Le Figaro, 20 novembre 2004 :
L'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a procédé jeudi à un très important essai pour étudier l'un des plus graves cas d'accident nucléaire, la fusion du coeur d'un réacteur. L'expérience visait principalement à étudier les dégagements de produits radioactifs qui pourraient être rejetés dans l'atmosphère lors de ce type d'accident, dont a été victime la centrale américaine de Three Mile Island en 1979. Les conclusions de l'étude pourraient servir à améliorer la sûreté des centrales actuelles et futures.
Installé dans l'enceinte du site CEA de Cadarache (Bouches-du-Rhône), le réacteur expérimental Phébus a chauffé et irradié pendant environ cinq heures un échantillon d'essai composé de 20 tiges de combustible d'uranium ainsi que d'une barre de contrôle servant à modérer les réactions nucléaires. Il s'agissait, à une échelle réduite, de simuler le comportement du coeur d'un réacteur nucléaire, du type de ceux utilisés en France par EDF, en cas d'«accident grave». Ce terme décrit une situation où la chaleur du réacteur ne peut plus être évacuée par les systèmes de refroidissement, y compris ceux de secours. Même une fois le réacteur arrêté, celui-ci continue à avoir une puissance résiduelle, de l'ordre de 20 MW (mégawatts), qui suffit à faire surchauffer le coeur. Sans refroidissement, la fusion du combustible et de tous les appareils de contrôle est inévitable. C'est ce qui s'est passé sur le réacteur n° 2 de Three Mile Island le 28 mars 1979, à la suite d'un enchaînement de défaillances humaines et techniques. Sous l'effet de la chaleur, la moitié du coeur a fondu. La production de ce mélange de combustible (des barres d'oxyde d'uranium) et de métaux composant les barres de contrôle a par ailleurs volatilisé des centaines de kilogrammes de produits radioactifs (gaz rares, césium et iode principalement). Par chance, l'enceinte de confinement a bien joué son rôle (oui et non), et les rejets de gaz radioactifs dans l'environnent ont été réduits.
A Tchernobyl en 1986 en revanche, la fusion du coeur a conduit à l'emballement des réactions nucléaire, et au rejet de très grandes quantités de produits radioactifs.
Heureusement, un accident grave du type de celui de Three Mile Island est considéré comme très rare. «En France la probabilité est d'un accident tous les 1 000 ans (qui pense encore que l'accident nucléaire est "impossible" en France alors que les autorités s'y préparent... voir: Roulette russe au Blayais), pour l'ensemble du parc de 58 réacteurs, mais les conséquences potentielles seraient très importantes», précise Michel Schwarz, directeur de la prévention des accidents majeurs à l'IRSN. L'exercice de jeudi, ainsi que les quatre précédents essais réalisés depuis 1993 servent à en étudier les conséquences possibles. La principale inquiétude provient des produits radioactifs volatils, qui pourraient s'échapper dans l'environnement. Les composés les plus préoccupants, et donc les plus surveillés dans le cadre des essais Phébus, sont l'iode 131 et le césium 137. Le programme Phébus PF (1), d'un coût de 300 millions d'euros sur vingt ans, est unique au monde car il est le seul à récréer aussi fidèlement le déroulement d'un accident grave dans sa totalité. Les quatre précédents essais Phébus, qui ont chacun demandé plus de quatre années de préparation, ont été particulièrement utiles. Ils ont par exemple permis de découvrir que l'iode gazeuse était émise très vite après l'accident, contrairement à ce que prévoyaient les modèles. Cette connaissance est indispensable pour élaborer les plans d'urgence, qui devraient être mis en place par les autorités après un accident : quel périmètre évacuer en cas de rejets, jusqu'à quelle distance de la centrale faut-il demander l'absorption de pastilles d'iode ?
L'essai de jeudi visait tout particulièrement à étudier l'impact chimique sur les rejets que pourraient avoir les nouvelles barres de contrôle en carbure de bore. Ce type d'instrument équipe près de la moitié des centrales dans le monde, dont les nouveaux réacteurs français de 1 300 MW et 1 450 MW, ainsi que le futur EPR. Pour la première fois, les expérimentateurs ont mesuré après la fusion du coeur un dégagement de méthane, un gaz créé par la dégradation des barres de contrôle, et qui pourrait avoir un impact sur la formation de formes gazeuses d'iode, particulièrement néfastes car impossibles à piéger par les filtres en cas de rejets dans l'environnement. Quatre années vont être maintenant nécessaires pour analyser tous les résultats de l'essai, et étudier en particulier l'impact de ce méthane.
(1) PF désigne le terme «produits de fission».
Cyrille Vanlerberghe
La fusion d'une partie du coeur a déjà eu lieu en
France:
Le 10 février 1980 à Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher, France). Surchauffe du combustible
et fusion totale de deux éléments (soit 20 kg d'uranium
irradié) lors d'une montée en puissance trop rapide
du réacteur graphite-gaz Saint-Laurent 2 (515 MWé).
Contamination importante dans la zone d'intervention pour réparation
(10 rem/h au contact). Selon le SCPRI, l'irradiation des habitants
du voisinage reste en dessous du maximum admissible. Plus d'un
an de réparations. (voir: Liste chronologique des accidents et incidents
graves survenus sur un réacteur)
Lire:
- Panorama des catastrophes à venir (Quand
les erreurs techniques rencontrent les difficultés financières)
- Médecine de catastrophe et risque nucléaire
- Three Mile Island
(TMI), déjà 25 ans
PARIS, 13 oct - Un "rejet d'effluents gazeux" dans l'atmosphère, qui n'a atteint "aucun seuil réglementaire radiologique" s'est produit mercredi, lors de la préparation d'un essai sur le réacteur expérimental Phébus, à Cadarache (Bouches-du-Rhône), a annoncé, vendredi soir, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN).
Ce rejet de gaz rares radioactifs (krypton et xénon) a été "de l'ordre de 5.10 puissance 8" de becquerels", soit un millionième environ des limites annuelles fixées au centre de Cadarache, a précisé l'IPSN.
Cet incident a toutefois été déclaré à l'Autorité de sûreté. L'IPSN a proposé de la classer au niveau 1 de l'Echelle [médiatique] internationale des événements nucléaires (INES, qui en comprend 7).
L'essai, qui s'est déroulé comme prévu le lendemain, était le quatrième (FPT-4) du programme Phébus PF (Produits de Fission), qui vise à améliorer les connaissances des phénomènes survenant lors de la fusion du coeur d'un réacteur.
"Les objectifs visés ont été atteints", a indiqué l'IPSN : les crayons se sont liquéfiés tardivement et ont relâché dans le circuit une grande quantité de produits de fission dont l'évolution sera analysé dans les jours qui viennent.
Mené par l'IPSN, en collaboration avec EDF, l'Union européenne, l'Autorité de sûreté nucléaire américaine (la NRC/Nuclear Regulatory Commission), le COG (Candu Ownners Group, Canada), le NUPEC (Nuclear Power Engineering Corporation, japon), le JAERI (Japan Atomic Energy Research Institute), le KAERI (Korean Atomic Research Institute, Corée du Sud), le HSK et l'Institut Paul Scherrer (Suisse), Phébus PF est le plus important programme international de recherche en sûreté nucléaire.
Phébus PF, qui doit durer une quinzaine d'années, comprend six essais. Les trois premiers ont eu lieu en 1993, 1996 et 1999.