Professeur Vesily Nesterenko:
[...] Ce que j'ai à dire a été publié [...] il s'agit des conclusions d'une étude à laquelle ont participé les Professeurs Yakovlev, Bourlakova, ainsi que 200 scientifiques de Russie, d'Ukraine et de Biélorussie. Malheureusement l'étude n'a été publiée qu'en russe. [...] Susan Boos que je remercie ici, en a publié un résumé en anglais et en allemand
Quelles sont les conséquences du désastre de Tchernobyl
pour la Biélorussie ?
Une grande partie du pays est contaminée,
3 millions de personnes vivent encore sur ce territoire. On a
évacué plus de 130 000 personnes vers le Nord du
pays. Mais plus de 3 000 villages et villes encore habités
sont fortement contaminés. C'est aussi le cas en Russie
et en Ukraine.
Ainsi, les habitants continuent à se nourrir essentiellement
d'aliments contaminés C'est actuellement le problème
le plus grave. La dose de radio-contamination cumulée s'accroît
de jour en jour. Notre Institut, qui n'est pas un institut
gouvernemental, a créé un réseau de centres
qui analysent la radioactivité des aliments que consomment
les gens. Nous avons mis plus de 370 centres à la disposition
de la population pour analyser leurs aliments. Ces laboratoires
collectent des données sur la contamination dans différentes
parties de Biélorussie. Nous établissons des cartes,
non pas de la contamination des sols, mais de la contamination
des aliments. C'est le plus important à l'heure actuelle.
On constate très souvent que le taux de radio contamination
est 10 fois plus élevé que celui qu'indique le gouvernement.
Depuis 5 ans qu'existent ces centres d'analyse, le niveau de la
contamination des aliments n'a pas décru. Chaque année
nous publions un rapport d'environ 100 pages sur nos mesures concernant
la nourriture. Nous publions également l'adresse et le
nom des gens qui vivent dans ces régions, qui consomment
de cette nourriture et qui boivent du lait contaminé, 70-80%
de la contamination des gens est interne, absorbée avec
la nourriture. Dans notre ordinateur, nous avons leurs noms et
la région qu'ils habitent.
Nous savons que dans des régions situées à
200 km de la Tchernobyl, il est dangereux de vivre, de cultiver
la terre et d'élever du bétail. Je veux en particulier
parler de la région de Brest, à 400 km de Tchernobyl,
où je connais un village de 1 500 habitants, dont 400 enfants.
Nos normes officielles interdisent aux enfants de boire du lait
contaminé par plus de 37 Bq/kg. Malheureusement, c'est
précisément le lait qui est le plus contaminé
dans ce village. Le dernier rapport reçu de cette région
indique que la contamination du lait atteint 200 fois les normes.
Les enfants ont été examinés à l'aide
d'appareils spéciaux pour déterminer leur contamination
par différents radionucléides. La dose cumulée
de Cs 137 chez ces enfants est de plus de 1000 Bq/kg.
Les examens médicaux ont montré qu'il n'y a plus
un seul enfant qui soit vraiment en bonne santé. 400 enfants
vivent dans cet environnement. Malheureusement il ne s'agit que
d'un seul exemple parmi tant d'autres. Je connais 500 villages
identiques.
Étant donné que je n'ai pas encore réussi
à entreprendre des analyses dans tous les villages des
régions contaminées, il doit y en avoir bien davantage.
Parmi les mesures que nous avons faites sur du lait venant de
la région de Brest, 33% seulement étaient conformes
aux normes. 67% étaient plus élevées. Plus
de 30% des analyses ont montré des doses de plus de 1000
Bq/kg de Cs 137. Malheureusement, ni les autorités locales,
ni le gouvernement ne tiennent compte de ces analyses. Aucune
mesure n'est prise pour améliorer la situation.
Je suis physicien, mais je travaille en relations étroites
avec des médecins. Je puis vous citer quelques données
émanant de médecins qui ont été publiées
dans notre étude. Le Dr.
Rosalie Bertell a cité les maladies que l'AIEA considérait
comme étant radio-induites. je voudrais les comparer avec
ce que nous voyons dans les région de Gomel et de Moghilev,
deux régions hautement contaminées. Deux instituts possèdent des données
antérieures, de 1982 - 85. Ils ont noté une augmentation
significative des malformations congénitales dont l'enregistrement
est obligatoire. Le nombre de celles-ci a doublé sur l'ensemble
du territoire national. L'AIEA n'a pas reconnu ceci. Dans des
régions plus contaminées, l'incidence des malformations
est 6 fois supérieure à ce qu'elle était
antérieurement.
En regardant la morbidité
dans ces zones très contaminées, on voit toute une
série de maladies radio-induites que l'AIEA refuse de reconnaître.
Dans l'Institut des Radiations de Biélorussie, un registre
spécial est mis à jour par 35 spécialistes
qui enregistrent ces maladies. J'aimerais en particulier citer
le Professeur Kovachenko, spécialiste des troubles neurologiques
chez les enfants. Il constate toutes sortes de désordres
psychologiques et psychiatriques. Je vous remets un exemplaire
de son étude. Il est en mesure d'enregistrer des tracés
pathologiques sur des appareils spéciaux, qui montrent
qu'à la base des troubles psychiatriques il y a des lésions
organiques. Ces altérations ne sont donc pas dues au stress,
ni à une "radiophobie". Il s'agit de troubles
organiques, survenant chez des personnes ayant été
exposées aux rayonnements ionisants. L'étude en
question présente 42 cas originaires de zones très
contaminées qui souffrent de divers troubles mentaux.
Doit-on craindre comme il le pense, que dans 3 ou 4 générations,
il n'y aura plus personne en Biélorussie capable de réaliser
ce genre de suivi ?
Vesily Nesterenko,
Tchernobyl, conséquences sur l'environnement, la santé,
et les droits de la personnes,
Vienne, 12-15 avril 1996,
Tribunal Permanent des Peuples,
Commission Médicale International de Tchernobyl.