Le 18 juin 2001 le Pr. Yuri Bandazhevsky a
été condamné à 8 ans de réclusion,
travaux pénibles, isolement,
pas de livres, 3 visites par an de la famille (voir: Ex.URSS,
les prisonniers politiques du nucléaire).
Lettre de Galina Bandazhevskaya, épouse de Youri Bandazhevsky, adressée à Wladimir Tchertkoff après la visite à son mari.
Boujour Vladimir Sergueievitch,
A votre demande je décris les derniers événements
liés au destin du professeur Bandazhevsky.
Le 10 janvier j'ai eu droit à une brève visite avec
mon mari à la colonie à régime renforcé.
On a droit à ces visites une fois tous les quatre mois
et on peut transmettre au détenu un colis de produits alimentaires
de 30 kg. "Brève visite" signifie une rencontre
avec le détenu et une conversation par téléphone
dans une cabine divisée par un verre transparent. Il est
vrai que cette fois-ci le téléphone ne marchait
pas et nous avons du communiquer par gestes et par cris. Mais
ce n'est pas le pire de ce que nous avons dû endurer ces
derniers temps, aussi les petits désagréments de
ce genre sont-ils acceptés comme une chose somme toute
ordinaire.
Youri fait tout pour ne pas perdre le moral, il ne cesse de travailler
même dans les conditions où il se trouve. Il est
autorisé à se servir de la bibliothèque où
on lui a réservé une place pour travailler. Il travaille
énormément, de plus l'éclairage n'est pas
excellent et ses yeux s'en ressentent : il a ces derniers temps
des problèmes de vue. Il est possible que sa vue ait baissé
aussi à cause du terrible stress nerveux qu'il a enduré.
Je peux certes me tromper, c'est peut-être tout simplement
une question d'âge. On lui permet d'écrire autant
qu'il veut mais pour lui faire parvenir de la littérature
scientifique, nous nous heurtons à des difficultés.
Il n'a droit qu'à un seul colis par an. Aussi sommes-nous
obligés de lui envoyer la littérature sous forme
de "lettres" (c'est ainsi que la poste appelle tous
les plis de moins de 2 kg). Si le livre dépasse ce poids,
il faut donc le démembrer en plusieurs parties.
Pour améliorer les conditions de son travail de recherche,
il faudrait absolument qu'il ait accès à un ordinateur,
même si cet accès est limité et soumis à
certaines conditions. Nous sommes au XXI siècle et même
dans les colonies il devrait y avoir certaines exceptions pour
les scientifiques. Ses recherches ne sont pas un caprice. Elles
sont importantes et même indispensables pour toutes les
victimes des catastrophes nucléaires. Un ordinateur, ce
n'est pas un lit moelleux, une chambre isolée ou une bonne
nourriture. C'est un instrument de travail indispensable à
un scientifique. Or le travail n'est pas interdit à la
colonie! Et le tribunal ne lui a pas enlevé son titre de
scientifique. Il faudrait qu'on lui permette de travailler, d'avoir
accès à un ordinateur même si c'est sous l'il
vigilant des surveillants, à certains jours et à
certaines heures. Les conditions sont du ressort de la colonie,
à eux de choisir le régime de travail qui leur convient.
Mais pour l'instant il ne dispose pas de cette possibilité.
Pourtant les avocats disent qu'il faut persévérer
à adresser des demandes et que nous serons peut-être
entendus. Je pense aux demandes des associations, des médecins,
des scientifiques étrangers. Les avocats, c'est notre point
faible, on peut difficilement compter sur eux.
L'avocat du Comité Helsinki du Bélarus, G.P. Pogoniaïlo,
se consacre à la rédaction de la plainte à
l'ONU (au Comité des Droits de l'Homme). C'est un travail
ardu et complexe. Le plus important est que la plainte soit composée
en parfaite conformité avec les exigences de ce comité.
Quelques mots maintenant sur la recherche dans notre institut
(il s'agit de l'Institut fondé par Youri Bandazhevsky à
Gomel, dont il a été le recteur pendant 9 ans, jusqu'à
son arrestation n.d.t.). Nous avons reçu à l'institut
la visite d'une délégation de scientifiques de l'université
de Nagasaki, venus dans le but de conclure un contrat de coopération
entre les centres médicaux de nos deux villes, victimes
toutes les deux du nucléaire - bombes atomiques et accident.
Le recteur de l'institut de médecine, qui est pourtant
professeur, médecin et chercheur, a demandé aux
Japonais s'ils ne savaient pas quels devraient être les
sujets de recherches des médecins et scientifiques de la
région de Gomel, quels travaux devaient-ils entreprendre
pour comprendre l'impact de la catastrophe de Tchernobyl sur l'organisme
humain. A l'heure actuelle, les chercheurs de l'institut étudient
n'importe quoi sauf l'action du Césium-137 sur l'organisme
humain après l'accident à la centrale de Tchernobyl.
Je poursuis ma lettre pour vous, Vladimir Sergueievitch. Deux
mois se sont écoulés depuis notre précédente
rencontre avec Youri. Je vous informe que les 8-10 mars nous avons
eu l'autorisation d'une longue visite. On a le droit à
ces visites deux fois par an. Elles durent trois jours. Elles
sont certes indispensables pour s'entretenir, pour soutenir son
moral, lui redonner des forces et la foi en l'avenir. Cette fois
il est venu à la visite un peu malade. L'épidémie
de grippe n'a pas épargné son détachement
et il l'a attrapée, lui aussi, mais d'après moi
sous une forme légère. En trois jours il s'est un
peu rétabli. Il est d'humeur sombre, déprimé
mais la parution de son livre à la veille de la visite
avec l'aide du professeur Nesterenko lui a remonté le moral.
Le livre a pour titre "Processus pathologiques dans l'organisme
en présence de radionucléides incorporés".
La foi qu'il a dans la science et le sentiment d'être utile
aux hommes lui donnent des forces. Il voudrait tant que toutes
les données scientifiques qu'il a réunies au cours
de ses dix années de recherches dans la région de
Gomel (et c'est un très gros dossier) soient utiles aux
médecins et aux scientifiques qui ne sont pas indifférents
à la santé de ceux qui vivent dans les conditions
de risques écologiques, c'est à dire dans les territoires
contaminés par les radionucléides. Voilà
pourquoi il fait tout pour publier ces matériaux sans ménager
ni ses forces ni sa santé.
A l'heure actuelle il continue à travailler mais plus les
jours et les mois de sa détention s'écoulent, plus
il ressent que l'information scientifique lui manque. Tout ce
que nous lui envoyons par "lettres" (livres et revues
scientifiques) - ce sont surtout des publications biélorusses
- ne peut satisfaire ses besoins. Cela le chagrine beaucoup. Il
a peur de prendre du retard sur les idées scientifiques
d'aujourd'hui. Il a besoin d'échanges avec les scientifiques
du monde entier.
Il m'a demandé d'exprimer son énorme gratitude à
tous ceux qui le soutiennent, qui lui envoient des lettres et
des livres à la colonie. Ce soutien est extrêmement
important pour lui.
La veille de la visite j'ai reçu un colis de produits alimentaires
pour lui de la part d'Amnesty International. La joie de savoir
qu'on pense à lui lui a fait venir les larmes aux yeux.
Il dit qu'il n'aurait jamais supposé qu'un jour il devrait
être entretenu par d'autres. Actuellement les détenus
parlent beaucoup de l'amnistie et l'attendent. Son projet est
déjà prêt et remis à Loukachenko. On
ne sait pas encore quand il sera adopté et approuvé.
Dans le train à mon retour de Minsk j'ai lu ce qui suit
: " Il n'y a rien à donner à manger aux détenus,
a déclaré le ministre de l'Intérieur Vladimir
Naoumov. Il a informé le pays que le ministère de
l'Intérieur présentera au parlement un projet de
loi sur une nouvelle amnistie. La dernière amnistie a eu
lieu en 2000". (journal Svobodnyié Novosti,
N°9, 7-14 mars 2002).
Le plus terrible est que l'article selon lequel Youri a été
condamné n'est pratiquement pas amnistiable. La seule possibilité
est de diminuer sa peine de détention d'un an. En tous
cas, jusqu'à présent c'était comme ça,
et peut-on espérer un miracle?
Voici nos nouvelles. Chaque rencontre me coûte beaucoup
de forces et de santé mais nous arrivons à tenir,
nous essayons de ne pas perdre le moral, la maîtrise de
soi et la foi dans les hommes. Et tout cela grâce au soutien
général qui nous aide beaucoup, ma famille et moi.
Encore une fois merci à vous et à tous ceux qui
soutiennent le professeur Bandazhevsky et sa famille. Merci.
Recevez mon respect et ma gratitude
Galina Bandazhevskaïa
Rappel
Le Pr. Bandazhevsky recteur de l'Institut
de médecine de Gomel avait été arrêté
en juillet 1999 sur une accusation de soi-disant pots de vin qu'il
aurait reçus pour favoriser l'inscription d'étudiants
à l'institut qu 'il dirigeait. Démis de ses
fonctions il a été maintenu en prison dans des conditions
très sévères (isolement, maladie) pendant
plus de 5 mois et libéré fin décembre 1999
(en attente de son procès) grâce à une rapide
réaction internationale. Il a été déclaré
comme " prisonnier de conscience potentiel"
par Amnesty International. Depuis l'an dernier il a été
astreint d'abord à rester à Minsk puis en Belarus
(il n'a pas pu venir à Paris recevoir le prix que lui a
décerné l'association internationale des médecins
pour la prévention des guerres nucléaires). Grâce
au Pr. Nesterenko qui dirige l'institut indépendant BELRAD
il a pu continuer ses travaux et rédiger des monographies
extrêmement importantes sur l'effet sur l'organisme de la
contamination interne par le césium 137 chez les enfants,
en particulier sur le système cardiovasculaire. Son procès
qui a débuté en février 2001 au tribunal
militaire de Gomel a montré
les faiblesses de l'accusation.
Le verdict est un coup terrible, non seulement pour lui et sa
famille, mais pour tous ceux qui veulent connaître les conséquences
réelles de la catastrophe de Tchernobyl sur la santé
des enfants vivant au Bélarus dans les zones contaminées
par les radionucléides. N'oublions pas qu'un accident nucléaire
grave est possible partout et aussi chez nous
Entre autres pathologies, le Pr. Bandazhevsky a montré
qu'une charge corporelle en césium 137, même relativement
faible avec les critères habituels utilisés en radioprotection,
pouvait conduire à des dysfonctionnements importants du
système cardiovasculaire des enfants. Lorsque les troubles
ne sont pas devenus chroniques l'état cardiovasculaire
peut être amélioré avec disparition des troubles
par l'ingestion d'un absorbant à base de pectine
élaboré par l'Institut Belrad et qui permet d'éliminer
du césium 137. Mais pour certains enfants il s'agit d'une
pathologie irréversible, comme s'ils étaient atteints
d'un vieillissement prématuré.
C'est parce que le Pr. Bandazhevsky est " gênant "
pour les autorités de radioprotection non seulement du
Bélarus mais de chez nous et des autres pays nucléarisés
qu'il est ainsi attaqué et qu'il risque sa santé
et sa vie.
Le 7/7/2001 : La femme du Prof. Bandazhevsky, prisonnier du dictateur
du Bélarus Loukachenko, reçoit son Passeport Européen.