Les Nouvelles
de Moscou n°26, du 23 au 29 juin
1989:
Fin avril 1986, chercheurs, ingénieurs
et administrateurs arrivés à Tchemobyl et à
Pripiat ne disposaient pas encore d'informations suffisantes sur
l'accident. On voyait encore un halo rouge et de la fumée
au dessus du réacteur détruit. Les cartes radiométriques de la région
contaminée n'avaient pas encore été établies,
mais les spécialistes menaient déjà des discussions
interminables et tentaient d'évaluer la situation. Dans
ce remue-ménage, j'ai entendu des choses qui n'étaient
pas destinées à mes oreilles de journaliste.
Ensuite, l'information fut de plus en plus passée au crible.
J'ai pourtant appris beaucoup de choses dont certaines ne me sont
devenues claires que ces derniers temps. Par exemple, sur l'exactitude de certaines évaluations
faites au début.
Les « purs » et les «
impurs »
Le district de Naroditchi de la région de Jitomir
ne faisait pas partie de la
zone d'évacuation : ses villages les plus proches
sont situés à 50 km de la centrale de Tchernobyl
et les plus éloignés à 90 km. Mais, le 26
avril 1986, il soufflait un vent d'est qui apporta un nuage radioactif.
A l'heure actuelle, dans ce district, il y a des endroits où
la radiation enregistrée à la surface du sol dépasse
80 curies au kilomètre carré [près de 3 millions de Becquerels au m2].
L'automne dernier, après avoir vérifié, à
l'aide d'un dosimètre, l'enclos de la kolkhozienne Pavlina
Stroutskaia, je n'y ai pas trouvé un coin où le
niveau de radiation gamma fût inférieur à
0,2 mR/h [1,75 rem/an]. Devant la porte où la maîtresse de maison
était en train de discuter avec ses voisines, elle était
supérieure à 2 mR/h [17,5 rem/an]. Rappelons, pour
avoir un point de repère, que le fond naturel de radiation
à Kiev est de 0,014 mR/h.
Néanmoins, Anatoli Melnik, premier secrétaire du
Comité du Parti du district de Naroditchi, obligé
de devenir spécialiste de « radiologie appliquée
», estime que le
danger principal actuellement n'est pas la radiation, mais la
contamination de l'organisme par des radionucléides contenus
dans des denrées alimentaires. On continue d'amener dans
les villages les plus contaminés les produits laitiers
et de boucherie d'autres régions, et chaque habitant bénéficie
d'une dotation d'un rouble par jour pour en acheter. Cependant,
ce n'est qu'une solution partielle, car les produits purs sont
manifestement en quantité insuffisante.
Malgré les mises en garde des médecins, beaucoup
boivent le lait de vaches locales et continuent de récolter
les légumes et les fruits cultivés sur leurs lopins
de terre. « C'est un bureaucrate, dont le bureau se trouve
loin de ces terres, qui a dû inventer la division des villages
en purs et impurs », m'a dit, avec amertume, le secrétaire
du Comité de district du Parti. La poussière radioactive
est balayée d'un lieu vers un autre par le vent, charriée
par les cours d'eau après la pluie, répandue par
le bétail et les moyens de transports.
Leonid Iline, vice président de l'Académie de médecine
de l'URSS, a plusieurs fois déclaré, après
l'accident de Tchernobyl, que les doses relativement petites d'irradiation
sont absolument anodines. Mais, avant l'accident, on a vu paraître
sous sa rédaction un ouvrage où l'on peut lire:
« Même les doses relativement petites d'irradiation
perturbent le fonctionnement des réflexes conditionnés,
modifient l'activité bioélectrique de l'écorce
cérébrale et provoquent des altérations biochimiques
et métaboliques au niveau moléculaire et cellulaire.
» L'optimisme actuel de l'académicien ne persuade
pas tout le monde.
Un troupeau anormal
A la ferme du kolkhoze Petrovski, on
m'a montré un porcelet dont la tête ressemblait à
celle d'une grenouille. A la place des yeux, il avait des excroissances
tissulaires où l'on ne distinguait ni cornée ni
pupille. « C'est un de nos nombreux monstres », m'a
expliqué Piotr Koudine, vétérinaire du kolkhoze.
« Ordinairement, ils meurent sitôt venus au monde,
mais celui là vit encore. »
La ferme est petite 350 vaches et 87 porcs. En cinq ans, avant l'accident nucléaire, on
n'y a enregistré que trois cas de monstruosité parmi
les porcelets et pas un parmi les veaux. En un an, après
l'accident, il y a eu 64 monstres : 37 porcelets et 27 veaux.
Dans les neuf premiers mois de 1988 41 porcelets et 35 veaux.
Ces derniers naissent le plus souvent sans tête ni extrémités,
sans yeux ou sans côtes. Les porcelets sont exophtalmiques,
ont le crâne déformé, etc.
Un des monstres du kolkhoze Petrovski
Et que disent les savants ? A Kiev, on a créé un institut spécial de radiologie agricole. « Ils n'ont pas manifesté un intérêt particulier pour notre ferme », m'a répondu Piotr Koudine. « Ils ont examiné plusieurs cadavres de nouveau nés monstrueux et déclaré que ce phénomène pouvait être provoqué par des centaines de causes n'ayant rien à voir avec la radiation. Je suis vétérinaire, donc je le sais moi aussi, mais les statistiques de la monstruosité m'obligent à distinguer une cause bien déterminée. Car les fourrages sont produits par des champs contaminés par les radionucléides. Et puis, les responsables du stockage refusent notre bétail car les doses de radiations qu'il a reçues sont supérieures à la norme.
Etat de droit?
La porchère ayant sorti le porcelet
monstrueux pour que je puisse le photographier m'a dit, les larmes
aux yeux « Ma fille vient de se marier. Comment sera mon
petit fils ? » Je n'ai pas su comment la rassurer.
L'ouvrage cité plus haut (paru avant l'accident) contient
les données obtenues par les radiologues réputés
A. Gouskova, A. Moïsseev et L. Sokolina. La dose cumulée
de 4,4 microcuries de césium 137 ou 0,4 microcurie de strontium
90 peut provoquer des changements considérables dans l'organisme
humain. Une telle irradiation nécessite un traitement.
Voici les statistiques des services médicaux du district
de Naroditchi 35 % de sa population a reçu une dose de
1 à 2 microcuries de césium 137, plus de 4 % une
dose de 3 à 5 microcuries, et près de 4 % une dose
de 5 à 10 microcuries. Plus
de la moitié des enfants dans ce district souffrent d'affection
de la glande thyroïde, dont beaucoup au deuxième ou
troisième degré.
Les responsables de la santé publique de la République
affirment qu'au delà de 30 km autour de la centrale nucléaire,
il n'y a aucun danger pour la santé des hommes, mais ils
ne donnent aucune information à ceux qui viennent à
Kiev pour se faire examiner. Les femmes s'inquiètent. S'il
n'y a pas de danger, pourquoi nous déconseille-t-on d'avoir
des enfants ?
« Nos médecins
», m'a déclaré Anatoli Melnik, « notent
l'aggravation de maladies chroniques parmi la population, ainsi
que la convalescence difficile des personnes ayant subi des interventions
chirurgicales. On a vu doubler la moyenne annuelle de maladies
cancéreuses et notamment le nombre de cancers de la lèvre
et de la cavité buccale. »
Les conditions dans lesquelles nous habitons sont elles normales
ou non? Si elles sont normales, il faut des mesures de grande
envergure, car ce qui se fait est insuffisant. Il faut asphalter
toutes les routes et toutes les aires utilisées pour les
travaux agricoles. Pour le moment, on n'a pas même fait
un quart de ce travail. On installe trop lentement le réseau
de gaz dans les localités dont la population se sert encore
principalement de poêles à bois. On s'est contenté de recommander à la
population de laver les bûches avant de les utiliser et
de ne pas utiliser leurs cendres comme engrais. Et
il existe une multitude d'autres problèmes que le district
est incapable de résoudre lui-même. Pourquoi, par
exemple, les paysans ayant subi des pertes énormes par
la faute des énergéticiens sont ils obligés
de dépenser leur argent pour acheter des tracteurs à
cabines hermétiques ? De telles cabines coûtent 1
400 roubles et il en faut des centaines.
Les autorités locales ne peuvent pas légitimer un
congé allongé pour les habitants du district, bien
que la pratique prouve qu'un mois et demi ou deux mois passés
en dehors de la région contaminée permettent d'éliminer
très efficacement de l'organisme le césium 137.
On parle beaucoup de l'état de droit qu'on est censé
édifier, mais pourquoi les habitants du district de Naroditchi
sont ils voués au rôle humiliant de quémandeurs
alors qu'ils devraient avoir le droit d'exiger une compensation
complète de leurs pertes de la part des administrations
qui en sont responsables ? Sans parler de leur droit d'avoir une
information exhaustive sur la santé de la population et
sur l'état des terres.
Vladimir Kolinko
Lorsque cet article était en voie de préparation, à Moscou a eu lieu une projection d'un documentaire de 20 minutes "Micro !" tourné par Guéorgui Chkliarevski, réalisateur de Kiev. L'équipe a travaillé dans le district de Naroditchi de la région de Jitomir, celui-là même dont parle Vladimir Kolinko. Tout ce qu'il rapporte et bien d'autres choses encore a été filmé en septembre-novembre 1988.
Ce documentaire fort impressionnant s'est heurté à des difficultés du fait de la censure car, selon les dispositions en vigueur, toute oeuvre sur Tchernobyl doit être examinée par une commission d'experts sous l'égide du Comité d'Etat de l'URSS pour l'utilisation de l'énergie atomique composée de représentants de différents ministères et comités d'Etat. Le ministère de la Santé publique a émis une condition : supprimer dans le film l'interview des médecins. Le Comité d'Etat pour la météorologie a demandé de couper les séquences où figurait un dosimétriste travaillant sur le terrain. "Cela ne se répercutera pas sur la valeur artistique de votre film". C'est de cette manière qu'on a essayé de calmer les auteurs du film.
La projection du film a été pourtant autorisée,
fin janvier. Le documentaire "Micro !" fera sûrement
beaucoup réfléchir de nouveau aux conséquences
de l'accident de Tchernobyl.
L'article de Vladimir Kolinko fit l'effet d'une bombe dans l'opinion publique. La réponse des scientifiques officiels ne se fit pas attendre. Au menu : réfutations spécieuses et chiffres alibis...
Les Nouvelles de Moscou n°26, du 23 au 29 juin 1989:
Malgré les dénégations des scientifiques « autorisés », des voix s'élèvent de toutes parts pour corroborer les propos des « Nouvelles de Moscou ». Images à l'appui, le constat est terrible dans la région de Tchernobyl, la réalité dépasse toutes les fictions possibles et la mort fait lentement son travail.
La prise de position
des spécialistes est traditionnelle : la vérité
est accessible seulement aux professionnels, tout le reste n'est
que de l'amateurisme nuisible et dangereux.
Disons, pour commencer, que la rédaction a appris l'existence
de la lettre des trois savants par Vladimir Marine, premier vice
président du Bureau pour le complexe combustible énergie
auprès du Conseil des ministres de l'URSS. Et cela permet
parfaitement de supposer le caractère commandé de
la lettre, si l'on sait de plus que c'est le dirigeant de l'administration
qui s'est par la suite plusieurs fois informé de la date
de la publication de l'article, et non les auteurs.
Dans la réponse des savants, il est dit que les spécialistes
venus en inspection dans le district n'ont pas découvert
de documents confirmant la croissance du nombre de monstruosité
à la naissance chez les veaux et les porcelets. Les chiffres
enregistrés en 1988 seraient même inférieurs
à la moyenne du pays. Pourquoi cette méfiance à
l'égard des spécialistes locaux, pourquoi faut il
considérer que ceux qui sont venus d'ailleurs sont meilleurs
? A ce propos, la rédaction a reçu un témoignage
écrit avec des chiffres concernant une exploitation où
des monstruosités sont observées chez un tiers du
jeune bétail déjà.
« Vivons nous dans des conditions normales ou anormales
? » C'est la question du premier secrétaire du Comité
du Parti du district de Naroditchi, Anatoli Melnik. Les trois savants
lui répondent qu'il n'y a pas de raisons objectives d'être
inquiet pour la santé des gens. Mais, alors que leur lettre
était en instance de publication, on a appris qu'il avait
été décidé d'évacuer trois
villages de plus dans le district de Naroditchi, et que cette
mesure était à l'étude en ce qui concerne
plusieurs autres villages. Il s'agit d'évacuer quelque
trois milliers de personnes. Parce qu'il n'existe aucun danger?
Stress radioactif
Une lettre signée par cent trente-cinq habitants des villages
du district de Naroditchi fait état d'une augmentation
constante des troubles de santé chez les jeunes enfants.
Ce ne sont pas les « publications inconsidérées
» qui provoquent les stress, mais le mutisme de l'administration.
Que penser de bon quand on est sans cesse convoqué pour
des examens médicaux mais sans jamais pouvoir en obtenir
les résultats ni la dose de radioactivité accumulée
?
Le discrédit de l'énergie atomique et des administrations
qui la desservent ne peut être évité que si
les rapports entre les « spécialistes » et
les « profanes » changent radicalement. Il est difficile
d'y parvenir, après tant d'années de secret total, au sujet de Tchemobyl. Car,
comme on dit, telle voix, tel écho. Mais il est nécessaire
d'aboutir à la vérité, à la compréhension.
« En attendant », considère Grigori Revenko,
premier secrétaire du Comité régional du
Parti de Kiev, « il faut procéder régulièrement
à l'expertise de la situation radiologique, dans un climat
de glasnost et avec la participation de l'opinion publique, et
il faut publier systématiquement dans la presse les chiffres
sur l'évolution des maladies et leurs causes. Il faut aussi,
à mon avis, une loi au regard de laquelle les dirigeants
coupables de cacher l'information authentique sur l'environnement
et les niveaux de radioactivité dans telle ou telle région
devront répondre. »
Un groupe de députés, composé d'Alla Yarochinskaïa, journaliste de la
région de Jitomir, Mikhaïl Delikov, premier secrétaire
de la direction de l'Union des cinéastes d'Ukraine, et
l'écrivain Youri Chtcherbak, a prié notre rédaction
d'organiser une
table ronde avec les auteurs de ladite lettre. Ils ont proposé
de profiter de l'occasion pour commenter un nouveau film vidéo,
« Au delà des limites », évoquant les
séquelles de la tragédie de Tchernobyl, tourné
il y a quelques jours dans le district de Naroditchi, et d'entendre
des spécialistes aux points de vue différents.
Immunodéficience
Constantin Gordeev, vice directeur de l'Institut de biophysique
du ministère de la Santé publique de l'URSS, l'un
des auteurs de la lettre publiée par les « Nouvelles
de Moscou », à qui nous avons annoncé cette
table ronde, en a accepté l'idée, à condition
de recevoir une directive spéciale du premier vice ministre
de la Santé publique ou le texte officiel de l'interpellation
des députés. Guennadi Sergueïev, premier vice
ministre, a promis sa contribution, et le directeur de l'Institut,
l'académicien Leonid Iline, ne s'y est pas opposé
non plus. Mais le professeur Gordeev a alors prétexté
des occupations et proposé de « se rencontrer une
autre fois, dans les murs de l'établissement ».
La projection du film « Au delà des limites »,
réalisé par Semione Sloutchevski, s'est déroulée
en l'absence des opposants du ministre de la Santé. Le
lendemain, le député Alla Yarochinskaïa a fait
parvenir la cassette à la présidence du Congrès
et prié ses collègues d'en prendre connaissance.
Que nous montre donc ce film ? Les
médecins du district de Naroditchi disent que, dans les
premiers jours, les plus dangereux, qui ont suivis la catastrophe,
on a omis de procéder aux soins à base d'iode, en
l'absence de renseignements véridiques sur la situation.
Cela a eu pour résultat les doses considérables
de rayonnement reçues par la glande thyroïde, surtout
chez les enfants : jusqu'à 500 rads et plus. On relève
des mutations du système immunitaire. Les cas de cataracte
chez les enfants et les jeunes sont devenus beaucoup plus fréquents. Une femme médecin déclare en pleurant
: « Des petits de trois ou quatre ans hurlent de douleur
et nous ne savons pas pourquoi, nous ne pouvons pas les aider.
Les spécialistes venus de Kiev disent que cela n'est pas
étonnant, du fait de l'immunodéficience. Nous sommes
impuissants, et le service régional de la Santé
n'a pas de spécialistes à nous envoyer dans notre
district. »
Les enseignants et les parents d'élèves sont unanimes.
Il ne faut pas reprendre l'école l'année prochaine,
et l'on devrait évacuer les enfants de cette zone. Or,
trois cent trente sept familles des douze villages les plus contaminés
ont des enfants. Comment y resteraient ils puisqu'on ne peut pas
manger les légumes du potager, ni boire le lait des vaches,
ni aller en forêt, ni se baigner dans la rivière
? De plus, un poste de décontamination pour véhicules
se trouve à cinquante mètres de l'école et
une scierie fait des planches à partir des arbres contaminés.
« Les gens ont vécu dans ces conditions durant trois
ans », témoigne le secrétaire du Comité
de district du Parti, « et, maintenant, on leur dit, pour
les calmer : "d'ici trois ou quatre ans, vous serez relogés".
C'est incroyable ! Et que deviendront les quelque dix mille retraités
qui resteront ici ? Il faut prévoir des facilités
à leur égard, des majorations des retraites pour
leur permettre d'acheter des produits non contaminés amenés
d'ailleurs.
Et les habitants des villages de Naroditchi répètent
devant la caméra « Tout le monde veut oublier Tchernobyl.
Nous sommes des laissés pour compte. »
Visions de cauchemar
Sur l'écran
défilent des images. Un poulain né avec huit pattes,
des porcelets dont les têtes sont pareilles à celles
de grenouilles, des monstres qui ont du mal à se déplacer.
Le professeur Gordeev affirme que la radiation n'y est pour rien.
Est ce si sûr ? Dimitri Grodzinski, chef du secteur de biophysique
et de radiobiologie de l'Institut de botanique de l'Académie
des sciences d'Ukraine, écrit de Kiev « Nous avons
commencé des recherches dès le lendemain de l'explosion,
dès les premiers jours de mai 1986. Depuis, un tableau
impressionnant de modifications dans l'environnement s'est déployé
devant nos yeux. En 1987, on a vu des feuilles géantes
de chêne, de tilleul, d'acacia blanc et de marronnier. Ces
feuilles d'une dimension jamais atteinte avaient une forme dénaturée,
et prenaient parfois des contours si capricieux qu'on ne pouvait
plus déterminer l'espèce à laquelle elles
appartenaient.
Les chercheurs qui ont écrit aux « Nouvelles de Moscou
» s'élèvent contre la thèse selon laquelle
les monstruosités des animaux du district de Naroditchi
seraient imputables à la radioactivité. Les doses
auraient été insignifiantes. Mais ils ont compté
probablement sans l'anomalie nucléique surgie après
l'accident de Tchernobyl. Sans entrer dans les détails,
disons que les cellules de l'organisme vivant subissent une influence
complexe. A part la radiation gamma extérieure, elles se
ressentent aussi des radiations bêta et alpha, ainsi que
des champs de radiation différentiels des particules dites
chaudes. De ce fait, on se doit d'être extrêmement
attentifs et de repousser la thèse séduisante selon
laquelle « les petites doses » sont inoffensives pour
les être vivants, et notamment pour l'homme.
Mais que dire sur la notion de dose de radiations admissible ?
Cette norme est actuellement établie en URSS à 35 rems en soixante dix ans de
vie, alors qu'elle varie de 5 à 10 rems en cinquante ans
pour les autres Etats industrialisés. Le chercheur Vladimir
Gueorguievski relate que, lors des discussions de la situation
dans le district de Naroditchi qui ont eu lieu à l'Institut
des recherches nucléaires de l'Académie des sciences
d'Ukraine, on a avancé que les médecins avaient
incorrectement interprété les mesures de la radioactivité
et avaient sensiblement sous estimé les doses réelles
auxquelles les organismes humains avaient été soumis.
En d'autres termes, la situation serait plus grave qu'on ne le
pensait au début. Beaucoup de spécialistes en étaient
déjà avertis.
Mikhaïl Belikov, député du peuple, et Vladimir
Tchernooussenko, maître de recherches à l'Institut
de la physique théorique de l'Académie des sciences
d'Ukraine, ont évoqué, lors de la projection du
film, le danger de nouvelles restrictions imposées à
l'information, si les centrales électronucléaires
étaient, comme prévu, confiées à la
compétence du ministère des Constructions mécaniques.
Alors tout le cycle du nucléaire, depuis l'extraction du
minerai jusqu'à l'ensevelissement du combustible utilisé,
serait concentré dans le pouvoir d'un seul ministère
absolument opposé à tout contrôle de l'opinion
(il suffit de dire que même pour examiner le respect de
la légalité dans ce secteur, il y a un parquet spécialisé
et les cas des personnels pris en faute sont examinés par
le tribunal à huis clos).
Oui, ce ministère a des spécialistes hautement qualifiés,
une discipline très rigoureuse, mais on ne peut pas admettre
qu'aujourd'hui, alors que nous en avons appris long sur Tchernobyl,
on redise aux gens : « Cela n'est pas de votre compétence.
» C'est pourquoi les députés parlent au Congrès,
au nom de leurs électeurs, des causes qui ont engendré
le phénomène de Tchernobyl.
Andreï Prainikov