Pourquoi parler de l'effet des faibles doses de rayonnement ? Il serait plus judicieux de se demander pourquoi on en a si peu parlé jusqu'à présent et pourquoi les promoteurs de l'industrie nucléaire sont si farouchement hostiles à évoquer les problèmes que pose l'évaluation des risques liés aux faibles doses. Quels sont les domaines concernés ?
1. Le domaine des faibles doses est celui des doses reçues par les travailleurs de l'industrie nucléaire (en dehors des accidents graves). Toute modification de la relation effet/dose devrait se répercuter sur les doses maximales admissibles des normes de radioprotection avec les conséquences que l'on peut prévoir sur les coûts d'exploitation et de construction des installations nucléaires.
2. C'est aussi le domaine des doses reçues par les populations vivant au voisinage des installations nucléaires, par suite des rejets contrôlés ou accidentels. La relation effet/dose devrait réagir sur les autorisations des rejets contrôlés. Une modification en baisse de ces autorisations compliquerait l'exploitation des installations et augmenterait les coûts de production.
3. C'est la relation effet/dose qui devrait être à la base de la stratégie à suivre en cas d'accident grave : évacuation ou non de populations importantes ou d'une fraction de la population (femmes enceintes par exemple). Ceci impliquerait la préparation de ces populations aux évacuations éventuelles.
4. Cette relation devrait être prise en compte dans les stratégies post-accidentelles en ce qui concerne par exemple les rejets volontaires d'effluents à des niveaux bien plus élevés que ceux autorisés habituellement. Le cas s'est présenté à Three Mile Island, le rejet rapide des gaz radioactifs accumulés dans le bâtiment du réacteur facilitait énormément la décontamination (donc réduisait les coûts).
5. La superficie que l'on devrait considérer comme inhabitable (et pendant combien de temps ?) à la suite d'accidents graves dépend de l'importance des effets biologiques des doses dites faibles. C'est un point important à prendre en compte pour la discussion de l'acceptabilité du risque nucléaire.
6. Les critères d'acceptabilité pour le stockage des déchets nucléaires dépendent (ou plutôt devraient dépendre) de l'importance des effets biologiques du rayonnement. C'est toute la gestion des déchets (y compris sa faisabilité) qui est concernée.
Enfin, signalons qu'un bilan de l'industrie
nucléaire n'est crédible que s'il tient compte de
la relation effet/dose et des problèmes qui se posent pour
l'établir.
Ces quelques points montrent que le problème des faibles
doses est essentiel pour le dossier nucléaire tant par
ses implications économiques que par ses conséquences
sur les critères d'acceptabilité.
Les propriétés fondamentales des effets des faibles
doses compliquent considérablement leur étude. Les
faibles doses de rayonnement peuvent induire des cancers chez
les irradiés et des malformations congénitables
chez leurs descendants. Dans les deux cas, les effets prennent
la même forme que les cancers et malformations que l'on
peut observer naturellement. Il est donc impossible d'identifier
individuellement ces effets. La seconde caractéristique
est le temps de latence très long pour que ces effets soient
cliniquement observables, plus de 20 ans pour les cancers, une
à plusieurs générations pour les malformations
congénitales. Seule, dans ces conditions, une étude
statistique de données collectées sur un temps très
long peut donner des résultats. Il n'est pas suffisant
que les données ne soient pas biaisées, il faut
encore être sûr de la représentativité
(de la normalité) de l'échantillon de population
étudiée, si l'on veut utiliser les résultats
obtenus pour fonder les normes de la radioprotection.
Les responsables de la santé publique et ceux de la sûreté
nucléaire ont bien intégré (consciemment
ou non) ces caractéristiques des faibles doses dans leurs
concepts. En cas d'accidents dans une installation nucléaire,
les rejets radioactifs peuvent être importants. Leurs effets
seront très différés. Comment reconnaître
facilement les victimes 20 ou 30 ans plus tard ? Même s'il
y en a beaucoup, elles seront mélangées à
une population nombreuse. Seule une étude statistique pourra
faire le dénombrement. Les victimes non individuellement
identifiables ne pourront pas se plaindre. Dans ces conditions
on conçoit qu'il soit très tentant de maîtriser
l'information statistique (voir le décret du 23 février
1983 sur les documents administratifs non communicables au public)
plutôt que de vouloir à tout prix maîtriser
l'évolution de l'accident. L'évacuation des populations
ne devient pas essentielle, surtout si le contrôle de l'information
est fait correctement (cela devient un acte légal, voir
le décret cité plus haut) et que toute panique est
évitée. Avec ces perspectives, les plans ORSEC-Rad
n'ont guère d'importance car ils ne sont pas destinés
à servir et il est logique qu'ils aient été
très négligés. Les institutions très
centralisées que nous avons en France sont une condition
très favorable à cette situation.
Les normes officielles de radioprotection sont fondées
essentiellement sur une étude épidémiologique
faite depuis 1950 sur les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki.
Pour trouver la relation effet/dose, il est nécessaire
de connaître, pour une population suffisamment nombreuse,
les doses reçues d'une part et les causes de mort d'autre
part. Pour cette étude, les doses reçues par les
individus ont été évaluées à
partir de la connaissance du lieu de leur présence au moment
des explosions et des calculs de simulation des bombes. Depuis
deux ans on sait que ces calculs reposent sur des hypothèses
fausses et qu'ils doivent être refaits. Actuellement la
situation est des plus confuses.
La connaissance des causes de mort sous-entend une comparaison
avec la mortalité pour une population standard. Le problème
soulevé par l'étude des survivants japonais et qu'on
aurait dû poser initialement, est: cette population qui
a survécu à une situation catastrophique, conséquence
des bombardements, est-elle une population « normale »
? A-t-on le droit de transposer les résultats issus de
cette population à des gens normaux qui n'ont pas survécu
à un très fort taux de mortalité ? Cette
population de survivants a-t-elle une cohérence suffisante
pour qu'on puisse faire des comparaisons internes entre les individus
ayant reçu des doses faibles et ceux qui ont reçu
de fortes doses ? S'il y a eu, suite aux bombardements, des effets
parasites (par rapport à ceux que l'on désire étudier,
c'est-à-dire les cancers et les malformations congénitales)
dépendant des doses, alors il n'y a plus aucune justification
pour la comparaison des divers groupes de survivants.
On s'aperçoit que les deux termes de la relation effet/dose
dans l'étude des survivants posent des problèmes
extrêmement difficiles à résoudre.
L'étude des travailleurs de l'usine nucléaire de
Hanford, effectuée par Mancuso, Stewart, Kneale*, présente
beaucoup moins de difficultés : les doses individuelles
ont été effectivement mesurées (et non pas
calculées), les travailleurs constituent une population
beaucoup plus « normale » que celle des survivants,
même s'il faut tenir compte du fait qu'ils ont été
embauchés après vérification de leur bonne
santé. Pourquoi, dans ces conditions, les officiels s'acharnent-ils
à ne tenir compte que de l'étude la plus difficile,
la moins précise ? La réponse est assez simple :
l'étude la plus facile, la plus précise, remet en
cause les évaluations officielles du risque d'un facteur
10.
Hanford
(Etat de Washington) l'unité ci-contre fonctionnera à
plein rendement à partir de décembre 1944, c'est
ici que fut fabriqué le plutonium utilisé dans l'essai
d'Alamogordo et dans la bombe de Nagasaki. Le site couvre 1450
km2. Voir la
vidéo (Youtube, basse définition).
Nous présentons ici la traduction
d'un rapport que le Dr Alice Stewart, de l'Université de
Birmingham (Department of Social Medicine, Cancer Epidemiology
Research Unit), a écrit à la demande des avocats
d'un groupe de citoyens américains en procès à
la suite de l'accident de Three Mile Island. Dans ce rapport,
elle fait l'analyse critique des principales études effectuées
sur l'effet cancérigène du rayonnement. Son analyse
des résultats obtenus sur les survivants japonais permet
de comprendre la nature de l'anomalie dont il faut tenir compte
pour les survivants. En particulier elle montre comment des effets
non cancérigènes du rayonnement peuvent fortement
influencer la mortalité par cancer et biaiser les résultats.
Ces effets non cancérigènes apparaissent à
des doses plus fortes que celles reçues généralement
par les travailleurs. La conséquence qui en découle
directement est qu'il n'est pas possible, sans prendre de grandes
précautions (qui n'ont pas été prises), d'extrapoler
les risques cancérigènes évalués aux
doses fortes vers les doses faibles. C'est toute la radioprotection
actuelle qui est mise en cause. Non seulement les facteurs de
risque considérés par les normes seraient assez
fortement sous-estimés, mais certains concepts à
la base de ces normes n'auraient pas de sens.
Il s'agit là de questions concernant la santé publique
et nous ne pouvons pas accepter qu'elles soient rejetées
a priori, sans justification précise alors qu'en ce moment
s'élabore dans le silence le plus total la nouvelle législation
française sur la radioprotection, à la suite des
recommandations faites par les experts des comités européens
qui eux aussi ont travaillé dans le silence général.
*Se reporter à la fiche technique du GSIEN n° 34.
EFFETS BIOLOGIQUES DES RAYONNEMENTS IONISANTS
Chaque fois qu'une cellule vivante
se divise, le noyau se déploie pour former une série
de fuseaux ou chromosomes dont chacun contient des double-ensembles
de gènes suivant des séquences particulières
qu'il est important de ne pas altérer. Au moment de la
division cellulaire, il y a une séparation longitudinale
des gènes appariés pour assurer l'identité
des deux cellules filles dont le sort ultérieur dépendra
des hormones et autres mécanismes biologiques dont le but
est d'obtenir un contrôle central total de tous les tissus
et cellules du corps. Par conséquent, le risque de dommage
génétique causé par le rayonnement est probablement,
mais ce n'est pas certain, accru pendant la division cellulaire.
L'incertitude est identique lorsqu'il s'agit d'une division cellulaire
rapide (par exemple lors de la croissance et de la réparation
des tissus). Mais il semble qu'il n'y ait aucun doute quant à
l'exceptionnelle sensibilité au rayonnement de la moelle
osseuse (par destruction de cellules et dommages génétiques),
tissu qui est la source aussi bien de cellules de la circulation
sanguine que des cellules à courte vie.
Si le dommage dû au rayonnement est limité à
un membre de chaque paire de gènes, l'activité de
duplication des gènes restants assurera une réparation
entière. S'il y a destruction des deux membres de la paire,
il y aura encore réparation chromosomique, mais probablement
au coût d'un dommage génétique permanent.
Par conséquent, les effets possibles du rayonnement sur
la santé exigent la prise en considération de nombreux
facteurs autres que les niveaux de dose[1].
Par exemple, l'irradiation à de faibles niveaux de rayonnement
peut être suivie par :
1) la mort ou la malformation d'un embryon ou d'un foetus[2] (effets sur les femmes enceintes),
2) la formation d'une petite colonie ou « clône »,
de cellules à gènes endommagés, rendant impossible
le contrôle central total sur le tissu et par voie de conséquence
produisant des changements qui peuvent permettre au clône
anormal soit de disparaître soit de se développer
ultérieurement en cancer (mutations somatiques ou germes
de cancers),
3) l'insertion de gènes anormaux dans un zygote nouvellement
formé ou embryon dont l'état défectueux peut
ne pas être évident (dommage d'un gène récessif),
mais qui restera comme une source potentielle de dommages pour
les générations futures (fardeau génétique).
EFFETS DES IRRADIATIONS SUR LA SANTÉ
Bien que l'exposition à la radioactivité soit une
condition de la vie sur cette planète, tout ce qui est
connu sur le rayonnement a été appris depuis moins
de 90 ans. Les rayons X et les isotopes radioactifs (le radium
par exemple) ont eu des applications immédiates en médecine
et dans l'industrie, ce qui amena le développement rapide
de deux nouveaux domaines de recherche : la physique nucléaire
et la radiobiologie. Les physiciens se familiarisèrent
vite avec le processus de désintégration radioactive
et inventèrent de nombreuses façons de bombarder
les molécules par le rayonnement. Les biologistes découvrirent
rapidement que les rayonnements étaient de puissants carcinogènes
et qu'ils avaient des effets mutagènes directement proportionnels
à la dose. Cependant, la prise de conscience des problèmes
de santé, tels qu'ils se posent actuellement à nous,
ne se fit pas avant la fin de la seconde guerre mondiale.
Les premières personnes qui expérimentèrent
ces effets sur la santé, manifestement différents
de tous les effets du rayonnement cosmique, furent les physiciens
pionniers, qui avaient tout naturellement, mais d'une façon
erronée, assimilé les conséquences nocives
et les sensations douloureuses. Ils s'équipèrent
de protections insuffisantes même contre les fortes doses
et le résultat fut qu'ils présentèrent rapidement
des signes d'une destruction lente mais irréversible de
la peau, des tissus mous et des os des doigts et des mains. Ils
souffraient également d'effets moins évidents de
dommages de la moelle osseuse, tels qu'une perte d'hémoglobine
résistant à toute forme de traitement (anémie
aplasique[3]) et d'un état
du sang qui fut, à cette époque, classé comme
une maladie générale, mais qui est maintenant reconnu
comme une forme de cancer (leucémie[3]).
Ceci fut, en gros, la situation jusqu'aux bombardements d'Hiroshima
et de Nagasaki qui fournirent aux médecins leurs premières
observations sur l'effondrement aigu de la moelle osseuse[4] et aux épidémiologistes
l'opportunité des premières études sur les
effets retardés des rayonnements ionisants.
LES PREMIÈRES CRAINTES
L'inquiétude à propos
des effets à long terme des rayonnements artificiels s'exprima
pour la première fois au cours des années 50 à
la suite de la découverte que le taux de mortalité
par leucémie augmentait à la fois dans le pays qui
avait le plus souffert des découvertes des physiciens nucléaires
(Japon) et dans le pays qui en avait le plus bénéficié
(les États-Unis). Au Japon, les principales victimes étaient
les survivants des bombes A. En Amérique, les personnes
impliquées avaient été exposées pour
des raisons médicales à des rayons X ou à
d'autres sources de rayonnement artificiel, en toute ignorance
des dangers. Ainsi, la période qui suivit la fin de la
guerre vit le départ de plusieurs projets de recherche
orientés sur la leucémie.
Les sujets de recherche prenaient essentiellement la forme d'expériences
effectuées sur des animaux. En pratique, ceci exige des
doses relativement élevées. Pour obtenir ainsi des
estimations des effets des faibles doses, il est nécessaire
d'extrapoler les résultats obtenus à partir des
observations faites aux fortes doses. Ces recherches comportaient
aussi une enquête sur les malades à qui on avait
administré de fortes doses de rayons X (dans des conditions
strictement contrôlées) pour les soulager de douleurs
et rompre les adhérences causées par une infirmité
non maligne de la colonne vertébrale connue sous le nom
de spondylarthrite ankylosante. Les premières observations
reliant ces traitements radiologiques à la leucémie
furent faites en Hollande, mais ce fut une étude beaucoup
plus vaste et plus systématique, en GrandeBretagne, sur
les malades du Service National de Santé, qui établit
une relation de cause à effet entre l'irradiation et deux
maladies, la leucémie myéloïde et l'anémie
aplasique, qui survenaient aussi avec des fréquences anormales
parmi les survivants des bombes A. Ni les malades, ni les survivants
n'avaient de signes évidents de dommage de la moelle osseuse
et il y a une forme de leucémie qui est virtuellement impossible
à distinguer d'une anémie aplasique. Ainsi, aucune
objection ne fut soulevée quand les résultats des
deux enquêtes furent interprétés comme étant
la preuve que les dommages génétiques[5] causés par irradiation (même
à très petites doses) ont comme effet le plus précoce
et le plus caractéristique, le développement de
leucémies myéloïdes. De nombreuses années
se sont écoulées depuis cette époque où
l'on espérait que cette forme de leucémie serait
le seul effet retardé à long terme du rayonnement
des bombes A. Mais c'est encore actuellement le point de vue officiel
qu'il n'y a pas eu d'effets hormis les cancers et que moins de
1 % des morts parmi les survivants des bombes A, depuis octobre
1950, furent radioinduites (voir l'étude de mortalité
dans le rapport n° 8 qui fut publié en 1977). Dans
ce rapport, il n'est pas fait mention des personnes qui furent
exposées in utero, mais pour 1 292 personnes de
cette catégorie, il y a un rapport antérieur qui
affirme « qu'il n'y a pas eu d'excès significatif
de mortalité par leucémie ou autres cancers ».
ÉPIDÉMIOLOGIE
L'épidémiologie est une science
d'observation qui tire son nom de l'impact le plus évident
des maladies sur les populations, les épidémies.
Bien que cette science ne nécessite pas une expérimentation
compliquée, c'est un domaine relativement nouveau parce
que les effets de groupe d'une maladie sont difficiles à
reconnaître sans avoir recours aux statistiques officielles
de mortalité. Aussi, les praticiens de cette discipline
sont peu nombreux, surtout parce que la détection de causes
ou d'effets à ce niveau exige des occasions favorables
autant que des compétences spéciales. Par exemple,
il n'est pas suffisant pour les chercheurs d'avoir en tête
des objectifs particuliers et de savoir comment faire le meilleur
usage des statistiques nationales. Ils doivent aussi organiser
la collecte systématique de données d'origines diverses
sur de longues durées. Quand les données sont rassemblées,
ils doivent être capables de distinguer entre des résultats
fortuits et des associations causales réelles, même
lorsque les morts provoquées par des facteurs extérieurs
prennent exactement la même forme que les morts par causes
naturelles[6] (voir le suivi
des survivants des bombes A).
L'impulsion initiale d'une enquête épidémiologique
est souvent donnée par la découverte d'une anomalie.
Après avoir classé les morts en sous-groupes suivant
le sexe, la date de la mort et l'âge afin de comparer les
taux de mortalité avec ceux des statistiques nationales
(analyse par les taux de mortalité normalisés, «
standardised mortality ratio » ou en abrégé
analyse SMR), on constate qu'il existe un groupe de personnes
ayant un excès d'une ou plusieurs causes de mort. Suivant
ce qui est déjà connu, l'enquête découvrira
comment le sort de certaines personnes étudiées
(les « cas ») se compare au sort de personnes similaires
adéquatement choisies comme références (ou
« contrôles »). Elle pourra aussi prendre comme
« cas » et « références »
des personnes concernées ou non par la maladie causant
l'excès de mortalité. Si le choix se fait suivant
l'exposition à un danger connu ou suspecté (le rayonnement
par exemple), les données les plus importantes qu'il faudra
collecter seront les dates et les causes de mort. Si le choix
se fait suivant une maladie ou un groupe de maladies (les cancers
par exemple), les données les plus importantes seront les
dates et les doses d'exposition au danger suspecté. Les
deux approches exigent une évaluation non « biaisée
»[7] (non faussée)
des « cas » et des « références
». La première enquête qui s'intéresse
aux effets d'un danger (doses de rayonnement mesurées)
exigera la collecte des données médicales pendant
un temps long après l'exposition au danger. La seconde
approche, qui recherche la cause d'une anomalie de mortalité
observée ou suspectée, nécessite que les
archives concernant le danger (les doses) aient été
préservées. Les deux approches demandent évidemment
des évaluations non biaisées[8].
LES RECOMMANDATIONS DE LA CIPR[9]
La décision d'ajouter l'énergie nucléaire
aux sources traditionnelles (le charbon, le gaz, le pétrole)
fut prise il y a plusieurs années. Divers gouvernements
furent encouragés à prendre cette décision
par le fait que la Commission Internationale de Protection Radiologique
(CIPR) était arrivée à la conclusion que,
même s'il n'existait pas de dose de rayonnement totalement
sans danger, les effets sur la santé seraient négligeables
pourvu qu'on respectât d'une façon stricte les niveaux
maximum de dose admissible pour les travailleurs et les populations.
La Commission recommande actuellement que là où
le port d'un film dosimètre individuel de contrôle
est pratiquement impossible, les doses de rayonnement doivent
être maintenues inférieures à 0,5 rem par
an (recommandations pour la santé publique) et que là
où le contrôle est possible (travailleurs sous rayonnement),
les individus ne doivent pas recevoir plus de 5 rem par an ou
plus de 3 rem sur une période de 13 semaines. En relation
avec le rayonnement interne, la Commission a fait diverses recommandations
pour les concentrations de substances radioactives dans le sol
et l'eau, pour le contrôle des contaminations internes par
ces substances dans certaines professions et les charges corporelles
maximum admissibles.
Implicitement, dans toutes les recommandations de la CIPR, il
y a l'hypothèse qu'une irradiation faible mais répétée
(irradiation à faible débit de dose) est nécessairement
moins dangereuse qu'une irradiation rapide pour une même
dose finale de rayonnement. Aux fortes doses ceci est indubitablement
vrai. A ces niveaux d'irradiation, ce qui importe, ce sont les
effets de destruction étendue des tissus, et une réparation
même partielle des organes endommagés est meilleure
qu'une absence totale de réparation. De là découle
l'extrême importance d'observer directement les effets
des faibles doses sur des populations qui n'ont pas subi d'autres
contraintes (en particulier des contraintes dont les conséquences
dépendent des doses reçues comme dans le cas d'une
explosion nucléaire), et de tirer le maximum de renseignements
des rares opportunités d'études rencontrées,
comme celles fournies par l'utilisation des examens radiologiques obstétricaux de routine
et par le fait que tous les travailleurs sous rayonnements sont
enregistrés et portent des films dosimètres mesurant
les doses reçues de rayonnement externe.
IRRADIATION DES FOETUS ET CANCERS DES ENFANTS
L'enquête la plus connue de ce type est celle qui fut
ouverte en 1955 en Angleterre, à Oxford, pour découvrir
pourquoi l'augmentation de la leucémie après la
guerre avait un effet aussi disproportionné sur les enfants
de 3 ans au point qu'il y avait un pic détectable de mortalité
par leucémie dans les statistiques nationales pour les
enfants de 3 ans. Comme première approche de ce problème,
il fut décidé d'inclure toutes les formes de cancers
chez les enfants dans des séries de comparaisons entre
« cas » et « références »,
et d'admettre comme principales sources d'information les mères
des « cas » (c'est-à-dire des enfants morts
récemment) et les mères des « références
» (c'est-à-dire des enfants vivants, individuellement
appariés pour le sexe, la date de naissance et la région,
avec les enfants des « cas »). L'identification des
certificats de décès des « cas » (c'est-à-dire
de tous les cancers en Angleterre, fatals avant l'âge de
10 ans pendant les trois dernières années), ne posait
aucun problème. Avec l'aide des autorités locales
du ministère de la Santé - qui fournirent les enquêteurs
et obtinrent les « références » adéquates
à partir des registres des naissances - il fut possible
de couvrir d'abord l'Angleterre et le Pays de Galles et plus tard
l'Écosse. Finalement, comme on s'attendait à ce
que ce pic précoce de mortalité par leucémie
fut le résultat de quelque influence prénatale,
les mères furent interrogées sur leurs examens radiologiques
pendant leur grossesse. On découvrit ainsi que les examens
qui avaient nécessité l'irradiation du corps entier
de l'enfant avant la naissance (examens radiologiques abdominaux)
furent rapportés deux fois plus souvent par les mères
des enfants morts que par les mères des enfants de référence.
Pour des raisons qui seront expliquées plus loin et qui
sont toutes liées à la difficulté de faire
admettre que les enquêtes épidémiologiques
ne sont pas nécessairement inférieures en qualité
aux expérimentations sur les animaux, cette étude
se poursuit encore et fonde maintenant ses résultats sur
des milliers de cas de cancers. De ces comparaisons entre les
cas (enfants morts par cancers) et les références
(enfants vivants), nous avons appris qu'une exposition unique
à une dose de rayonnement délivrée par un
radiodiagnostic, peut être suffisante pour causer un cancer,
si celui qui le reçoit est un foetus humain. Nous avons
appris que le risque est beaucoup plus grand pour des irradiations
faites juste après la conception (ce qui est rare) que
pour des irradiations juste avant la naissance (ce qui est plus
fréquent) et que l'effet du rayonnement est indépendant
des autres facteurs associés au cancer. L'effet trouvé
ne dépend absolument pas des raisons qui ont justifié
les radiographies pendant les grossesses.
Sur la base de ce qui fut trouvé pour 1 299 enfants qui
moururent de cancer dans les trois premières années
(1953-55), il fut estimé que « moins de 1 pour mille
des examens prénatals par rayons X effectués pendant
ces récentes années, avaient conduit à une
mort par une maladie maligne avant l'âge de 10 ans »
et comme la grande majorité des enfants n'est pas irradiée
in utero, moins de 7 % des cas de cancers furent radioinduits.
Ceci ne donne pas plus d'une mort par semaine en Angleterre. D'autre
part, les examens radiologiques pendant la grossesse affectaient
de la même façon les tumeurs solides et les leucémies,
alors que dans les statistiques nationales seule la leucémie
présentait un pic. De plus, l'effet des rayons X sur les
foetus se voyait aussi sur les enfants de 5 à 10 ans, alors
que le pic des leucémies se plaçait vers 3 ans.
Par conséquent, l'irradiation des foetus ne pouvait pas
être la cause du pic précoce de mortalité
par leucémie. En bref, la découverte d'une relation
causale entre l'exposition aux rayons X pendant la grossesse et
les cancers chez les enfants, ne fut qu'un accident et n'aurait
jamais été faite si le pic précoce de mortalité
par leucémie n'avait suggéré la possibilité
d'un lien entre des événements prénatals
et les cancers des enfants.
Il y eut de nombreuses tentatives pour discréditer l'enquête
sur la mortalité par cancers chez les enfants. Les critiques
les plus bruyants furent les radiobiologistes dont les expériences
étaient compatibles avec une absence de risque cancérigène
aux doses faibles (hypothèse du seuil[10]) et les obstétriciens qui insistaient
pour dire que le bénéfice des radiographies obstétricales
l'emportait de loin sur les risques qui pourraient en découler.
Ainsi l'enquête fut prolongée non seulement pour
s'assurer qu'aucune erreur n'avait été commise,
mais aussi pour tirer pleinement parti d'une situation créée
par l'utilisation des rayons X qui était supposée
ne pas se poursuivre (en fait elle se poursuivit). Le but fut
alors d'obtenir les données sur tous les enfants qui naquirent
entre 1953 et 1963 et qui vécurent plus de 15 ans ou moururent
d'une maladie maligne (ce qu'on appelle « l'approche par
la cohorte des naissances ») en vue d'éclairer le
problème nouveau posé par la découverte de
cas d'origine foetale.
En 1970, il y avait plus de 7 000 paires de cas/références
dont les naissances s'échelonnaient de 1943 à 1965.
On essaya d'obtenir une estimation de l'effet d'irradiation des
foetus sous la même forme que celle adoptée par le
comité BEIR[11]
pour les irradiations de populations plus âgées.
Selon notre estimation, « si un million d'enfants étaient
exposés juste avant la naissance à 1 rem de rayonnements
ionisants, il y aurait de 300 à 800 morts supplémentaires
avant l'âge de 10 ans dues à des cancers radioinduits
(estimation moyenne 572 morts avec une erreur standard de 133)
».
Plus de 10 ans après, cette estimation était confirmée
par une étude de la mortalité par cancers chez les
enfants au Japon en relation avec le rayonnement naturel. Mais
sur le coup on jugea que c'était une grossière surestimation
du risque véritable. Ce jugement provenait d'un article
sur « les cancers chez les enfants en relation avec l'exposition
prénatale au rayonnement des bombes atomiques »,
qui déclarait que « seule une révision énergique
de la valeur du coefficient linéaire (c'est-à-dire
les 572 morts par million de personne x rad) pourrait réconcilier
les résultats obtenus sur les survivants des bombes A avec
le modèle de l'enquête britannique ». Cet article
affirmait d'une façon plus précise : « Le
nombre observé de morts par cancers n'était seulement
qu'une fraction du nombre attendu d'après le modèle
de l'enquête britannique ».
Se basant sur ce résultat, la CIPR fut portée à
croire qu'il y avait une erreur, non pas dans l'étude des
effets des bombes A mais dans celle des effets des rayons X pendant
la grossesse. Ceci demeura l'impression générale
et en 1977 les recommandations du Conseil National (américain)
de Radio Protection et de Mesure[12]
(rapport NCRP, n° 53) comportaient l'avertissement suivant
« Qu'il y ait ou non, ou jusqu'à quel point y a-t-il
une relation de cause à effet entre l'irradiation durant
la vie du foetus par des examens de radiodiagnostic et l'accroissement
de la mortalité par cancers chez les enfants, est une question
ouverte, puisque ni les recherches en laboratoire, ni les observations
cliniques n'ont appuyé jusqu'à présent l'idée
que de très faibles doses de rayonnement pourraient augmenter
les fréquences relatives de toutes les catégories
de cancers chez les enfants jusqu'à la valeur rapportée
(50 %)[13]. Jusqu'à
présent, les tentatives pour accroître expérimentalement
la fréquence des cancers par de petites doses de rayonnement
sur des foetus d'animaux ont échoué. On ne peut
cependant pas exclure la possibilité que les conditions
liées aux raisons qui ont conduit à pratiquer les
radiodiagnostics eux-mêmes, ne soient associées à
l'accroissement du risque de cancer chez les enfants. Ainsi, bien
que les enfants nés de mères irradiées pendant
la grossesse pour des radiodiagnostics semblent avoir un risque
accru de cancer après la naissance, il reste encore une
possibilité qu'une partie de cette association soit causée
par des facteurs autres que le rayonnement. »[14]
Pourtant, même avant qu'il ne soit imprimé, le rapport
de la NCRP était périmé car pendant l'année
précédente, deux articles furent publiés
qui finalement convainquirent tout le monde sauf les conservateurs
les plus irréductibles, qu'il devait y avoir un risque
cancérigène associé aux radiographies obstétricales.
Selon le second article, lorsqu'il y avait eu des raisons médicales
pour justifier l'examen radiographique de la mère enceinte
(ce qui n'est pas fréquent), le risque de cancer était
plutôt réduit qu'augmenté. En effet,
ces raisons médicales étaient naturellement fortement
liées à un risque de mortalité néonatale
ou à celui d'une naissance de mort-né. Il était
donc possible que d'autres causes de mort (plus fréquentes
chez ces enfants que parmi les autres) pendant la période
de latence des cancers, conduisent à des morts prématurées
avant que les cancers induits aient eu le temps de s'exprimer.
Ceci produit un changement apparent de l'effet. Ces hypothèses
ont depuis été testées et les résultats
suggèrent que le moment fréquent pour les radiodiagnostics
chez les femmes enceintes (qui se place dans les 2 mois qui précèdent
la naissance) arrive après la période habituelle
pour l'induction d'un cancer chez l'enfant. D'autre part, une
sensibilité accrue aux infections précède
les autres manifestations des cancers chez les enfants et est
spécialement prononcée vers la fin de la phase de
latence de la leucémie.
Ainsi, la cause la plus vraisemblable de l'observation du pic
précoce de la mortalité par leucémie, fut
l'arrivée de quelque chose qui réduisait le risque
de mort par infection (les antibiotiques), mais qui était
sans pouvoir pour empêcher une mort par leucémie
si l'enfant avait déjà atteint à la naissance
un état avancé de préleucémie.
LES TRAVAILLEURS DE L'INDUSTRIE NUCLÉAIRE
A cause de l'intérêt général porté
aux effets à long terme des essais d'armes nucléaires,
une équipe de chercheurs américains fut chargée
de regarder si la santé des employés de l'AEC (Commission
de l'Énergie Atomique américaine) dans les installations
nucléaires avait souffert d'une façon quelconque
de l'exposition répétée à de petites
doses de rayonnement. L'intention était de faire pour les
travailleurs d'Oakridge dans le Tennessee, de Hanford dans l'État
de Washington et de Los Alamos au Nouveau Mexique, ce qui avait
été fait pour les survivants des bombes A au Japon.
La collecte des données
démarra plus tard pour les travailleurs (1964) que pour
les survivants japonais (1951). Pour les travailleurs, les archives
sur les doses reçues remontaient à 1944 et il y
avait une assez bonne perspective de pouvoir identifier les dates
et les causes de mort par le système des assurances-vie
de la Sécurité Sociale.
Les premiers résultats de l'enquête sur les travailleurs
étaient aussi rassurants que les derniers résultats
de l'enquête sur les survivants japonais. Pourtant certaines
difficultés apparurent en 1974, et en 1976 il était
loin d'être évident que l'observance stricte des
recommandations de la CIPR avait eu l'effet supposé (c'est-à-dire
maintenir le risque de cancer chez les travailleurs en-dessous
d'un niveau détectable).
Le fait que les résultats négatifs trouvés
pour les survivants des bombes A qui furent irradiés in
utero, n'aient pas été confirmés par
une étude beaucoup plus poussée sur les femmes ayant
subi des radiodiagnostics pendant leur grossesse, aurait dû
attirer l'attention sur la possibilité que l'ensemble des
bases des recommandations de la CIPR était peu fondé.
Mais l'industrie nucléaire, ainsi que la CIPR furent surprises
et elles dénièrent rapidement toute valeur et implication
aux rapports défavorables.
Le changement de résultat,
passant d'une étude qui favorisait l'idée qu'il
existait une dose en-dessous de laquelle il n'y avait pas d'effets
cancérigènes (hypothèse du seuil) à
une étude capable de détecter un risque de cancer
à des niveaux de dose bien inférieurs à ceux
recommandés pour la santé publique (0,5 rem par
an), fut supposé être la conséquence d'une
série de tests inappropriés (analyse par comparaisons
des doses moyennes [15])
qu'on avait fait subir aux données recueillies sur les
travailleurs de Hanford.
Pourtant, deux ans avant que ne fusse connus les premiers résultats
de cette analyse (voir MSKI table I), le Département de
la Santé de l'État de Washington avait trouvé
que les employés de Hanford avaient un excès de
mortalité par cancers de 25 % par rapport à des
employés d'autres professions. La publication de ces résultats
fut retardée, ce qui donna le temps nécessaire à
la Fondation Hanford pour l'Environnement et la Santé (HEHF
: Hanford Environmental Health Foundation) de faire une évaluation
de l'analyse du Département de la Santé de l'État
de Washington. Bien que les auteurs du rapport de la HEHF ne fissent
pas partie de l'équipe initiale des chercheurs, ils eurent
accès aux archives concernant les doses reçues par
les employés de Hanford. Ils furent ainsi capables de montrer
que l'excès de cancers existait bien et qu'il était
relié aux doses reçues [16].
Pour une raison que nous ignorons, ce rapport ne fut jamais publié
bien qu'il arrivât à la conclusion que « quelque
chose d'autre que le rayonnement » était probablement
responsable de la corrélation observée. Entre temps,
ignorant ce qui se passait à Hanford, l'auteur de la méthode
d'analyse par comparaison des doses moyennes (George W. Kneale)
comparait les morts par cancers et ceux par non-cancers. Il arrivait
aux conclusions suivantes (fondées sur les morts de 1944
à 1972) : pour des doses reçues
bien inférieures aux limites considérées
comme sans danger par la CIPR, il y avait des différences
significatives entre les « cas » (morts par cancers)
et les « références » (morts par non-cancers).
Ces différences 1) impliquaient beaucoup plus le rayonnement
reçu plusieurs années avant la mort que celui reçu
juste avant la mort, 2) fournissaient la preuve d'une corrélation
positive entre l'âge et l'induction de cancers par le rayonnement
(par exemple pour la moelle osseuse, le pancréas et les
poumons). Sur la base de ces résultats, l'estimation du
risque fut calculée et s'avéra être plus de
10 fois supérieure à celle fondée sur la
mortalité des survivants des bombes A.
Ces estimations et les preuves sur lesquelles elles étaient
fondées rencontrèrent une presse défavorable.
Les critiques vinrent de physiciens nucléaires, de radio-biologistes,
de ceux qui analysèrent les données japonaises et
des conseillers de la CIPR, des institutions nationales et internationales
chargées de faire la synthèse des recherches effectuées
sur les effets biologiques du rayonnement. Les critiques demandèrent
que d'autres évaluations des risques soient faites à
partir des données de l'enquête. Ces requêtes
conduisirent quatre services gouvernementaux (3 aux États-Unis
et 1 en Angleterre) à subventionner des analyses des données
de Hanford indépendantes de la version HEHF. Entre temps,
les auteurs des estimations impopulaires furent laissés
avec leur version, mais ils ne purent élargir leur base
de données car le Département (américain)
de l'Énergie confisqua toutes les données de l'enquête
relative aux travailleurs d'Oak Ridge et de Los Alamos ainsi que
toutes les données de Hanford postérieures à
1975[17].
En tête des critiques, il y eut d'abord le Bureau National
de Protection Radiologique (NRPB : National Radiation Protection
Board) en Angleterre. La première des deux réponses
aux critiques qui nous furent faites, fut publiée en 1978.
A ce moment, la plupart des morts survenues entre 1944 et 1977
parmi les travailleurs de l'usine de Hanford, avaient été
identifiées (voir MKS II dans le tableau).
MKS Mancuso, Stewart et Kneale
HPS Health Physics Society
IAEA International Atomic Energy Agency
CMD « Comparative mean dose » (comparaison des doses moyennes) [22]
Ambio Revue scientifique publiée en Suède
RMLT Analyse par la méthode des modèles de régression par les tables de mortalité (Regression Models in life tables)
La première analyse incluait tous les
travailleurs ayant ou non porté de film-dosimètre.
La seconde analyse par les doses moyennes comparées a été
faite sur une base de données plus large, mais elle fut
restreinte aux travailleurs qui avaient été répertoriés
avec certitude comme porteurs de film-dosimètre. Ceci réduisait
le nombre des travailleurs à dose nulle et conduisait par
conséquent à une différence sur l'estimation
finale du risque. Le changement qui en résultait donnait
des estimations plus faibles du risque qui étaient certainement
meilleures. Néanmoins, il n'y avait rien de fondamentalement
faux dans la méthode utilisée. L'article suivant,
de 1978, montrait que, étant donné la taille limitée
de la population étudiée et les courtes périodes
du suivi de beaucoup de travailleurs, une analyse CMD avait une
puissance au moins quatre fois supérieure à une
analyse SMR (Standard Mortality Ratio : taux de mortalité
normalisés) qui était la méthode préconisée
par les critiques de l'article de 1977. Les articles plus récents
ont montré qu'on pouvait obtenir une distribution non biaisée
des doses cumulées en utilisant une échelle logarithmique.
Cette modification mettait toujours clairement en évidence
que le risque croissait avec les doses. En aucun cas, l'effet
du rayonnement n'était diminué si l'on tenait compte
(simultanément) d'éléments tels que
le sexe, la date de naissance, la date d'embauche, la durée
de l'emploi ou les niveaux de contrôle des contaminations
internes. Il restait cependant vrai que les doses cumulées
étaient plus fortes pour les travailleurs encore vivants
que pour ceux qui étaient déjà morts. Ce
point a été à l'origine la raison pour laquelle
les autorités officielles avaient considéré
a priori que les travailleurs de l'industrie nucléaire
n'avaient couru aucun risque supplémentaire. Par contre,
les chercheurs qui menaient l'enquête, suspectant dans cet
effet un artefact, décidèrent au départ de
restreindre l'analyse aux travailleurs morts.
Enfin, les derniers articles montraient aussi ce qu'on obtenait
en greffant sur l'habituelle classification anatomique des cancers
suivant les organes atteints, la classification (déjà
existante) des tissus suivant leur sensibilité à
la radioinduction de cancers. Cette classification mettait la
moelle osseuse, les intestins, les poumons et les seins des femmes
dans une catégorie radiosensible (cancers du groupe A).
Ceci permettait de focaliser l'attention d'une façon très
fine sur les effets du rayonnement et de travailler uniquement
sur le diagnostic de deux groupes (les cancers des tissus radiosensibles
du groupe A d'une part, et les autres cancers du groupe B, d'autre
part). Cette simple dichotomie nous rapprocha considérablement
de la solution d'un problème multifactoriel (ce qui est
crucial dans toutes les enquêtes épidémiologiques).
Elle eut aussi un effet inattendu. Elle révéla un
sérieux déficit de cancers enregistrés dans
les groupes d'âge les plus vieux (qui étaient aussi
les groupes à doses fortes) car ce déficit (identifié
depuis comme étant dû aux cancers de la prostate
et autres organes génito-urinaires) affectait beaucoup
plus le groupe B que le groupe A.
Bien que les principaux résultats publiés dans l'article
de 1977 aient été complètement justifiés
par la seconde analyse (CMD) (qui incorporait plusieurs éléments
suggérés par les critiques), la mauvaise presse
persista. Pour les scientifiques qui n'étaient pas directement
impliqués dans la controverse, il leur était difficile
de réaliser que les résultats initiaux avaient été
confirmés par des chercheurs indépendants de ceux
de l'étude contestée. Les objections ne portaient
plus sur les observations. Il était reconnu qu'il y avait
un excès de cancers chez les travailleurs de Hanford, que
cet excès dépendait des doses reçues. Les
objections portaient uniquement sur les conclusions, à
savoir que les estimations du risque cancérigène
du rayonnement étaient beaucoup plus fortes que celles
trouvées chez les survivants des bombes A, par contre elles
étaient compatibles avec celles trouvées lors de
l'étude des cancers chez les enfants en relation avec le
radiodiagnostic des femmes enceintes. Cependant, la conclusion
préférée des critiques affirmant que quelque
chose d'autre que le rayonnement est à l'origine des anomalies
observées sur le nombre de cancers, devrait maintenant
expliquer les résultats qui mettent en évidence
la cause profonde des fortes doses cumulées par les travailleurs
encore en vie.
L'article qui montre comment les travailleurs vivants se placent
par rapport au groupe A des cancers et aux autres causes de mort,
a eu une histoire mouvementée. Il y a plus de deux ans,
il était presque accepté par la revue suédoise
qui avait déjà publié les réponses
aux critiques de la NRPB (voir Ambio dans le tableau des publications).
Mais au dernier moment, quelqu'un souleva la question du référendum
national sur l'énergie nucléaire. Le résultat
en fut qu'un troisième conseiller du comité de lecture
se prononça contre la publication. Le processus d'examen
préalable de l'article prit plus d'un an et même
après l'acceptation par le « British Journal of Industrial
Medicine », il y eut d'autres retards dus à la NRPB
qui insista pour publier simultanément des commentaires
(défavorables). Le résultat de cette affaire est
qu'un article qui a été écrit en 1979 n'a
pas encore été examiné par la CIPR. Jusqu'à
présent, la Commission a résisté à
toutes les demandes de modification des bases scientifiques de
ses recommandations de sûreté, mais les experts responsables
qui la conseillent devront ou bien changer d'avis ou bien trouver
de nouvelles raisons pour préférer fonder les estimations
du risque cancérigène de rayonnements à partir
de l'enquête sur les survivants japonais plutôt qu'à
partir de celle sur les travailleurs de l'énergie nucléaire.
La comparaison entre les travailleurs encore vivants et ceux qui
sont morts a pris la forme de « l'analyse des morts d'une
cohorte de travailleurs de Hanford de 1944 à 1977, par
la méthode des modèles de régression dans
les tables de mortalité ». Cette savante analyse
confirma un effet du rayonnement pour les cancers du groupe A
et montra que la raison pour laquelle les travailleurs encore
vivants avaient reçu des doses plus fortes que ceux déjà
morts est que l'industrie nucléaire ne manque pas de recruter
pour les travaux à haut risque les membres les mieux portants
de sa force de travail. Le recrutement sélectif de travailleurs
du point de vue de la santé a des effets qui incluent un
risque réduit de mourir de causes naturelles dans des travaux
à haut risque.
Dans l'analyse il faut tenir compte de ce facteur car le niveau
des doses pour les travailleurs qui étaient encore en vie
à la fin de la période considérée,
est beaucoup plus élevé que le niveau des doses
des travailleurs qui moururent pendant cette période. La
différence est si grande qu'en prenant ces valeurs brutes
cela impliquerait un effet bénéfique du rayonnement
aux faibles doses, tellement élevé que même
une seule année de travail dans l'industrie nucléaire
aurait réduit les risques de mourir de toutes causes, y
compris les accidents de la route et les cancers ! Ceci était
un non-sens statistique. Le problème qui se posait alors
était de savoir comment obtenir une mesure de la sélection
qui est à l'origine de l'artefact. La méthode
évidente, consistant à contrôler les travaux
réellement effectués chaque année par chaque
travailleur, était impossible à utiliser. Dans la
version codée des données professionnelles il y
avait un choix de 8 000 postes de travail pour la population étudiée,
certains individus ayant occupé 20 postes différents.
Une des alternatives consistait à prendre pour la mesure
du risque lié au poste de travail le nombre de fois où
les travailleurs avaient été contrôlés
pour contamination interne ainsi que le nombre de fois où
ces contrôles avaient mis en évidence de la radioactivité
sur les vêtements ou dans les urines (biotests liés
aux dangers professionnels).
Une classification en quatre niveaux suivant cette procédure
réduisit la différence entre les survivants et les
non survivants à quelque chose d'insignifiant. La preuve
certaine d'un effet du rayonnement apparaissait pour les cancers
du groupe A. Pourtant des objections furent soulevées.
Elles portaient sur deux points : 1) aucune considération
relative à la contamination interne ne devrait pouvoir
affecter une analyse des effets du rayonnement externe, 2) dans
une analyse par les tables de mortalité, il n'est pas légitime
d'assimiler le statut (la situation) d'un travailleur à
un moment donné avec son statut à différents
moments antérieurs[18].
Si moins de deux ans s'étaient écoulés entre
le moment où fut achevée l'analyse par les tables
de mortalité et la publication du rapport, ces objections
n'auraient pas affecté la preuve d'un effet du rayonnement
pour les cancers du groupe A, car elles n'étaient pas valables,
ce que nous avons montré par la suite : 1) en calculant
l'espérance de vie des travailleurs en fonction de leurs
postes de travail tels qu'ils étaient codés,
2) en construisant à partir de ces données
une échelle de l'espérance totale de vie et 3) en
permettant à cette échelle de remplacer l'échelle
des biotests des dangers professionnels.
Suite à la confirmation d'un résultat positif pour
les cancers du groupe A (c'est-à-dire pour les cancers
des tissus qui étaient connus comme sensibles à
l'induction de cancer par le rayonnement, ou suspectés
de l'être), la méthode des modèles de probabilité
maximale pouvait être utilisée pour affiner les estimation
du risque. Cette seconde partie de MSK III comportait les résultats
suivants :
1. La courbe de réponse en fonction de la dose pour les
cancers du groupe A, que tout le monde supposait être soit
une ligne droite soit une ligne courbe à la concavité
tournée vers le haut, se trouvait être une ligne
courbe à concavité tournée vers le bas.
En d'autres termes, au lieu d'avoir un effet directement proportionnel
à la dose (hypothèse linéaire) ou un effet
réduit aux doses faibles (hypothèse d'un seuil),
on trouvait que l'effet par unité de dose était
accru aux faibles doses. Comme la meilleure représentation
était une courbe obéissant à une loi en racine
carrée, le risque pour 1 rad de rayonnement ionisant serait
32 % du risque pour 10 rad (au lieu de 10 % dans l'hypothèse
linéaire), c'est-à-dire 3 fois plus élevé
que le risque découlant de l'hypothèse linéaire
considérée par les institutions de radioprotections
comme la plus prudente des estimations[19].
2. Dans le domaine d'âge couvert par les archives (de 20 à 65 ans), il y avait la preuve d'un accroissement progressif de la sensibilité d'induction de cancers par le rayonnement avec l'âge. Le taux d'augmentation était tel que l'addition de 8 ans à l'âge au moment de l'irradiation, augmentait le risque d'un facteur supérieur à 2. Ainsi la courbe de sensibilité en fonction de l'âge avait la même allure que la courbe spécifique de mortalité générale en fonction de l'âge.
3. Le risque le plus grand de mourir d'un cancer à la suite d'un dommage génétique dû au rayonnement (induction de cancer) apparaissait après un délai de 25 ans. Comme cette estimation est basée sur des données couvrant une durée maximum de 33 ans, il pourrait y avoir un intervalle encore plus long pour le risque maximal. En attendant, on peut supposer qu'un intervalle court entre l'induction d'un cancer, et la mort, sans être impossible est très improbable. Par conséquent, pour l'irradiation durant la seconde moitié de la vie d'un adulte, il y a un risque non négligeable de mourir d'autres causes pendant la phase de latence des cancers radio-induits.
4. Pour les cancers du groupe A, qui comptent normalement pour les 3/4 de toutes les morts par cancers, la dose de rayonnement externe qui est nécessaire pour doubler le risque normal pour une personne de 40 ans est d'environ 15 rad. Ceci est très voisin des 14 rad de l'estimation de 1978 basée sur l'analyse CMD des morts par cancers et non-cancers incluse dans l'analyse par les tables de mortalité[20]. Ces résultats devraient encourager les épidémiologistes à utiliser cette méthode puisque l'industrie nucléaire n'est pas la seule industrie pour laquelle les travailleurs les mieux portants effectuent les travaux les plus dangereux (à noter les différences entre les mineurs de fond et les travailleurs de surface dans l'industrie minière du charbon)[21].
AUTRES TRAVAILLEURS SOUS RAYONNEMENT
Bien qu'il soit encore trop tôt pour que la CIPR et les
autres commissions spécialisées aient eu le temps
de réagir à la dernière analyse MSK des données
sur les travailleurs de Hanford, les preuves s'accumulent contre
l'attachement inconditionnel de ces commissions vis-à-vis
de l'estimation du risque faite à partir des survivants
des bombes A. L'histoire suivante le montre bien. Dans les recommandations
les plus récentes (CIPR 26), les facteurs de risque pour
divers types de cancers sont explicités. Parmi ceux-ci,
le facteur de risque pour le cancer des seins est donné
: 25 extra-cancers radiogéniques pour 1 million de femmes
exposées chacune à 1 rem de rayonnement ionisant.
Cette estimation du risque absolu et les dernières évaluations
du risque relatif d'après MSK peuvent maintenant être
comparées à une situation concrète.
Une enquête portant sur 1 110 femmes qui travaillèrent
pendant la seconde guerre mondiale dans l'industrie des cadrans
luminescents au radium, a identifié 16 morts par cancer
des seins, alors que le nombre attendu d'après les statistiques
nationales était de 10,3. Pour l'ensemble des causes de
mort, le nombre observé (89) était plus petit que
le nombre attendu (112). Par conséquent on en a conclu
que, malgré l'existence d'un effet de « travailleur
bien portant », il y avait un excès réel de
morts par cancers du sein et que le risque relatif était
égal à 16 : 10,3 = 1,55. La dose moyenne reçue
par les 1 110 travailleuses était de 36,4 rem. Ainsi, pour
reprendre la formulation du Comité BEIR, si un million
de femmes avaient été exposées à 1
rem, le nombre de morts supplémentaires aurait été
de (16 - 10,3).10*6/1110 x 36,4 = 141, ce qui est de 5 à
6 fois plus fort que l'estimation du risque absolu de la CIPR
qui n'en prévoit que 25. La comparaison avec les évaluations
de MSK III du risque relatif ne peut pas se faire aussi facilement.
On peut y parvenir en postulant l'existence d'une femme qui serait
née en 1915, qui aurait travaillé dans cette industrie
de 1940 à 1945 avec une dose annuelle de 6,1 rem et serait
morte d'un cancer du sein en 1970. Pour une telle femme, la dose
réelle cumulée aurait été de 36,4
rem et la dose transformée pour tenir compte de la variation
de l'effet cancérigène du rayonnement avec l'âge
(ou « dose effective cancérigène »)
aurait été de 8,2 rem. Par conséquent, en
supposant une courbe de réponse typique (curvilinéaire)
et en comparant avec les cancers des autres tissus radiosensibles,
le risque relatif serait de 1,74, ce qui est assez voisin de l'estimation
initiale de 1,55.
Ce qui est bizarre dans cette histoire, c'est que les auteurs
de cette étude sur les travailleuses de l'industrie des
cadrans luminescents pensaient d'une façon évidente
que leurs résultats corroboraient les recommandations de
la CIPR et par conséquent renforçaient l'idée
que toutes les estimations de MSK exagéraient grossièrement
les risques de cancer pour les faibles doses de rayonnement. Cependant,
d'après leurs propres preuves, il est possible de
voir que l'estimation du risque d'après les survivants
des bombes A (qui est la justification principale des recommandations
de la CIPR) est beaucoup plus éloignée des faits
observés que celle basée sur l'étude des
travailleurs de Hanford.
LES SURVIVANTS DES BOMBES A
Il y a des similitudes évidentes entre les effets de
sélection des « travailleurs bien portants »
dans l'industrie nucléaire et les effets de sélection
des « survivants bien portants » après une
explosion nucléaire.
Mais dans le premier cas la sélection précède
l'irradiation, alors que dans le second cas elle est causée
par le rayonnement. De plus, dans l'industrie nucléaire
il n'y a aucun doute sur l'existence de travailleurs exceptionnellement
bien adaptés qui ont survécu à plus de maladies
et d'accidents que des gens moins résistants, alors qu'à
la suite d'une explosion nucléaire les personnes qui ont
le plus de chance de survivre sont aussi les personnes qui ont
la plus grande probabilité de souffrir des effets non cancérigènes
du rayonnement y compris des dommages causés à la
moelle osseuse (c'est-à-dire l'aplasie médullaire
qui est la cause profonde de l'anémie aplasique).
Ainsi, alors qu'un déficit de morts par non-cancers parmi
les travailleurs de Hanford a dû aider à déceler
un risque cancérigène forcément petit des
faibles doses de rayonnement, un déficit similaire parmi
les survivants des bombes A ne pouvait avoir que des effets trompeurs.
Cette mortalité plus faible par non-cancers existait en
dépit des séquelles dues aux bombardements. Le déficit
de mortalité par cancers tant chez les travailleurs de
Hanford que chez les survivants japonais dépendait des
doses reçues. Cependant, l'apparence de normalité
chez les survivants japonais avait une probabilité plus
grande d'être un artefact qu'un fait authentique.
Sans la possibilité d'avoir un accès direct aux
données japonaises, il est difficile de savoir ce qu'il
aurait fallu faire pour contrôler les effets sur la santé
de la forte mortalité initiale. Cependant un examen même
superficiel des rapports sur la mortalité japonaise suffit
à montrer qu'il y eut une tendance générale
à prêter plus d'attention aux résultats qui
confirmaient l'hypothèse supposant qu'il n'y avait pas
d'effets à long terme autres que les cancers, plutôt
qu'aux résultats qui n'étaient pas compatibles avec
cette hypothèse.
EXAMEN DES ESTIMATIONS OFFICIELLES DU RISQUE
POUR LES SURVIVANTS DES BOMBES A
La source de ces estimations est une
étude de population portant approximativement sur 80 000
personnes qui furent identifiées par un recensement 5 ans
après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki. Pour
être plus précis : les deux villes furent bombardées
en août 1945, le suivi de la population commença
en octobre 1950 et, afin d'estimer l'effet du rayonnement, l'étude
de population fut par la suite limitée à 79 736
personnes pour lesquelles les doses reçues furent évaluées
(rapport T65). L'échantillonnage des survivants comprenait
approximativement la totalité des personnes qui se trouvaient
dans un périmètre correspondant à des doses
potentiellement léthales et environ 30 % des personnes
qui se trouvaient au-delà de cette distance. Ainsi, la
dose moyenne pour la population étudiée (24 rad)
est plus forte que celle estimée pour l'ensemble des 285
000 survivants (à 5 ans) (17 rad). Cependant, même
dans ces conditions, il y avait dans la population étudiée
34 634 personnes ayant reçu des doses voisines de zéro
et 20 502 personnes dont les doses estimées étaient
inférieures à 10 rad.
De temps en temps, ces sous-groupes de la population classée
par doses, ont été comparés avec les statistiques
nationales (analyse par les taux de mortalité normalisés
ou SMR), mais les estimations de l'effet du rayonnement ont toujours
été basées sur des comparaisons internes
des sous-groupes pour 8 niveaux de doses. Elles ont été
rendues publiques pour des périodes de 7 années
calendaires (analyse du risque relatif avec des contrôles
par sexe, âge au moment de l'irradiation, ville). Dans ces
conditions, les seules causes de mort dont l'origine radiogénique
a pu être prouvée sont : 1) la leucémie, avec
une accentuation spéciale pendant les premières
années (1950-58) et les formes les plus aiguës de
leucémie myéloïde, 2) d'autres maladies du
sang dont l'origine pourrait être un artefact dû à
la difficulté de distinguer l'anémie aplasique de
la leucémie, et 3) les tumeurs solides qui causent actuellement
plus de morts radiogéniques que la leucémie, mais
qui, avant 1960, avaient moins d'importance que la leucémie
myéloïde et étaient peu dépendantes
des doses reçues.
La mortalité par maladies autres que les cancers a toujours
été faible et n'a jamais montré de signe
de dépendance vis-à-vis des doses reçues.
Ainsi, dans une série de rapports de mortalité,
patronnés à l'origine par la Commission d'évaluation
des dommages dus aux bombes atomiques (Atom Bomb Casualty Commission,
ABCC) et maintenant sous la responsabilité de la Fondation
pour la Recherche des Effets du Rayonnement (Radiation Effects
Research Foundation, RERF), les affirmations suivantes furent
répétées à maintes reprises :
1. pas d'implication des effets non cancérigènes du rayonnement sur les survivants après 5 ans, et par conséquent risque normal de mort par causes naturelles (y compris les cancers) pour tous les niveaux de dose, depuis octobre 1950 ;
2. implication plus précoce pour la
leucémie que pour les tumeurs solides parce que la première
a des temps de latence plus courts que les secondes ;
3. plus forte implication des leucémies myéloïdes
que des autres néoplasmes parce que la moelle osseuse est
exceptionnellement sensible à l'induction de cancers par
le rayonnement.
De là découlait une conclusion
générale : on peut s'attendre à être
alerté assez rapidement de tout risque cancérigène
dû au rayonnement pour les travailleurs de l'industrie nucléaire
par l'accroissement de mortalité causé par une maladie
normalement rare, la leucémie myéloïde.
On ne s'est jamais interrogé sérieusement sur cette
interprétation des résultats de mortalité
pour les survivants des bombes A bien qu'elle soit à la
base de toutes les recommandations de la CIPR. Cette interprétation
dépend cependant du fait que les maladies du sang autres
que la leucémie peuvent être un artefact dû
à des erreurs de diagnostic et, ce qui est encore plus
important, elle repose sur une population de survivants qui furent
impliqués dans les événements conduisant
à une mortalité particulièrement importantes
qui aurait laissé ainsi une population fortement biaisée
(anormale) en faveur de personnes exceptionnellement résistantes
mais ayant perdu en moins de 5 ans tous les signes de cet avantage
et ne contenant aucune personne n'ayant récupéré
que partiellement des blessures de l'explosion ou du rayonnement.
LES EFFETS PRÉCOCES DES BOMBARDEMENTS
Les morts à la suite des brûlures par le rayonnement
et de l'effondrement aigu de la moelle osseuse furent très
fréquentes parmi les personnes qui furent exposées
à de fortes doses. Mais, même pour les doses faibles,
il y eut un surplus de morts causées par la dévastation
générale[22].
En plus des raisons habituelles qui font que toutes les populations
qui ont survécu à une période de forte mortalité
aiguë sont nécessairement anormales et comportent
une plus forte proportion de personnes ayant une santé
exceptionnellement bonne (survivance des mieux adaptés
ou « effet de sélection des survivants bien portants
»), il y avait des processus autres ayant des effets directs
sur la moelle osseuse, tissu qui dirige la production des globules
rouges, ainsi que l'identification et la destruction des organismes
étrangers.
Toutes les conséquences de l'effet de sélection
des survivants bien portants étaient fortement corrélées
aux niveaux de doses. Ainsi, la question qui a été
laissée sans réponse pendant toutes ces années
est : dans la courbe de mortalité en fonction du temps,
pourquoi la période avant le recensement des survivants
(1950) où la mortalité est passée d'un taux
élevé à un taux plus faible, ne fut pas suivie
d'une période où le taux de mortalité aurait
été extrêmement faible pour ceux qui survécurent
de justesse. Le fait que cette conséquence logique attendue
n'a été observée que pour une seule cause
de mort (les suicides ou les morts par automutilation), nécessite
une explication. Il en est de même en ce qui concerne le
fait que parmi les trois causes de mort qui ont toujours été
dépendantes des doses reçues, la leucémie,
les autres maladies du sang et les néoplasmes, l'une n'était
pas un cancer (maladies du sang autres que la leucémie).
Bien que les morts antérieurement à 1950, parmi
ceux qui ne furent pas tués sur le coup par les bombes,
se comptent par milliers, il y eut beaucoup de personnes qui eurent
des blessures ou des maladies ou blessures non fatales et qui
survécurent avec ou sans séquelles évidentes.
On aurait pu s'attendre à ce qu'il y ait une mortalité
plus faible parmi les survivants ayant reçu des doses plus
fortes et qui furent très exposés au danger pendant
les bombardements que parmi ceux qui furent moins exposés.
Ce phénomène ne fut pas observé et la cause
la plus probable en est qu'il y eut pendant longtemps le prolongement
d'un excès de mortalité lié aux séquelles
en général et à une réparation incomplète
des dommages subis par la moelle osseuse en particulier.
SURVIVANCE DES MIEUX ADAPTÉS ET SÉQUELLES
Suivant cette hypothèse, une certaine annulation des
effets de survivance des mieux adaptés par les effets des
séquelles est une conséquence inévitable
de tous les désastres naturels ou artificiels. Dans le
cas de: Hiroshima et de Nagasaki, les dommages subis par la moelle
osseuse s'ajoutèrent à des séquelles plus
évidentes pour empêcher la pleine expression des
effets mutagènes du rayonnement (aussi bien pour les cancers
que pour les effets sur la seconde génération).
La population étudiée des survivants se trouvait
ainsi avec des taux de mortalité qui continuaient à
refléter les influences à peu près égales
de deux forces opposées, la survivance des mieux
adaptés et les séquelles. Avec ces hypothèses,
toute comparaison entre les sous-groupes à fortes doses
et à faibles doses
exigerait des contrôles pour le premier effet, sinon on
resterait certainement avec la fausse impression d'une
absence d'effets à long terme des dommages génétiques
pour les niveaux faibles de dose reçue. De plus, en supposant
des influences égales des deux forces antagonistes, les
possibilités suivantes purent facilement avoir été
négligées :
1. absence temporaire d'un taux de mortalité dépendant
des doses reçues pour les tumeurs solides qui peut être
facilement due à des cas radiogéniques supplémentaires
(dont les temps de latence ont été raccourcis par
suite des dommages causés à la moelle osseuse) qui
viennent compenser le déficit de cancers normaux (dû
aux cas qui furent initiés avant août 1945 et qui
furent « perdus » pendant la période de forte
mortalité aiguë) ;
2. les cas précoces de leucémie
myéloïde ont pu facilement être dus à
des mutations dans la moelle osseuse ayant un potentiel cancérigène
accru quand elles sont accompagnées d'un endommagement
du système immunologique et qui prendra plus probablement
la forme d'un cancer diffus ayant une courte période de
latence (leucémie myéloïde) plutôt que
celle d'un cancer localisé à longue période
de latence (myélôme).
DOMMAGES RÉSIDUELS DE LA MOELLE OSSEUSE
Toutes les cellules contrôlant les échanges respiratoires
par l'hémoglobine (les globules rouges ou érythrocytes)
et la plupart des cellules contrôlant le système
immunitaire (globules blancs ou leucocytes) sont formées
dans la moelle osseuse. Les cellules des tissus où sont
formées les cellules de la circulation sanguine sont appelées
les cellules-souches hématopoiétiques. Elles sont
exceptionnellement sensibles à tous les effets du rayonnement
(mort cellulaire aussi bien que mutations). Mais elles ont aussi
des facultés très grandes de récupération
et peuvent même produire plusieurs cellules nouvelles pour
chaque cellule détruite. Ainsi il n'est pas évident
que la mort cellulaire ou les effets stochastiques des fortes
doses de rayonnement, ou bien causent une mort rapide par effondrement
aigu de la moelle osseuse, ou bien sont suivis d'une récupération
totale des cellules-souches contrôlant les cellules respiratoires
et immunitaires.
Les perturbations mineures des fonctions de la moelle osseuse
ne peuvent être reconnues individuellement chez les personnes
d'une population. Mais chez les survivants des bombes A il pourrait
y avoir des différences notables entre les groupes des
faibles doses et ceux des fortes doses pourvu qu'on comprenne
que toute perturbation des éléments des tissus respiratoires
se traduira probablement par un surplus de mort par anémie
et que toute perturbation des éléments du système
immunologique se traduira probablement par un accroissement des
infections à issue fatale.
ANÉMIES FATALES
Nous avons déjà eu l'occasion de mentionner que
les maladies du sang (avec l'anémie aplasique comme composante
principale) étaient les seules en dehors des cancers à
donner après 1950 des taux de mortalité dépendant
des doses reçues. Ce résultat exceptionnel est supposé
être dû à des erreurs de diagnostic qui ont
fait inventorier des leucémies comme anémies aplasiques.
Cependant, la preuve à l'appui de cette hypothèse
n'est pas très convaincante et montre en réalité
que les « extra » morts par maladies du sang sont
à présent plus fréquentes que les «
extra » morts par leucémie. Par conséquent,
il n'est pas possible d'être d'accord avec la conclusion
d'un récent rapport qui affirme qu'une « association
superficielle entre le rayonnement et la mortalité par
les maladies du sang et des organes sanguino-formateurs, repose
entièrement sur les effets carcinogènes du rayonnement,
principalement l'effet leucémigénique ». Cette
affirmation; comme tant de conclusions des rapports de l'ABCC,
est significative de l'obsession que seuls sont possibles les
effets des dommages génétiques du rayonnement des
bombes A, à l'exclusion de toute autre phénomène,
y compris l'effet le plus évident de la destruction de
la moelle osseuse, l'anémie aplasique. Cet axiome est absolument
nécessaire pour que l'étude de l'ABCC garde un sens
car, si l'on reconnaît qu'il y a des effets à
long terme autres que les effets génétiques, qui
dépendent du rayonnement, on n'a plus le droit d'extrapoler
sans précautions les estimations de risque cancérigène
déduites des effets aux fortes doses pour déterminer
le risque des faibles doses.
INFECTIONS FATALES
Les analystes des données de l'ABCC ont constamment abouti
à la même conclusion : il n'y a pas d'effets retardés
du rayonnement autres que les cancers. La raison de cette conclusion
peut se voir clairement sur la figure 1 (que l'on peut tracer
pour chacune des 7 périodes du suivi) : le taux de mortalité
par cancers croit avec les doses reçues, ceci ne se voit
pas sur la mortalité par non-cancer.
Dans le dernier rapport du RERF, il y a une liste séparée de toutes les morts des maladies non malignes (17 149 cas) et de toutes les maladies du système circulatoire (8 832 cas), pour les 8 niveaux de dose et les 7 périodes du suivi. Ainsi pour un groupe résiduel de 8 317 morts par maladies non malignes excluant celles du système circulatoire (elles incluent toutes les morts par infection), il est possible de trouver la courbe de réponse à la dose en traçant les rapports des morts observées/attendues, pour chaque groupe de dose. On peut comparer ces résultats pour les morts de 1950 à 1962 (4 239 cas) et celles de 1963 à 1978 (4 078 cas) (figure 2).
Aucune des courbes de cette figure n'est compatible
avec l'hypothèse qu'il n'y a pas d'effet du rayonnement.
La courbe pour les morts de 1950 à 1962 est plus profondément
indentée. La courbe pour les morts ultérieures se
termine à un point beaucoup plus haut que l'origine.
Pour les deux courbes, il y a une composante quadratique très
forte, preuve d'un effet de seuil avec la dose. On peut ainsi
tirer les conclusions suivantes : 1) parmi les effets retardés
du rayonnement des bombes A, il y a accroissement de la sensibilité
aux infections, preuve d'une perte permanente de l'efficacité
immunologique, pour les survivants des fortes doses, 2) cet effet
des fortes doses a toujours été occulté par
l'effet des morts immédiates ou survivance sélective
des personnes exceptionnellement résistantes pendant la
période de dévastation générale, 3)
l'effet des morts immédiates doit avoir impliqué
des personnes qui ne furent pas elles-mêmes directement
atteintes lors de l'explosion, mais qui eurent à subir
les conséquences sociales de la dévastation générale
(effets indirects du bombardement), 4) en conséquence de
la sélection initiale en faveur des personnes exceptionnellement
en bonne santé, ce ne fut que 20 ans après le bombardement
que le taux de mortalité par maladies infectueuses fut
plus fort pour les survivants des fortes doses que pour ceux des
faibles doses.
En résumé, toutes les estimations du risque pour
les effets cancérigènes du rayonnement qui ont été
approuvées par la CIPR et l'UNSCAR sont fondées
sur la même hypothèse fausse : pas d'effet à
long terme de dommages de la moelle osseuse. Elles ne sont donc
pas correctes et la rectification de leur erreur conduit à
un risque plus fort pour les faibles doses de rayonnement.
ESTIMATION DES EFFETS DU RAYONNEMENT
Si les résultats de mortalité chez les survivants
des bombes A sont influencées à la fois par l'effet
du « survivant en bonne santé » et par les
dommages à la moelle osseuse, ni les comparaisons avec
les statistiques nationales, ni les comparaisons par niveaux de
dose reçue, ne donneront des normalisations correctes pour
estimer l'effet du rayonnement. Ce qu'il faut, c'est trouver une
cause de mort qui ne soit pas affectée par l'une ou l'autre
des forces antagonistes et que l'on puisse comparer aux statistiques
nationales. La première exigence, l'indépendance
vis-à-vis des deux forces, élimine toutes les causes
de mort exceptées les morts soudaines de personnes antérieurement
bien portantes. La seconde exigence élimine les morts soudaines
car elles ne sont pas inventoriées dans les statistiques
nationales, mais laissent les morts par accident cérébrovasculaire
comme alternative possible. A la différence des suicides,
ces morts n'ont jamais montré un signe quelconque de corrélation
négative avec les doses, mais pendant plusieurs années
le taux pour les survivants de Hiroshima n'était que les
deux tiers du taux national.
Ainsi, il est raisonnable de supposer que, par suite de la période
de forte mortalité aiguë, le risque de mort par causes
naturelles pour les survivants à 5 ans était au
moins de 30 % inférieur à la moyenne (« facteur
correctif » pour l'effet du survivant bien portant).
Ni les cancers ni les morts par blessures n'ont été
inclus dans une récente analyse SMR (par les taux de mortalité
normalisés) des données de l'ABCC. Nous ne pouvons
seulement qu'estimer les morts radiogéniques supplémentaires
pour la période allant de 5 à 27 ans après
les bombardements (voir le 7ème rapport de mortalité
avec les nombres de morts observés et attendus pour 82
244 membres de la population étudiée). Durant cette
période (1950-1972), il y eut 18 526 morts toutes causes
confondues et 3 744 morts par cancers. D'après les moyennes
nationales, les valeurs attendues étaient respectivement
de 20 182 et 3 283. Après correction pour l'effet du survivant
bien portant, elles sont de 14 127 et 2 298. Sur cette base, 1
446 morts par cancers furent radioinduits, soit un excédent
de 63 % par rapport au nombre attendu déduit, après
correction des statistiques nationales. Pour les morts par non-cancers,
les estimations correspondantes sont 2 953, soit un excédent
de 25 % et pour toutes causes confondues 4 399, soit un excédent
de 31 %. L'ensemble est résumé dans le tableau qui
suit :
Le 8ème rapport de mortalité
(mortalité de 1950 à 1974) contient les estimations
généralement acceptées pour les 285 000 survivants
des bombes A qui étaient recensés en octobre 1950.
Ces estimations portent sur la période 1950-1974 (c'est-à-dire
de 5 à 29 ans après les irradiations), elles donnent
70 000 comme nombre probable de morts par causes naturelles et
415 comme nombre probable de morts radiogéniques (avec
192 et 223 respectivement pour les suppléments de leucémie
et des autres cancers). En conséquence, même avec
les suppositions invraisemblables 1) que les morts par accidents
cérébrovasculaires étaient uniformément
répartis parmi les survivants ayant ou non des séquelles
résiduelles, 2) qu'il n'y avait plus de morts radiogéniques
après 1972 et 3) qu'il n'y avait pas de morts radiogéniques
en dehors de la population étudiée, les estimations
qui tiennent compte de la survivance des mieux adaptés
après la période de forte mortalité aiguë,
sont plus de 10 fois plus fortes[23]
que celles généralement approuvées par la
CIPR qui supposent que tous les effets de survivance des mieux
adaptés avaient disparu en moins de 5 ans, et qu'il n'y
avait aucun effet non cancérigène du rayonnement
après les 5 premières années qui suivent
les bombardements.
DISCUSSION
Suivant l'hypothèse des dommages de la moelle osseuse,
le fait que la population étudiée des survivants
des bombes A ait toujours eu des taux de mortalité générale
relativement faibles, est une conséquence directe des taux
de mortalité exceptionnellement élevés durant
la période qui suivit immédiatement les explosions.
Pendant cette période de dévastation, le risque
de mourir soit par causes naturelles soit par les effets particuliers
des bombes A, fut exceptionnellement élevé pour
tous ceux qui pour une raison ou une autre commencèrent
par être dans un mauvais état de santé ou
de nutrition. Par conséquent, parmi les personnes choisies
pour faire partie de la population étudiée des survivants,
il dut y avoir trop peu de ces personnes en mauvaise condition
et trop de personnes ayant les qualités opposées.
Cet effet des bombardements a souvent été admis
mais ni la Commission d'évaluation des dommages des bombes
atomiques (ABCC) ni la Fondation pour la recherche des effets
du rayonnement (RERF) ne comprirent que, étant donné
ce biais dans la répartition de la population étudiée,
les résultats d'une analyse qui ne contrôle que le
sexe, l'âge au moment de l'irradiation et la ville ne peuvent
être acceptés comme base des normes de radioprotection
pour des populations ordinaires (normales).
Même un examen superficiel des publications de l'ABCC nous
montre que les conclusions « officielles » sont inacceptables,
non seulement pour des raisons de principe, mais aussi parce que
les résultats sur les maladies du sang et les infections
fatales ne sont pas convenablement expliqués, ce qui, par
conséquent, exige de prendre en compte des effets retardés
du rayonnement incluant les dommages aux tissus aussi bien que
les mutations. De plus, puisque la cible principale de tous les
effets du rayonnement (immédiats et à long terme)
est la moelle osseuse, il doit y avoir eu, en plus des raisons
habituelles de s'attendre à une confusion entre les effets
de la mortalité initiale et ceux des séquelles résiduelles,
des raisons spéciales encore plus importantes ayant un
lien avec le contrôle de l'hématogénèse
générale et du système immunologique par
la moelle osseuse.
Ceci nous conduit à l'essentiel du problème : les
analyses directes des taux de mortalité dépendant
des doses, qui sont à la base des convictions admises pour
les risques de rayonnement sur la santé, peuvent-elles
être considérées comme solides dans les conditions
spéciales qui ont indéniablement existé ?
A la réflexion, il est facile de voir que ce n'est pas
possible. Par exemple, l'idée qu'un accroissement de la
fréquence des leucémies myéloïdes sera
nécessairement le premier signe médical des effets
des mutations radio-induites, ne laisse pas place pour la possibilité
que, dans le cas des survivants des bombes A, les dommages causés
à la moelle osseuse contribuent à la fois au développement
rapide des cancers radio-induits après les explosions et
à la mort prématurée des cancers induits
avant les explosions. Ainsi, le fait que les taux de mortalité
de 1950 à 1958, pour la plupart des formes de cancers,
ne sont pas dépendant des doses, est important puisque
c'est exactement ce qu'on attendrait si les cas supplémentaires
de cancers radiogéniques compensaient les déficits
causés par la mort prématurée des personnes
atteintes de cancers non-radiogéniques. A l'appui de cette
interprétation des données sur les survivants des
bombes A, on peut mentionner les résultats trouvés
dans l'étude des cancers chez les enfants. Ces résultats
montrent que l'état défectueux du système
immunologique est à la fois la cause et la conséquence
de la seconde étape du développement des cancers
(la « promotion » du cancer). Cet état défectueux
a souvent été la cause de morts pendant la période
de latence, attribuées à des infections respiratoires.
Dans l'étude sur les travailleurs de Hanford, le risque
de mort par causes naturelles a été trouvé
beaucoup plus faible pour les travailleurs que pour l'ensemble
de la nation, plus faible aussi pour les travailleurs affectés
à des postes de travail à haut risque que pour ceux
affectés à des postes à risque moindre («
effet du travailleur bien portant »). Mais, alors que dans
l'enquête sur les survivants japonais, l'« effet du
survivant bien portant » avait des conséquences corrélées
aux doses reçues, car cet effet était causé
par le rayonnement lui-même, l'effet du travailleur
bien portant dans l'étude américaine avait des conséquences
similaires, mais seulement parce qu'il était difficile
aux personnes qui n'étaient pas exceptionnellement bien
portantes de travailler dans des situations à haut risque.
Par conséquent, la détection des effets mutagènes
du rayonnement fut beaucoup plus facile dans l'enquête sur
les travailleurs que dans celle sur les survivants japonais. Aussi,
dans la mesure où l'effet le plus caractéristique
chez les travailleurs était le myélôme (et
non pas la leucémie myéloïde, il est probablement
correct de supposer que la moelle osseuse est exceptionnellement
sensible à l'induction de cancer par le rayonnement, mais
il est incorrect de supposer que sans dommage de la moelle le
cancer prendra encore la forme d'un cancer diffus avec une courte
période de latence.
Jusqu'à maintenant, seule une petite partie des données
relatives aux travailleurs de l'industrie nucléaire a été
examinée pour mettre en évidence les effets du rayonnement
et aucune donnée n'a été analysée
pour la mise en évidence des effets sur la seconde et la
troisième générations. Cependant il n'y a
pas pénurie d'archives sur les doses reçues par
les travailleurs sous rayonnement et là où ces archives
sont le plus abondantes (aux États-Unis), il y a aussi
une situation exceptionnellement favorable pour relier ces données
à la fois aux certificats de décès des ex-travailleurs
(à travers les demandes d'indemnités à la
« Sécurité Sociale ») et aux archives
médicales sur les déficiences mentales ou physiques
constatées chez les descendants de ces travailleurs (a
travers le même système de la « Sécurité
Sociale »). Ainsi, en dépit de récents avis
leur conseillant le contraire, les épidémiologistes
devraient se dissuader de prendre des racourcis apparemment évidents
(c'est-à-dire de faire des observations aux fortes doses
la base des estimations du risque pour les faibles doses de rayonnement).
Ils devraient utiliser leur influence pour s'assurer qu'il soit
fait un plein usage des données de l'AEC (Commission à
l'Énergie Atomique) par des scientifiques qui n'ont aucune
dépendance vis-à-vis du Département de
l'Énergie.
En résumé : un examen des données qui ont été
rendues publiques, relatives aux survivants des bombes A, conduit
à la conclusion que, puisqu'elles étaient basées
sur la mortalité des survivants après la 5ème
année, l'estimation des effets du rayonnement aurait dû
être contrôlée pour tenir compte des deux forces
antagonistes, à savoir la survivance préférentielle
des personnes exceptionnellement bien adaptées pendant
la période de mortalité extrêmement élevée
juste après les bombardements, et les séquelles
résiduelles. Ces deux effets, indubitablement, dépendent
des doses reçues. Les séquelles comprennent probablement
les effets d'une réparation incomplète des dommages
causés à la moelle osseuse. Ainsi, non seulement
les différences entre les effets des faibles doses et ceux
des fortes doses, ont été largement oblitérées,
mais il y a eu probablement une distorsion des effets cancérigènes.
L'existence des deux forces antagonistes est manifestement la
raison pour laquelle le changement des forts taux de mortalité
en 1945-1946 en faibles taux pour les années 50, ne s'est
pas accompagné d'un passage d'une corrélation positive
à une corrélation négative vis-à-vis
des doses reçues. L'indépendance vis-à-vis
des séquelles résiduelles est probablement la raison
pour laquelle les morts soudaines de personnes antérieurement
en bonne santé (les suicides servant d'exemple), firent
exception à la règle. Finalement, l'affaiblissement
des fonctions de la moelle osseuse explique probablement l'épidémie
précoce de leucémie myéloïde, l'absence
apparente d'autres cancers pendant ce temps et le taux de mortalité
relativement élevé et dépendant des doses
reçues pour les maladies du sang autres que la leucémie.
EFFETS DU RAYONNEMENT NATUREL SUR LA SANTÉ
Le niveau du rayonnement naturel augmente aux altitudes élevées
et dans les régions où l'extraction des minerais
d'uranium est une entreprise profitable (dans les États
montagneux des États-Unis par exemple). Ainsi, on espérait
que des comparaisons entre les États montagneux et ceux
des bords de mer pourraient nous dire s'il y a des effets de santé
associés à notre inévitable exposition aux
faibles doses de rayonnement. La mesure du risque dans cette enquête
épidémiologique était la morbidité
(et non pas la mortalité) par cancers et l'étude
ne fournit guère plus qu'une confirmation supplémentaire
de ce que l'on savait déjà : il y a toujours une
meilleure déclaration des cancers chez les malades (ce
qui est différent de la mort par cancers) dans les communautés
urbaines que dans les communautés rurales.
Cette étude infructueuse fut suivie par deux enquêtes
japonaises qui donnèrent des résultats positifs.
Au Japon il y a la même variation des niveaux de rayonnement
naturel qu'aux États-Unis, mais les densités de
population sont indépendantes des altitudes. Il fut par
conséquent possible de comparer les fréquences des
cancers chez les enfants dans 8 régions ayant des niveaux
de rayonnement naturel différents, ainsi que la mortalité
par cancer après 40 ans. Dans l'enquête sur les enfants,
il y avait environ 4 morts pour 10 000 rad x personne. Ce qui
est comparable aux 572 par million de rad x personne de l'enquête
sur les femmes enceintes radiographiées (voir plus haut).
Dans celle des adultes, il y avait pour les hommes et les femmes
pris séparément, un accroissement constant des cancers
en allant du plus faible au plus fort de 4 niveaux de doses. Ainsi
les taux (pour 10*5) pour les niveaux de doses les plus bas (moins
de 60 mrem par an) et pour le plus élevé (plus de
100 mrem par an) étaient respectivement de 753 et 868 pour
les hommes et de 464 et 567 pour les femmes.
Finalement, d'après MSK III, le rayonnement naturel aurait
une influence sur la mortalité par cancers. Les cas provenant
de cette origine pourraient contribuer à 22 % des morts
par cancers entre 40 et 50 ans et à 38 % des morts par
cancers après 70 ans.
EFFETS DES ACCIDENTS DE RÉACTEURS SUR LA SANTÉ
L'hypothèse suivant laquelle l'extrapolation linéaire
des observations à fortes doses exagère les risques
de cancers aux faibles doses (hypothèse du seuil) est fondée
sur la connaissance qu'il y a toujours quelque réparation
des dommages chromosomiques après une irradiation, et sur
l'hypothèse que cette réparation est nécessairement
bénéfique. Cependant, tout au moins théoriquement,
une réparation incomplète d'un dommage chromosomique
pourrait accroître le risque cancérigène en
augmentant la viabilité des cellules endommagées.
A l'appui de cette hypothèse mentionnons la forme de la
courbe de réponse à la dose pour les irradiations
des travailleurs de Hanford et aussi les données relatives
aux travailleurs de l'industrie des cadrans luminescents et celles
concernant les différents niveaux de rayonnement naturel
au Japon.
Une courbe de réponse obéissant à une loi
en racine carrée a d'importantes implications pour le stockage
des déchets radioactifs et pour les défauts de fonctionnement
des réacteurs à l'échelle de l'accident de
Windscale en 1957[24] et
de Three Mile Island (TMI) en 1979. Le stockage des substances
radioactives est affecté par une telle loi parce qu'il
serait important que les sources diluées de radioactivité
fussent traitées avec le même respect que les sources
concentrées. Les défauts de fonctionnement des réacteurs
en sont affectés parce qu'avec de tels accidents les personnes
vivant au voisinage du réacteur sont aussi concernées
que les travailleurs.
Il est vraisemblable que des travailleurs furent impliqués
dans les accidents de Windscale et de TMI. Par conséquent
il y a encore la possibilité de faire pour les travailleurs
britanniques de Windscale ce qui a déjà été
fait pour les travailleurs sur cadrans luminescents et pour les
travailleurs américains de TMI ce qui a déjà
été fait pour les travailleurs de Hanford. Chaque
accident donne la possibilité d'inclure des travailleurs
et d'autres personnes exposées dans un suivi équivalent
à celui des survivants des bombes A et bien qu'il soit
trop tard pour identifier les « survivants » britanniques,
le potentiel de recherche sur l'accident de TMI est actuellement
bien meilleur que celui sur les explosions des bombes A.
Nous savons déjà que pour deux périodes affectées
par l'accident de TMI (c'est-à-dire le premier et le second
trimestre de 1979), les taux de mortalité néonatale
pour la population locale furent plus forts que les taux correspondants
pour la Pennsylvanie. Nous savons de plus qu'il y a eu des différences
similaires pour l'hypothyroïdisme des nouveaux nés.
Par ailleurs, il n'y a pas de raison que la démarche entreprise
en 1950 pour découvrir combien de personnes furent exposées
aux rayonnements des bombes A en 1945, ne soit pas répétée
pour les personnes ayant pu être exposées lors de
l'accident de TMI. A cette fin, tout ce qui est nécessaire,
c'est d'inclure dans le prochain recensement américain
une question appropriée. L'identification d'une population
exposée à un risque pourrait être suivie d'une
identification des morts (par les demandes d'indemnités
de décès à la « Sécurité
Sociale ») et des anomalies congénitales chez les
enfants de la génération suivante (par les demandes
d'indemnités d'invalidité pour les personnes dépendant
des assurés à la « Sécurité
Sociale »).
CONCLUSIONS
Bien que nous ne sachions pas quand commença la vie sur
cette planète, nous avons appris que même les formes
les plus primitives de vie ne sont pas compatibles avec de forts
niveaux de radioactivité. Par conséquent il est
possible que la vie, et le développement de la biosphère
à la surface de la terre durent attendre que l'intensité
de la radioactivité à la surface du sol ait décru
jusqu'aux niveaux actuels. La découverte des rayons X,
puis celle du radium, rendirent possible la surexposition individuelle
des animaux ou des plantes, à des niveaux de rayonnement
accrus, dans les pays à technologie avancée. Ce
ne fut qu'après la découverte de la fission nucléaire
qu'il y eut accroissement de certains niveaux de rayonnement ambiant.
Ainsi, le problème actuel, héritage direct de la
2ème guerre mondiale, est d'empêcher qu'un processus
inverse du processus naturel puisse causer d'irréparables
dommages aux forces de vie.
Sans l'énorme poussée donnée à la
physique nucléaire par le projet Manhattan, les biologistes
moléculaires auraient peut-être pu découvrir
le secret de la photosynthèse des plantes avant que les
physiciens nucléaires aient découvert le secret
de la fission nucléaire et dans cette séquence d'événements,
il pourrait y avoir eu un développement commercial de mécanismes
biologiquement inoffensifs (et encore méconnus) à
la place des développements actuels.
Nous avons encore, en étudiant la physiologie végétale,
des moyens possibles de satisfaire toutes nos exigences énergétiques
dans un futur pas trop lointain. Mais à moins que nous
n'investissions plus d'argent et de talent dans les sciences biologiques
que dans les sciences physiques, il est fort improbable que nous
renversions la tendance actuelle vers de plus en plus de contamination
de la biosphère par la radioactivité artificielle.
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[1] L'effet primaire du rayonnement sur les cellules individuelles est un processus physico-chimique indépendant des individus, de l'âge, du sexe, etc. Par contre, les conséquences de cet effet primaire sur la santé et la vie des individus dépendent d'un grand nombre de paramètres. La tendance chez les responsables de la santé publique est à privilégier l'étude des phénomènes cellulaires au détriment des études de mortalité. Il est évident que par cette voie il sera impossible de déduire des normes ayant un sens pour la santé publique.
[2] Zygote : oeuf fécondé. Embryon : chez l'homme (ou plutôt chez la femme), l'embryon est le résultat de la fécondation pendant les trois premiers mois, au-delà de ce temps, c'est un foetus.
[3] La terminologie des maladies du sang est
très compliquée. Parfois ces maladies se réfèrent
aux tissus sanguinoformateurs eux-mêmes (moelle osseuse
et ganglions lymphatiques entre autres), parfois elles se réfèrent
aux fonctions de ces tissus (production de myélocytes,
monocytes, plasmocytes, ...), parfois on se réfère
aux conséquences du mauvais fonctionnement de ces tissus
(anémies), parfois on se réfère aux tissus
endommagés (aplasie médullaire).
Anémie aplasique : anémie causée par
l'arrêt du fonctionnement de la moelle osseuse rouge. Ce
type d'anémie résiste à tout traitement.
Elle peut être confondue avec une anémie conséquence
d'un cancer de la moelle osseuse.
Aplasie médullaire : les cellules formatrices des
lignées (cellules) sanguines, ne fonctionnent plus (ce
qui peut être la cause d'une anémie aplasique).
Leucémie : cancer des cellules de la moelle osseuse
qui affecte principalement les globules blancs. En particulier
:
- Si les globules blancs affectés sont les myélocytes,
on a affaire à une leucémie myéloïde.
- Si ce sont les lymphocytes qui sont affectés, il s'agit
d'une leucémie lymphatique ou lymphome.
Myélome : il s'agit ici de myélome multiple,
cancer affectant principalement les plasmocytes. Les os deviennent
fragiles.
Tous les cancers des tissus hématopoiétiques provoquent
secondaire des anémies qui peuvent être confondues
à tort avec des anémies aplasiques.
[4] Effondrement aigu de la moelle osseuse
: la moelle osseuse s'arrête temporairement de fonctionner.
Ceci peut être provoqué non seulement par le rayonnement,
mais aussi par certains poisons chimiques. Il en résulte
des hémorragies, des anémies, des infections. En
cas de guérison, le système immunologique peut être
affecté avec comme conséquence une sensibilité
particulière aux infections et à l'anémie
aplasique.
Les observateurs médicaux furent très surpris par
ce qu'à l'époque on appela « la maladie de
la bombe atomique ». Un observateur décrivait les
survivants : « Les épargnés qui se trouvaient
dans un rayon d'un kilomètre du point d'éclatement
ont succombé les mois ou les jours suivants à la
maladie de la bombe atomique. Une semaine de vomissements, une
semaine de diarrhée avec chute des cheveux et une troisième
semaine d'anémie intense, chiffre des globules rouges et
des globules blancs tombé au dixième de la normale,
réduction considérable des éléments
de coagulabilité sanguine, avec hémorragies par
tous les orifices du corps » (Le Monde du 22 août
1946), alors que dans bien des cas il n'y avait aucune trace apparente
après l'explosion.
[5] Dommages génétiques : il s'agit là des dommages causés par le rayonnement à des gènes d'une cellule quelconque. S'il s'agit d'une cellule de reproduction, il pourra se produire des malformations congénitales chez les descendants. S'il s'agit d'autres cellules, il pourra se produire des cancers.
[6] C'est le cas des cancers radioinduits qui sont indiscernables des cancers « naturels ».
[7] Une évaluation est dite «
biaisée » quand une erreur systématique vient
distordre la répartition des données. Par exemple,
des erreurs de diagnostic sur les causes de mort peuvent ne pas
être trop gênantes si elles sont faites au hasard.
Elles ajouteront un certain « flou » aux résultats
qui nuira à la précision. Par contre, si certaines
maladies sont systématiquement ignorées (volontairement
ou non), ce n'est pas la précision des résultats
qui est affectée. Le « biais » ainsi introduit
peut fausser les résultats jusqu'à les rendre totalement
inexacts.
[8] Autrement dit :
- si l'on s'intéresse aux cancers actuellement observés,
on doit rechercher dans les archives les doses antérieurement
reçues ;
- si l'on désire connaître l'effet des doses reçues
actuellement par un certain groupe de personnes, il est nécessaire
de conserver toutes les observations médicales futures,
jusqu'à la mort de tous les individus du groupe.
[9] La Commission Internationale de Protection
Radiologique (CIPR) est un comité d'experts internationaux
qui existe depuis 1928. Il se reproduit par cooptation. Ce comité
rédige régulièrement des « recommandations
» pour aider les législateurs à établir
les normes légales nationales. La CIPR est en principe
indépendante des institutions nationales. Mais la plupart
de ses membres appartiennent à la hiérarchie de
ces institutions. Ainsi le Dr Jammet qui représente la
France est Directeur de la Protection à l'Institut de Protection
et de Sûreté Nucléaire du Commissariat à
l'Énergie Atomique, organisme promoteur de l'énergie
nucléaire en France.
[10] Suivant l'hypothèse du seuil, il n'y aurait aucun
effet tant que la dose reçue est inférieure à
une valeur donnée (seuil). Elle s'oppose à l'hypothèse
linéaire qui soutient que les effets sont proportionnels
aux doses reçues, aussi petites soient-elles. Avec cette
hypothèse, toute irradiation, même extrêmement
faible, comporte un risque. C'est l'hypothèse linéaire
qui est actuellement officiellement admise par la CIPR pour l'établissement
des normes de radioprotection. Cependant, de nombreux concepts
utilisés par la CIPR dans ses publications découlent
logiquement de l'hypothèse du seuil.
[11] BEIR (Biological Effect of Ionizing Radiation). Le Comité BEIR est un comité de l'Académie des Sciences des États-Unis, spécialisé dans les effets biologiques des rayonnements ionisants. Il est chargé de faire le point sur toutes les études entreprises sur ces effets. Les rapports issus de ce comité étaient jusqu'à présent pris comme référence par les experts internationaux officiels. Lors des dernières réunions du Comité BEIR, l'unanimité n'a pu être faite sur les estimations du risque cancérigène du rayonnement.
[12] NCRP (National Commission on Radiation Protection and Measurements) ; cette commission nationale américaine fait autorité aux États-Unis en matière de radioprotection, bien que ses publications n'aient pas de valeur légale.
[13] L'étude d'Oxford donne les résultats
suivants :
- mortalité par cancer sans irradiation prénatale..................
8,410*-4
- mortalité par cancer avec irradiation prénatale..................
1,310*-3
- facteur de risque absolu pour l'irradiation prénatale.........
4,310*-4
- facteur de risque relatif pour l'irradiation prénatale...........
1,53
(mortalité et facteur de risque sont rapportés à
1 irradiation)
Ces chiffres sont valables pour les irradiations
actuelles. Les valeurs trouvées au début de l'étude
étaient plus élevées. Pour la période
1953-1955, le facteur de risque relatif était voisin de
2,0. Ceci peut s'expliquer par l'amélioration des appareils
de rayons X utilisés.
Il faut mentionner que d'après l'étude d'Oxford,
le facteur de risque d'une irradiation prénatale dans les
trois premiers mois de la grossesse est 16 fois plus élevé
que celui pour les irradiations prénatales ultérieures.
La comparaison des facteurs de risque pris en compte par la CIPR
pour les irradiations postnatales moyennées sur tous les
âges et ceux qui découlent de l'enquête d'Oxford
pour l'irradiation des foetus, peut se résumer dans le
tableau suivant où les facteurs de risque sont donnés
par rem.
[14] Les faits rapportés dans l'analyse d'Oxford et les résultats numériques qui en découlent ne sont pas contestés. Il est admis par tous les experts que la mortalité par cancers chez les enfants est plus élevée pour ceux qui ont eu des irradiations prénatales. Mais la relation causale entre cet accroissement de cancers et le rayonnement X n'est pas officiellement admise, bien qu'aucune autre cause ne soit fournie pour expliquer cet accroissement.
[15] Analyse par comparaison des doses moyennes (analyse CMD) : elle consiste à comparer pour les divers sous-groupes (par sexe, âge, ...) les doses moyennes reçues par les morts par cancers, avec celles reçues par les sous-groupes correspondants des morts par non-cancers. Il a été montré que cette méthode est plus sensible et demande, pour une précision donnée, une population moins nombreuse que la méthode classique qui consiste à comparer les taux de mortalité normalisés (« standard mortality ratio », ou analyse SMR).
[16] Là encore, comme pour l'étude
d'Oxford sur les enfants, les résultats numériques
rapportés (excès de morts par cancers corrélé
aux niveaux de doses reçues) ont finalement été
acceptés par tous les experts. Mais les responsables
officiels continuent à nier l'origine causale de cette
corrélation sans l'expliquer d'une façon satisfaisante
par des causes autres que le rayonnement. Madame Vignes du Comité
de Radioprotection de l'EDF porte le problème à
un niveau épistémologique dans la Revue Générale
Nucléaire (1980, n° 2) : « Une corrélation
positive entre deux facteurs ne signifie pas forcément
qu'il existe entre eux un lien de causalité. » Elle
n'affirme cependant pas qu'une absence de corrélation pourrait
être preuve de causalité, ce qui faciliterait grandement
la compréhension des critiques officielles.
[17] Les données collectées pour l'étude
des travailleurs de Hanford ont été confisquées
par l'organisme qui finançait l'étude et elles ont
été confiées à des chercheurs qui
n'en ont rien fait. Toutes les données collectées
n'avaient pas encore été analysées par Mancuso,
Stewart et Kneale faute d'argent et de temps, en particulier les
renseignements cliniques sur la morbidité chez les travailleurs,
ainsi que les malformations congénitales chez leurs descendants.
Il y aurait là suffisamment d'informations pour donner
une assez bonne estimation. C'est pour le moment la seule source
de données sur l'effet du rayonnement sur la 2ème
génération et elle est volontairement enterrée
avec le consensus général des média.
[18] Les analyses par les tables de mortalité exigent de n'utiliser que les statuts contemporains des individus. Mais les résultats issus de ces statuts ne reflètent pas du tout les risques encourus par les individus à la date de la table. La difficulté a été levée par la méthode utilisée par A. Stewart.
[19] Les différentes formes de la courbe effet/dose ont des propriétés résumées dans le tableau suivant. Le facteur de risque à 1 rem a été normalisé au facteur de risque à 10 rem pris comme unité :
[20] La formulation du facteur de risque dans
les publications de la CIPR est faite d'une façon très
différente car elle ne donne qu'une valeur moyenne. Si
le facteur de risque est fortement dépendant de l'âge,
la formulation officielle est totalement erronnée. En effet,
ce facteur, d'après les concepts de base de la CIPR, est
supposé pouvoir donner à chaque moment de la vie
professionnelle d'un travailleur le risque encouru pour une dose
donnée et non pas le risque moyen encouru pendant toute
sa vie professionnelle (ce qui supposerait la définition
d'une vie professionnelle type, et une répartition type
des doses suivant l'âge des travailleurs). En conséquence,
d'après les résultats sur les travailleurs de Hanford,
non seulement le risque cancérigène du rayonnement
serait fortement sous-estimé, mais les concepts à
la base des normes de radioprotection n'auraient guère
de sens.
Le tableau suivant donne l'allure de la variation du facteur de
risque en fonction de l'âge. Les facteurs de risque sont
normalisés à celui pour 40 ans pris comme unité
(d'après Alice Stewart : « A guide to MSK III risk
estimates for radition workers, jan. 1981) :
[21] Le journal « Nucleonics Week »
du 4 août 1983 mentionne une étude faite par British
Nuclear Fuels Ltd sur les travailleurs de Sellafield (nouveau
nom donné à Windscale, celui-ci étant probablement
trop chargé d'angoissante émotivité). On
trouve que la mortalité par cancers est plus faible chez
ces travailleurs que pour le reste de la population. Il en est
de même pour la mortalité générale.
L'effet du « travailleur bien portant » est parfaitement
visible. De nombreux experts l'admettent et commencent à
réclamer que les études en tiennent compte. C'est
ainsi que l'étude de BNFL a été fortement
critiquée. Cette étude a été publiée
pour essayer de calmer l'inquiétude qui se développe
en Cumbria, la région où se trouve situé
Windscale (Sallafield) et pour laquelle le taux de myélome
multiple est plus élevé que pour le reste de l'Angleterre.
Certains ont avancé comme cause possible les rejets de
l'usine de retraitement. Nous aurons l'occasion de revenir sur
ce problème.
[22] Rappel de quelques données numériques concernant
les populations d'Hiroshima et de Nagasaki :
Population initiale avant les
bombardements: Nombre de morts dans les 24 heures qui suivirent les bombardements: Survivants après 24 heures: Morts entre 1945 et 1950 (premier jour exclu): Morts attendus pendant la même période: Morts de 1951 à 1974: |
429 000 67 000 362 000 77 500 18 100 70 500 |
[23] Officiellement on reconnaît 461 cancers radioinduits dans la population étudiée. Si l'on tient compte d'un effet de survivance des mieux adaptés, comme le fait Alice Stewart avec un facteur correctif de 30 %, on trouve un excès de cancers égal à 1 446. Les 2 953 morts par non-cancers, en excès, sont dues aux effets du rayonnement sur la moelle osseuse. Pour obtenir l'effet total du rayonnement, il faut les ajouter aux morts par cancers radioinduits, soit au total 4 399 morts supplémentaires au lieu des 461 reconnues. Il y aurait alors un facteur 10 d'erreur sur l'estimation du risque de mortalité dû au rayonnement.
[24] L'accident de Windscale : en 1957, le réacteur de Windscale fut accidenté. Le coeur du réacteur (un graphite-gaz) prit feu. Il en résulta un relâchement dans l'atmosphère d'une quantité importante d'iode radioactif (de 100 à 1 000 fois plus important que pour l'accident de TMI) qui se propagea sur une bonne partie de l'Europe. A l'époque, l'accident ne préoccupa guère les responsables européens de la santé publique. Ce n'est que tout récemment que certains chercheurs essayèrent d'évaluer les conséquences de cet accident. Il s'agissait là pourtant d'un accident assez grave pour que l'attention des experts ait dû être éveillée. Il est vrai qu'en 1957, les problèmes de sûreté nucléaire et les conséquences pour la santé publique n'étaient pas des préoccupations majeures pour les promoteurs de l'énergie nucléaire.
Gazette nucléaire n°56/57, décembre 1983.