Sud-Ouest, 28/12/2004:
C'est aujourd'hui mardi 28 décembre
que les membres de l'association TchernoBlaye, membre du collectif Sortir du Nucléaire, organisent à
midi, devant le centre nucléaire de production d'électricité
du Blayais à Braud-et-Saint-Louis, un pique-nique. Pour
commémorer l'anniversaire des cinq ans de la tempête
du 27 décembre au 28 décembre 1999 qui, houle et
vents confondus, avait fait fi de la digue de protection du site
nucléaire qui de ce fait, s'était retrouvé
les pieds dans l'eau (estimation à 100 millions de litres).
La digue de ceinture avait été refaite par EDF,
entourant le site en totalité, pour le préserver
des inondations suite à cette tempête. Des mesures
complémentaires avaient été prises sur le
bord de l'estuaire par un enrochement, le rehaussement conséquent
de la digue et par l'édification d'un mur de béton
de deux mètres de hauteur. Digue qui présente une
fissure que TchernoBlaye dénonce depuis plus d'un an, évoquant
même « les "bricolages" d'EDF pour tenter
d'enrayer son basculement ». Ce à quoi EDF répond
que « ce tassement naturel est normal » et que «
l'étanchéité n'est pas menacée. Ce
tassement est lié au poids de la digue. Il remonte à
quatre ans depuis la construction de l'ouvrage. Il est lié
aux caractéristiques du sol qui le supporte. Il était
prévu sur une marge de cinquante centimètres »
(voir « Sud Ouest » du 29 octobre).
Sommet de la digue avec le mur anti-houle en
construction (Photo Contrôle n°142, septembre
2001).
Question de vannes. Le tassement de cette digue et l'anniversaire
de l'inondation de la centrale ne sont pas les seuls points de
contestation du collectif anti-nucléaire. Il a relevé
dans un rapport de l'Autorité de Sûreté nucléaire
en date du 10 décembre dernier, « l'état excessivement
rouillé » de vannes sur un bâtiment de la centrale.
Le rapport précise que « les inspecteurs ne sont
pas convaincus de la manoeuvrabilité de ces vannes »
et demande qu'elles soient testées.
Dans un communiqué, TchernoBlaye exprime sa « stupéfaction
à la lecture de ce rapport dans lequel on peut lire: "Compte
tenu de l'état excessivement rouillé des vannes
8DVN104VN, 8DVN105VN, 8DVN101VN et 8DVN100VN se trouvant dans
le local N552 (BAN réacteur nø3), les inspecteurs
ne sont pas convaincus de la manoeuvrabilité de ces vannes."
Ces vannes sont situées dans le Bâtiment des annexes
nucléaires (BAN) qui contient les réservoirs d'appoint
du circuit primaire et du contrôle volumétrique et
chimique de l'eau primaire. Il est donc vraisemblable que les
vannes en questions sont classées "importantes pour
la sûreté" ».
TchernoBlaye précise que « l'inspecteur en charge
du rapport ajoute "Je vous demande de vous assurer de la
manoeuvrabilité de ces vannes. L'état des mêmes
vannes sur les autres réacteurs devra également
être vérifié. Un bilan des actions engagées
sur ces matériels installés sur les 4 réacteurs
me sera adressé". »
Le collectif estime que « cinq ans après la tempête,
la sûreté nucléaire ne semble pas plus rassurante
qu'en 1999... » En tout cas, les manifestants ont prévu
de manifester aujourd'hui avec masques de plongée sous-marine,
tubas et palmes...
Après l'incident très grave survenu
à la centrale du Blayais lors de la tempête du mois
dernier où l'inondation du site a dégradé
des systèmes indispensables pour assurer la sûreté,
l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire,
dans un rapport [1] publié le 17 janvier 2000, indique
que la protection des sites des centrales nucléaires à
l'égard des risques d'inondation d'origine externe est
assurée notamment par les deux critères suivants
en application de la Règle Fondamentale de Sûreté,
(RFS I.2.e, 12 avril 1984) sur la " prise en compte du risque
d'inondation externe " :
"-1 le calage de la plate-forme supportant les bâtiments
abritant les matériels importants pour la sûreté
à un niveau au moins égal au niveau des plus hautes
eaux, avec une marge de sécurité (le niveau correspondant
est appelé cote majorée de sécurité
CMS).
-2 l'obturation des voies possibles d'accès de l'eau dans
les locaux abritant les matériels participant au maintien
de l'installation dans un état sûr, situées
au-dessous du calage de la plate-forme. "
Seuls les sites de Chooz, Civaux et Cattenom respectent ces
deux critères !
Pour les réacteurs construits avant le 12 avril 1984, ce
qui était le cas des réacteurs de la centrale du
Blayais, des mesures devaient être prises après coup
pour que l'installation respecte le deuxième point. Manifestement
cela n'a pas été fait ou tout au moins pas efficacement
c'est le moins qu'on puisse dire. Mais de toute façon cela
n'aurait pas suffi car les calculs ont sous-estimé la cote
majorée de séité (CMS) et la plate-forme
a été construite trop bas dès le départ.
Mais il n'y a pas que Le Blayais :15 autres sites autres nécessitent
des mises à jour vis-à-vis du risque inondation
:
-" La plate-forme de l'îlot nucléaire est
calée au-dessus de la CMS mais le respect du second critère
mérite des vérifications plus approfondies pour
les sites de Bugey, Cruas, Flamanville, Golfech, Nogent, Paluel,
Penly et Saint-Alban
-" La plate-forme de l'îlot nucléaire est calée
au-dessous de la cote majorée de sécurité
(CMS)
pour les sites de Belleville, Chinon, Dampierre, Gravelines, Le
Blayais et Saint-Laurent ; il conviendra pour ces sites de réexaminer
l'ensemble des dispositions spécifiques mises en place
;
-" les sites de Fessenheim et Tricastin sont implantés
à proximité d'un canal dont la ligne d'eau est supérieure
à la cote de leur plate-forme. Pour ces sites également
il conviendra de réexaminer les dispositions particulières
mises en oeuvre. "
Admirons le fait que nos géniaux concepteurs
du nucléaire aient placé des réacteurs en
dessous de la ligne d'eau d'un canal, que les plates-formes de
réacteurs puissent avoir été construites
en dessous de la CMS, et qu'il soit nécessaire de vérifier
même des installations récentes. Bien sûr cela
a diminué les coûts de construction et l'exemple
du Blayais montre que c'est au détriment de la sécurité.
Si l'on ajoute que les systèmes antisismiques sont souvent
dégradés et qu'EDF traîne les pieds pour les
remettre en état en reportant les travaux toujours à
plus tard notamment aux visites décennales, on a de quoi
s'inquiéter !
La fameuse " digue " de la centrale du Blayais
Toutes les photos du site sur lesquelles on voit les transformateurs
haute tension ont, en fait, été prises non en front
de Gironde mais à l'opposé, côté entrée
du site. Peu de photos montrent réellement la " digue
" en front de Gironde.
A l'origine, terrain marécageux. La plate-forme de la centrale
a été érigée à 4,5 mètres
d'altitude. La construction des 4 réacteurs du Blayais
a démarré en 1976 (réacteur 1) et 1977 (réacteurs
2,3,4). Ils ont été couplés au réseau
à la mi-1981et 1982 pour les deux premiers
et 1983 pour les réacteurs 3 et 4. Ce n'est qu'après
la parution en 1984 de la Règle Fondamentale de
Sûreté sur la " prise en compte du risque d'inondation
externe " que le site a été ceinturé
par une digue.
Mais, en fait, est-ce vraiment ce qu'on a coutume d'appeler une
digue ? Citons l'IPSN : " La digue est constitué
par un ouvrage en terre [souligné par
nous] protégé côté Gironde par un
enrochement de blocs de pierre. "
Ici on a donc un ouvrage qui n'est pas étanche à
l'eau et est inévitablement sujet à l'érosion
lors de fortes marées et coups de vent. Le journal Sud-ouest
a présenté une photo de la réparation de
la partie haute de la digue effectuée ces jours derniers
côté Gironde et qui montre ce qu'est un " enrochement
" : c'est un amoncellement de blocs de pierreContinuons la
citation :
" En front de Gironde, sa hauteur est de 5,2 mNGF ; sur
les côtés latéraux sa hauteur est de 4,75
mNGF " [2].
Le schéma ci-contre montre la digue censée protéger
l'installation nucléaire.
En clair, cela a rehaussé la plate-forme
de 70 centimètres seulement côté Gironde et
de 25 cm sur les côtés. On a vu le résultat
lors de la tempête du 27 décembre dernier où
des vagues sont passées par dessus cette " digue ",
inondant le site. D'après EDF, 90000 m3 d'eau (90 millions
de litres !) ont dû être pompés (et rejetés
dans la Gironde). La masse d'eau infiltrée dans les galeries
souterraines indiquées sur le schéma a conduit à
la perte de matériels et circuits indispensables à
la sûreté (perte totale des pompes d'injection de
sécurité et d'aspersion de l'enceinte et perte partielle
des pompes d'eau brute secourue). C'est un incident très
grave qui aurait pu dégénérer en accident
par défaut de refroidissement du coeur.
Bella Belbéoch, 4 férier 2000
[1] www.ipsn.fr Rapport sur l'inondation
du site du Blayais survenue le 27 décembre 1999, IPSN,
17 janvier 2000.
[2] NGF = nivellement général de la France. L'altitude
zéro est définie par le plan d'eau à Marseille.
Les altitudes sont données par rapport à ce plan
pris pour référence. On a alors une altitude exprimée
en mètres NGF.
Sud Ouest 5 janvier 2000:
APRÈS LA TEMPÊTE - CENTRALE DE BLAYE
La centrale nucléaire du Blayais n'a pas résisté à la tempête de la fin de siècle. Le scénario catastrophe a été évité de justesse. La conception du site est sans doute à revoir.
Les tranches 1 et 2 de la centrale nucléaire du Blayais, à l'arrêt depuis la tempête des 27 et 28 décembre dernier, sont passées très près d'un véritable scénario catastrophe, et elles vont vraisemblablement devoir être déchargées de leur combustible, le temps que d'importantes réparations soient effectuées sur le site.
En effet, l'inondation d'une bonne partie des bâtiments a successivement mis hors d'usage plusieurs installations de sauvegarde, comme le circuit d'injection de sécurité (RIS), qui permet de rétablir le niveau du circuit primaire, et l'EAS (aspersion de l'enceinte), qui permet de faire baisser la température à l'intérieur du bâtiment réacteur en cas d'accident.
Quand ce fut au tour, à 8 h 23, le matin du 28 décembre, de la moitié des pompes du circuit SEC (eau brute de sauvegarde), qui prélève l'eau en Gironde, la situation est devenue très grave.
C'est le SEC qui assure en effet le refroidissement de l'ensemble, par l'intermédiaire d'autres circuits, et la sûreté de la tranche n° 1 ne tenait plus qu'à deux pompes, justifiant le déclenchement d'un plan d'urgence interne.
FUSION
Comme l'explique Christophe Quintin, responsable de la division nucléaire à la DRIRE (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement) de Bordeaux, « si le SEC avait lâché, on se retrouvait dans la configuration de l'exercice fait à Golfech en novembre dernier, où l'on avait simulé la fusion du coeur de la centrale au bout de dix heures ». La fusion du coeur étant l'accident le plus grave qui puisse survenir à une centrale nucléaire et peut conduire à la rupture de l'enceinte de confinement.
Cette possibilité est tellement prise au sérieux que les experts de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (ISPN) calculent actuellement quelle a été la probabilité de s'en approcher le 28 décembre dernier.
Hier, Jérôme Goellner, adjoint au directeur de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), s'est rendu à Blaye en compagnie de Christophe Quintin pour une « visite technique » destinée à évaluer la situation pour prendre des décisions aujourd'hui.
La DSIN devrait faire connaître en fin d'après-midi ses recommandations pour les prochains jours.
Il s'agit dans l'immédiat de remettre tous les équipements en marche, pompes, vannes et autres appareils pour assurer la sécurité qui est en partie rétablie, permettant l'allègement du plan d'urgence interne.
Cette phase devrait être terminée vers la mi-janvier, indiquait hier l'EDF. Il faudra aussi rétablir les digues de la centrale avant les grandes marées prévues à la fin du mois.
VINGT ANS APRÈS
Mais tout le matériel, qui a été plongé
dans l'eau saline de la Gironde, est sérieusement endommagé,
corrodé, et il faudra sans doute prévoir ensuite
de longs travaux, plusieurs semaines, expliquait hier la direction
de la centrale.
Pour les entreprendre en toute sûreté, les autorités de tutelle d'EDF envisageaient sérieusement hier de recommander le déchargement du combustible des tranches 1 et 2.
Ce qui les rendrait plutôt indisponibles pour quelques mois.
Il faudra aussi comprendre, explique Christophe Quintin, pourquoi une centrale nucléaire, dont la plate-forme devait rester hors d'eau à la suite d'une « surcote de marée millénale », a pu voir ses installations vitales submergées par de l'eau qui s'est engouffrée dans les multiples galeries techniques, vingt ans seulement après sa construction.
« On peut se tromper, explique-t-il, il y a un travail de conception à revoir. »
On ne disposait évidemment pas de statistiques précises sur les tempêtes des mille dernières années, mais il faudra désormais tenir compte de celle-ci qui s'est pourtant produite avec un faible coefficient de marée.
Si la conception n'avait pas tout prévu, à aucun moment, en revanche, la gestion de la crise par le personnel EDF n'a été mise en cause par la tutelle. Alors que de banales opérations de maintenance sont parfois dans certaines centrales l'occasion d'erreurs de routine, il semble que le grave incident de la semaine dernière ait été l'objet d'un « sans-faute ».
JEAN-PIERRE DEROUDILLE
APRÈS LA TEMPÊTE - CENTRALE
DU BLAYAIS
Sud Ouest, 6 janvier 2000:
L'autorité de sûreté nucléaire confirme qu'il s'agit d'un défaut de conception et n'autorisera le redémarrage que lorsque le site sera " convenablement " protégé.
L'autorité de sûreté nucléaire
a publié hier un communiqué confirmant que l'incident
survenu le 28 décembre dernier à la centrale du
Blayais est classé au niveau 2 de l'échelle internationale
des événements nucléaires (INES) et précisant
: " L'inondation a endommagé des pompes et circuits
importants et le niveau de sûreté des installations
a été affecté. "
Toutefois, elle précise également : " A aucun
moment la situation n'a été menaçante, plusieurs
lignes de défense étant toujours restées
disponibles. " Pour sa part, Martine Griffon-Fouco, déléguée
régionale d'EDF , a précisé à "
Sud-Ouest " : " C'est un incident qui n'est pas grave,
ce n'est pas un accident. A aucun moment les barrières
de sûreté n'ont été atteintes. Contrairement
à ce que l'on peut entendre, la fusion des coeurs ne pouvait
pas se produire.
DÉCISION AUJOURD'HUI
" Jérôme Goellner, adjoint
au directeur de la sûreté des installations nucléaires
(DSIN), interrogé hier par " Sud-Ouest ", rappelait
que le refroidissement du circuit primaire par les générateurs
de vapeur était toujours resté opérationnel.
C'est d'ailleurs toujours la procédure employée,
tant que l'autorisation de le connecter sur le circuit de refroidissement
à l'arrêt (RRA) n'a pas été donnée.
Or, c'est le RRA qui avait nécessité des interventions
sur le réacteur n° 3 lors de son arrêt de maintenance,
l'été dernier.
En fait, c'est aujourd'hui que la DSIN prendra la décision
concernant la suite des opérations. Les réacteurs
n° 1 et 2 resteront à l'arrêt tant que l'EDF
n'aura pas fait la preuve que ses installations sont mises à
l'abri d'un événement climatique semblable.
Comme le constate le communiqué de la DSIN, " il apparaît que l'inondation de plusieurs locaux situés au-dessous du niveau du sol s'est propagée par des galeries techniques souterraines, elles- mêmes noyées du fait du passage d'eau de la Gironde au-dessus de la digue de protection du site. Ces galeries n'étaient pas conçues pour interdire le passage d'eau.
Selon le commentaire de Jérôme Goellner, " notre appréciation, c'est qu'on n'est pas passé près de la catastrophe, mais qu'il s'agit d'un incident vraiment sérieux, le plus grave de l'année, et qu'il s'agit d'un problème de conception. L'eau s'est répandue par des galeries techniques munies de portes coupe-feu conçues pour protéger d'un incendie, qui n'ont pas résisté à l'eau. C'est aussi sérieux que l'incident de Civaux en mai 1998. "
L'EDF va donc devoir proposer des modifications importantes du site pour prouver qu'il reste hors d'eau en toutes circonstances, même exceptionnelles.
Il faut donc soit l'autoriser à maintenir les réacteurs à l'arrêt avec cuve ouverte, et refroidi par le RRA, soit décharger complètement le coeur, sachant qu'un arrêt " cuve ouverte " ne peut se pérenniser.
En attendant, l'EDF travaille d'arrache-pied à tout remettre en état pour se préparer à la marée de fort coefficient attendue le 21 janvier.
SÉCURITÉ NUCLÉAIRE
Professeur de physique nucléaire, le conseiller régional Vert, Jean-Pierre Dufour, a fait partie de la commission locale d'information et de surveillance de la centrale de Braud-et-Saint-Louis. Il l'a quittée après s'être aperçu que cette structure, placée sous l'autorité du président du Conseil général de la Gironde, n'était pas un modèle de transparence. " C'était la messe. Elle sert de relais à la propagande d'EDF ", affirme l'universitaire, qui avait pourtant pris, dans un premier temps, son rôle au sérieux.
" Je voulais qu'on avance sur un certain nombre de points importants. Il me semblait anormal que les gens chargés de mesurer la radioactivité fassent partie du personnel de la centrale nucléaire, aient leurs bureaux dans les locaux de la centrale et soit tributaires des responsables de la centrale pour leur avancement.
Ils ne pouvaient pas être indépendants. Mais à chaque fois que je soulevais des problèmes de cette nature, la réponse était toujours la même : Ne vous inquiétez pas. "
Au regard de ce contexte, comment appréhender les communiqués d'EDF, de la Direction régionale de l'industrie et de la recherche et de l'Autorité de sûreté nucléaire ? Relèvent-ils de la communication, de l'information ou des deux à la fois?
Un spécialiste comme Jean-Pierre Dufour estime ne pas avoir les éléments suffisants pour se prononcer en connaissance de cause. Tout juste peut-il faire état de quelques impressions.
L'IMPRÉVU MAJUSCULE
" Il ne semble pas y avoir eu de dysfonctionnement opérationnel. Pendant un laps de temps, la centrale a fonctionné sans certains éléments de sécurité. Et il s'en est fallu de peu que d'autres protections soient mises à leur tour hors course ", constate l'universitaire. Le film des événements peut être interprété de manières diamétralement opposées.
Soit on s'inquiète en constatant qu'on a frôlé le pire. Soit on se félicite de l'efficacité des procédés de sauvegarde mis en oeuvre. " On ne peut pas se cacher derrière des slogans du style "on a le nucléaire le plus sûr du monde" ", poursuit Jean-Pierre Dufour. " Le discours d'EDF en matière de fiabilité repose sur des calculs de probabilité.
On sait qu'une pompe peut tomber en panne, qu'un manomètre peut lâcher. A partir de là, on cherche à maîtriser la complexité d'un système et des séquences qui peuvent l'interrompre. Mais ce qui s'est passé à Braud ne relève pas d'une défaillance dite normale. "
LA FORCE DE LA RÉALITE
Par définition, un calcul de probabilité prend en compte ce qui est connu à un moment donné. Les accidents font partie de l'expérience. Mais ils ne peuvent être intégrés qu'a posteriori.
Qu'une marée dans un estuaire ayant la configuration d'un entonnoir se traduise par une onde ne surprend pas. Mais qu'un vent violent soufflant à des vitesses inhabituelles l'amplifie et c'est l'imprévu majuscule. " Quand les événements ne se sont pas produits, personne n'y pense. Une fois qu'ils ont eu lieu, on s'aperçoit que c'est rationnel ", poursuit Jean-Pierre Dufour.
La centrale de Braud était protégée par des mesures de sécurité déduites d'une modélisation reposant sur un système d'hypothèses. La réalité a souligné la faiblesse de cette construction intellectuelle. " On ne sait pas paramétrer l'incendie, l'inondation ou le tremblement de terre ", assure Jean- Pierre Dufour. L'enseignant ne se sent pas pour autant le droit de taper sur le dos des ingénieurs ou des techniciens d'EDF. D'autant que certains d'entre eux ont très certainement eu des réflexes décisifs dans la nuit du 27 au 28 décembre.
" C'est une façon de penser qu'il faut combattre, insiste l'universitaire. Je n'accepte pas ce discours qui se polarise sur la minimisation du risque. Un citoyen ne peut pas accepter que l'on discute de probabilité quand les conséquences d'un sinistre sont à ce point irréversibles. Je ne veux pas faire de catastrophisme. Mais un jour ou l'autre, il y aura une fusion d'un coeur de centrale en France. Et ce sera autre chose à gérer que la forêt sinistrée. Les arbres, cela repousse. "
Dominique Richard
L'EVALUATION DES RISQUES
Spécialiste des risques techno-scientifiques à l'université de Bordeaux, Simon Charbonneau invite les technitiens d'EDF "à la modestie" après les incidents de la centrale nucléaire de Blaye.
Enseignant à Bordeaux 1, Simon Charbonneau, spécialiste de droit de l'environnement et des risques techno-scientifiques, ne mâche pas ses mots, suite à la révélation des incidents de la centrale du Blayais.
"SUD-OUEST". - Quel a été votre premier sentiment en apprenant les incidents de la centrale nucléaire du Blayais ?
SIMON CHARBONNEAU. - L'article 21 de la loi sur les risques majeurs prévoit une information en temps réel. Il n'a pas été respecté. Ce qui s'est passé est énorme. On implante une centrale en zone inondable, mais on ne prévoit pas que les digues la protégeant puissent être submergées. On mesure toute l'absurdité de cette hypothèse du risque zéro développée dans les années 70 par ces ingénieurs d'EDF plein de morgue qui sortaient de Polytechnique. Certes, ils en ont rabattu depuis. Mais l'affaire du Blayais, s'il en était besoin, ne peut que les inciter à la modestie.
" S.-O.". - Pourquoi avoir implanté une centrale à cet endroit ?
S.C. - Cela présentait un certain nombre d'avantages. La région n'était pas très peuplée, le rivage peu valorisé. Et puis c'était une question de coût. La proximité de l'estuaire permettait de choisir un circuit ouvert, c'est-à-dire de puiser l'eau dans le fleuve pour faire tourner les turbines et de la rejeter dans le milieu suffisamment vaste pour l'absorber. On faisait ainsi l'économie de la construction de tours de réfrigération qui refroidissent sur d'autres sites l'eau avant son rejet. "
"S.-O.". - Quels enseignements tirez-vous de ces incidents ?
S.C. - Imaginons la conjonction d'un fort coefficient de marée, d'une crue importante et d'un grand coup de vent ! C'est la totale ! Le coeur fond, la centrale s'emballe. Qu'est-ce qui peut se passer ? L'enceinte de confinement peut-elle résister et éviter la libération du combustible dans l'atmosphère. On n'en sait strictement rien ! La technologie ne nous protège pas de la nature. Nous sommes toujours dépendants de cette dernière. A Braud-Saint-Louis, le risque technologique a interféré avec le risque naturel. C'est gravissime. Le nucléaire reste toujours dangereux. C'est peu de le dire dans le pays le plus nucléarisé du monde, où il existe un réacteur par million d'habitants.
Recuelli par
Dominique Richard
POPULATIONS
"Je sais bien qu'il y a eu des inondations, mais je ne suis quand même pas particulièrement inquiet ", déclare Michel Ninaud, maire de Braud-et-Saint-Louis, commune où est située la centrale nucléaire du Blayais. Et d'ajouter : " Hier encore, nous avons eu une réunion avec les responsables de la préfecture. On se voit tous les jours, et je suis en contact permanent, par fax, par téléphone. " Si un accident majeur devait se produire à la centrale, Michel Ninaud affirme qu'il serait en mesure de mettre en place le plan particulier d'intervention. " En tant que maire, je suis responsable, mais mon rôle serait d'exécuter les ordres de la préfecture, c'est tout. On a déjà fait des exercices avec les populations. On a évacué des personnes, des écoles, etc., sur un périmètre de 5 kilomètres autour de la centrale. Ces exercices sont d'ailleurs périodiques. " En outre, insiste le maire : " Si un grave pépin se produisait, nous aurions le temps de nous organiser, car on dispose d'un délai pour évacuer, de 8 heures à 24 heures. Les points stratégiques où l'on peut conduire les habitants sont déjà identifiés. Quant aux moyens de locomotion, tout est prévu : on réquisitionnerait des ambulances de Bordeaux, de Blaye. Et la commune dispose d'une douzaine de bus qui pourraient également être tout de suite réquisitionnés. "
PASTILLES D'IODE
De l'avis de Michel Ninaud, les habitants sont très bien informés du comportement à adopter en cas de catastrophe. Des brochures sont toujours disponibles à la mairie, et des quantités de ces documents ont plusieurs fois été distribuées. " Ces brochures récapitulent toutes les informations liées aux mesures à prendre pour les humains et ensuite pour les bêtes. Les gens ont des consignes. Ils savent très bien qu'ils devraient se confiner chez eux et attendre les directives. Des messages seraient diffusés par radio et par haut-parleur. Tous disposent également chez eux de pastilles d'iode. "
Raz-de-marée médiatique Le téléphone a commencé à sonner dès 6 heures, hier, à la centrale nucléaire de Braud-et-Saint-Louis, suite à la publication dans nos colonnes de l'article intitulé " Très près de l'accident majeur ". A 14 heures, des équipes de télévision étaient encore en train de tourner dans la partie nucléaire de l'installation. A la direction du site, on a passé son temps à répondre aux questions de tous les journalistes de la presse audiovisuelle dépêchés sur les lieux, Wit FM, Sud Radio, Radio France Bordeaux-Gironde, RTL, Europe 1, BFM, LCI, TF 1, M 6, France 2, France 3, France Info national, ITV, Canal +, Reuters... Parmi les questions récurrentes : " Est-ce vrai que l'on a frôlé la catastrophe ? ", " Est-ce que vraiment vous avez caché des choses ? ", " Où en est l'état des différentes unités de production ? ", ou encore " Que comptez-vous faire pour éviter qu'une telle situation se reproduise ? " |
DRIRE
En cas d'accident, il reste onze heures pour prendre les décisions relatives à la sécurité de la population. Les autorités affirme qu'on était encore loin de ce cas de figure
" On s'interdit de communiquer sur des scénarios. Nous devons rester factuels. " François Goulet, directeur régional de la DRIRE (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement), répondait en ces termes, hier, aux questions sur les incidents de fonctionnement à la centrale nucléaire du Blayais dans la nuit du 27 au 28 décembre. " La DRIRE est l'autorité de sûreté, l'EDF est exploitant : je n'ai pas à apprécier sa communication. "
" Il est sûr que si l'on avait été près d'une catastrophe, nous aurions évacué la population ", ajoute François Goulet. " Nous avons onze heures de délai quand tous les systèmes de refroidissement sont en panne.
Il existe quatre ou cinq incidents de type 2 chaque année en France. Au niveau 3, on commence à prendre en compte les rejets externes de la centrale, ce qui nous oblige à prendre en compte la population avec des mesures de confinement. "
TOUT " RETESTER "
Cela aurait été le
cas si les deux dernières pompes de secours avaient cessé
de fonctionner cette nuit-là au CNPE (Centre nucléaire
de production d'électricité). " Nous étions
dans une configuration où une voie de refroidissement se
trouvait noyée, l'autre non. Il est vrai que certaines
barrières ont été défaillantes. Mais
les plans d'urgence ont évité la panique et permis
une gestion de la crise. Ce fut un incident. "
Le directeur régional de la DRIRE poursuit : " Aujourd'hui, il faut que tout soit revu; tout "retester", et vérifier la galerie technique. Ce problème de l'eau peut se poser pour toutes les centrales en bord de mer, même si celle de Blaye est la seule en estuaire. Des expertises sont en cours avec les autorités de sûreté. Les vérifications vont aussi être faites, afin de vérifier si les données d'exploitation étaient bonnes. "
Quant à savoir combien de centimètres d'eau en plus auraient noyé les deux dernières pompes de secours, affirme François Goulet : " Je n'ai pas l'information. " Car même si dans la graduation du risque existent sept niveaux, c'est bien à partir du troisième que des rejets gazeux sont effectués hors de la centrale par les clapets de sécurité.
Hier, on ne parlait que de confinement des populations, mais pas d'évacuation. Cela étant, lors de la dernière simulation d'accident nucléaire effectuée le 5 novembre 1998 sur les communes de Braud- et-Saint-Louis et Reignac, celle-ci était liée à une alerte de niveau 3. Et le scénario avait prévu des cars de l'armée de terre venus récupérer les enfants pour les éloigner de la zone.
La route leur était ouverte par les motards de la gendarmerie. Avec, dans un périmètre de 5 kilomètres autour de la centrale (le premier périmètre de sécurité), des gendarmes partout.
Patrick Faure
" On ne peut pas accepter l'opacité comme règle et l'impunité comme sanction ", affirme Noël Mamère, le député Vert de la Gironde. " Cette catastrophe évitée de justesse rend plus urgent que jamais le vote d'une loi sur la transparence dans le domaine du nucléaire. Elle avait été promise par le gouvernement. Il faut en finir avec cette logique cynique et dangereuse du contrôleur contrôlé et créer une autorité indépendante et fiable. Il n'existe pas d'insécurité zéro contrairement à ce qu'a voulu nous faire croire le lobby du nucléaire. "
Centrale nucléaire du Blayais : La lettre qui accuse
Le mardi 28 décembre 1999, le Plan
d'Urgence Interne (PUI) de la centrale du Blayais a été
déclenché vers 9 h du matin,
compte tenu des difficultés rencontrées sur cette
centrale, essentiellement la tranche 1.
A ce moment-là :
- Le réacteur est arrêté, mais il reste nécessaire
d'évacuer la puissance résiduelle du coeur du réacteur
due aux désintégrations radioactives. La puissance
à évacuer est de l'ordre de 25 MW et le refroidissement
est assuré par les générateurs de vapeur!
(GV), alimentés en eau par le circuit d'alimentation de
secours des GV (ASG) comme il est normal quand un réacteur
est arrêté; le circuit ASG comporte une réserve
d'eau de 625 m3, deux motopompes et une turbopompe (une seule
pompe suffit pour assurer le débit de refroidissement nécessaire).
- L'alimentation électrique nécessaire au fonctionnement
des matériels de la centrale est assurée par le
réseau 400 kV, le réseau auxiliaire 225 kV n'est
pas disponible.
- La voie A du circuit d'eau brute secouru (SEC) est indisponible,
les moteurs des 2 pompes de cette voie étant noyés;
les 2 pompes de la voie B sont disponibles (1 pompe suffit pour
assurer les fonctions de ce circuit qui permet en particulier
de refroidir les joints des pompes primaires mais aussi le circuit
de refroidissement à l'arrêt (RRA) quand celui-ci
est utilisé;
- Les pompes du circuit d'injection de sécurité
à basse pression (RIS) et les pompes du circuit d'aspersion
de l'enceinte (EAS), utilisés en particulier en cas de
brèche du circuit primaire pour refroidir le coeur du réacteur
et évacuer la puissance dégagée dans l'enceinte
de confinement, sont noyées et donc indisponibles, le fond
du bâtiment du combustible où se trouvent ces pompes
étant noyés sous 1,5 mètres d'eau; La conduite
du réacteur consiste alors à dépressuriser
et à refroidir le circuit primaire pour le mettre dans
des conditions permettant, le cas échéant, la connexion
au RRA, soit une température inférieure à
177°C et une pression inférieur à 32 bars. Ces
conditions seront atteintes aux environs de 11h, alors que la
puissance résiduelle est encore de l'ordre de 20 MW. La
période la plus critique de l'incident a donc duré
plusieurs heures. Pendant cette période on pouvait envisager
2 voies d'aggravation importante de la situation :
1) La défaillance de la voie B du circuit SEC. Une telle
défaillance aurait diminué les moyens de refroidissement
des joints des pompes primaires mais l'injection aux joints de
ces pompes par le circuit de contrôle volumétrique
et chimique (RCV) restait suffisante pour assurer le refroidissement.
Il faut imaginer une défaillance supplémentaire
du réseau 400 kV, pour obtenir une situation conduisant
rapidement à la dégradation du coeur du réacteur
(la défaillance du 400 kV entraînerait la perte de
la ventilation des pompes du circuit RCV et leur mise hors d'usage;
il en résulterait un risque d'apparition d'une brèche
du circuit primaire au niveau des joints des pompes primaires.)
2) La défaillance complète du refroidissement par
le circuit ASG; dans ce cas, un refroidissement correct du coeur
aurait pu être assuré pendant au moins une dizaine
d'heures par l'ouverture des soupapes de sécurité
du circuit primaire et l'introduction d'eau dans ce circuit par
le circuit d'injection de sécurité haute pression
(pompes RCV) (le délai de 10h résulte de la capacité
de la bâche alimentant le circuit). Au 5 janvier 2000, la
tranche est toujours refroidie par les GV alimentés par
le circuit ASG. En cas de défaillance de ce circuit, la
connexion au circuit RRA est possible et le circuit SEC a 2 voies
disponibles, même si une seule pompe est disponible sur
la voie A. Un programme de requalification des fonction du circuit
RIS et de l'EAS est en cours mais ceci nécessitera plusieurs
semaines.
A paraître dans la prochaine
Gazette Nucléaire,
179/180, janvier 2000.
GSIEN
2, rue Francois Villon
91400 ORSAY
tel 33 (0)1 60 10 03 49
fax 33 (0)1 60 14 34 96
Commentaire Gazette:
BON, EN CLAIR ON A EU CHAUD...
Dans la prochaine gazette
je ferai une analyse plus complète de cet accident, soldé
par... beaucoup de chance ainsi que sur les problèmes de
Civaux. Il y a maintenant la future grande marée qui risque
de prolonger l'arrêt. D'où les crues millénaires,
ça existe et les tempêtes aussi...
[Monique Sené]