Ouest-France, 7/10/2009:
Trop de pression au travail. Le comité d'hygiène et de sécurité de la centrale nucléaire a fait valoir son droit d'alerte. Une première.
« Des salariés pleurent au boulot. Certains en viennent aux mains parce qu'ils manquent d'outillage. Le personnel est à cran, la pression de la intense », témoigne Philippe Page, délégué CGT de la centrale nucléaire de Flamanville. « Depuis l'ouverture du capital d'EDF en 2004, le climat se dégrade dans les centrales. »
Vendredi dernier, le CHSCT a fait valoir son droit d'alerte. « Jamais nous n'avions connu un arrêt de tranche nucléaire (1) comme celui qui est en cours », explique le cégétiste. « C'est la course permanente contre le temps. Il faut tout faire vite, et par conséquent mal. »
C'est la première fois qu'un droit d'alerte est déposé sur l'ensemble d'un arrêt de tranche. « Nous dénonçons le manque de moyens, le manque de compétences de certaines entreprises qui interviennent pour la première fois en zone nucléaire », explique Philippe Page.
« Plus grave, nous avons externalisé trop de tâches. Nous sommes confrontés à la perte de savoir faire du personnel EDF. Voici dix ans, la centrale de Flamanville disposait de 150 exécutants spécialisés capables de venir en appui des sous-traitants, ils ne sont plus du 29 aujourd'hui. »
Devant cette fronde, la direction de la centrale nucléaire a stoppé toute activité dans le bâtiment réacteur numéro 1 pendant le week-end. Une réunion de concertation s'est déroulée lundi. Eric Villatel, le directeur de la centrale du Cotentin, a appelé « à retrouver la sérénité. Nous avons rencontré les deux entreprises concernées et le travail a pu reprendre normalement lundi matin. »
La direction de l'établissement nucléaire, indique avoir revu « l'organisation logistique pendant le week-end et mis en place une rencontre quotidienne entre le pilote de l'arrêt de tranche et les deux responsables des chantiers concernés ». Par ailleurs, une équipe EDF va être chargée de vérifier que « les conditions d'intervention sont satisfaisantes ».
Selon la CGT, « une cellule d'écoute a aussi été mise en place. C'est du pipeau, comme chez France Télécom, et ça ne règle pas les problèmes sur le fond », ironise Philippe Page. « Pour le reste, nous attendons de voir comment la situation va évoluer. » Le syndicat n'écarte pas un arrêt de travail général si celle-ci ne s'améliore pas.
Lire:
- Santé
du travail dans l'industrie
nucléaire:
- Rationalité instrumentale et santé
au travail dans l'industrie nucléaire
- Rapport d'enquète
de psychopathologie du travail au Centre de Production Nucléaire
de Chinon
- Les résultats
du nouveau management dans le nucléaire (information de la section syndicale FO)
- Nucléaire:
sans foi, ni loi! (information de la section syndicale
FO)
- Intermittents, les esclaves
du nucléaire
Voir:
(Youtube, basse définition) Un film de Catherine Pozzo Di Borgo.
Ce documentaire met en lumière
la précarité d'emploi, pose la question des risques
auxquels « ces trimardeurs du nucléaire »
sont exposés. Une interrogation sur la sûreté
des installations nucléaires françaises. |
|
La Nouvelle République, 15/4/2009:
La dépression ayant conduit Dominique Peutevynck, un salarié de la centrale de Chinon, à se suicider vient d'être reconnue comme maladie professionnelle.
C'est un jugement de plus de vingt pages, longuement motivé, que vient de rendre le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) de Tours. Une décision très attendue par la famille de Dominique Peutevynck, le salarié de la centrale nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire) qui avait mis fin à ses jours au mois d'août 2004. Pour la première fois, la justice a tranché dans cette affaire, en estimant que « la dépression dont souffrait avant son décès Dominique Peutevynck était essentiellement causée par son travail habituel ».
Une bataille juridique sans concession est engagée depuis plus de deux ans autour du suicide de ce salarié de la centrale nucléaire. EDF conteste en effet la décision de la Caisse primaire d'assurance-maladie de reconnaître comme maladie professionnelle la dépression ayant mené Dominique Peutevynck au suicide. Il est vrai que cette reconnaissance permettrait à la famille Peutevynck de faire condamner EDF en invoquant « la faute inexcusable de l'employeur ».
Dans son jugement, le Tass de Tours se fonde essentiellement sur l'avis de deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, celui du Centre et celui des Pays de Loire, qui ont été amenés à examiner le cas de ce suicide. L'un comme l'autre avait conclu que les causes du suicide de Dominique Peutevynck se trouvaient bien dans le travail. Dans le dossier, l'avis du médecin du travail de la centrale, le docteur Huez, pèse également très lourd. Le praticien avait en effet tiré la sonnette d'alarme en attirant l'attention de la direction sur les problèmes croissants rencontrés dans le service de M. Peutevynck.
De nombreux éléments permettent en tout cas de démontrer que Dominique Peutevynck avait exprimé de plus en plus sa souffrance au travail. Le Tass note que le salarié s'était plaint « d'une grosse charge de travail », qu'il avait fait part d'un sentiment « de lassitude, un désir de partir ». Le comité de reconnaissance des maladies professionnelle a souligné « la personnalité scrupuleuse de l'intéressé, génératrice d'anxiété avec un très grand investissement professionnel ».
" Un très grand investissement professionnel ". De son côté, depuis le début de la procédure, EDF met en avant le caractère multifactoriel du suicide de son salarié. Des problèmes familiaux et de santé ont notamment été soulevés par l'avocat d'EDF. Mais le tribunal a considéré que ces éléments n'empêchaient pas le travail d'être la cause essentielle des difficultés du salarié. La direction de la centrale de Chinon a indiqué, hier, que la décision de faire appel ou non de ce jugement n'était pas encore prise.
1/10/2008 - La fédération CFTC de l'énergie a dénoncé mercredi dans un courrier à EDF un "harcèlement managérial" à l'origine, selon elle, d'une récente tentative de suicide dans une centrale nucléaire, alors que la direction évoque de son côté "des situations individuelles de mal-être". Dans ce courrier, intitulé "Alerte sur la mise en danger d'autrui" et dont une copie a été transmise à l'AFP, la CFTC affirme que les "pratiques managériales" en vigueur à EDF et un "management coercitif" poussent "les victimes à saisir toutes les possibilités pour s'extraire de cet engrenage".
Elle évoque notamment le cas d'un ingénieur en radio-protection qui aurait tenté de se suicider samedi sur son lieu de travail, la centrale nucléaire de Saint-Alban (Isère), mais qui a finalement pu être sauvé. Ce salarié avait alerté à plusieurs reprises les syndicats pour dénoncer "le manque de moyens mis à sa disposition pour assurer la sécurité du site" et "les pressions de son supérieur hiérarchique", a précisé à l'AFP Michel Rousson, responsable juridique de la CFTC des industries électriques et gazières (IEG).
Interrogée par l'AFP, la direction d'EDF a reconnu devoir "comme toutes les entreprises (...) parfois faire face à certaines situations individuelles de mal-être". "Ces situations sont bien entendu très difficiles à appréhender et résultent souvent, comme le constatent les spécialistes, d'un faisceau de causes qui peuvent être liées à des circonstances personnelles", a-t-elle ajouté, précisant qu'elle proposait "des accompagnements psychologiques" aux "salariés en difficulté en faisant la demande" et qu'un "numéro vert d'assistance" avait été mis en place.
EDF se dit aussi "très attachée à la qualité des conditions de travail, notamment sur ses installations industrielles, et à la tradition de dialogue avec les salariés et les représentants du personnel". Dans sa lettre, la CFTC cite également le cas d'un haut cadre de la Direction du combustible nucléaire, "en dépression", victime de "harcèlement managérial", et le suicide, en 2006, d'une contrôleuse de gestion qui s'est défenestrée dans ce même service.
"Il y a de plus en plus de cas de gens déprimés par les nouvelles donnes de fonctionnement et de management, qui veulent quitter l'entreprise", a expliqué M. Rousson. La fédération syndicale dénonce enfin le refus d'EDF d'appliquer des décisions de justice en faveur des pères de trois enfants qui souhaitent quitter l'entreprise après 15 ans d'ancienneté.
18/9/2008 - Un ancien directeur de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord) a été condamné jeudi par le tribunal de police de Dunkerque à une amende de 4.550 euros pour une série d'infractions à la législation sur le temps de travail, a-t-on appris auprès de son successeur. Le ministère public avait requis 13.350 euros d'amende à l'encontre de l'ancien responsable, poursuivi pour 44 infractions constatées en mai 2007 par l'inspection du Travail.
Celle-ci avait révélé de multiples dépassements horaires journaliers et hebdomadaires, ainsi que 41 cas d'infractions aux dispositions légales sur le temps de repos minimal entre deux journées de travail. Le directeur mis en cause plaidait que les dépassements d'horaires entraient dans le cadre des dérogations légales prévues pour parer aux "aléas des activités de maintenance". Son avocat avait demandé la relaxe.
L'actuel directeur de la centrale de Gravelines, Jean-Michel Quilichini, en poste depuis août, a souligné que les "procédures de validation" des dépassements d'horaire avaient été revues depuis 2007. "Toute dérogation doit être désormais validée par la direction" selon un système d'astreinte permanente, a indiqué M. Quilichini à l'AFP. "Nous n'avons pas eu de nouvelles infractions constatées alors que nous sommes régulièrement inspectés.
La direction, mais aussi nos syndicats, sont très vigilants", a-t-il ajouté. La centrale de Gravelines fonctionne avec 6 réacteurs capables d'alimenter en électricité toute la région Nord-Pas-de-Calais. Selon EDF, elle est la centrale française qui emploie le plus grand nombre de salariés, soit 1.631 personnes.
14/2/2008 - Neuf salariés prestataires de service pour EDF ont entamé une grève de la faim à la centrale nucléaire de Cruas dans l'Ardèche pour défendre leurs emplois, a annoncé la CGT jeudi dans un communiqué. Selon l'organisation syndicale, "les directions d'EDF et d'Essor (groupe Vinci) sont responsables de cette action de désespoir en ne respectant pas un protocole qui garantissait la situation de 106 salariés prestataires". "En effet, EDF a décidé de changer d'entreprise sous-traitante pour confier ce marché à la société Essor, filiale du groupe Vinci", selon la CGT, depuis le 1er janvier 2008. Selon la CGT, un protocole d'accord "prévoyant une proposition d'emploi pour chacun des 106 salariés, dont 71 par l'entreprise Essor à Cruas et 10 autres sur une autre filiale du groupe Vinci à Marcoule (Gard)", avait été signé fin décembre, mais "la société Essor ne veut pas appliquer ce protocole".
17/1/2008 -La
CGT mines-énergie a dénoncé jeudi la situation
"précaire" des salariés prestataires d'EDF
dans les centrales nucléaires, accusant l'électricien
public d' "organiser" le "roulement" des employeurs
sous-traitants pour leur permettre "de ne pas reprendre tous
les salariés". Interrogée par l'AFP, la direction
du groupe EDF a assuré "dans tous les cas, exercer
sa responsabilité sociale dans le domaine de la sous-traitance
et veiller à ce que les interventions réalisées
pour son compte s'effectuent dans les meilleures conditions d'emploi,
de qualification, de travail et de santé-sécurité".
La CGT explique dans son communiqué qu' "environ cinq
grands groupes (dont une filiale EDF) se partagent par rotation
le marché des activités permanentes de logistique
sous-traitées sur les 19 centrales nucléaires".
Citant l'exemple de la centrale nucléaire de Cruas (Ardèche),
elle affirme que les 106 salariés prestataires du groupe
SPIE y "vivent avec leur famille dans la hantise du chômage".
"Leur travail existe toujours mais la direction nationale
EDF du parc nucléaire, en lien avec les employeurs prestataires,
s'ingénie tous les 1 à 5 ans à faire tourner
les entreprises prestataires à chaque appel d'offre",
explique-t-elle. EDF organise ce "roulement pour permettre
à leurs employeurs de ne pas reprendre tous les salariés
(dont souvent les représentants du personnel) et de ne
pas maintenir leurs acquis sociaux (ancienneté, niveau
de rémunération, convention collective moins favorable)",
affirme la CGT. 20.000 salariés prestataires interviennent
sur les 58 tranches nucléaires françaises au côté
de 20.000 agents EDF. La
CGT mines-énergie juge ce phénomène "d'autant
plus scandaleux" que "les prestataires sont exposés
à près de 80% des doses irradiantes et à
l'écrasante majorité des accidents du travail, tout en étant soumis à la précarité
(CDI de 1 à 5 ans, CDD, intérim)". Toutefois,
selon la fédération syndicale, "face à
la lutte et à la ténacité du personnel",
l'employeur-repreneur a finalement repris 71 des 106 salariés
de Cruas, la direction précisant que "des propositions
ont été faites à tous ces salariés".
De même, à la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne),
une cinquantaine de salariés du groupe SPIE ont vécu
une situation similaire, 90% d'entre eux étant finalement
repris. La CGT réclame "le retour en interne des activités
(...) abusivement sous-traitées".
Lundi 21 janvier 2008
Lettre ouverte au directeur du CNPE de CHINON
Lettre ouverte à M. Maucort, Directeur du Cnpe de Chinon
L'Osart* vient de rendre ses conclusions qui
en feront sourire plus d'un sur le site, notamment parmi les agents
et sous-traitants, mais aussi parmi vos plus proches collaborateurs...
Car cette opération, menée tambour battant depuis
des mois, est à l'image de ce que le nucléaire
ne doit pas être : falsificateur et verrouillé.
Falsificateur, car vous avez beau répéter à l'envi que ces experts internationaux représentent l'extrême garantie de l'objectivité, les 1300 agents Edf que nous sommes encore, et les centaines de sous-traitants qui travaillent à nos côtés, ont tous été témoins du travail effectué en amont, non pas pour nous améliorer (on serait tous d'accord !), mais pour rendre l'installation et notre organisation « présentables » à ces experts de l'AIEA.
Falsificateur, vous l'êtes aussi assurément quand vous n'avez aucun scrupule pour dire, et redire comme pour vous convaincre vous-même, que pour vous, « la sûreté est la priorité absolue » du site, que « jamais nous ne dévirons de cet objectif ». Malheureusement, la sûreté est la priorité absolue du personnel, mais elle n'est pas la vôtre, elle n'est plus celle de la direction.
Mais bien évidemment, il ne serait pas
pensable de dire cela à l'opinion publique. Car cet aveu
signerait la fin du nucléaire !
Il vous faut donc aussi verrouiller la parole...
Car on comprend bien dès lors, qu'en guise de « transparence », vous organisez - de
concert avec ces experts internationaux au dessus de tout soupçon
- l'omerta, le silence, voire même le grand verrouillage...
C'est dans ce contexte que vous n'avez pas hésité
à tenter d'empêcher le personnel de rencontrer l'Osart
à son arrivée sur le site, et que vous nous avez
refusé la parole vendredi matin, après cette
cérémonie digne de « tintin chez les soviets
»... L'étude psychosociale vous avait pourtant bien
alerté des dangers d'une communication qu'elle a baptisée
« communication pravda »...
Or, M. le Directeur, non seulement le nucléaire a besoin de transparence (transparence, pour le moment, sur les événements qui surviennent), mais il a également besoin de démocratie (c'est-à-dire de décisions partagées entre managers et agents) et a besoin de débat social (c'est tout le sens de la Loi de transparence nucléaire : désormais, les CHSCT ont leur mot à dire sur les bilans de sûreté).
En nous refusant la parole, que nous avons pris quand même, sans micro ni traduction simultanée, nous avons fait la preuve, devant le personnel présent, de notre courage, tandis que vous avez fait la preuve de votre refus du débat, et votre immense peur de la parole du personnel associée à votre peur de voir s'exprimer la réalité de ce que nous vivons. Vous avez ainsi préféré prendre le risque de dégrader un peu plus votre image de directeur aux yeux du personnel que de prendre le risque de l'expression publique des difficultés qui sont les nôtres !
Or, c'est justement le déni de la
réalité et le verrouillage de la parole des salariés
directement concernés par la sûreté, qui constituent
un danger pour la sûreté !
Le nucléaire ne peut pas se passer du regard des
autres, et dans ce sens nous accordons le plus vif intérêt
à tout observateur externe. Mais la sûreté
nucléaire a aussi besoin de la liberté d'expression
du personnel qui est le mieux placé pour alerter.
Comme vous le dites si bien, la prudence en matière de
sécurité et de sûreté, nous impose
d'être interrogatifs à tout moment. Faire une analyse
de risques probables nécessite certes une approche «
probabiliste », mais nécessite aussi, à tout
moment, de s'interroger et non pas verrouiller le questionnement.
Cet omerta sur les dangers potentiels se traduit clairement dans les propos que vous avez
tenus, avec l'équipe Osart, aux media convoqués
après « la cérémonie » vendredi
matin.
Il en ressort pour le personnel des articles de presse qui resteront
dans nos mémoires tant le divorce paraît grand entre
le vécu du personnel et vos déclarations faites
à la presse.
Ainsi, lire qu'à Chinon, «
il n'y a pas de souci de management » (NR du 17-12-07)
et que les « experts » sont formels sur ce point...
prêterait à sourire si la situation n'était
pas si dramatique. Car, par votre politique, vous placez le
management en situation d'avoir à supporter le risque perpétuel
du conflit quand la sûreté nécessiterait tout
l'inverse : coopération et considération mutuelles.
C'est le cas récemment à SMS, à SCR, à
l'AMI, à la Doc, au Magasin, à la PS, à la
SSQ,... mais c'est potentiellement le cas dans tous les services
où des agents se plaignent régulièrement
de leur hiérarchie accusée de « ne penser
qu'à sa carrière », de « ne pas faire
remonter les problèmes », de « mal juger le
travail fourni » par des agents souvent usés par
l'effort,... Votre politique conduit à faire des managers
les cibles privilégiés, vous laissant dans l'ombre,
alors que pourtant vous êtes l'artisan de ces conflits insupportables,
de part et d'autre.
Les managers doivent gérer l'organisation du travail alors
qu'ils sont de plus en plus en difficultés pour le faire
: remises en cause de leur légitimité, temps de
travail démesuré, regard de plus en plus distancié
de la réalité du travail, tâches ingrates,
et pour certains, mépris de la part de la direction, absence
d'outils et de moyens pour mener leurs missions, manque de formation
ou de qualité de formation, etc, etc... Rien d'étonnant
dans ces conditions qu'il y ait tant de dégâts !
Bon nombre de managers sont menacés par un climat de violence
qui découle de cette politique agressive, répressive,
et parfois, irresponsable ! Car vous vous employez à
briser les collectifs de travail en mettant les gens en concurrence,
en poussant à l'individualisme (par exemple, en individualisant
la responsabilité plutôt que de reconnaître
sa dimension collective et organisationnelle). Dans cette même
logique, vous n'hésitez pas à mettre en péril
la coopération nécessaire, l'entente, seul garant
de la sûreté, entre agents et hiérarchie.
Le ressentiment du personnel, dans ces conditions, est légitime
étant donné ce que les agents subissent, mais il
est vécu comme parfaitement injuste par des managers qui
se rendent compte, de jour en jour, qu'ils sont, finalement, ceux
qui « paient » l'addition puisque les agents - et
c'est fait pour ! - ont tendance à les prendre «
naturellement » pour cible.
Et tout cela, l'Osart ne l'a pas vu !
Cette posture de déni de ce que nous
vivons, prend l'allure d'une véritable provocation quand
nous lisons dans Le courrier de l'Ouest qu'à Chinon, «
la charge de travail est tout à fait normale » !
C'est tellement énorme de la part de l'équipe d'Osart
(qui dévoile définitivement sa cécité !)
que vous avez été obligé de « nuancer
» de tels propos (selon le journaliste). Sans doute avez-vous
eu conscience que cela ne passerait pas !
Et pour cause !!
De qui se moque-t-on quand on sait dans quelles conditions travaille
la plupart des agents du site et les sous-traitants ? Vous êtes
régulièrement interpellé sur ce point, les
uns vous expliquant qu'ils ont 6 mois de retard sur leur travail,
les autres vous alertant de ne pas pouvoir faire le travail dans
les règles de l'art faute de temps, d'autres encore que
ce travail tendu à l'extrême ne permet pas de réaliser
l'anticipation, le rex, etc...
Nous sommes heurtés, scandalisés, et plus inquiets que jamais quant à l'avenir qui se prépare pour nous. Car, pour votre part, l'aventure chinonaise s'arrête là, mais nous, nous restons, et vous nous laissez une sacré situation à gérer !
Dans ce périlleux consensus pour verrouiller
le débat (consensus entre dirigeants d'Edf, experts externes,
pouvoirs publics), vous êtes le parfait serviteur de ce
mode de management dangereux pour la santé des salariés,
techniciens et managers, et dangereux pour la sûreté.
M. Neil Henderson ne s'y est pas trompé en vous congratulant
pour votre hospitalité et pour le zèle que vous
avez mis dans cette ultime mission qui vous incombait à
Chinon : assurément « vous faites honneur à
Edf » ! Mais vous ne faites pas honneur au personnel,
ni aux agents Edf, ni aux managers, ni aux sous-traitants, ni
aux représentants du personnel.
Vous êtes le serviteur d'une cause qui n'est pas la nôtre,
mais celle de la direction d'Edf qui vient de faire paraître
dans la revue de l'ASN, un article signé par notre directeur,
M. Gadonneix. Le titre de l'article en dit long, et est, on ne
peut plus clair : « Sûreté, rentabilité
et confiance du public : les enjeux indissociables pour l'avenir
du nucléaire ». [Voir page 66 du dossier Contrôle
2008]
Le nucléaire doit être rentable, et pour cela il faut endormir l'opinion publique sur les « nouveaux » enjeux de sûreté que fait peser cette course effrénée à la rentabilité financière. Rentabilité dont nous ne doutons pas que vous profiterez (pour vous remercier de ce zèle aveugle), mais qui pourrait bien être fatale au nucléaire !
Endormir l'opinion publique, c'est dire que « tout va bien » quand tout va mal ou dire que c'est « globalement positif » (NR du 17-12-07). Travestir la réalité c'était déjà le cas dans vos rapports annuels de sûreté. Vous avez franchi un pas supplémentaire avec l'Osart, opération de médiatisation pour soigner « l'image » du nucléaire.
La CGT ne sera pas complice de cette campagne de déni de réalité. En tant qu'organisation syndicale majoritaire du site, il est de notre devoir de nous faire l'écho des risques réels que vous faites peser sur les travailleurs et sur l'environnement.
Nous nous doutons bien que vous auriez préféré que le personnel accorde moins d'importance à la CGT. Mais là aussi, le divorce entre personnel et direction s'exprime : votre préférence n'est pas celle du personnel, puisque celui-ci, malgré tout l'acharnement mis à saboter ces élections professionnelles dans le but unique de limiter notre influence, a marqué une confiance augmentée dans notre organisation. Nous représentons désormais, M. le Directeur, 60% des agents et sous-traitants, tous collèges confondus, avec un taux de participation de plus de 70%. Cette représentativité nous autorise à vous rappeler que nous comptons, et pas seulement quand ça vous arrange.
Elle nous invite aussi à prendre nos responsabilités pour montrer ce que vous prenez tant de soin à vouloir cacher, et ouvrir les débats, reconstruire des solidarités entre ceux que vous mettez en situation de ne plus pouvoir se parler...
C'est tout le sens de cette lettre ouverte.
C'est aussi tout le sens de la communication que nous allons organiser
avec les media, les élus et les pouvoirs publics, afin
qu'ils résistent à l'endormissement de l'opinion
dont vous avez besoin, et qu'ils puissent rester vigilants, comme
cela doit être le cas face à toute industrie à
risques !
Au stade où nous en sommes sur le site,
il n'est plus tolérable que nous soyons encore écartés
de la CLI, la Commission Locale d'Information qui est présidée
par vous-même (un représentant de la direction) !
C'est dire l'objectivité d'un système de contrôle
qui vous laisse Juge et Partie... La CLI de Chinon est la seule
en France à verrouiller à ce point l'information
que la Loi, pourtant, prévoit d'offrir aux citoyens. C'est
la seule CLI où la CGT qui devrait y siéger, est
écartée...
Mais, nous ne laisserons pas faire, car nous sommes soucieux de
la pérennité d'un nucléaire sûr.
Pour finir cette lettre ouverte, nous vous interpellons, au titre de votre responsabilité de directeur de site, sur les réponses que vous envisagez d'apporter aux 3 points de recommandation de l'Osart. Comment ferez-vous, M. le Directeur :
- pour diminuer les DMP, ces dispositifs provisoires de l'installation, que les experts ont trouvé « trop nombreux » à leur goût (ce que le personnel concerné partage), alors que ces DMP sont précisément des modifs provisoires visant à augmenter la productivité ? (en gros, c'est pour ne pas ralentir le rythme des travaux de maintenance quand le réacteur est à l'arrêt, donc non productif ! alors qu'à l'origine, les DMP étaient des dispositifs de sécurité et de sûreté !) Avez-vous expliqué à l'Osart que vous vous devez de raccourcir autant que faire se peut le temps d'indisponibilité d'une tranche ? Ce qui est directement en lien avec ces dispositifs qui « embrouillent » l'esprit, et qui sont sources d'erreurs pour le personnel de conduite comme pour la maintenance...
- pour sécuriser « le geste professionnel » pointé du doigt par l'Osart qui nous recommande de faire des « contrôles croisés » (demander à un collègue avant d'accomplir « le geste ») même pour les gestes les plus anodins, alors que la plupart des agents travaillent seuls ? Comment ferez-vous pour éviter ces « petites erreurs humaines individuelles » sans augmenter les effectifs pour sortir les agents et sous-traitants de l'isolement dans lequel nous plonge l'organisation ? Ou bien cette recommandation va-t-elle se traduire par une prescription supplémentaire inapplicable ?
- enfin, êtes vous certain de vouloir « fiabiliser le système d'étiquetage » des multiples produits utilisés par des travailleurs trop peu informés des risques auxquels leur travail les expose, quand vous semblez minimiser l'importance de la question soulevée ? Pour rappel, et selon la presse que vous avez invitée, vous auriez répondu à cette question des étiquettes défaillantes : « il s'agit de quelques bidons trouvés sur le site sans un étiquetage suffisant »... Pas de quoi fouetter un chat !
Certes, pour reprendre les termes de votre intervention de clôture de cette cérémonie, « il y aura toujours un écart entre notre ambition et la réalité du niveau de sûreté » : bien sage appréciation de votre part ou une façon habile de préparer l'opinion publique aux conséquences potentielles des risques pris au nom de la rentabilité financière fixée par les principaux actionnaires ?
Ne serait-il pas temps de tirer les leçons
de l'histoire des industries à risques ?
Plutôt que laisser l'histoire se répéter dangereusement...
Avoine, le 20 décembre 2007.
* Les missions OSART
Pour les normes qui concernent les exploitants nucléaires,
les missions OSART (Operational Safety Review Team, mission d'examen
de la sûreté en exploitation) regroupent une équipe
d'experts provenant d'Autorités de sûreté
nucléaire de pays tiers qui audite une installation nucléaire.
Elles visent à examiner en profondeur, avec un regard critique,
l'organisation de la sûreté en exploitation des centrales
nucléaires. À la demande de l'ASN, l'ensemble des
centrales nucléaires françaises auront été
soumises à une mission OSART avant la fin de la décennie.
Les rapports (en anglais) des missions OSART réalisées
en France sont accessibles sur http://www.asn.fr/sections/rubriquesprincipales/international/organisations/organisations-onu/agence-internationale/rapports-osart
7/6/2007 - Les salariés des 19 centrales nucléaires françaises ont observé jeudi une journée "centrale morte", à l'appel de la CGT, pour protester contre les conditions de travail et le "plan de casse de l'emploi" d'EDF à l'approche de la libéralisation du marché de l'énergie. Le mouvement s'est illustré par des grèves dans la "quasi-totalité des sites", conduisant à une baisse globale de charge de 3.900 mégawatts dans la nuit de mercredi à jeudi, a déclaré Virginie Gensel, secrétaire adjointe de la fédération Mines et énergie CGT.
La direction a estimé qu'à la mi-journée, la grève concernait 6,8% de l'effectif total des centres nucléaires de production d'électricité en France. La CGT a estimé pour sa part "entre 40 et 50%" le taux de grévistes, le jugeant "significatif". La différence s'explique par le fait que le syndicat calcule le taux de grévistes par rapport au nombre de personnels présents sur une période de temps donnée, au lieu de le rapporter à l'effectif total.
A Paris, plus de 200 personnes se sont rassemblées devant le siège d'EDF, avenue de Wagram, à l'issue duquel une délégation a été reçue par la direction pour demander l'ouverture de négociations sur les conditions de travail, l'emploi et les salaires. A la sortie, ils se sont déclarés "déçus": "Après deux heures de débats, les directions ont été fidèles à elles-mêmes et n'ont apporté aucune réponse" indique un communiqué de la CGT.
Selon Jean-Luc Silvain, un des responsables de la CGT, les "pressions budgétaires" dues à un plan d'entreprise baptisé "Altitude" lancé fin 2004 sont liées au "fort taux de maladies psycho-sociales" détectées dans l'entreprise, après plusieurs suicides récents de salariés. "La direction a prévu de mettre en place une instance d'alerte et une structure d'écoute pour les salariés en difficulté, mais elle traite les conséquences et pas la cause du mal-être, qui se trouve être le non remplacement des départs en retraite", estime M. Silvain.
Dans la Manche, environ 80 personnes, selon les syndicats, ont établi un piquet de grève jeudi entre 6H00 et 12H30 devant la centrale de Flamanville pour protester contre un "plan de casse de l'emploi". Dans l'Ardèche, à Cruas Meysse, les équipes de pilotage étaient "majoritairement en grève", a indiqué la CGT. Les grévistes ont protesté contre "l'accélération des cadences liée à l'approche de la libéralisation du marché, qui engendre du stress et des conditions de travail de plus en plus difficiles".
Chacun des réacteurs des 19 centrales nucléaires françaises a une production comprise entre 900 et 1.450 mégawatts. Elles emploient quelque 18.000 agents EDF statutaires et 22.000 autres salariés d'entreprises sous-traitantes interviennent dans ces centrales, souligne la CGT.
Libération, 15 mai 2007:
Nouvelle expertise dans le litige opposant la famille d'un salarié mort en 2004 à EDF.
Tours envoyé spécial - La jurisprudence
sur la reconnaissance du suicide au travail comme maladie professionnelle
se construit laborieusement. Hier, le tribunal des affaires de
la sécurité sociale de Tours délibérait
dans le litige opposant la société EDF aux enfants
de Dominique Peutevynck, salarié de la centrale nucléaire
de Chinon, qui s'est donné la mort en août 2004 (
Libération du 6 mars). Les magistrats ont
reconnu la constitution de partie civile du syndicat CGT de la
centrale, mais ont déclaré «irrecevable»
celle des enfants, qui ont attaqué EDF pour «faute
inexcusable». Le tribunal a ordonné une
nouvelle expertise du comité qui devra se prononcer sur
l'éventuelle responsabilité d'EDF et des conditions
de travail.
Si le suicide du salarié avait été reconnu
comme «maladie professionnelle» par un
premier avis du comité régional de reconnaissance
des maladies professionnelles (C2RMP) des Pays de la Loire, ce
dernier n'avait pas imputé le geste de Dominique Peutevynck
aux conditions de travail du salarié. Et donc à
EDF, gestionnaire de la centrale. Mais sur le fond le syndicat
CGT de l'entreprise critique toujours les conditions de travail
: «Il existe une véritable situation de mal-être
sur l'ensemble des sites nucléaires d'EDF»,
avait dénoncé Guy Cleraux, secrétaire
général du syndicat, au cours de la première
audience.
De son côté, EDF ? par la voix de Philippe Toison,
son conseil ? souligne que le suicide demeure «un choix
personnel» et qu'elle n'est pas capable «de
dire quels éléments» pourraient
«expliquer de tels gestes». Depuis août
2004, pas moins de six agents répartis sur les deux centrales
de Chinon et Saint-Laurent-des-Eaux se sont donné la mort.
Cette situation dégradée a conduit l'entreprise
à créer, en avril dernier, un observatoire national
de la qualité de vie au travail et à procéder
à la mise en place d'un numéro vert pour les salariés.
Des mesures toujours jugées «insuffisantes»
par les représentants CGT du comité central
d'entreprise.
Mourad GUICHARD
TOURS (14 mai 2007) - Le tribunal des affaires de sécurité sociale de Tours a demandé lundi un second avis médical après le suicide d'un salarié de la centrale nucléaire de Chinon ( Indre-et-Loire ), qui avait été reconnu comme une maladie professionnelle par la Caisse primaire d'assurance-maladie d'Indre-et-Loire.
En 2005, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la CPAM avait en effet assimilé le suicide en août 2004 de Dominique Peutevynck, 49 ans, technicien supérieur à la centrale, à un accident du travail, alors qu'il ne s'était pas produit sur le lieu même du travail, mais sur une voie de chemin de fer située à proximité.
Alors que Me Philippe Toison, avocat d'EDF, s'est félicité d'une décision "conforme à sa demande", Me Philippe Baron, avocat des fils de la victime et du syndicat CGT qui se sont portés parties civiles, a décidé de faire appel. "Il n'y a pas lieu de désigner un deuxième comité et de lui laisser prendre la décision alors qu'un premier l'a fait définitivement", a-t-il dit.
Les experts ne pourront étudier le dossier (à Nantes ) qu'après la décision de la cour d'appel d'Orléans, si la décision de celle-ci va dans le même sens que celle prise à Tours ce lundi par le tribunal des affaires de sécurité sociale.
Par ailleurs, les deux fils de M. Peutevynck ont déposé une requête devant le TASS "en reconnaissance d'une faute inexcusable à l'encontre d'EDF". Selon Me Baron, "EDF était conscient depuis bien longtemps du danger auquel était exposé tout le service de Dominique Peutevynck".
EDF avait annoncé le 13 avril dernier la création d'un observatoire national de la qualité de vie au travail pour combattre le mal-être et le suicide au travail. La CGT a de nouveau dénoncé lundi "l'attitude d'EDF" et a rappelé que quatre employés de la centrale nucléaire de Chinon se sont suicidés depuis trois ans.
L'Usine Nouvelle, 19/4/2007:
[Photo rajoutée par Infonucléaire]
Selon la CGT du Centre Nucléaire de
Production d'Electricité de Paluel (Seine-Maritime), qui
a organisé une manifestation sur le sujet le 17 avril,
environ 70 postes vont être supprimés sur le site,
Pour le syndicat, cette réduction d'effectifs « va
aggraver, dans un contexte alarmant après le suicide de
collègues sur d'autres sites, la pression sur les salariés
et diminuer la sécurité du centre de production
». Un avis non partagé par la direction de l'établissement
nucléaire.
Celle-ci explique que si les postes n'apparaissent plus dans l'organigramme,
c'est en raison de sa refonte, mais que cela ne change rien à
l'effectif qu'elle juge stable à environ 1 200 personnes
depuis 2005. Elle affirme par ailleurs que la soixantaine de salariés
partant cette année, en retraite ou pré-retraite,
seront pour la plupart remplacés, la CGT syndicat affirmant,
elle, le contraire.
13/4/2007 - Le
personnel de la centrale nucléaire de Chinon "espérait
des mesures plus concrètes", a estimé un délégué
syndical après l'annonce vendredi par EDF de la création
d'un observatoire et d'un numéro vert pour lutter contre
le mal-être et le suicide au travail.
L'annonce d'EDF est intervenue après la révélation
en février de quatre cas de suicides en deux ans parmi
les employés de cette centrale et l'envoi sur le site fin
mars d'une "mission d'écoute et de compréhension"
dont le rapport sera finalisé "dans les prochains
jours". "Il n'y a pas grand chose de concret. Ces décisions
sont loin de contenter le personnel qui espérait des mesures
plus concrètes par rapport aux difficultés rencontrées
dans leur travail", a déclaré Guy Cléraux,
secrétaire général CGT à Chinon.
Une assemblée générale est prévue
lundi après-midi sur le site de Chinon, a annoncé
le syndicaliste qui s'est indigné "de cette façon
de faire qui témoigne de l'embarras de la direction et
du plus profond mépris envers le personnel". "EDF
soigne son image et méprise le personnel. La direction
générale préfère informer la presse
avant d'informer les premiers intéressés",
a-t-il ajouté. "Cette méthode qui consiste
à verrouiller le dialogue interne nous conduit à
avoir des doutes supplémentaires sur la qualité
du diagnostic et des préconisations", a conclu M.
Cléraux.
EDF a annoncé vendredi matin la création d'un observatoire
national de la qualité de vie au travail, la mise en place
d'un numéro vert pour les salariés et fait part
de sa volonté de favoriser le management de proximité
pour lutter contre le mal-être et le suicide au travail.
Le Monde, 5/4/2007:
Annie Thébaud-Mony, sociologue à l'Inserm, vous êtes spécialiste des questions de santé au travail. Y a-t-il une souffrance spécifique à l'industrie nucléaire ?
Le nucléaire est une industrie dangereuse pour ses travailleurs, notamment par le risque d'exposition aux radiations. Depuis vingt ans, ce problème a été résolu par EDF grâce à la sous-traitance. L'ensemble des tâches de maintenance des centrales est confié à des entreprises extérieures, qui fonctionnent selon le principe de la " gestion de l'emploi par la dose " : lorsqu'un travailleur arrive en limite de la dose de radioactivité admise, il doit être remplacé. Extrêmement pénible pour les sous-traitants eux-mêmes, cette organisation du travail a aussi des conséquences négatives pour les salariés EDF. Elle entraîne des aléas auxquels ils doivent s'adapter continuellement, ce qui est contradictoire avec le mode de fonctionnement d'une centrale nucléaire, où tout doit être programmé. D'où une série d'incertitudes qui pèsent lourd sur les salariés. Le tout dans une contrainte de temps de plus en plus forte, et avec la hantise permanente de la sûreté nucléaire.
" Un service public pour une énergie populaire ", telle fut longtemps la devise d'EDF-GDF. Quel rôle joue la privatisation survenue en 2004 dans le malaise actuel ?
Un rôle essentiel, mais bien antérieur à 2004. Dans les années 1980, l'idéologie de service public était très forte parmi les salariés du nucléaire. C'était la fierté même du parc français. Mais dès les années 1990, dès que s'est affirmé le choix de la sous-traitance - donc d'un début de privatisation -, les agents EDF ont commencé à exprimer leur malaise. Ils supportaient mal de s'inscrire dans une logique de rentabilité, de diminution des coûts, de compétitivité. Et maintenant de concurrence.
Comment, dans ce contexte, est vécue la gestion du risque ?
De façon très contradictoire. D'un côté, il y a toujours la représentation d'une industrie nucléaire sans faille, celle qui leur fait dire, face aux accidents survenus à Three Miles Island ou à Tchernobyl : cela ne se produira pas en France. De l'autre, il y a ce qu'ils vivent au quotidien, qui est une fragilisation de la sûreté. En ne contrôlant plus l'efficacité de la maintenance, les agents EDF ont été privés de cette relation un peu organique à un service d'entretien, qui garantissait la mémoire du travail fait. Conséquence : même si c'est un point qu'ils sont réticents à aborder, ils commencent à douter de la sûreté des centrales. Pour beaucoup, le mal-être actuel provient du sentiment d'avoir été trompés. Et ils le savent mieux que d'autres : la progression du risque majeur est d'autant plus grande que l'on perd la maîtrise de la maintenance et la confiance en la production. Ce qui est d'autant plus inquiétant que nous figurons parmi les pays où la concentration de réacteurs nucléaires est la plus importante au monde.
Le Monde, 5/4/07:
Mal de vivre à la centrale nucléaire
Infoceane, 30/3/2007:
Les syndicats CGT et UFICT de la centrale nucléaire de Paluel s'inquiètent des conséquences supposées de la mise en place d'un nouvel organigramme interne rendu public le 26 mars qui prévoit la suppression de 70 postes. Ces suppressions de postes remettrait en cause selon les syndicats la sûreté des installations et la sécurité des salariés.
Libération, 15 mars 2007:
Les suicides de salariés commencent
à inquiéter les employeurs. Après Carlos
Ghosn, le PDG de Renault à qui la direction du Technocentre
de Guyancourt (Yvelines) doit remettre aujourd'hui un «plan
d'actions concrètes», c'est cette fois EDF
qui décide de mettre en place une «mission d'écoute
et de compréhension» pour étudier
la situation à la centrale nucléaire de Chinon,
dans l'Indre-et-Loire. Quatre de ses employés se sont suicidés
en deux ans.
Un revirement de la part d'EDF puisque, la semaine dernière,
le tribunal des affaires de la Sécurité sociale
de Tours se penchait justement sur le cas de Dominique Peutevynck
(Libération du 6 mars). Cet agent EDF
avait décidé de mettre fin à ses jours, à
49 ans, en août 2004. La caisse primaire d'assurance maladie
avait estimé que ce suicide avait un rapport avec ses conditions
de travail et pouvait donc être classé comme «maladie
professionnelle», et EDF conteste
cette décision. Les juges ont mis l'affaire en délibéré
pour le 14 mai. Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice
de recherches à l'Inserm, a recueilli pendant dix ans des
paroles d'agents EDF et de salariés sous-traitants travaillant
dans les centrales nucléaires (1). Elle revient sur les
suicides de travailleurs du nucléaire.
A la centrale nucléaire de Chinon. Les
sous-traitants envoient intérimaires et CDD sur les postes
sous irradiation.
En moins de deux ans, quatre salariés
de la centrale nucléaire de Chinon se sont suicidés.
Est-ce que cela vous étonne ?
Malheureusement pas. Certes, un suicide est toujours un acte personnel.
Mais dans ce genre d'affaire, il faut aussi poser la question
de la responsabilité de l'employeur : comment le travail
a-t-il pu contribuer à cet acte ? Lors de mon étude,
les médecins du travail des centrales nucléaires
EDF m'ont confirmé que les conditions se dégradaient
depuis quinze ou vingt ans. D'un côté, les salariés
d'EDF sous statut qui ont le plus souvent des postes d'encadrement,
chargés de la conduite ou de la maintenance. De l'autre,
les sous-traitants, parmi lesquels beaucoup de CDD ou d'intérimaires,
travaillent sous irradiation au coeur des centrales. Le salarié qui s'est suicidé
en 2004 travaillait à la maintenance. Il avait à
gérer toutes les contradictions de l'industrie nucléaire :
mener à bien des contraintes impossibles ? notamment
le respect des normes de sécurité ? dans des délais
toujours plus courts. EDF fait de plus en plus souvent appel à
des sous-traitants : les marchés ont été
décrochés par des entreprises qui ont écrasé
les coûts, notamment en déléguant des tâches
à d'autres prestataires. Il n'est pas rare aujourd'hui
de voir 5 ou 6 niveaux de sous-traitance dans les centrales. En
bout de chaîne, les opérateurs subissent une pression
très forte et leur sécurité n'est pas toujours
assurée. Les agents EDF sont les mieux placés pour
le savoir, mais ils n'ont plus prise sur ce travail opérationnel
délégué aux sous-traitants. Et ils sont eux-mêmes
pris en tenaille : ils ont des objectifs à tenir.
Chacun s'emploie donc à donner la version officielle qu'attend
EDF : tout va bien. Pourtant, dans nos entretiens, cette
inquiétude pour les ouvriers précaires, mais aussi
pour la sécurité des installations, revenait sans
cesse. Les agents craignaient terriblement la dispersion des savoir-faire
dans le domaine de la sûreté nucléaire, au
fil de cette sous-traitance en cascade. Face à ce sentiment
d'impuissance, le suicide peut apparaître comme un acte
ultime de résistance. Refuser de se laisser atteindre dans
sa dignité au travail.
Moins visibles, sans doute moins comptabilisés,
les suicides existent aussi chez les sous-traitants des centrales...
Une vague de suicides est apparue dès 1995 parmi les sous-traitants
d'EDF. Rien qu'en 1995, la coordination des syndicats CGT de la
centrale de Chinon avait repéré sept cas. Un médecin
du travail m'avait dit : «Vous verrez, ça
touchera bientôt les salariés sous statut.» Pour
les sous-traitants, le sentiment d'impuissance est doublé
d'une instabilité professionnelle. En 1992, j'avais rencontré
Patrick, un intérimaire. A l'époque il allait bien,
mais la pression due à sa situation d'intérimaire
le taraudait. En effet, pour
respecter les limites individuelles d'exposition aux radiations
ionisantes, EDF fait se succéder, sur les postes exposés,
des travailleurs recrutés par le biais de la sous-traitance
et de l'intérim. C'est la «gestion de l'emploi
par la dose». Les travailleurs doivent porter des
dosimètres qui enregistrent la dose de rayonnement à
laquelle ils sont soumis et transmettent l'information par informatique
à EDF. Quand le travailleur atteint la dose maximale autorisée,
l'accès à la centrale lui est fermé. Pour
un CDD ou un intérimaire, la mission est finie d'office.
Il ne travaillera que plusieurs mois plus tard quand il aura remis
à zéro son «crédit d'irradiation». EDF
reporte ainsi la responsabilité de la gestion des risques de radiation sur les salariés eux-mêmes, ce qui les
fragilise. Deux ans plus tard, je suis
revenu sur le site où Patrick travaillait. J'ai appris
qu'il s'était suicidé, à 32 ans. Son décès
n'a pas été reconnu maladie professionnelle. Il
avait atteint une nouvelle fois sa «dose» et, donc,
a perdu son contrat. Il s'est tiré une balle dans la tête
le jour où son agence d'intérim lui a refusé
une avance financière.
Pourquoi, depuis les trois suicides au Technocentre Renault,
parle-t-on plus des suicides et de leur lien avec le travail ?
C'est plus qu'un effet de mode : au contraire, il y a depuis
quelques années une inversion de tendance dans l'âge
des suicides. Alors qu'ils touchaient très majoritairement
les plus âgés, aujourd'hui, de plus en plus d'hommes
de 30 à 45 ans se suicident. Comme la plupart des cas récents
chez Renault, Peugeot, EDF... Je pense que cette tendance peut
être reliée aux transformations de l'organisation
du travail ? qui n'est évidemment pas spécifique
à ces trois entreprises : flexibilité et obligation
de résultat. Qu'ils soient précaires ou sous statut,
ouvriers ou cadres, les travailleurs n'ont plus la possibilité
de négocier les moyens qu'on met à leur disposition
pour atteindre leurs objectifs. Et si les pouvoirs publics et
les entreprises attendent qu'on leur apporte la preuve statistique
que le suicide est lié aux conditions de travail, nous
n'aurons plus qu'à compter les morts.
(1) Lire Travailler peut nuire gravement à votre
santé, la Découverte, 19 euros.
Sonya FAURE
Libération, 6 mars 2007:
Tours envoyé spécial
Dominique Peutevynck a 49 ans quand, le 21 août 2004, il décide de mettre fin à ses jours en se jetant sous les roues d'un train à proximité de son lieu de travail, la centrale nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire). Il y est employé depuis 1977 et jouit d'une parfaite reconnaissance professionnelle tant de la part de la direction d'EDF, gestionnaire de la centrale, que de ses collègues directs. Hier après-midi, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Tours ? qui a mis l'affaire en délibéré pour le 14 mai ? était saisi par EDF, qui conteste le lien entre le geste de son ancien salarié et ses conditions de travail. Une précédente décision de la caisse primaire d'assurance maladie a estimé que ce suicide pouvait être classé comme «maladie professionnelle».
Présent à l'audience, Jérôme,
le fils de Dominique, ne comprend toujours pas la position de
l'ancien employeur de son père : «Leur argumentaire
me semble bien léger. Mais je me demande jusqu'où
ils pourront aller.» Cet homme de 26 ans, lui-même
employé par une société sous-traitante de
la centrale de Chinon, fait allusion à la plaidoirie de
Philippe Toison, l'avocat d'EDF. Ce dernier s'est appuyé
sur un rapport d'enquête pour mettre la «dépression» de
Dominique Peutevynck sur le compte de «problèmes
personnels. D'abord, une première période de dépression,
courant 1988, puis des décollements successifs de la rétine
qui auraient pu le conduire, comme son grand-père, à
une cécité totale». L'avocat souligne
ensuite la situation affective de la victime : «La période
du suicide correspond à celle de la séparation définitive
avec sa compagne,avec laquelle il vivait depuis huit ans. Enfin,
j'y ajouterai des différents sérieux avec son fils
Jérôme...»
Quelques semaines avant son suicide, l'ancien technicien supérieur,
promis à un poste d'encadrement à la centrale voisine
de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), se faisait effectivement
opérer des yeux pour un nouveau décollement. Mais,
selon son fils et son conseil, Me Philippe Baron, mandaté
par le syndicat CGT de la centrale, les raisons de ce geste sont
à rechercher ailleurs : «Au cours des six derniers
mois de sa vie, la victime a cumulé quatre-vingt-sept heures
supplémentaires, a plaidé l'avocat. Dès
2001, il s'était confié au médecin du travail
pour lui parler de sommeil perturbé par le travail.» Ce
dernier lui avait prescrit un anxiolytique. En février
2004, le comité d'hygiène, de sécurité
et des conditions de travail (CHSCT) de la centrale avait tiré
la sonnette d'alarme. Le médecin du travail s'en était
fait le relais dans un courrier adressé à la direction
de la centrale : «Sur les 24 agents que compte le service
maintenance, la moitié se trouve en souffrance professionnelle», indiquait
ce courrier. «Il existe un risque psychosocial de retour
des agents contre eux-mêmes», poursuivait
le praticien. La direction n'y avait apporté aucune réponse.
Guy Cleraux, secrétaire général du syndicat
CGT de la centrale, interroge brutalement : «Comment
expliquez-vous que nous en soyons au sixième suicide en
quelque temps sur les deux grosses centrales de la région
?». Pour le syndicaliste, les causes sont clairement
définies : «Nous subissons une restriction croissante
des moyens et des effectifs alors que notre employeur nous demande
toujours plus.»
Mourad GUICHARD
TF1, 3/3/2007:
Alors qu'un nouvel employé s'est donné
la mort il y a quelques jours, la CGT dénonce "une
surcharge de travail". EDF se dit "solidaire de la famille".
Les circonstances d'un précédent suicide, en 2004,
doivent être examinées lundi par le tribunal des
affaires de sécurité sociale de Tours.
Le dernier en date est survenu mardi dernier. Un suicide qui aurait
pu passer inaperçu, s'il n'avait été précédé
par plusieurs autres : au cours des six derniers mois, selon la
CGT, trois employés de la centrale nucléaire de
Chinon, en Indre-et-Loire, se sont donné la mort. Alors
que les circonstances d'un précédent suicide, en
2004, doivent être examinées lundi par le tribunal
des affaires de sécurité sociale de Tours, la CGT évoque, dans un communiqué,
la "surcharge de travail" affectant certains employés
du site nucléaire.
Le syndicat précise qu'il ne préjuge pas "du lien pouvant exister entre le travail et ces actes désespérés", tout en se disant "très inquiet d'une situation qui montre les signes d'une forte dégradation et qui pourrait aussi avoir un impact sur les conditions nécessaires au maintien du niveau de sûreté nucléaire". La direction d'EDF se déclare pour sa part "solidaire de la famille" de la dernière victime en date et refuse de commenter les précédentes morts de ses employés.
"33% du personnel était en souffrance". Dans le cas du suicide en 2004 d'un technicien supérieur, Dominique Peutevynck, à 49 ans, la Caisse primaire d'assurance maladie avait déjà considéré qu'il y avait "un lien direct et essentiel avec l'activité professionnelle" de l'employé. Une décision contestée toutefois par EDF, qui a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Tours. D'où l'audience prévue lundi...
Selon Michel Lallier, élu CGT du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la centrale, la direction était informée de la "situation grave de danger pour la santé des agents", notamment par la médecine du travail. "33% du personnel était en souffrance" du fait de "l'accélération du processus de réduction des coûts", selon lui.