Le Figaro, 6/04/2005:
«2004 a été une année
sans événement
majeur dans le domaine de la sûreté nucléaire
et de la radioprotection», a affirmé hier le directeur
général de l'Autorité de sûreté
nucléaire (ASN),
André-Claude Lacoste, en dressant le bilan de son action
au cours de l'année écoulée.
Parmi les dossiers évoqués, le projet de loi relatif
à la transparence
et à la sécurité en matière nucléaire,
sur le bureau du Sénat depuis juin 2002 et que la Chambre
Haute doit discuter fin juin prochain, attendu de longue date.
Mais «il ne faut pas lui donner de vertus mythiques : nous
n'avons pas besoin de ce projet pour accroître notre transparence»,
estime le «gendarme» du nucléaire. L'ASN va
ainsi, par exemple, publier désormais sur son site Internet
(1) les informations liées aux «arrêts de tranche»
des réacteurs nucléaires d'EDF (voir: La " transparence " selon
EDF est incompatible avec la sûreté nucléaire).
La principale avancée que permettra cette loi réside
dans les pouvoirs de police dont disposeront les inspecteurs de
la sûreté nucléaire, qui pourront constater
des infractions par procès-verbal. «Dans la mesure
où il ouvre la voie à des sanctions dans la sûreté
nucléaire, nous avons besoin de ce texte», souligne
André-Claude Lacoste.
Cette vision de la transparence n'est guère partagée par le réseau Sortir du nucléaire pour qui «le contrôle du nucléaire n'a aucune indépendance en France puisque l'Autorité de sûreté nucléaire dépend directement de l'État» et «n'a aucune autorité sur les exploitants».
L'Autorité de sûreté a également annoncé, en présentant ce bilan 2004, avoir diversifié les exercices de crise dans le cadre de la préparation aux situations d'urgences radiologiques. Elle a par ailleurs renforcé les contrôles dans le domaine de la radioprotection, 400 visites étant prévues sur le terrain en 2005.
5/04/2005 - "Le contrôle du nucléaire n'a aucune indépendance en France puisque l'Autorité de sûreté dépend directement de l'Etat", a estimé mardi dans un communiqué le réseau Sortir du nucléaire.
Le réseau anti-nucléaire, qui revendique quelque 700 associations participantes, réagisssait à la publication du rapport annuel du "gendarme du nucléaire", qui souligne que 2004 a été "une année sans problème majeur de sûreté nucléaire ni de radioprotection en France".
L'Autorité de sûreté (ASN) est dépendante d'un Etat "ouvertement pro-nucléaire", explique le réseau associatif. "Il ne pourra y avoir de crédibilité du contrôle du nucléaire tant que n'auront pas été sanctionnés les responsables du mensonge d'Etat lors du passage du nuage de Tchernobyl sur la France", affirme Sortir du nucléaire, ajoutant que l'ASN "n'a aucune autorité sur les exploitants".
"L'ASN a été obligée de s'incliner face à la décision d'EDF de prolonger jusqu'à 40 ans la durée de vie des réacteurs nucléaires", dénonce l'organisation qui cite également le lancement du réacteur EPR en France ou le retraitement du plutonum militaire américain dans un atelier "inadapté au risque sismique".
La mort accidentelle d'un jeune militant anti-nucléaire le 7 novembre, percuté par un train transportant des déchets radioactifs vers l'Allemagne, "a démontré de la façon la plus dramatique possible que la sécurité de ces transports était inexistante", déplore encore l'organisation.
Le Figaro, 02/02/2005 :
L'organisme de recherche estime son autonomie menacée par l'Autorité de sûreté
C'est un nouvel épisode dans la guerre
sourde qui oppose l'Autorité de sûreté nucléaire,
le gendarme de l'atome, à certains cadres de l'IRSN (Institut
de radioprotection et de sûreté nucléaire),
l'organisme de recherche public chargé notamment d'expertiser
la sûreté nucléaire. De fait, c'est la vocation
même de cet organisme, né voici trois ans dans le
cadre de la réforme du nucléaire, qui est en question.
Un des objectifs de cette réforme était précisément
de clarifier les rôles respectifs des experts et des décideurs,
l'IRSN étant créé comme un organisme doté
d'une certaine indépendance.
Or voilà que, dans le cadre de la préparation du
contrat d'objectifs de l'IRSN, qui doit être signé
avec l'État d'ici à l'été, l'Autorité
de sûreté nucléaire (ASN) semble tentée
de mettre au pas les experts de l'IRSN. A la suite d'une première
réunion à ce sujet début janvier entre l'IRSN
et les ministères de tutelle, André-Claude Lacoste,
le directeur de l'ASN, a adressé une lettre à la
direction de l'IRSN, dans laquelle il fait part des principales
obser vations que ce projet lui inspire.
«La création de l'IRSN a eu pour objectifs d'achever
la séparation entre contrôleurs et contrôlés...
Elle n'a pas eu pour objectif de séparer l'expertise du
contrôle et ne doit pas avoir pour effet de les éloigner
: ils doivent rester dans une relation partenariale fournisseur-client»,
rappelle André-Claude Lacoste. «Cela est contraire
à l'esprit de la réforme !», rétorque
François Rollinger, administrateur salarié CFDT.
Par ailleurs, le gendarme du nucléaire affirme qu'«il
paraît opportun que les produits des activités réalisées
par l'IRSN soient rendus accessibles au public sous réserve
(...) que leur contenu ne puisse pas prêter à des
interprétations erronées ou malveillantes, qu'ils
ne contiennent que des données objectives». Une «réserve»
traduite par certains comme : «évitons de rendre
public tous les sujets qui fâchent», nombreux dans
le domaine nucléaire. Une conception de la transparence
guère partagée par tous les personnels de l'organisme.
Cette polémique réveille de vieux démons.
Les chercheurs de l'IRSN se souviennent notamment que, en 2002,
l'un des leurs avait été «censuré»
dans la revue Contrôle de l'ASN, au sujet des retombées
de Tchernobyl
en France.
Aussi cet épisode crée-t-il un certain émoi
au sein de l'IRSN. D'ailleurs, rares sont ses membres qui acceptent
de parler à la presse à visage découvert.
Ce qui n'empêche pas la CFDT d'avoir rédigé
une «Lettre ouverte aux ministres de tutelle de l'IRSN».
«La logique de ce courrier (de l'Autorité) conduirait
à interdire toute mission propre à l'IRSN, en le
réduisant de fait à un simple sous-traitant»,
peut-on y lire. Est-ce à dire que l'IRSN ne peut plus s'autosaisir
ou répondre aux demandes d'expertise des associations ?
L'IRSN a déjà fait la preuve de l'utilité
de son expertise dans des exemples récents, comme pour
le groupe Radioécologie Nord Cotentin (évaluation
du risque de leucémie lié à l'exposition
aux rayonnements ionisants de la Hague) ou à propos de la situation
radiologique autour des sites miniers d'uranium dans le Limousin.
Hier, le directeur de l'ASN n'était pas joignable pour
réagir. Le directeur général de l'IRSN Jacques
Repussard, dans un souci d'apaisement, cherche pour sa part à
minimiser la portée de ces déclarations : «Il
est normal d'avoir une discussion avec les ministères de
tutelle dans le cadre de la préparation du contrat d'objectifs».
«L'histoire de l'IRSN avant la réforme a laissé
des traces qui ravivent des peurs, concède-t-il. Nous ne
sommes qu'au début d'un processus et il reste certes encore
beaucoup à faire, mais il existe une sur-réaction
en interne.» Jacques Repussard se désolidarise toutefois
de certaines affirmations du directeur de l'ASN : il n'approuve
pas l'idée que «la création de l'IRSN... n'a
pas eu pour objectif de séparer l'expertise du contrôle»
et réaffirme que «nos recherches sont rendues publiques
et continueront de l'être». Lorsqu'on lui demande
si l'IRSN a aujourd'hui les moyens de son autonomie, sa réponse
est claire : «cela reste à prouver».
Caroline de Malet
Deux acteurs de poids
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) (260 personnes, budget : 82 M¤, en 2003) dont le nom officiel est la DGSNR (Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection) est le gendarme de l'atome civil. C'est lui qui adresse ses autorisations et mises en garde aux exploitants comme EDF ou Cogema. Il est placé sous la triple tutelle des ministres de l'Industrie, de l'Environnement et de la Santé.
L'IRSN, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (1 500 personnes, budget : 240 M¤), établissement public à caractère industriel et commercial né en 2002 de la fusion entre l'Opri (Office de protection contre les rayons ionisants) et IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire), est l'organisme d'expertise sur lequel s'appuie la DGSNR pour évaluer la sûreté des installations nucléaires et les risques d'exposition du public aux rayonnements ionisants. Placé sous une quintuple tutelle ministérielle (Industrie, Environnement, Santé, Recherche et Défense), il s'est affranchi de la tutelle historique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA).