contamination interne et chronique à des faibles doses, que les populations de Biélorussie expérimentent actuellement à leur corps défendant, constitue une situation entièrement nouvelle.
Les pathologies cardio-vasculaires et les troubles du comportement constatés chez les enfants de Biélorussie, les baisses de fertilité qui touchent les adultes sont-ils dus à l'ingestion d'aliments faiblement contaminés ou au stress, au tabac et à l'alcool ? «Il faut tirer ça au clair sans préjuger du résultat», indique Jacques Repussard, le directeur de l'IRSN. Sur place, l'hétérogénéité géographique des contaminations ne facilite pas le diagnostic.
L'organisme français devrait prochainement publier les résultats d'une étude épidémiologique conduite en Russie (hôpital de Tchetchersk). Les résultats d'expériences de contamination à des faibles doses d'éléments radioactifs réalisées sur l'animal devraient bientôt être publiés. Ces travaux menés dans le cadre du programme Envirhom par le laboratoire de Cadarache devraient mettre en évidence la complexité du processus de contamination.
Le rapport de l'IRSN est le fruit de la collaboration d'experts n'appartenant pas tous à l'IRSN. On trouve parmi eux plusieurs scientifiques étrangers ou issus du monde associatif. Cette volonté de pluralisme vise à sortir l'IRSN de son isolement. «Il y a eu des réticences pour que ce rapport sorte. Il est prêt depuis un an. La question des contaminations chroniques pose beaucoup de problèmes nouveaux, témoigne Monique Sené, du Gsien (Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire). On est en train de découvrir que la nature chimique des radioéléments a des conséquences très importantes au point de vue des cellules et des organes.»
Yves Miserey
Lire:
- Véritable négationnisme de l'ONU
sur Tchernobyl qui "annonce" un bilan final de quelque
4000 morts
- La non-évacuation des habitants des zones
contaminées de Biélorussie : A qui la faute ?
- Des structures écrans au service du nucléaire
La Recherche n°283, janvier 1996: